Bryan Balsiger, le troisième pilier suisse? (partie 1)
À seulement vingt-trois printemps, Bryan Balsiger fait déjà partie des plus grands de sa discipline. Symbole de la réussite suisse à faire émerger de jeunes talents au plus haut niveau, le discret, authentique et talentueux Neuchâtelois s’est déjà constitué un beau palmarès, qu’il pourrait même agrémenter d’une sélection pour les Jeux olympiques de Tokyo l’an prochain. Portrait d’un champion en devenir.
“Dresser un cheval, ce n’est pas lui faire acquérir des automatismes, c’est d’abord se construire avec lui un vocabulaire commun, puis une grammaire commune, puis, s’il le veut bien, finir par dire des poèmes ensemble”, Bartabas. On dit souvent qu’un bon cavalier ne doit jamais changer un cheval mais l’apprivoiser et s’adapter à sa personnalité, en construisant un système de compréhension. Dans ce registre, le jeune Bryan Balsiger peut être aisément cité en exemple. À tout juste vingt-trois ans, ce cavalier suisse, qui a déjà accroché les titres de champion d’Europe Jeunes Cavaliers et champion de Suisse Élite ainsi que le Grand Prix du CSI 5*-W d’Oslo à son palmarès, impressionne par sa polyvalence et sa capacité d’adaptation qu’il montre avec chacune de ses montures, aux profils parfois très différents. “Bryan a une capacité d’adaptation incroyable”, confirme Michel Sorg, futur sélectionneur de l’équipe de Suisse. “Il ne cherche pas à mettre ses chevaux dans un moule. Et il ne dit jamais que c’est la faute du cheval, par exemple.” “Depuis que je suis petit, mon père m’a toujours dit que je devais monter avec le feeling”, raconte Bryan. “Donc j’essaie systématiquement de m’habituer au mieux à ma monture. Bien sûr, chaque cheval est particulier et je fais de mon mieux pour les laisser exprimer leur personnalité. J’essaie toujours d’être le plus calme possible en selle et de leur laisser le temps de sauter. Mon objectif, c’est que mes chevaux aient envie de franchir les obstacles sans faute et qu’ils conservent leur attitude pour y arriver, sans les forcer à changer.”
Né le 2 juillet 1997 à Neuchâtel, le Suisse tient sûrement cette qualité d’équitation de son père. Issu d’une famille du monde du cheval, sa mère ayant monté en dressage, son frère aîné gérant la structure équestre familiale et son ancien cavalier de père brillant désormais comme entraîneur, Bryan n’a pas mis longtemps à mettre le pied à l’étrier. Le garçon était tellement petit qu’il est incapable de dater sa première fois! “Mes parents géraient déjà le centre équestre de Cudret, à Corcelles, lorsque je suis né, donc j’ai l’équitation dans le sang depuis toujours”, confirme l’intéressé. “Nous ne rations aucun des concours de mon père et j’ai toujours rêvé de suivre ses traces.” À six ans, Bryan déménage en Grande-Bretagne avec sa famille, son père Thomas y ayant trouvé un poste – d’où l’excellent niveau en anglais de Bryan. Ce dernier fait alors la rencontre du sympathique mais caractériel Pinto, son tout premier poney, avec lequel il saute pour la première fois. “Il appartenait à quelqu’un du coin et était monté par sa fille, dont j’étais extrêmement jaloux, comme de mon frère d’ailleurs, car je les voyais régulièrement sauter des parcours d’obstacles tous seuls, alors que moi j’en étais encore à l’apprentissage du dressage”, raconte-t-il. “Je me souviens que j’étais même un peu fâché contre mon père de voir les grands sauter et pas moi! Lorsque je m’y suis mis, les débuts n’ont pas été très glorieux car Pinto passait son temps à m’envoyer par terre. Honnêtement, je tombais presque une fois par jour, et parfois plusieurs fois en une seule séance. Mais je remontais à chaque fois!”
Une concurrence fraternelle stimulante
À ce stade, Bryan, qui pratique également le foot, le basket, et même l’athlétisme en compétition, n’imagine pas encore se dédier à l’équitation. Le déclic lui vient vers l’âge de onze ans, lorsqu’il accompagne son frère Ken aux championnats d’Europe Enfants en 2008. À cette occasion, Jürg Notz, marchand de chevaux réputé et sélectionneur de l’équipe nationale de l’époque, attise la curiosité du jeune garçon en lui soumettant l’idée d’être à la place de son frère l’année suivante. Dès lors, Bryan accélère la cadence et ce “pari” fait son chemin. “Être né dans une famille du cheval était un avantage, tout comme avoir un grand frère qui montait”, confie le benjamin. “Ken a trois ans de plus que moi, donc je voulais constamment le copier. Nous avons développé une espèce de compétition entre nous, qui m’a poussé à progresser et à me dépasser. Encore aujourd’hui, nous entretenons cette concurrence et c’est très stimulant! Je suis très heureux de pouvoir partager cette passion avec lui.”
En 2009, un an après sa fameuse discussion avec Jürg Notz, Bryan est sélectionné pour les championnats d’Europe Enfants à Moorsele, en Belgique. Pari réussi pour le gamin de douze ans, qui disputera le même rendez-vous en 2010 à Jardy, en France, et en 2011 à Comporta, au Portugal, où il a d’ailleurs terminé à une honorable septième place en individuel. Pour ces premiers challenges, le Neuchâtelois est associé à Steffi Kaf (KWPN, Germus R x Concorde), une ancienne monture de son père. En effet, ce dernier commence progressivement à raccrocher les bottes, souhaitant accompagner davantage ses deux fils dans leur parcours équestre. “En Suisse, beaucoup de gens l’ont traité de dingue car il nous donnait tous ses chevaux alors qu’il n’en avait jamais eu de si bons. Mais il savait que nous progresserions plus vite avec des montures de qualité”, confie Bryan. Après un léger creux, où le cavalier montera en CSI U25 avec Petit Loup (CH, Landjuweel St. Hubert x Nelfo du Mesnil), un autre cheval familial, il retrouve le chemin des équipes Jeunes en 2015 à l’occasion des championnats d’Europe Juniors de Wiener Neustadt. Aux rênes de Nohjy (SF, Trésor du Renom x Silbersee), qui deviendra son premier cheval de cœur, il finit à nouveau septième en individuel et signe l’un des quatre doubles sans-faute de la finale.
Cette année-là, le couple enchaîne tant de performances, remportant notamment le Grand Prix du CSIO Juniors de Chevenez, qu’il décroche un ticket d’entrée pour le mythique CHI de Genève, régulièrement reconnu pour offrir sa chance à de jeunes cavaliers suisses grâce à un système de wild cards basé sur un classement national. “S’il y a autant de jeunes cavaliers suisses qui arrivent à percer à haut niveau, comme l’ont fait Steve (Guerdat, ndlr) et Martin (Fuchs, ndlr), je pense que c’est aussi parce que tous les acteurs du monde équestre suisse savent facilement donner une chance aux jeunes cavaliers”, confirme Andy Kistler, sélectionneur de l’équipe de Suisse Seniors depuis 2014. “Pourtant, nous ne sommes pas le plus grand pays organisateur de concours, même si nous avons la chance d’avoir quelques beaux CSI 5* chez nous. Les gens savent qu’il est important de constamment préparer la relève.” Sur la légendaire piste de Palexpo, Bryan participe aux épreuves intermédiaires du CSI5*, s’offrant même une quatrième place dans le Prix Starling Hôtel Geneva à 1,45m avec Cupido IV (KWPN, Numero Uno x Ramiro Z) et une treizième place dans le Prix du Léman à 1,35m avec Nohjy. L’adolescent savoure ses premiers pas au milieu de ses deux idoles, Marcus Ehning et Steve Guerdat. “Marcus monte quasiment à la perfection et il a une éthique de travail incroyable”, dit-il. “J’aimerais avoir une carrière aussi longue et brillante que la sienne. Steve Guerdat, qui est un héros en Suisse, m’impressionne par beaucoup de choses. Je le suis depuis tellement d’années. Je l’admire pour sa façon de penser le sport et les chevaux, et le dévouement qu’il montre pour son pays.”
Clouzot de Lassus, le coup d’accélérateur
En 2016, toujours avec le volontaire et généreux Nohjy, Bryan, âgé de dix-neuf ans, franchit un nouveau palier et honore une sélection pour les championnats d’Europe de Millstreet, chez les Jeunes Cavaliers cette fois. En Irlande, le Neuchâtelois termine septième en individuel pour la troisième fois d’affilée (!) et s’offre une médaille de bronze par équipes aux côtés de Vladya Reverdin, Fiona Meier et Pauline Zoller. En plus de lui offrir la première breloque de sa carrière, Nohjy permet au jeune cavalier de s’imposer pour la première fois dans un Grand Prix international Seniors au CSI 2* de Gorla Minore, en Italie, se payant même le luxe de devancer son idole Steve Guerdat, troisième de l’épreuve !
Fin 2016, Bryan prend la décision d’effectuer un stage hivernal de plusieurs mois dans les écuries de Thomas Fuchs, alors en- traîneur des Juniors et Jeunes Cavaliers suisses, à environ deux heures du berceau familial. Similaire à celui de son père, l’enseignement de Thomas Fuchs lui apprend la rigueur et l’organisation. “Cette expérience a été très enrichissante”, raconte l’intéressé.
“J’avais un bon feeling avec Thomas, qui connaissait très bien mon père, donc j’ai saisi l’opportunité. C’était très intéressant de voir concrètement comment fonctionnait une écurie de haut niveau, car Martin (Fuchs, le fils de Thomas et actuel numéro deux mondial, ndlr) évoluait déjà en CSI5*. J’ai pu profiter de leurs conseils. Je suis heureux de pouvoir encore travailler avec eux sur les terrains de concours.” Ces quelques mois lui permettent de préciser ses ambitions professionnelles. “Au début, mes parents n’étaient pas très emballés par le fait que je veuille être cavalier professionnel car c’est un métier difficile”, raconte le jeune homme. “Nous avons finalement trouvé un compromis et j’ai un peu poursuivi mes études (il est titulaire d’une maturité technique, équivalent d’un baccalauréat professionnel, ndlr) en parallèle de l’équitation.” Après ça, Bryan se met à dessiner un plan de carrière.
Au cours de cette même année 2016, Bryan accueille deux nouvelles montures dans ses écuries grâce à une nouvelle collaboration avec un certain Olivier de Coulon, basé à Saint-Blaise, à une quinzaine de minutes des écuries Balsiger. “Il cherchait un nouveau cavalier pour ses deux chevaux”, raconte le jeune homme. “Clouzot de Lassus (qui deviendra son cheval de tête, ndlr) avait huit ans quand il est arrivé chez moi. Alors que personne n’en voulait à six ans, j’ai personnellement eu directement un super sentiment sur son dos, notamment sur les sauts. Il est respectueux, volontaire et me fait ressentir des sensations extraordinaires que je n’avais jamais vécues. Il a également une super bascule sur le saut. Il est vraiment incroyable! Son seul défaut est son équilibre, surtout au galop. Il ne me rend pas toujours la tâche facile, notamment aux abords des obstacles, car il est souvent désuni en piste. Par contre, c’est un cheval très régulier. J’essaie toujours d’aller dans son sens et de ne pas trop le contraindre, ce qui semble nous réussir !” En effet, le couple ne met pas longtemps à se mettre ensemble et remporte une épreuve à 1,40m au CSI U25 de Chevenez en octobre. Après de nombreux classements, et des participations remarquées aux CSI de Genève, Bâle et Zurich, ainsi qu’au CSIO 5* de Saint-Gall pendant l’été 2017, où il obtient deux classements dans des épreuves à 1,50m, il est sélectionné pour les championnats d’Europe Jeunes Cavaliers de Šamorín. En Slovaquie, les deux complices répètent les bonnes prestations. Après avoir bouclé un parcours parfait lors de la finale par équipes, où la Suisse termine huitième, Bryan et Clouzot parachèvent leur semaine par un superbe triple sans-faute dans la finale individuelle. Pour 0,16 points d’écart sur l’Allemande Justine Tebbel, sa plus proche adversaire, le Suisse s’adjuge le premier titre de sa carrière en raflant l’or individuel! Un premier coup d’éclat qui ne manque pas de propulser le jeune pilote sous les feux des projecteurs.
Pour la troisième année consécutive, il se voit ouvrir les portes du CHI de Genève, dont il dispute le Grand Prix Rolex pour la première fois. Face à tous les plus grands ténors de la discipline, Bryan quitte la piste avec seulement quatre points au compteur, juste devant... Steve Guerdat et Albfuehren’s Bianca (SWB, Balou du Rouet x Cardento)! Une sacrée fierté pour le bonhomme de vingt ans, qui se met à tutoyer aussi bien Steve Guerdat que ses performances. “Je suis heureux de pouvoir le côtoyer sur les terrains de concours et de pou- voir apprendre à ses côtés”, savoure Bryan. “Au-delà de son talent de cavalier, j’admire les prises de position de Steve au sujet du développement de notre sport. Honnêtement, je suis encore trop jeune pour pouvoir juger de ces sujets. La seule chose que je peux dire, c’est que sans les CSIO 5* et les sélections de notre chef d’équipe, je n’aurais pas accédé au haut niveau aussi rapidement et je n’aurais pas autant progressé. Ou j’aurais été obligé de payer des centaines de milliers d’euros pour obtenir une place... Au moins, avec les CSIO, nous sommes sélectionnés seulement pour notre mérite. Je dois d’ailleurs beaucoup à Andy Kistler car il a su me donner ma chance et m’a énormément aidé. Sans lui, je n’en serais pas là ! La Suisse a compris qu’il était très important de préparer la relève pour durer dans le temps, et j’apprécie cela.” De son côté, Steve Guerdat se dit impressionné par son jeune coéquipier. “Bryan est un garçon très chouette. C’est agréable d’être en concours avec lui car il est intéressé et intéressant. Et sportivement, il a déjà un très bon niveau. Il a beaucoup de talent, de feeling et une équitation très naturelle; il n’y pas grand- chose à lui expliquer! C’est un homme de cheval qui a commencé en bas de l’échelle, et il connaît vraiment les chevaux.”