Comment le monde équestre s’approprie-t-il Youtube ?

Créé en 2005, Youtube s’est imposé comme la plateforme vidéo du net la plus visitée et propose désormais des contenus spécialisés ayant permis l’émergence de “communautés” partageant opinions ou centres d’intérêts, parmi lesquelles la communauté équestre. Si les équitants ne vivent pas encore de leurs revenus de youtubeurs, qui sont trop faibles car le public ciblé est très spécifique, la place de ces influenceurs équestres prend néanmoins une importance grandissante.



Les contenus équestres proposés sur Youtube sont extrêmement variés, à l’image de la communauté cavalière : sports équestres, conseils de travail et d’entretien du cheval de sport, équitation de loisir, propriétaires de chevaux qui partagent leur quotidien… Les disciplines olympiques et le travail du cheval en équitation classique représentent toutefois les thématiques les plus représentées. Le nombre d’abonnés aux chaînes permet de se faire une idée de l’importance du public concerné. En dressage, les chaînes francophones possèdent encore peu d’abonnés, ce qui témoigne de l’intérêt encore restreint en France pour cette discipline, alors qu’Olivia Towers, cavalière britannique de dressage, en compte plus de 28 500. Sans surprise, le jumping est la discipline la plus pratiquée par les youtubeurs : l’Irlandaise Holly Lenahan et la jeune française Zoé (“Les poneys de Zoé”) sont respectivement suivies par plus de 60 000 abonnés. En Amérique du Nord, le hunter s’impose toutefois comme la discipline reine et concurrence le jumping avec la Canadienne Shelby Dennis et la Californienne Justine Palmer. En complet, les pays représentés sont divers : les États-Unis (“Claire Eventing” et “Elsa Wallace eventing”), l’Australie (“Han Equestrian”), la France (“SweetMProject”), le Royaume-Uni (“Elphick. Event. Ponies” ou “Pony Nuts”). L’intérêt pour le complet semble grandissant aux Etats-Unis, où plusieurs chaînes spécialisées dans le complet se développent. 

Outre les disciplines classiques, les chaînes d’éthologie, qui mettent l’accent sur le travail à pied et en liberté connaissent un succès grandissant, les méthodes pouvant s’adapter à tous les publics d’équitants. La chaîne francophone “Anima équi” propose par exemple des vidéos concernant exclusivement le travail en liberté et l’éthologie. Par ailleurs, l’Irlandaise Lauren Allport, suivie par 122 000 abonnés, est cavalière de jumping mais une large partie de ses vidéos est consacrée au travail en liberté. 

Il existe également des chaînes très spécialisées dont le public est moins nombreux, mais qui sont la preuve de la pluralité des pratiques équestres. La chaîne “Signe of Horses” est construite autour de la culture viking et allie l’équitation au maniement de l’épée ou de l’arc. De petites chaînes construisent leur identité sur des disciplines moins pratiquée comme le reining et l’endurance. D’autres fondent leur contenu sur le type d’équidés (ânes, chevaux de trait, poneys) comme la chaîne “Friesian horses” qui dévoile le quotidien d’un élevage de frisons basé au Pays-Bas ou celle d’“Ânes Victoires”, consacrée comme son nom l’indique aux ânes.




Profils des publics et des vidéastes

Les chaînes ciblent des publics différents et certains jeunes youtubeurs s’adressent à des cavaliers de leur âge. L’audience est alors souvent composée de cavaliers de club ou de jeunes propriétaires. Également présents sur les réseaux sociaux, les youtubeurs y maintiennent des liens étroits avec leur communauté. Leur contenu suit généralement la même ligne directrice : exposer son parcours équestre comme un youtubeur expose sa vie dans d’autres domaines. L’achat d’une monture, les concours, les championnats, les vacances avec son cheval ou l’arrivée d’un poulain font partie des aventures les plus partagées. 

Aux côtés des jeunes célébrités du youtube game équitant, la tendance émerge aussi chez les cavaliers professionnels. Certains entreprennent de créer leur propre chaîne afin de l’utiliser comme un moyen de communication, mais pas seulement. La star du complet britannique William Fox-Pitt a commencé à poster des vidéos proposant de suivre le travail de ses chevaux et l’organisation de ses écuries. La chaîne met en lumière des personnes inconnues du grand public : la groom du cavalier, la coach de dressage de l’équipe britannique ou les propriétaires de chevaux de haut niveau. L’américaine Amelia Newcomb, cavalière de dressage de Grand Prix, propose quant à elle des exercices d’entraînement pour progresser avec son cheval sur le plat. Plus récemment, la cavalière de jumping Edwina Tops-Alexander s’est elle aussi mise à publier des contenus dans lesquels elle propose notamment de découvrir les coulisses de ses écuries. 

Les vidéos d’exercices sont aussi proposées par des enseignants. C’est le cas de la française Mathilde Tinchero, monitrice professionnelle, de la chaîne “Dance with him”. Youtube est devenu ces dernières années un réservoir de contenu pédagogique où se développe un coaching en ligne. La chaîne anglophone “Dressage Hub” propose des commentaires de reprises en direct ou recommandations pour faire une bonne détente. Pendant le confinement, la cavalière française de dressage Camille Judet-Chéret et sa maman, la juge internationale Isabelle Judet, ont par ailleurs proposé des commentaires de reprises. 




Revisiter les codes de Youtube à la sauce équestre

Les cavaliers reprennent les codes de Youtube et ses formats type pour les adapter en contenus équestres. Le “storytime” est une vidéo dans laquelle le youtubeur raconte un épisode marquant de sa vie. En équitation, on fait le récit d’un accident à cheval, d’une expérience au sein de l’équipe nationale, d’une chute traumatisante, d’une mauvaise expérience en demi-pension ou des échecs rencontrés avec un cheval. De nombreux formats de vidéos sont repris aux youtubeuses beauté ou lifestyle. Parmi eux, le vlog, contraction de “blog” et “vidéo” désignant une journée filmée comme un journal de bord. Le mot “vlogmotte” dans le Youtube hexagonal équestre désigne une vidéo où l’on filme son expérience aux championnats de France à Lamotte-Beuvron. Pour créer de l’interaction entre la cavalière ou le cavalier star et ses abonnés, les youtubeurs équestres proposent des vidéos “Instagram contrôle ma vie” où les followers, qui suivent leurs idoles sur les réseaux sociaux, décident de la journée du cavalier : tenue, matériel du cheval, discipline, exercices. Dans le dernier cas, cela questionne d’ailleurs sur la pertinence d’une séance dictée par des internautes…

La vidéo “routine” (routine alimentaire ou de beauté dans le lifestyle), consiste pour les équitants à montrer comment l’on soigne et entraîne son cheval au quotidien ou à quoi ressemble une journée dans la vie d’un propriétaire qui a ses chevaux à domicile. L’“écurie tour” ou le “sellerie tour”, sont quant à eux calqués sur les traditionnels room tour et dressing tour. Ils présentent l’écurie et l’organisation de la sellerie. Les équitants créent aussi du contenu humoristique, à l’image des youtubeurs généralistes, mais le comique se centre sur la communauté cavalière. L’une des vidéos les plus populaires de la chaîne “Rêve compulsif” éclaire avec humour le décalage qui existe entre le langage des cavaliers et celui des non cavaliers. Récemment, Stéphanie Bouché a également connu un succès remarquable avec la chaîne Pony Corn, sur laquelle elle parodie différents profils d’équitants.  

            D’autres formats vidéo s’adressent plutôt aux consommateurs que sont les abonnés car Youtube est devenu essentiel dans la communication marketing pour viser un jeune public. Les marques spécialisées dans l’équitation font appel aux youtubeurs selon différents modes : partenariats ou envois de produits pour qu’ils soient testés et mis en valeur. Le format crash test est l’occasion de tester du matériel, qu’il s’agisse d’un gilet airbag ou d’un produit d’entretien du cheval. Dans les hauls, les vidéastes font la présentation de leurs derniers achats, influençant ainsi les potentiels consommateurs que sont les cavaliers qui composent leur audience. Les vidéos swaps, où deux youtubeurs s’échangent un colis de cadeaux, donnent par ailleurs de la visibilité à certains produits et permettent aussi à deux influenceurs équestres de collaborer en offrant à chacun de la visibilité.

Ces célébrités sont en majorité des jeunes filles, ce qui confirme la dimension genrée de l’équitation de loisir et amateure. Mais les jeunes garçons sont aussi présents : le mannequin et ambassadeur de Longines Matt Harnacke cumule 350 000 abonnés et plusieurs millions de vues. Les chaînes les plus suivies visent souvent un public jeune, le plus susceptible d’être réactif sur les réseaux sociaux et sur Youtube. Certains youtubeurs, grâce à la particularité de leur contenu, peuvent attirer des spectateurs en dehors de la sphère équestre. C’est le cas de la néo-zélandaise Alicia Burton dont les vidéos de free riding impressionnent même des non initiés. Sa vidéo la plus populaire a été visionnée plus de 11 millions de fois ! 

L’anglaise Esme, de la chaîne “This Esme” est une des plus suivies avec 460 000 abonnés. La communauté équestre britannique est importante, ce qui témoigne de la place de la culture équestre dans ce pays. En France, les chaînes n’ont pas non plus de peine à trouver leur public avec la chaîne “THREE HEARTS – Baly et Capucine” (190 000 abonnés) ou celle de “Reve compulsif” (149 000). Les youtubeurs germanophones disposent eux aussi d’un large public : Anita Girlietainment, propriétaire de plusieurs chevaux et poneys, est suivie par 390 000 personnes.