“La filière équine va être contrainte de se remettre en question pour trouver des solutions”, Christophe Ameeuw

En février dernier, Christophe Ameeuw, dirigeant du groupe d’évènementiel équestre EEM World, annonçait la fin de la série des Longines Masters, qui unissait depuis 2016 la société belge avec le prestigieux horloger suisse autour de CSI 5* organisés aux quatre coins du monde. Cette décision avait été la première d’une longue série d’annulations de concours, survenues en raison de la pandémie de Covid-19 et des risques financiers de la crise sanitaire. À l’occasion du Longines Deauville Classic, le Belge, également éleveur et propriétaire des écuries d’Écaussinnes, a fait part de son ressenti quant à la situation actuelle, évoquant également l’avenir du saut d’obstacles et la place de la question environnementale dans le sport de haut niveau.



Comment allez-vous et qu'avez-vous pensé de cette quatrième édition du Longines Deauville Classic? 

Je vais très bien! D'une part, les retrouvailles ont été joyeuses, et d'autre part, ça fait plaisir de voir un si bel évènement, si bien organisé. Il y a eu certes pas mal de spectateurs ce week-end, mais les règles sanitaires ont été bien respectées, qu’il s’agisse du port du masque ou des distanciations sociales. Le public et les partenaires ont tous joué le jeu. Lorsque l’on voit cela, on se rend compte que tout est possible, que notre sport peut continuer à fonctionner malgré les contraintes actuelles, et on retrouve un peu de positivisme. Cela fait du bien et je dis bravo aux organisateurs! 

On observe depuis quelques mois une avalanche d'annulations de concours, notamment de CSI 5* hivernaux et de grands rendez-vous, en raison de la pandémie de Covid-19. Comment jugez-vous l'état du calendrier des compétitions? 

Je crois sincèrement que la reprise va être compliquée. Nous nous sommes adaptés aux nouvelles normes d’hygiène pour les évènements qui se tiennent en extérieur, et ce concours du Longines Deauville Classic a prouvé que c'était possible. En ce qui concerne les évènements indoor, je ne vois pas comment nous pourrions imaginer une manière d'organiser qui soit viable, si l’on écoute les scientifiques et les spécialistes de la question... Honnêtement, je ne suis pas très optimiste. Je crains que les concours de niveau 5* qui ont lieu en hiver pâtissent énormément de la situation cette année, jusqu’à ne plus exister pour certains, du moins temporairement.

Quel regard portez-vous sur la crise actuelle et ses conséquences sur le secteur des sports équestres? 

Comme dans toutes les crises, malheureusement, la majorité de la population va souffrir. L’élitisme risque de perdurer via le monde de la finance et du business, et certains profiteront peut-être même de la crise. Puisqu'il y a des consommateurs, ces très grandes entreprises continueront à faire vivre une seule partie de la société, et du secteur industriel équestre. Les bons clients très fortunés ne seront pas déstabilisés par cette crise et il restera toujours une bien trop petite partie du monde équestre qui continuera à en vivre. En revanche, la globalité de la filière équine et équestre va être contrainte de se remettre en question pour trouver des solutions. Ce qui est assez problématique, c’est que lorsque l’on parle d’élitisme, on parle des cavaliers qui évoluent en CSI 5*. Et force est de constater qu'à l'heure actuelle, ces cavaliers n’ont plus d’évènements dédiés. Les cavaliers de haut niveau se battent aujourd'hui pour monter dans des CSI 2*, tandis que les personnes qui vivent habituellement de ces épreuves essaient d’exister en face, en développant leur système et usant leurs bottes dans ces concours, pour un jour, peut-être, pouvoir prétendre au Graal qu’est de participer ou d’être invité dans un CSI 5*. Le paradoxe aujourd’hui, c’est que ce clivage entre élitisme et sport n’a plus sa place car les cavaliers de CSI 5* viennent grappiller des places dans des concours qui ne sont pas les leurs. Et pourtant, on les comprend, il faut bien qu'ils montent en compétition! Il faut trouver des solutions à cela, peut-être en réinventant le modèle d'organisation des concours. En tout cas, il va être difficile de mettre tous les cavaliers dans le même bateau, car certains vont forcément être délaissés, et personne ne mérite cela. Je suis conscient qu’il est facile de faire des constatations, mais il ne l’est pas autant de trouver des solutions…



“Nous nous sommes battus pour mettre notre sport sous les feux des projecteurs”

Au début de la crise, vous avez été l’un des premiers à parler du système mondialisé des concours, qui engendre une empreinte carbone importante. Pendant le confinement, certains cavaliers ou acteurs du monde équestre ont parlé des installations équestres permanentes (comme celles d’Oliva ou de Vilamoura) comme des lieux d'avenir, car l'organisation d'événements est moins polluante. Selon-vous, ces modèles pourraient-ils faire partie de la solution vers un évènementiel équestre plus éco-responsable? 

En effet, ces lieux permanents pourraient en faire partie car ils engendrent moins de pollution, mais j’espère qu'ils ne seront pas l’unique solution. Nous nous sommes battus pour mettre notre sport sous les feux des projecteurs, en le faisant briller dans les plus grandes capitales du monde et le faisant exister à l'étranger comme l'ont fait les milieux du tennis, du football, du golfe ou de la Formule 1. Si tout d’un coup, parce que nous voulons réduire notre empreinte carbone et trouver des solutions post-Covid, on se retrouve bloqués dans les mêmes aquariums, semaine après semaine, sans points forts ni aucune originalité, et sans se donner l’opportunité d'attirer un autre public et des nouveaux médias, j’ai peur que l’on s’installe dans une zone de confort et d'entre-soi, ce qui ne correspond pas du tout à ce que nous nous sommes employés à changer ces quinze dernières années. Il faut parfois conserver certains codes de l'événementiel si nous voulons que notre sport évolue. Bien sûr qu’il faut avoir les meilleurs installations possible, mais il faut aussi du public, de la médiatisation, de la communication, un véritable projet événementiel, et montrer le meilleur du sport. Ce sont tous ces ingrédients qui font qu’un évènement est populaire. Il ne faut pas non plus cracher dans la soupe. Nous devons garder en tête que les installations dont nous disposons aux quatre coins du monde nous permettent de mettre les chevaux en lumière et de réunir la communauté équestre au-delà des frontières. En ce qui concerne l’écologie, si l’on se veut porteurs de ce message, il faut le faire en entier. Il ne suffit pas de dire qu'on utilise le crottin pour faire du compost si on oublie de dire que notre camion pèse vingt-deux tonnes et émet beaucoup de gaz à effet de serre. Je crois sincèrement qu’il faut laisser cela à ceux qui sont capables de changer le monde, et disposent des moyens et de la technologie pour le faire. On pourrait plutôt se demander comment mettre à profit notre sport, qui brasse une population plutôt aisée, en utilisant par exemple un système de mécénat ou en se servant du sponsoring pour donner une partie de nos recettes à des associations qui luttent pour réinventer le monde. Mais avant de s’élancer dans cette mission, soyons prudents pour ne pas mal le faire, et fragiliser encore davantage notre secteur. Étudions cela, gardons en tête nos priorités et essayons de comprendre comment nous pouvons aider au mieux. 

Vous avez dernièrement annoncé la fin de la série des Longines Masters, laissant entendre qu’un nouveau projet verrait peut-être le jour. Pouvez-vous en dire un peu plus? 

Nous étions les premiers à prendre la décision d’annuler un évènement 5* car nous connaissons les conséquences de la crise sanitaire depuis la fin de l’année passée, de par nos évènement en Asie (les Longines Masters de Hong Kong auraient dû se tenir en février à l’occasion de l’Asia Horse Week, organisée par le groupe EEM World, ndlr). Avec l’évolution de la pandémie de coronavirus, nous avons dû annuler la série, après une succession de conséquences dramatiques allant jusqu’à la perte de sponsors. Mes amis et les personnes qui m’ont appelés à ce moment-là n’avaient jamais l’air tracassées pour moi. Elles me disaient qu’elles savaient que j’allais rebondir, trouver des idées et revenir avec de nouveaux projets. C'est beaucoup de pression, car je pense moins à ce que je vais faire qu'au fait que tout le monde est persuadé que je vais me réinventer... Quelle responsabilité, cette réputation de toujours savoir rebondir et d’être assez créatif! (rires) Franchement, lors de cette crise, nous n’étions plus des entrepreneurs mais des pompiers et nous devions tout gérer en urgence. À un moment, j’ai pris beaucoup de recul et je me suis posé des questions. Si demain, on me donnait à nouveau les moyens que j’ai eus grâce aux partenaires et aux sponsors qui m'ont fait confiance, est-ce que je serai en capacité de refaire ce que j'ai fait ces dix dernières années avec mes équipes? À cette question, il y a du positif et du négatif, mais honnêtement, je ne pense pas qu'on referait la même chose. J’ai en effet un ou deux très beaux projets en tête, mais il me faut encore du temps pour les façonner et les apprivoiser afin que je puisse en parler davantage. 

Si l’on évoque le concours de Chantilly, qui est sorti officiellement du circuit du Longines Global Champions Tour en début d'année et devenu un CSI 3*, peut-être en recherche d'un second souffle, qu'auriez-vous à répondre? 

Tout ce que je peux dire sur Chantilly, c’est qu’il s’agit de l’un des plus beaux évènements que je connaisse et que c'est l’un de mes favoris depuis longtemps. Je le suis depuis ces dix dernières années et j’adore cet évènement, mais je ne peux pas en dire plus pour l'instant.