RÉTRO RIO 2016: Les clés du retour en grâce du concours complet français (partie 1)

Il y a quatre ans, les yeux de la planète équestre étaient rivés vers le Brésil où se jouaient les Jeux olympiques. Pour fêter ces quatre ans et se consoler du report des JO de Tokyo à l'année prochaine, GRANDPRIX vous propose de vous replonger dans Rio 2016 pendant une semaine. // Après sa défaite cuisante aux Jeux olympiques de Londres en 2012, l’équipe de France de concours complet a entamé sa reconstruction, une phase au terme de laquelle elle a atteint le Graal: la médaille d’or par équipes aux JO de Rio, agrémentée de la médaille d’argent individuelle d’Astier Nicolas et Piaf de B’Neville. Cet exploit n’a pas été réalisé sans signes avant-coureurs, les cavaliers français s’étant régulièrement distingués sur la scène internationale au cours des deux dernières années. Ce retour en grâce méritait bien une analyse de ses facteurs clés.



Un vivier élargi de cavaliers

© Scoopdyga

Le premier fait notable concernant l’équipe de France de concours complet médaillée d’or à Rio est que les cavaliers qui la composaient, à l’exception du réserviste Nicolas Touzaint, ont vécu au Brésil leurs tous premiers Jeux olympiques. Cet état de fait est l’aboutissement d’un processus de renouvellement amorcé à la fin des années 2000, après le départ à la retraite de Galan de Sauvagère (Joly Jumper x Julius Caesar, Ps), Espoir de la Mare (What a Joy, Ps x Ukase) ou encore Expo du Moulin (Royalmé x Air de Cour, Ps), Débat d’Estruval (AAC, Vorias, Ps x Ardale, Ps), Fine Merveille (Dress Parade, Ps x Pot d’Or, Ps) et Ismène du Temple (Cabdula du Tillard x Quat’Sous). Après avoir offert de nombreuses médailles à la France, dont l’or olympique en 2004 à Athènes, ces gloires du complet ont ouvert la porte à l’émergence de nouveaux couples grâce, notamment, à l’ouverture du vivier de chevaux et de cavaliers initiée entre 2009 et 2012 par Laurent Bousquet, successeur de Thierry Touzaint à la tête de l’équipe de France. 

À cette époque, il fallait lui donner un nouveau souffle, donc permettre à de nouveaux athlètes de se confronter aux plus belles épreuves. C’est ainsi qu’une équipe inédite a pris le départ aux JO de Londres. Sa terrible huitième place avait alors clairement montré qu’elle était encore en transition. Après la médaille de bronze décrochée en 2013 aux Européens de Malmö par une escouade mêlant jeunes loups et pilotes d’expérience, l’équipe des Jeux équestres mondiaux de Normandie, en 2014, s’est appuyée sur une majorité de ténors. Pourtant, c’est Maxime Livio qui, bien que disqualifié par la suite, son cheval Qalao des Mers ayant été contrôlé positif à une substance sédative prohibée, s’y est montré le plus performant, terminant cinquième sur la piste. En 2015, les championnats d’Europe à Blair Castle, au Royaume-Uni, ont donné au staff fédéral l’occasion de tester six nouveaux couples prometteurs. Ainsi, alors que Laurent Bousquet disposait d’un réservoir de paires sélectionnables relativement restreint avant les JO de Londres, pour ceux de Rio, Thierry Touzaint a pu puiser dans un vivier élargi par l’arrivée récente au plus haut niveau d’une nouvelle génération particulièrement douée: Astier Nicolas et Mathieu Lemoine bien sûr, mais d’autres encore, qui n’ont pas eu la chance d’embarquer pour le Brésil, à l’image de Thomas Carlile, Maxime Livio ou Gwendolen Fer. 

L’émergence simultanée de talents si nombreux ne saurait s’expliquer que par une conjonction de facteurs favorables, ce que confirme Jean-Luc Force, ancien cavalier de l’équipe de France de complet et directeur technique national, aujourd’hui entraîneur de Karim Laghouag: “D’abord, le complet a énormément évolué depuis vingt ans. Aujourd’hui, il faut impérativement être performant dans les trois tests puisque les juges de dressage évaluent de mieux en mieux le travail des chevaux et que le niveau technique requis en cross, avec l’apparition des directionnels, comme en saut d’obstacles, a beaucoup augmenté. Nos jeunes cavaliers ont grandi en regardant des cavaliers comme Michael Jung, et ont été encadrés par des entraîneurs soucieux d’éviter les impasses dans leur parcours de formation. Cela explique qu’ils excellent ainsi dans les trois disciplines.” Ces cavaliers de la jeune génération ont aussi su s’appuyer sur les outils conçus à leur intention par la Fédération française d’équitation. S’ils ne sont pas nouveaux, ces dispositifs se sont avérés fort utiles dans leur parcours. “Maxime Livio, par exemple, a bénéficié du Pôle Jeunes installé à Saumur, dans les locaux de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE)”, cite Jean-Luc Force. À cette pépinière de champions, il faut ajouter le circuit du Grand National qui permet aux compétiteurs de se frotter à des parcours de niveau 3* sans être contraints d’aller concourir à l’étranger. Sans oublier les ressources techniques et humaines mises à leur disposition: stages hivernaux, soutien technique, aides financières pour les concours hors de l’Hexagone, etc. 

Il faut aussi noter l’émergence de nouveaux acteurs dans le dispositif d’accompagnement des pilotes de haut niveau: les entraîneurs privés. “Par le passé, il y en avait bien quelques-uns, mais ce n’était pas commun. Aujourd’hui, de plus en plus de cavaliers y trouvent leur intérêt, et il n’est pas rare d’en voir en bordure des carrières de détente.“ Permettant un travail rapproché et individualisé au maximum, ils s’imposent comme des rouages majeurs de systèmes que ces jeunes tentent de professionnaliser. Plus question de bricoler avec des bouts de ficelle: il faut désormais s’appuyer sur des modèles économiques solides permettant de vivre malgré la faiblesse des dotations, et de viser la performance à long terme. La nouvelle génération est clairement consciente de la nécessité de prendre ce tournant. “Ce que je vois, c’est que leurs entourages les y encouragent et les y aident. La route est encore longue et les systèmes restent fragiles, mais il est clair que cela explique partiellement leur capacité à briller au plus haut niveau”, conclut Jean-Luc Force.



Des cavaliers soudés au service du collectif

© Scoopdyga

Sans la cohésion et le dévouement au service de la performance collective dont ses cavaliers ont fait montre à Rio, il est peu probable que l’équipe de France aurait remporté la médaille d’or qui fait aujourd’hui sa fierté. Ces points forts ne sont pas sortis de nulle part: un palier a été franchi l’an passé à Blair Castle. À Saint-Martin-de-Bréhal dans la Manche, lors du stage final de préparation, l’équipe s’est soudée. Là, tous les cavaliers ont été logés ensemble, sans leur famille respective, dans un climat favorable à l’éclosion d’un esprit d’équipe d’autant plus indispensable que l’enjeu était de taille: il fallait reconquérir la qualification de la France pour les JO, perdue sur tapis vert après les JEM de Normandie! Malgré le défi et la rudesse des conditions d’épreuve, l’ambiance est restée harmonieuse et la motivation n’a fait défaut à aucun équipier. 

Lorsqu’après la chute de Karim Laghouag et Entebbe de Hus (Han, Embassy I x Carbid) sur le cross, l’équipe s’est trouvée amputée de l’un de ses membres, Mathieu Lemoine et Thomas Carlile ont su faire abstraction de leur destin individuel et obéir à l’ordre de Thierry Touzaint d’assurer le retour de Bart L (KWPN, United x Gribaldi) et Sirocco du Gers (Dorsay x Jalienny) en bonne état et sans pénalité aux obstacles. On se souviendra aussi avoir vu Mathieu, Thomas et Karim encourager Thibault Vallette lors de son passage à l’hippique et lui sauter au cou une fois sa médaille de bronze individuelle acquise avec Qing du Briot*ENE-HN (Éolien II x Étalon Or); et Gwendolen Fer prêter Romantic Love (L’Arc de Triomphe x Shercame, Ps) à Karim pour la remise des prix. “Notre cohésion est totale”, affirme Mathieu Lemoine. “Les championnats sont des périodes longues, mais personne n’est jamais seul dans les moments de doute comme de joie.” Cette dynamique positive s’est prolongée en 2016. Finalement, ce sont quatre copains qui se sont retrouvés à Rio avec la ferme intention de batailler pour une médaille par équipes jugée plus belle qu’une éventuelle médaille individuelle, se rangeant en cela aux ordres de l’entraîneur national. “Nous étions un peu intimidés, impressionnés par cette énorme machine que sont les JO. Nous avons donc logiquement suivi le staff fédéral et nous en sommes remis à Thierry Touzaint, Serge Cornut et Michel Asseray pour nous guider au jour le jour. Michel Asseray avait raison quand il nous avait dit, déjà avant de partir à Blair Castle, que 50% de la médaille se gagnait au stage préparatoire”, avoue Mathieu Lemoine. La déception d’Astier Nicolas après son dressage, tout comme la tristesse de Mathieu Lemoine pour l’équipe après ses deux barres à l’hippique, et les excuses de Karim Laghouag après son refus sur le cross, ont une nouvelle fois démontré l’implication de chacun dans la quête de l’objectif collectif. 

Mathieu poursuit son analyse en mettant en avant le fait qu’aujourd’hui, les équipes les plus performantes s’appuient moins sur des leaders incontestés que sur d’excellents cavaliers qui travaillent ensemble. “Ces dernières années, la stratégie des équipes a évolué. Cela fait d’ailleurs deux échéances que notre ouvreur est médaillé individuellement. Cela fait aussi quelques années que Michael Jung ne part plus en dernier comme avant, à la place dévolue au plus fort de l’équipe. À Rio, les ouvreurs allemands étaient Sandra Auffarth et Opgun Louvo, champions du monde en titre! Cela montre une évolution forte de la notion d’équipe dans notre sport.” L’ordre et la hiérarchie semblent s’estomper au profit d’un ensemble soudé. La France n’y échappe pas. “Chaque membre de l’équipe joue un rôle différent, et a une position spéciale et une attitude bien à lui. Tous s’entendent derrière un staff uni qui leur donne l’envie de réussir et la confiance pour y parvenir”, remarque Michel Asseray, directeur technique national adjoint en charge du complet. Dans ce contexte, plus que jamais, l’union sous le drapeau fait la force.



Des nombreux chevaux de qualité

Un grand cavalier n’est rien sans un bon cheval. Aujourd’hui, après un creux relatif, force est de constater que les Bleus font équipe avec des montures de premier choix comme Piaf de B’Neville, Bart L, Qing du Briot et bien d’autres. L’évolution de l’élevage en quatre ans ne peut en être la cause, l’amélioration de la génétique ne pouvant s’appréhender que sur de plus longues périodes. En revanche, le choix de leurs montures par les cavaliers a évolué, comme en témoigne Thierry Pomel, ancien complétiste, actuel sélectionneur national adjoint de l’équipe de France de saut d’obstacles et intervenant pour l’hippique auprès de l’équipe de France de complet: “Avec l’évolution de la discipline, le terme complet n’a jamais eu un sens aussi fort. Les cavaliers, particulièrement les jeunes, ont compris qu’il ne fallait plus seulement des chevaux rapides et courageux au cross, mais aussi des chevaux brillants au dressage et performants à l’hippique. Ils ont donc adapté le choix de leurs montures en conséquence.” Celles de l’équipe de France sont sans aucun doute mieux conformées que par le passé aux attentes pesant sur leurs épaules, ce qui participe à leurs bons résultats. 

Leur mise en valeur et la plus grande technicité mise à l’œuvre dans leur travail sont également à prendre en compte. Si l’on parle souvent du dressage, des progrès significatifs ont aussi été accomplis en matière de jumping, un test dont on a vu à Rio combien il est déterminant pour le classement final en championnat. “Depuis trois ans, j’ai appris à connaître les couples, ce qui m’a permis d’individualiser le travail de chacun. En outre, en intervenant dans un certain nombre de concours en France, j’ai fait en sorte qu’ils soient confrontés à des parcours techniques semblables à ceux que l’on trouve en saut d’obstacles pur, ce qui les a aidés à s’améliorer”, analyse Thierry Pomel. Impossible, enfin, de saluer la qualité des chevaux de l’équipe nationale, et plus généralement du vivier français de chevaux de haut niveau, sans évoquer le rôle clé des propriétaires. Grâce au Groupe JO/JEM créé en 2011, la FFE a entrepris de créer avec eux une relation durable en vue des grandes échéances, aidant à ce que les objectifs sportifs priment sur les impératifs de valorisation commerciale des meilleurs éléments. La Fédération n’a pas été la seule actrice de ce processus. Travaillant dans l’ombre, France Complet a joué un rôle clé dans le développement du propriétariat. “C’est avant tout par passion que les propriétaires achètent des chevaux, et non pour gagner de l’argent. En revanche, ils en attendent un minimum de reconnaissance, dont ils avaient depuis longtemps le sentiment de manquer”, souligne Pierre Barki, président de cette association créée pour accompagner la structuration de la filière en rassemblant cavaliers, propriétaires et éleveurs. 

Pour y remédier, France Complet a multiplié les initiatives afin de favoriser les rencontres des propriétaires et leur accueil dans de bonnes conditions sur les terrains de concours, tout en travaillant avec la FFE pour leur donner davantage de visibilité. Elle a aussi encouragé la création de syndicats autour des chevaux afin de limiter le coût individuel d’achat et d’entretien des montures pour les propriétaires. “Néanmoins, à l’avenir, il faudra faire encore plus pour eux. Si l’on veut les pousser à investir et à renouveler le vivier actuel, ils doivent y trouver leur intérêt.” L’enjeu est d’autant plus important que les cavaliers ne peuvent compter que sur des investisseurs extérieurs pour acquérir des montures capables d’atteindre le plus haut niveau. La faiblesse générale des systèmes économiques individuels ne permet pas d’envisager des achats en leur nom propre par les cavaliers, à quelques exceptions près. Et même si la marche vers la professionnalisation des modèles économiques est en cours, les propriétaires en resteront toujours des rouages incontournables.

La deuxième partie de cet article, paru dans le magazine GRANDPRIX n°80, sera à retrouver demain.

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