Sligo de Mormal, le mythique poney gris de la famille Scalabre

Sligo de Mormal est un nom qui parle à tous les passionnés de poneys. Le Connemara de quatorze ans, aux côtés de la famille Scalabre depuis sa naissance dans le Nord, comptabilise notamment trois médailles européennes par équipes, dont une en or, sur trois participations. Bondissant, le gris est l’un des meilleurs poneys français de ces dernières années. Éric Scalabre et sa fille Pauline, cavalière actuelle de Sligo, ont évoqué avec passion leur hongre au palmarès prestigieux, décrit comme “malin et intelligent” et dont GRANDPRIX dresse le portrait.



Pauline Scalabre vit sa dernière saison aux rênes de son Sligo.

Pauline Scalabre vit sa dernière saison aux rênes de son Sligo.

© Chloé Lost

À quatorze ans, Sligo de Mormal (Conn, Don Juan V x Banagher Magee) - prononcez Slaïgo - est l’un des meilleurs poneys présents en équipe de France ces dernières années. Mais avant d’être un poney au palmarès élogieux, le hongre est avant tout une belle histoire de famille. Né en 2006 au poney-club du Mormal, propriété de la famille Scalabre à Englefontaine, dans le Nord, le gris a débuté sa carrière avec Éric Scalabre puis a continué au plus haut niveau avec ses enfants, Thomas et Pauline. Appartenant toujours à Brigitte Scalabre, la grand-mère de Thomas et Pauline, son nom est un hommage à Irish of Sligo, son arrière-grand-mère et vice-championne d’Europe Poneys avec Éric. “Quand Sligo est né, nous cherchions un nom en S et nous ne trouvions pas”, raconte ce dernier. “Ma sœur m’a finalement demandé pourquoi je ne l’appellerais pas Sligo. Avec ma mère, elles n’avaient pas osé me le proposer avant parce qu'elles ne voulaient pas que je le prenne mal, comme c'était vraiment mon cheval. C’était totalement logique de le nommer ainsi! À l’époque, nous avions acheté Irish à Monsieur Chagnaud, un éleveur de Connemaras important à l’époque, qui est maintenant décédé. C’est lui qui avait conseillé à ma mère d’acheter Irish, parce qu’il disait qu'elle allait beaucoup gagner en compétition.” Attachant et malicieux, Sligo fait le bonheur de toute une famille et de sa cavalière, Pauline, qui révèle en souriant que son complice “fait la tête quand il n’y a pas de carottes!”

Les superlatifs ne manquent pas pour décrire ce hongre, souvent dépeint comme un poney volant. Pétri de qualités, “il connaît son travail par cœur”, explique Éric. “C’est un crack, super gentil et facile. Il est bouillant mais il a un mode d’emploi. Tout se passe bien quand on le connaît.” Alors âgée de douze ans, Pauline prend les rênes du gris à la suite de son frère en octobre 2016. “Je le connais depuis qu’il est poulain, et maintenant par cœur”, dit-elle. Le couple a évolué petit à petit, débutant sur 1,10m jusqu’à représenter la France aux championnats d’Europe, en 2019. Connaissant parfois des désillusions, mais revenant toujours plus fort, Pauline énonce: “Nous avons débuté sur des épreuves As 2 et 1 (en 2017, ndlr). J’ai réalisé une bonne saison mais les championnats de France se sont moins bien passés. Je n’ai pas lâché, nous avons repris le travail autrement. J’ai ensuite commencé les Grands Prix, les résultats n’étaient pas réguliers mais cela se passait quand même bien, d’où mon titre de championne de France (en 2018 en As Poneys Élite, ndlr). L’année dernière nous avons été meilleurs et plus réguliers dans les Grands Prix Excellence.” Le couple s’est classé cinquième du championnat de France As Poney Élite Excellence en 2019. Sélectionnés dans la foulée pour les championnats d’Europe de Strzegom, ils ont conclu avec une médaille de bronze par équipes et une trentième place en individuel, malheureusement éliminés lors de la seconde manche de la finale.

Avant cela, le passage de relais entre Thomas et sa sœur n’a pas été simple. “Pour sa dernière année, Thomas n’a pas été sélectionné pour les Européens. Il n’a pas voulu laisser Pauline monter Sligo parce que c’était un échec pour lui, et il voulait finir l’histoire autrement. Il a donc concouru à Opglabbeek, où il a fini septième du Grand Prix. Seulement après cette dernière sortie, il a accepté que Pauline le récupère”, précise Éric. Si Thomas a moyennement bien vécu les débuts de sa soeur avec l’exceptionnel poney, créant d’ailleurs un peu d’appréhension chez cette dernière, personne n’a vraiment été tendre avec la nouvelle cavalière de Sligo. “Il y a eu des critiques sur les réseaux sociaux, et il a même été dit qu’il fallait vendre le poney. Mais je voulais le garder pour mes enfants, même si j’ai reçu des propositions énormes à l’époque. J’ai fait le sourd car je savais que Pauline y arriverait”, assène Éric. “Le récupérer après Thomas a été une réelle pression, avec le regard des autres. La comparaison avec mon frère a aussi été dure à vivre parfois”, admet Pauline avec le recul. Il faut dire que cela devait être difficile de détacher Sligo de Thomas, tant leurs résultats ont été remarquables. Au moment des premiers succès avec Pauline, “on disait « le poney de son frère » alors que c’est bien elle qui venait de gagner avec son poney!”, illustre son père.



“Sligo est comme un accordéon”

Avec Thomas Scalabre, Sligo de Mormal a remporté la Coupe des nations du BIP de Fontainebleau en 2015 et 2016.

Avec Thomas Scalabre, Sligo de Mormal a remporté la Coupe des nations du BIP de Fontainebleau en 2015 et 2016.

© Scoopdyga

Sligo de Mormal peut se targuer d’avoir un palmarès exceptionnel et d’avoir été acteur de certaines des plus belles réussites des Tricolores ces dernières années. Il participé à trois reprises aux championnats d’Europe avec l’équipe de France, revenant à chaque fois avec une breloque. Ses résultats sont flatteurs, avec une médaille d’or par équipes et une sixième place en individuel pour sa première participation avec Thomas en 2014, alors qu’il avait couru son premier Grand Prix Élite quelques mois plus tôt seulement, avec à la clé une quatrième place. L’année suivante, il a remporté le bronze par équipes et la septième place en individuel des Européens, ainsi que la Coupe des nations du BIP de Fontainebleau deux années de suite. L’an passé avec Pauline, il a réitéré une belle performance par équipes aux Européens de Strzegom, s’adjugeant le bronze. Véritable compétiteur, Sligo a également glané le titre de champion de France des sept ans Futur Élite, au Sologn’Pony en 2013 avec Thomas. Il en a remporté un second en 2018, avec Pauline, dans la catégorie As Poney Élite. S’ils ne comptent pas de victoire internationale à leur actif, Pauline et Sligo ont notamment empoché les Grands Prix As Excellence de La Capelle en 2018, Sancourt en 2018 et 2019, ainsi que celui de Conty et Payns en 2019. Le couple s’est également adjugé l’épreuve de vitesse de la Super As du salon du cheval de Paris à deux reprises, en 2017 et 2019. 

Ces performances, Sligo les doit notamment à son intelligence et son respect de la barre ainsi que son envie de bien faire. “Il a beaucoup d’énergie et les concours sont son terrain de jeu préféré. C’est là qu’il est le mieux, et encore plus sur le Grand Parquet de Fontainebleau! Il a énormément de cœur et de sang. Sligo a la capacité de rallonger et raccourcir ses foulées, comme un accordéon”, détaille sa cavalière. “Il voudra toujours aller de l’autre côté de la l’obstacle.” Comme tout équidé, “il y a des codes à connaître. Il est important de ne pas avancer les mains car il déteste se retrouver dans le vide”, précise Éric. Les débuts à l’obstacles de Pauline et Sligo n’ont pas été des plus simples. “Avant, elle avait un poney où il ne fallait pas de tension dans les mains, il fallait ouvrir les doigts. Avec Sligo, à l’inverse, il faut le tendre. Plus il est tendu, plus il saute haut.” S’il n’apprécie guère “les visites vétérinaires, qui l’énervent”, comme l’indique Éric, le bouillonnant Sligo - qu’il est impossible de faire simplement trotter sur les paddocks de détente - se transforme en adorable poney au box. “Il est vraiment tout sage et ne bouge pas”, décrit Pauline. “C’est un amour. Aux soins comme au box, il est adorable”, confirme son père.

Réussir une aussi belle histoire sportive avec deux cavaliers différents tient aussi à la gestion de la carrière de ce fils de Don Juan V. Au quotidien, Sligo n'est entraîné en carrière qu’une fois par semaine, passant le reste du temps au paddock ou en balade, accompagné d’Éric qui le monte lorsque ses enfants ne le peuvent pas. Les séances d’obstacles sont également plutôt rares. “Entre le concours de Bordeaux en février et celui de Brienne-le-Château mi-juillet, il n’a sauté qu’une fois des cavaletti à quatre-vingts centimètres, et une fois 1,10m. Il a terminé deuxième du Grand Prix Excellence. Entre ce concours et le CSIOP de Fontainebleau, il a fait une séance d’obstacles lundi (interview réalisée le 28 août, ndlr). Il a également été préservé, ne courant que quelques concours par année - trente parcours en 2019, “les années où il fait le plus de parcours sont celles où il est sélectionné aux Européens, parce qu’il courre cinq parcours de plus!” - et quand Éric, qui cumule toutes les casquettes de père, groom et entraîneur, estime que le couple est prêt. “Pour Pauline, passer des parcours à un mètre au plus haut niveau en un an, c’était impossible. J’ai été sollicité par le sélectionneur pour certains internationaux, et je ne voulais pas y aller parce que nous n’étions pas prêts. Je ne voulais pas aller dans le mur, parce qu’après c’est nous qui ramassons les morceaux. J’ai dit non plusieurs fois pour des concours.”



“J’aimerais trouver un cavalier qui continue l’histoire”

Poulain, Sligo était déjà un sacré phénomène. “Il était très nerveux et plutôt ingérable. Il voulait être le centre de l’attention. Par contre, il ne savait pas se séparer des autres. Dès qu’on lui enlevait un copain, c’était comme un sevrage. Il était aussi capable de blesser un autre qu’il n’aimait pas, il avait vraiment ses têtes”, raconte Éric. À trois ans, le Connemara a participé aux épreuves de modèle et allures, où il révèle de belles qualités. “Il sautait très bien en liberté, ce n’était pas assez gros pour lui!” Il se distingue déjà par son caractère: “un jour quand je l’ai emmené, il m’a même cassé le toit d’un van!” Difficile à faire galoper à quatre ans, Sligo a ensuite travaillé en alternance avec des stagiaires présents aux écuries et Éric, qui refusait d’“en faire un poney monté uniquement par un professionnel”. Souffrant encore aujourd’hui de cette réputation de poney délicat, c’est une tout autre image qu’Éric donne du hongre. “Pleins de gens me disent qu’il est compliqué. Je le connais par cœur et ce n’est pas le cas. Axelle Pottier l’a monté alors qu’elle avait huit ans à l’époque, quand elle est venue en stage aux écuries et qu’elle avait les yeux rivés sur lui. Elle a sauté un mètre avec et ça allait tout seul.” 

Débutant sur le Cycle classique de quatre à six ans avec succès par le père de famille, le gris a réalisé un double sans-faute à quatre ans dans la finale, où il a obtenu la mention Excellent. À cinq ans, il a réalisé douze sans-faute sur quatorze parcours. L’année suivante, outre une barre la veille de la finale, ce ne sont que des sans-faute qui ont ponctué sa saison. Alors qu’Éric souhaitait continuer le circuit des sept ans avec Sligo, le passage de relais s’est fait plus vite que prévu avec son fils Thomas. “J’ai appris par la presse, dans L’écho des Poneys, que Thomas le monterait dans les sept ans...!” La belle histoire n’était pas forcément gagnée d’avance. “Thomas n’avait pas peur de Sligo, mais il l'avait déjà monté au pied levé à six ans sur une As 2, et il avait subi une dérobade. Je lui avais dit de s'engager dans une épreuve As 1,  mais il ne voulait pas. J’ai passé la journée à essayer de le convaincre, parce que j’avais déjà payé l’engagement! Finalement, il s’est décidé à courir l’épreuve et a réalisé un sans-faute !”, développe Éric. La suite de l’histoire de Sligo avec les enfants Scalabre, tout le monde la connaît, et leurs succès également. 

En revanche, l’avenir de Sligo ne se dessine pas encore avec certitude. Cette année est la dernière de Pauline à poney, qui, à seize ans, a atteint la limite d’âge pour concourir dans la catégorie. “J’aimerais bien trouver un cavalier qui continue l’histoire”, révèle Éric. “Si j’avais les moyens, je le garderais et plus personne ne monterait dessus. Mais tout coûte cher et s’il peut rendre service à un autre jeune… Si je dois le vendre, je le vendrais, mais s’il pouvait revenir à la maison pour sa retraite, la boucle serait bouclée. Cela serait magnifique pour Thomas, Pauline, et moi aussi.” Attachée à leur exceptionnel Connemara, la famille Scalabre profite en tout cas des moments passés à ses côtés. “C’est un poney mythique. J’aimerais bien en faire naître un deuxième comme ça, en cheval si possible!”, conclu Éric en riant.