Pourquoi Mark Todd est-il le cavalier du siècle?

Présent au plus haut niveau pendant presque quarante ans, Mark Todd a tout gagné dans sa carrière et laissé une trace indélébile dans l’histoire du concours complet. Il y a un an pile, à soixante-trois ans, ce Néo-Zélandais que la Fédération équestre internationale a sacré “Meilleur cavalier du vingtième siècle” a annoncé prendre sa retraite, loin des terrains de concours. Focus sur les raisons du succès d’un gentleman hors du commun.



Un seul coup d’œil au palmarès de Mark Todd permet de mesurer l’ampleur du personnage. Depuis son éclosion au plus haut niveau avec une victoire improbable à Badminton en 1980, le Néo-Zélandais a participé à pas moins de sept Jeux olympiques. Avec, à la clé, deux titres individuels, à Los Angeles en 1984, alors que personne ne l’y attendait, puis à Séoul en 1988 avec le même cheval, Charisma (NZSH, Tira Mink, Ps x Kiritea). Des titres auxquels s’ajoutent une médaille de bronze individuelle, glanée en 2000 à Sydney, et trois breloques par équipes. Mark Todd peut également s’enorgueillir d’une médaille d’argent acquise en individuel aux Jeux équestres mondiaux de 1998 à Rome. Ou encore de quatre victoires à Badminton et cinq succès à Burghley, qui en faisaient le recordman jusqu’au sixième succès du Britannique William Fox-Pitt en 2011.

Si le Kiwi détient aujourd’hui un historique de victoires à faire pâlir d’envie ses concurrents, rien ne l’y prédestinait. Né hors du milieu équestre, “Toddy” était voué au travail à la ferme avant que la passion des chevaux ne le gagne. Le concours complet n’était pas non plus très implanté en Nouvelle-Zélande, où seule une poignée de compétitions se déroulaient chaque année. C’est pourtant dans ce terreau que s’est déployé celui que l’on peut qualifier de pionnier de la discipline dans son pays, ouvrant la voie à une incroyable série de champions aux premiers rangs desquels figurent Andrew Nicholson, Vaughn Jefferis, Blyth Tait, Jonelle et Tim Price, Jonathan Paget et bien d’autres encore.

Aux dires de celui qui fut anobli par le prince Charles en 2013, le développement embryonnaire du complet dans son île du Pacifique a été un mal pour un bien. L’obligation de se perfectionner en dressage et surtout en saut d’obstacles lui a permis d’acquérir une polyvalence qui l’a conduit jusqu’aux JO en jumping, d’abord à Séoul en 1988, où il a terminé vingt-sixième avec Bago, puis à Barcelone en 1992, où il a fini trente-quatrième avec Double Take. Pour ces deux échéances, il a donc intégré simultanément les sélections nationales de jumping et de complet. Si cet état de fait n’a pas trouvé d’équivalent depuis, sa portée mérite néanmoins d’être nuancée. “La concurrence pour intégrer les sélections néo-zélandaises était moins rude qu’en France ou en Allemagne, par exemple, où les prétendants étaient nombreux”, nuance Marie-Christine Duroy de Laurière, pilier de l’équipe de France de complet dans les années 1980 et 90. Pour autant, la capacité de Mark Todd à performer sur les deux tableaux reste tout à fait remarquable.

 



Talent, travail et rage de vaincre

“Je pense que ce n’est pas cela qu’il faut retenir en priorité”, poursuit celle qui a participé à quatre échéances olympiques face au Néo-Zélandais, louant d’abord son talent hors du commun, celui-là même qui a fait dire un jour à Andrew Nicholson que son compatriote pourrait “courir un cross-country sur une vache laitière!” Malgré des conditions défavorables, ce don a vraisemblablement permis à Mark Todd de percer au plus haut niveau. “Il n’a quand même pas un physique très simple pour notre discipline tant il est grand (1,90m, ndlr), note particulièrement l’amazone française. “Charisma, qui lui a offert ses deux titres olympiques, était même minuscule comparé à lui (1,57m, ndlr). Tout était réuni pour qu’il soit handicapé, et pourtant, il est devenu un immense champion.”

Mais ce talent, doublé d’une approche très naturelle et spontanée du cheval, n’aurait probablement rien donné sans l’immense force de travail du Kiwi. Bien qu’il ait un peu levé le pied au regard de son début de carrière, Sidney Dufresne a pu en être témoin lors des deux saisons qu’il a passées sur sa propriété de Badgerstown, en Grande-Bretagne, entre 2009 et 2011. À cela s’ajoute une soif de victoire sans commune mesure, qui lui a permis de se remettre sans cesse en question, de se fixer des objectifs toujours plus ambitieux et de travailler toujours plus dur pour les atteindre. “Il n’a rien à envier à Michael Jordan, Roger Federer ou Zinedine Zidane”, affirme le Français, le comparant ainsi à des dieux vivants de basket-ball, du tennis et de football.

C’est sûrement cette rage de vaincre qui lui a permis de revenir au plus haut niveau après une mise en retrait de 2000 à 2008. L’envie l’avait un peu quitté, et le décès de plusieurs complétistes à la fin des années 1990 l’avait beaucoup affecté. De façon improbable, sa reprise de la compétition en vue des Jeux de Hong Kong s’est décidée sur un coup de tête lors d’une soirée bien arrosée: le Néo-Zélandais a tout bonnement lancé à des amis qu’il se remettrait à la tâche si ceux-ci l’aidaient à trouver un cheval! Ce crack fut le gris Gandalf (NZSH, Pintado Desperado x Galaxy Bound, Ps), qui a malheureusement dû être euthanasié l’année suivante en raison de graves troubles neurologiques après avoir offert à son cavalier la dix-septième place en Chine. Pourtant, rien ne semblait gagné d’avance. “Je me rappelle l’avoir vu peu avant les JO sur le gué du fond de l’hippodrome de Saumur, à l’occasion du CCI 3*. Sur le moment, je me suis dit qu’il avait vraiment pris un coup de vieux”, note Marie-Christine de Laurière. “Il s’agitait pour maintenir son cheval devant lui, il donnait des coups de coude… comme on peut le voir quand un cavalier n’est plus trop dans le coup. J’ai pensé qu’il n’atteindrait jamais ses objectifs. Et pourtant… Là, on ne parle pas de chance mais de volonté, de motivation et de travail.”



Un vrai gentleman

Pour autant, jamais la rage de vaincre qui le caractérise et lui a servi de moteur n’a fait perdre de vue à Mark Todd le respect de ses chevaux. “Sa méthode n’est pas codifiée dans un livre. Elle est le fruit de son intuition et de son expérience. Cela dit, on pourrait la résumer ainsi: faire progresser le cheval en optimisant ses qualités et en réduisant ses défauts, tout en l’écoutant pour ne pas le blesser”, explique Sidney Dufresne. “On n’a jamais entendu une horreur sur lui vis-à-vis d’un cheval. Jamais”, fait remarquer Marie-Christine Duroy de Laurière. “Je pense que son côté sympathique et respectueux de ses montures rassure les propriétaires, qui sont tentés de lui confier leurs chevaux. C’est un avantage! Car même si un crack comme lui peut compenser la moindre qualité d’un cheval, il lui faut quand même en trouver quelques-uns capables de disputer les grandes épreuves.” Ce respect, Mark Todd le voue aussi aux humains. “Au-delà de ses qualités équestres extraordinaires, c’est un gentleman extrêmement chaleureux. Bien qu’il soit devenu un grand champion, il est resté absolument le même”, ajoute la Française. Des propos que corrobore son ancien élève, qui continue de le côtoyer régulièrement: “Il est très humble, courtois, tout à fait normal malgré son palmarès, ce qui est assez rare pour être souligné.” Des qualités humaines doublées d’un sacré goût de la fête et des retrouvailles entre copains qui ont contribué à construire l’image de ce compétiteur qui restera dans les annales du concours complet. Des annales dans lesquelles l’a rejoint Michael Jung, dont on peut dire sans trop de risque qu’il a atteint aujourd’hui le même niveau que le Néo-Zélandais. De fait, si l’Allemand n’est clairement pas doté du même charisme, il a sans doute poussé plus loin encore que le Kiwi son expertise dans les trois tests du concours complet. Alors, oui, Mark Todd semble déjà avoir trouvé son digne successeur!

Cet article d’archive est paru dans le hors-série GRANDPRIX n°18 de juillet/août 2018