Enda Carroll, marchand de chevaux et visionnaire

En l’espace de quelques années, Enda Carroll, vingt-sept ans, est devenu une référence dans le petit milieu du commerce de chevaux. Ancien groom de Cian O’Connor et cavalier de saut d’obstacles, l’Irlandais s’y est fait une place de choix grâce à un incroyable talent pour déceler les cracks et à une réactivité hors du commun. Rigoureux, sérieux et besogneux, le jeune businessman a fondé Ashford Farm, sa propre écurie de commerce et de concours, nichée au beau milieu d’une nature luxuriante au nord de la Belgique. Une trentaine de personnes y travaillent et une cinquantaine de chevaux s’y entraînent quotidiennement. Enda Carroll y vend. Récit d’une ascension fulgurante.



Très certainement l’un des plus jeunes marchands de chevaux à s’être construit un tel empire et bâti une telle réputation aussi rapidement, Enda Carroll n’a pas toujours vendu cent chevaux par an! Il n’a même pas toujours été commerçant d’équidés. Après une première expérience de groom, notamment auprès du multimédaillé Cian O’Connor, le jeune Irlandais se voit offrir une place de cavalier en Belgique, sa première expérience sur le Plat Pays. Malgré ce début de carrière prometteur, le jeune homme ne se considère pas assez bon cavalier pour poursuivre et prospérer dans cette voie. Il part alors aux États-Unis, y achète deux chevaux, puis décide de revenir s’installer en Belgique pour s’occuper d’eux.Tout seul. Le début d’une fulgurante ascension professionnelle et humaine où ses idées et son sens des affaires vont parfaitement se marier pour lui permettre de mener à bien un projet professionnel ambitieux. Ashford Farm est né. 

Baptisée ainsi en l’honneur d’un petit village irlandais situé à quarante-cinq kilomètres au sud de Dublin, l’écurie d’Enda Carroll a bel et bien élu domicile en Belgique, à Bocholt près de la frontière avec les Pays-Bas et non loin de l’Allemagne. Le marchand est littéralement tombé amoureux de cet endroit planté en plein centre de l’Europe du cheval. Comme avec les montures qu’il acquiert désormais à longueur d’années, il se décide à investir dès sa première visite des lieux. Cette bien belle trouvaille n’en a pas moins nécessité de nombreux travaux avant de devenir l’espace de vie et de travail privilégié qu’elle est aujourd’hui. La première vente de l’Irlandais n’est pourtant pas un grand succès. La légende veut qu’il ait même revendu pour moins de 12000 euros un cheval qu’il avait acheté pour l’équivalent de 20000 euros trois mois plus tôt. Les risques du métier… L’expérience lui permettant d’apprendre de ses erreurs, Enda Carroll ne se laisse pas déstabiliser et poursuit son affaire avec beaucoup d’entrain. Son premier fait d’armes se nomme Calvin K, rebaptisé Patriot, un quadrupède qu’il vend à Wilton Porter, un cavalier américain de saut d’obstacles.



Nice Stephanie, Cheyenne, Edesa’s Banjan, Nénuphar’Jac…

Au printemps 2012, la vente de Nice Stephanie à Geneviève Mégret va marquer un tournant définitif dans les affaires du jeune marchand. La jeune fille de Cardento, qu’il possédait en copropriété avec Jos Lansink, vient en effet étoffer le piquet de l’une des meilleures cavalières du monde, la Normande Pénélope Leprevost. Une vitrine de choix pour Ashford Farm. “Cette vente nous a permis d’évoluer beaucoup plus vite que prévu”, avoue Enda Carroll. Suivront Cheyenne 111Z, acquise par le haras des Coudrettes pour Kevin Staut, Edesa’s Banjan, vendu au Norvégien Geir Gulliksen, Tequila de L’Île, qui a su séduire Markus et Meredith Michaels-Beerbaum, ou encore Curtis 72 alias VPleasure du Harnoy, achetée par l’Américaine Lucy Davis. Fin 2013, la France découvre un peu plus encore les activités d’Ashford Farm lorsque les chevaux de Michel Robert, tout juste retiré de la compétition, arrivent dans ses écuries, alors encore établies à Lasne près de Bruxelles. “C’était une très belle reconnaissance de voir l’un des meilleurs cavaliers du monde venir chez nous et nous faire confiance”, apprécie le marchand, qui a d’ailleurs vendu Nénuphar’Jac à l’Américain McLain Ward, peu avant Noël, tandis que Catapulte a été acquise par Olivier Robert. 

Modeste, Enda Carroll manie plus aisément la première personne du pluriel que la première du singulier, considérant qu’Ashford Farm est devenue ce qu’elle est d’abord grâce au travail collectif d’une trentaine de personnes.Trois cavaliers professionnels ont rejoint les écuries en 2011 et en 2013. Marlon Módolo Zanotelli a été le premier à prendre part à l’aventure. Ce faisant, le jeune Brésilien a vu son écurie évoluer et s’étoffer de jeunes chevaux mais aussi de véritables cracks à l’image d’AD Clouwni, son ancien cheval de tête, vendu juste avant Noël au Vénézuélien Emanuel Andrade, ou encore de Clintash, cédé pendant l’été 2014 à la jeune Allemande Lisa Heup. Par amour pour Marlon et par opportunité professionnelle, la Suédoise Angelica Augustsson n’a pas hésité à quitter Mic Mac du Tillard pour le rejoindre début 2014, quelques mois après le Belge Pieter Clemens, transfuge des écuries Philippaerts, où il travaillait pour Ludo, son oncle. 

Qu'ils travaillent encore à leurs côtés ou pas, tous s’accordent d’ailleurs pour le qualifier de bourreau de travail et d’amoureux des chevaux. “Je ne compte pas mes heures. Mon téléphone sonne tout le temps. Les premiers appels arrivent dès 7h00 du matin, ce qui est plutôt bon signe”, lance-t-il avec un sourire au coin des lèvres. Les efforts de toute l’équipe sont régulièrement récompensés sportivement. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, même si ses cavaliers peuvent se nourrir de belles ambitions sportives, le métier d’Enda Carroll et de son équipe reste avant tout de vendre des chevaux. Dans ce cadre, la compétition, passion commune, est surtout un moyen de valoriser des produits de luxe. “Nous achetons des chevaux que nous avons envie de présenter en concours. Bien sûr, ils sont à vendre! Je ne serais pas un très bon marchand si je décidais de les garder pour moi.Toutefois, il y en a certains que nous décidons de garder un peu plus longtemps que les autres pour des échéances particulières”, confie le propriétaire d’Ashford Farm. 



Un marketing parfait

S’il vit intensément les performances sportives de ses pilotes au bord des plus belles pistes du monde, le boss n’en perd pas le nord: “Ashford Farm doit rester un business. Nous vendons des produits à des clients comme un horloger vend une Rolex. Nous avons une marque et un service cinq étoiles à promouvoir, ce que nous faisons à travers la compétition. Cela doit fonctionner comme une usine avec de l’anticipation et beaucoup de professionnalisme.” Outre les cavaliers, un responsable des ventes veille d’ailleurs en permanence de la bonne gestion du commerce et du flux des chevaux entrants et sortants. Marque en plein essor, Ashford entend bien être reconnue comme une référence aux yeux des professionnels du milieu. Marketing oblige, Enda Carroll a d’ailleurs préféré la très américaine appellation “farm” (ferme en anglais), plus conviviale et chaleureuse à son goût que les habituelles “stables” ou “stal” (écurie en anglais et en néerlandais), très en vogue dans cette région d’Europe. 

Tout est bon pour se démarquer et nourrir l’ambition de ce jeune entrepreneur. “Je suis définitivement ambitieux. Je veux que les choses aillent vite. Je prends parfois de gros risques, mais heureusement ils sont souvent payants. J’ai été assez chanceux, je le concède”, témoigne-t-il. L’une des forces d’un grand marchand est aussi de savoir exactement ce qu’il veut et de cibler aussi précisément que possible les besoins de ses clients. Enda Carroll n’hésite d’ailleurs jamais à prendre son téléphone portable, véritable prolongement de lui-même, pour proposer un cheval à un cavalier s’il pense qu’il peut lui convenir. “Je crois en mes produits, c’est pourquoi je peux proposer le bon cheval au bon propriétaire, même si cela nécessite de vendre moins. La qualité prime sur la quantité”, ajoute Enda Carroll. Le haut de gamme est le seul créneau de l’entreprise. Alors qu’en 2012, cent cinquante chevaux ont transité par les écuries d’Ashford Farm, l’activité se stabilise maintenant autour de plus d'une centaine de ventes par an, mais avec un prix moyen en constante augmentation. L’objectif est donc atteint. 

Depuis peu, le propriétaire des lieux a diversifié son activité en lançant un petit élevage avec quelques juments achetées pour la plupart aux États-Unis. Là, il s’agit plus d’un hobby que d’un réel plan d’investissement avec objectif de rentabilité. Enda Carroll avoue également investir dans l’immobilier, mais sans réelles ambitions. Autre caractéristique structurelle de cette ferme pas comme les autres, chaque employé, en plus d’être passionné, est un acteur majeur de son développement économique. Toutefois, Enda Carroll vit au jour le jour. “Je n’ai pas vraiment de plans à cinq ans ou de grands projets sur le feu. J’aimerais beaucoup qu’Ashford Farm demeure un lieu paisible où chacun est fier de travailler pour la marque que nous avons créé.” Même si tout est toujours à refaire et qu’aucun acteur de ce marché volatile n’est à l’abri d’un mauvais coup, cet expatrié irlandais a vraisemblablement jeté les bases d’un succès aussi durable qu’éclatant.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°86.

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