“À Maurice, beaucoup pensaient qu’il était impossible d’obtenir un titre mondial”, Lambert Leclezio

Durant tout l’été, GRANDPRIX retrace les succès et défaites fondatrices de grandes carrières et ayant marqué l’histoire des sports équestres. Cette semaine, retour sur le premier titre de champion du monde de Lambert Leclezio, décroché en 2016 au Mans. Le prodigieux voltigeur y avait représenté pour la dernière fois son pays natal, l’île Maurice, où “les champions du monde se comptent à peine sur les doigts d’une main”. Et il avait pris sa revanche sur les championnats du monde Juniors de l’année précédente, où il n’avait récolté “que” la médaille de bronze.



Dimanche 21 août 2016, Pôle européen du cheval, près du Mans. À l’issue de quatre jours et quatre programmes – des Imposés et un premier Libre dans une première phase qualificative, puis une finale composée d’un Technique et d’un second Libre – le Mauricien Lambert Leclezio est sacré champion du monde de voltige équestre. “Je savais que je pouvais prétendre à une médaille si je réalisais une bonne compétition. Finalement, j’ai remporté le titre mais je ne m’y attendais pas, c’était une surprise”, débute-t-il. Sur la piste sarthoise, là où il avait participé en 2011 à sa première compétition internationale, qui lui avait “donné goût au haut niveau”, il déroule son ultime Libre sur “une musique de Mozart, remixée avec des chants arabes, dans le thème de la spiritualité, en relation avec l’au-delà” noté à 8,593, lui permettant de s’adjuger le titre pour huit millièmes de point d’avance sur l’Alsacien Vincent Haennel et Quartz d’Olbiche, longé par Fabrice Holzberger-Cottin.

La compétition n’avait pas été de tout repos, et le classement général fluctuait de jour en jour. “Avant la finale, j’étais en tête. Mon premier Libre avait été propre et très correct par rapport à ce que j’avais montré cette année-là. Cependant, lors de mon programme Technique, j’ai voltigé bien en-dessous de mes capacités. J’ai craqué sous le coup de la pression. Sur l’un des cinq éléments techniques à réaliser sur ce test, il y en a un que j’ai très mal exécuté, et cette grosse erreur m’a coûté énormément de points. J’ai finis septième, ce qui m’a fait redescendre au classement provisoire (à la troisième place, ndlr), alors que sur le papier j’étais bon techniquement. C’est même le programme sur lequel j’aurais pu être meilleur que d’habitude.” Tout va alors se jouer sur le dernier programme. “Cette fois, j’ai justement réussi à évacuer cette pression. Je savais aussi que je ne descendrais pas au-delà de la trois ou quatrième place à moins de me rater complètement. En revanche, avec un très bon programme, je savais que je pouvais finir deuxième, voire premier. Je suis rentré beaucoup plus serein et j’ai réalisé un bon programme”, détaille le champion.

Lambert a notamment pu compter sur le soutien de Jacques Ferrari, sacré champion du monde en 2014, qui avait su l’encourager. “Il était présent lors des détentes et avant mes passages. Il avait toujours les mots justes pour essayer de me mettre dans un bon état d’esprit. Il m’a beaucoup aidé lors de cette compétition. Avant mon dernier passage, je pense qu’il avait bien remarqué que j’avais un peu de mal à gérer toute cette pression. Il m’a donc conseillé de me faire plaisir et dit qu’il n’y avait pas de pression à avoir parce que je m’étais beaucoup entraîné, que c’était donc le moment de vivre l’instant et de montrer tout le travail effectué. Cela m’avait aidé à vivre ce dernier passage différemment des autres.”



“J’ai montré qu’en persévérant, obtenir un titre devient possible”

Cette performance est d’autant plus remarquable que Lambert participait au Mans à son premier championnat en tant que Senior. S’il s’était révélé lors des Jeux équestres mondiaux (JEM) de Normandie en 2014, prenant la sixième place, il avait alors encore l’âge de concourir en Juniors. Il avait donc préparé cette échéance avec extrêmement de sérieux. “J’avais passé mon bac en 2015, j’ai pris une année sabbatique, puis je me suis préparé avec la compagnie Noroc. Je m’entraînais à plein temps. Je voulais me lancer à fond dans ce projet et dans le sport. La préparation a donc été assez intense, pour essayer de faire du mieux possible au Mans.”

Ce titre a eu une saveur forcément particulière, puisqu’il a fait de Lambert le premier athlète mauricien à obtenir une médaille lors d’un championnat international d’équitation. “Là-bas, beaucoup de gens pensaient que c’était impossible. Ils ont donc pu ouvrir les yeux par rapport à cela. J’ai montré qu’en persévérant, cela devenait possible. Je pense que c’est une belle histoire qui a pu inspirer ceux qui essaient de percer à ce niveau, en tout cas pour la voltige sur l’île Maurice. Ensuite, il y a d’autres voltigeurs qui sont venus concourir en Europe. Si je l’avais fait, alors pourquoi pas eux?” Ce titre est aussi venu récompenser des années d’entraînement, et de sacrifices. “Maurice est une petite île et le niveau est inférieur à celui qu’on trouve en Europe. J’ai dû venir régulièrement pour m’entraîner à ce niveau-là, car il était impossible de voltiger à plein temps là-bas.”

Cette performance, qui a permis à Lambert d’obtenir le titre honorifique de Membre de l’ordre de l’Étoile et de la Clé de l’océan Indien, a eu un impact sportif positif sur cette petite île. “Ma médaille d’or a permis de débloquer certaines choses, par rapport au dynamisme des clubs, les gens avec lesquels je travaillais, pour la voltige à Maurice, mais également pour les sports équestres en général, permettant de peser au niveau du ministère et de pouvoir obtenir des aides et financements.” Vivant toujours là-bas, sa famille, dont les ancêtres étaient venus de Bretagne, a pu venir le soutenir au Mans, de même que l’enseignante qui lui avait fait découvrir la voltige. Attaché à son île – ses médailles sont d’ailleurs encadrées “chez moi, dans ma chambre” – Lambert essaie de s’y rendre au moins une fois par an. 

 



“En 2015, j’avais été incapable de gérer l’enjeu et la pression”

Ce titre mondial, Lambert se l’est adjugé avec un Selle Français expérimenté, Quièce d’Aunis, longé par la Mancelle Sandra Tronchet. “À ce moment-là, cela faisait une petite année que je travaillais avec Sandra. Nous nous voyions quotidiennement, et je voltigeais aussi sur d’autres chevaux des écuries. Forcément, un lien s’est créé. Il faut savoir faire confiance. Je peux faire de mon mieux pour voltiger avec le cheval, mais je ne peux pas contrôler à cent pourcent ce que le longeur va faire”, explique-t-il.

Du reste, Quièce avait accompagné pas moins de trois voltigeurs lors de ces Mondiaux: la Tricolore Charlotte Lhommeau, le Colombien Juan Martin Clavijo Vega, alors inconnu, et Lambert donc, qui ont tous trois atteint la finale. “Quièce était plutôt fiable, mais il pouvait parfois devenir plus délicat et sensible avec la pression du public et la musique, comme lors de mon programme Technique. Si je n’étais pas totalement avec lui, dans le liant et l’harmonie, il pouvait flotter sur le cercle et me pousser ensuite à la faute. Pour autant, j’avais une belle complicité avec lui donc l’ensemble de la compétition s’est bien déroulé. Le petit désavantage est que nous avons tous les trois accédé à la finale. Dans une telle situation, les détentes ne sont pas évidentes à gérer: il faut préserver le cheval mais les voltigeurs doivent absolument s’échauffer sur lui quand même... Quièce a accumulé beaucoup de fatigue. Douze passages, c’est énorme alors il ne pouvait pas être au top à chaque fois – c’est impossible. Cela explique aussi pourquoi nous avons parfois voltigé en-dessous de nos capacités. 

Rien qu’avec moi sur le dos, Poivre Vert aux JEM de Tryon en 2018 comme Aroc CH aux championnats d’Europe l’an passé ont fini sur les rotules, tout comme moi d’ailleurs. Dans notre sport, il y a beaucoup de stress, de concentration, etc.”

En tout cas, tout ce qu’a vécu Lambert au Mans en 2016 lui a été bénéfique pour la suite de sa carrière. “Ce titre m’a donné beaucoup de confiance et d’expérience. À partir de ce moment-là, un déclic s’est produit. Je me suis senti capable de voltiger à ce niveau et de gérer la pression de ces grandes échéances, ce qu’il y a autour – le public, la famille, les journalistes… – mais aussi ce que je dois faire pour me sentir bien. Cela a eu un impact positif sur mes performances aux JEM de 2018, par exemple.”

Mais plus qu’une leçon, cette médaille d’or “est une revanche sur moi-même”. Lors des championnats du monde Juniors, l’année précédente à Ermelo, il s’était présenté avec l’étiquette de favori à la suite de sa superbe performance normande en 2014, chez les Seniors rappelons-le. Attendu par tous, il était finalement reparti avec la médaille de bronze, malgré une préparation loin d’avoir été optimale. “Le cheval avec lequel je voltigeais depuis quatre ans et qui m’avait accompagné aux JEM (Timothy van de Wilhelminahoeve, ndlr) est mort dans un accident en avril. Ce fut un coup dur avant ces championnats, qui se tenaient en juillet. Je suis allé en Allemagne et j’ai voltigé sur un nouveau cheval pendant un mois et demi. À une semaine et demie de l’échéance, il a eu un souci de santé et s’est mis à boiter. Du coup, aux Pays-Bas, j’ai monté au pied levé un cheval (CSI, ndlr) que je ne connaissais pas. C’était compliqué pour moi, je ne me sentais pas à l’aise mais je n’avais pas vraiment le choix… De plus, je ressentais toute la pression sur mes épaules. J’ai réalisé une compétition très en-dessous de mes capacités. C’est une déception, j’aurais largement pu gagner. Et la première raison de cet échec est que j’ai été incapable de gérer l’enjeu et la pression de cette compétition”, avoue sans détour le voltigeur, loin de se chercher des excuses.

Quoi qu’il en soit, son meilleur souvenir reste son titre acquis aux JEM de Tryon en 2018, sous les couleurs françaises cette fois. “Dans la carrière d’un voltigeur, gagner les JEM est ce que l’on peut faire de mieux, pour le moment (il milite pour l’intégration de la voltige au programme olympique, ndlr). Le niveau avait été beaucoup plus relevé qu’en 2016. À titre de comparaison, en 2016, j’ai gagné avec 8,135 points de moyenne tandis qu’en 2018 c’était avec 8,744. Cette fois, j’ai gagné de façon fantastique, voltigeant au mieux de ce que j’étais capable de produire à ce moment-là. Il y a eu un investissement de ma part, mais aussi de tout l’encadrement fédéral, qui était présent à Tryon. De plus, je voltigeais sur Poivre Vert (précédemment associé à Jacques Ferrari et longé par François Athimon, ndlr), qui partait ensuite à la retraite. Le second Libre a marqué sa dernière apparition en compétition. Je savais que tout serait terminé après une minute. Avant même de rentrer en piste, j’avais presque les larmes aux yeux, l’émotion était immense. Pour autant, 2016 a été le début d’une grande histoire pour moi, et ces championnats restent eux aussi inoubliables”, conclut-il.

Revivez le dernier programme Libre de Lambert Leclezio aux championnats du monde du Mans en 2016