“Éleveur est un métier de rêveur”, Éric Levallois

Éric Levallois, cinquante-sept ans, avait accordé un long entretien à Grand Prix, chez lui, à Beaufour-Druval dans le Calvados, en août 2017. L’inoubliable champion du monde par équipes de Jerez de la Frontera, il y a dix-huit ans ans déjà, revient sur sa carrière, sur l’accident qui l’a interrompue et profondément bouleversé sa vie, sur son haras de Beaufour et ses différentes activités, non sans livrer son regard sur les évolutions de l’élevage et des sports équestres.



Pour les plus jeunes, et ceux qui ne vous connaîtrez pas encore, pouvez-vous revenir sur les moments et les chevaux qui ont marqué votre carrière sportive?

J’ai été chanceux parce que j’ai eu de super chevaux. Ma première jument de concours s’appelait Fleurtine (SF, Arthy x Galopin VI, Ps). La première année, j’ai été éliminé seize fois en vingt et une épreuves! C’était une petite jument d’1,56m, respectueuse, mais petit cœur. La deuxième année, j’en ai gagné vingt et une et me suis classé six autres fois en trente-deux épreuves. Fleurtine avait besoin d’être en confiance. Quand nous l’avions achetée, elle avait totalement perdu cette confiance. 

Ensuite, j’ai récupéré Glume (SF, Sire, Ps x Khereddine, Ps), avec laquelle j’ai participé aux championnats de France Jeunes, puis Graine d’Oria (SF, Rantzau, Ps x Goum), qui m’a permis de participer aux championnats d’Europe Juniors à Millstreet, puis Jeunes Cavaliers à Wolfsbourg et Geesteren. Avec Le Tot de Semilly (SF, Grand Veneur x Juriste), j’ai été médaillé d’or par équipes (aux côtés de Patrice Delaveau, Roger-Yves Bost et Jean-Charles Gayat, ndlr) et quatrième en individuel aux Européens Jeunes Cavaliers de Cervia en 1984. Mon cheval refusait de toucher une barre, mais j’ai fauté à la rivière… 

Il y a aussi eu Merci d’Agon (SF, Calmar du Poncel x Starter), avec lequel je garde de super souvenirs de barrages, grâce à sa faculté à sauter les verticaux en bout de ligne sans ralentir, puis Sissi de la Cour (SF, Uriel x Starter, mère de l’étalon SF Hélios de la Cour II par Papillon Rouge, ndlr), avec laquelle j’ai été sacré champion de France en 1992, Sauvage du Marais (SF, Hadj A, AA x Incitatus), avec lequel j’ai gagné le Derby de Dinard… et évidemment Diamant de Semilly (SF, Le Tot de Semilly x Elf III). Je ne peux pas vraiment détacher un souvenir en particulier. 

Bien sûr, j’ai été sacré champion du monde par équipes avec Diamant en 2002 à Jerez de la Frontera (aux côtés d’Éric Navet et Dollar du Mûrier, SF, Jalisco B x Uriel ; Gilles Bertan de Balanda et Crocus Graverie, SF, Rosire x Fend l’Air ; ainsi que Reynald Angot et Dollar dela Pierre, SF, Quidam de Revel x Foudre de Guerre). Avec Diamant, je ne sautais pas, j’avais l’impression de voler. Il avait un galop avec un abattement terrible, si bien que j’avais la sensation d’être sur un tapis roulant. Un Diamant, on n’en rencontre qu’un seul dans sa vie. Pour autant, j’ai vécu des moments marquants avec tous mes bons chevaux. Je pense aussi à Rocky du Carel (SF, Grand Veneur x Tanaël) et Experio (SF, Qredo de Paulstra x Kayack), qui ont gagné beaucoup d’épreuves. J’ai vraiment été gâté d’avoir des montures de cette classe. On monte mieux quand on a des bons chevaux!

Disparu fin 2015, votre père, Germain Levallois, a eu une grande influence sur l’élevage français, notamment grâce à Le Tot et Diamant de Semilly. Quels souvenirs gardez-vous de lui? 

Mon père était un très grand connaisseur. Hélas, on a perdu les gens de cette trempe, qui étaient capables de savoir qu’un bon poulain de six mois deviendrait un étalon. Les hommes comme lui, on les comptait sur les doigts d’une main. Concernant Le Tot, par exemple, je me souviens qu’il avait refusé de le vendre alors que nous ne l’avions encore jamais fait sauter. Nous venions juste de le récupérer pour le mettre au travail, mais, même sans l’avoir vu sauter, il avait senti que celui-là avait quelque chose de particulier. Et il ne s’était pas trompé : quand nous l’avons mis face à sa première barre, c’était impressionnant. Sa règle d’or était d’être patient et de savoir attendre un cheval. Il donnait sa chance à chacun d’eux. Mon grand-père était déjà marchand de chevaux, tout comme mon arrière-grand-père, à qui beaucoup de gens venaient demander conseil quand ils devaient acheter un cheval. Il était un peu une référence. Moi, je suis la quatrième génération. 

Pourquoi vous êtes-vous installé dans le pays d’Auge, alors que toute votre famille vit près de Saint-Lô dans la Manche? 

Avoir un haras de Pur-sang avec de belles clôtures était un rêve d’enfant. J’aime ces haras, parce que tout y est propre et ordonné. La première fois que je suis venu à Beaufour, j’ai visité le haras sous la pluie. Au bout de cent mètres dans l’entrée, j’en suis tombé amoureux. Je me suis alors dit que si je l’aimais déjà sous l’eau, je le trouverais encore plus beau le jour où il ferait beau. Je m’y suis installé en février 1994 avec Diamant, qui a été le premier cheval à entrer dans l’écurie. Être ici rapproche un peu de Paris et puis la région est jolie et bien entretenue. À un moment, je me suis demandé ce que j’allais faire avec trente hectares de terre. Au début, je prenais les chevaux de mon père et mon frère (Richard, ndlr) à l’herbe. Plus tard, j’ai acheté quelques poulains et juments et me suis lancé dans l’élevage. Quand nous avons acheté le haras avec mon ex-femme (Carole Mille, ndlr), il y avait quarante-cinq hectares : elle en a gardé trente et moi quinze et les bâtiments. C’est là que se trouve l’élevage. Là-bas, j’ai une quarantaine de boxes et beaucoup de stabulations. J’ai créé de petits paddocks afin que les chevaux sortent tous les jours en hiver. En 2009, je me suis retrouvé avec une vingtaine de juments et plus assez de place. L’année suivante, j’ai donc acheté une propriété de soixante-douze hectares au Carrefour Saint-Jean. J’aime l’élevage et j’adore me promener dans les près, le matin de bonne heure ou le soir quand je suis un peu fatigué. Élever est un métier de rêveur. Si l’on n’aime pas rêver, ce n’est pas la peine de se lancer. Mais, comme disait mon père, il faut rêver les yeux ouverts, c’est-à-dire en restant conscient des réalités. 

Avant l’arrivée de Philippe Guerdat début 2013, votre nom avait été évoqué pour le poste de sélectionneur national. Ce rôle pourrait-il vous tenter à l’avenir? 

On me l’avait proposé, mais je ne le ferai pas. On m’avait dit qu’il fallait compter soixante-dix jours de travail par an, mais en fait, c’est un temps plein. Pour suivre les couples, il faut être en concours tous les week-ends, donc être loin de chez soi au moins quatre jours par semaine. Dès lors, je n’aurais plus été en mesure de m’occuper de mes jeunes chevaux et de gérer mon écurie. Et puis, quand il débute sa mission, un sélectionneur n’a que des amis ; quand il la termine, il n’a plus que des ennemis! L’an passé, on m’a également proposé ce poste en Belgique, mais les problèmes seraient les mêmes… 

Récemment, on vous a vu officier comme juge pour le stud-book Zangersheide. Est-ce quelque chose que vous aimez? Avez-vous également jugé pour le Selle Français?

Non, le SF ne me l’a jamais proposé, donc travailler pour le Z représentait une opportunité, pas un choix délibéré. J’aime juger, parce qu’on se retrouve entre connaisseurs, qu’on observe la production des étalons et qu’on en tire toujours des enseignements. Moi, j’adore apprendre, et avec les chevaux on apprend sans cesse. C’est pour cela que notre métier est si beau et que je me lève tous les matins. J’aime ce genre de manifestations, où l’on voit sauter des chevaux de différentes origines. Si je restais chez moi, je ne verrais pas tout ça.



“Diamant de Semilly produit des chevaux compétitifs quelle que soit leur niveau”

© Scoopdyga

Vous faites également naître des Trotteurs. Est-ce une autre passion? Rêvez-vous un jour de driver? 

J’aime bien les courses. J’ai aussi eu quelques Pur-sang, mais cela m’attirait moins que les trotteurs. Et puis, le trot est un peu plus ouvert. Dans le galop, il faut investir beaucoup d’argent pour acquérir de très bonnes juments, et il est plus compliqué de réussir. J’ai trois mères Trotteuses. En 2016, j’en ai racheté une dont la propre sœur, âgée de trois ans et entraînée chez Jean-Pierre Dubois, est semi-classique (Groupe II, ndlr) pour le moment. En ce qui me concerne, j’ai pratiqué un petit peu chez Philippe Allaire. Mon rêve aurait été de driver en Amateurs, mais les Trotteurs sont un peu chauds en course et je ne peux pas prendre le risque de subir un accident. En tout cas, ça me démange. 

Pour en revenir aux Selle Français, combien faites-vous naître de poulains par an et comment sélectionnez-vous vos juments?

Cette année, je n’ai pas eu beaucoup de poulains, parce que j’ai vendu quelques juments. En général, je vends les juments qui m’ont donné cinq ou six poulains, puis je continue avec de plus jeunes. J’ai donc eu seize poulains, et là, j’ai vingt-deux juments pleines. Certaines années, j’en ai eu trente voire trente-cinq, mais je veux essayer de rester entre vingt et vingt-cinq. Je mise sur des juments qui ont été performantes en concours, où dont les mères étaient bonnes. Mon élevage reste assez récent. Mes premiers produits sont nés en 2006 (les chevaux nés de 1994 à 2005 sous l’affixe de Beaufour l’étaient alors presque tous au nom de Carole Mille, ndlr), dont Sweet de Beaufour (ISO 161, SF, Diamant de Semilly x Kannan, classé à 1,55m avec le Brésilien Marlon Módolo Zanotelli et l’Allemand Daniel Deusser, ndlr). En ce moment, j’en ai de bons dans toutes les catégories d’âge. J’essaye de les faire valoriser à quatre, cinq, six, voire sept ans, mais après c’est plus compliqué. Je vends aussi quelques chevaux d’élevage plus jeunes, mais pas trop. Maintenant que j’ai de bonnes origines et des juments qui ont bien produit, je vais pouvoir en commercialiser certains un peu plus jeunes, parce qu’il sera le frère d’untel, par exemple. Parmi mes juments, il y a pas mal de filles de Diamant et pas mal d’étrangères que je croise avec Diamant, notamment plusieurs filles de Cassini, parce que le croisement fonctionne bien. 

Outre Diamant, comment sélectionnez-vous les étalons que vous utilisez ? 

En 2017, j’ai utilisé quinze étalons différents, donc j’ai un peu diversifié. J’utilise beaucoup Diamant, mais aussi des étrangers, que je croise avec mes filles de Diamant, parce que ça fonctionne bien. Je choisis des mâles ayant déjà fait leurs preuves à l’élevage, donc assez peu de jeunes reproducteurs. À mon âge, je n’ai plus le temps d’attendre dix ans ou plus pour savoir si j’ai bien fait de miser sur un jeune. Pour accélérer le processus, je favorise donc des étalons plus confirmés. Comme je vais beaucoup à l’étranger, je vois beaucoup d’étalons et leurs produits, donc je suis un peu en repérage toute l’année. 

Depuis 2015, Diamant de Semilly domine le classement mondial des meilleurs pères de gagnants en CSI édité par la Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport (WBFSH). Avec le recul, quel est votre avis, le plus objectif possible, sur sa production? 

Diamant s’est démarqué parce qu’il a donné énormément de sauteurs. Même s’il produit beaucoup, on trouve une grande proportion de sauteurs parmi ses fils et filles. Même quand ils n’évoluent pas à haut niveau, ce sont de super chevaux d’amateurs, faciles et avec un bon mental, ce qui est très important. Il suffit de voir le nombre impressionnant d’amateurs montant des Diamant. Il produit des chevaux compétitifs quelle que soit leur niveau, droits dans leur tête et pas trop susceptibles face aux éventuelles approximations de leurs cavaliers. Jeunes, les poulains peuvent se montrer un peu autoritaires, mais c’est une qualité, pas un défaut. Ce sont des chevaux durs. Pour moi, Diamant est un améliorateur parce qu’il apporte de l’amplitude, de la force et une bonne tête. Certains me disent que ses produits peuvent avoir une technique moyenne des antérieurs. Certes, mais quand les barres montent, ils plient correctement leurs antérieurs. Diamant laissaient traîner les siens à quatre ans, mais plus à haut niveau. Et puis, si des chevaux sautent avec une technique un peu moyenne à 1,60 m, ce n’est pas grave s’ils montent leur garrot. Diamant se marie très bien avec les courants de sang étrangers, notamment avec Cassini. Les produits issus de ce croisement - je dois en avoir une dizaine - sautent très bien et ont beaucoup de sang.



“Cet accident a totalement chamboulé ma vie”

Le 27 décembre 2009, vous avez été victime d’un très grave accident de la route en Seine-Maritime, alors que vous rentriez du CSI 5*-W de Malines. Pendant quelques jours, on a même craint pour votre vie. Cela vous a brusquement interrompu votre carrière de cavalier. En conservez-vous toujours des séquelles, et envisagez-vous de pouvoir remonter un jour en compétition? 

Cet accident a totalement chamboulé ma vie. Ma passion était de monter à cheval, et j’ai dû arrêter. Quand on prévoit d’abandonner une telle passion, on s’y prépare et on travaille pour s’épanouir dans sa nouvelle vie. Là, c’est arrivé d’un coup. Du jour au lendemain et pendant cinq mois, je suis passé du stade d’hyperactif à celui de légume… Cela a également modifié ma vision de la vie. Après être passé si près de la mort, on perçoit les choses différemment. Malheureusement, il m’a fallu en passer par là pour pouvoir vraiment prendre du recul. On dit souvent que quand la santé va, tout va. C’est totalement vrai. On peut rencontrer tous les problèmes de la terre, tant qu’on est en bonne santé, rien n’est vraiment grave. En revanche, même si tout va bien dans la vie, dès lors qu’on a un problème de santé, rien ne va plus… Je voulais remonter, même à petit niveau (en juin 2015, il a disputé trois épreuves au CSI 2* de Saint-Tropez, ndlr), mais j’ai vite compris que je ne pourrais pas, parce que je souffrais et que j’étais trop lent. Même si je veux être actif et rapide dans la tête, mon corps n’a plus qu’une vitesse de réaction. Si je veux accélérer, mon corps me le refuse. Je ne peux rien faire, cela ne changera plus. Avant l’accident, il y a dix ans à Saint-Lô, j’avais déjà subi une chute qui avait occasionné une triple fracture des apophyses. Aujourd’hui, j’en ressens encore les séquelles. Après l’accident, j’ai une main qui est restée un peu atrophiée, une jambe gauche qui fonctionne moins bien et tout le système digestif ralenti, donc j’ai gardé des grosses séquelles. L’accepter m’a été très difficile, d’autant que ce n’était pas un choix. Avec le temps, je suis bien obligé de m’en accommoder, mais c’est encore loin d’être facile. Là, je monte juste de temps en temps. Il y a deux mois, je montais Diamant tous les deux jours, comme on le fait toujours un peu en périodes de prélèvement. Pour l’échauffer, on lui fait faire un petit jogging de 3 ou 4 000m sur la piste, au trot et au galop. 

Le monde de l’élevage a beaucoup évolué ces dix ou quinze dernières années. Comment percevez-vous ces mutations?

L’élevage est parti bien loin pour ne pas dire dans tous les sens... Il y a dix ans, les poulains ne se vendaient plus trop. Les embryons, ce n’était même pas la peine d’en parler. Maintenant, la tendance s’est inversée : on vend même en ligne les embryons. Je ne sais pas où tout cela va nous mener, ni ce qui va encore être créé... Les ventes en ligne fonctionnent vraiment bien. En ce sens, le cheval de sport rejoint celui de course, où les origines sont primordiales. Auparavant, lors des concours d’élevage, on voyait plutôt des connaisseurs acheter des poulains sur leur modèle et leurs allures, quitte même à mettre un peu de côté les origines. Désormais, vu que ces connaisseurs se raréfient, on mise tout sur les origines. L’élevage est devenu une activité exercée essentiellement par des amateurs qui font pouliner une ou deux juments. Je ne sais pas si ce changement est positif ou négatif, c’est difficile à dire. Il ne faut pas critiquer a priori, il faut attendre de voir. De toute façon, il y a toujours du bien dans le changement ; même dans le mal, il y a toujours du bien, il y en aura peut-être juste un peu moins… En tout cas, si notre élevage français tient encore la route, c’est grâce à tous ces gens qui ont travaillé à construire le Selle Français il y a vingt ou trente ans. Qu’en sera-t-il dans dix ou quinze ans? Je n’en ai pas la moindre idée. De fait, il me semble très difficile de se projeter dans le futur. 

Le sport aussi, et particulièrement le haut niveau, a considérablement évolué ces dernières années. En bien ou en mal?

À vrai dire, avec tous ces concours, je suis un petit peu inquiet pour l’avenir. Autrefois, les chevaux se reposaient un peu de fin octobre ou début novembre jusqu’à mars, et duraient dans le temps. Maintenant, non seulement ils sautent toute l’année, mais en plus ils vont partout : Mexico, Shanghaï, Miami… Il ne faut pas rêver, à un moment ou un autre, ils trinquent. De plus, on les fragilise un peu en les soignant comme on fait. On les exploite dans un temps relativement court et on ne les laisse plus vraiment vieillir. J’entends par là que quand un cheval se montre moins performant, on devrait le laisser tranquille, se reposer et le soigner un petit peu. Aujourd’hui, on le soigne et on repart tout de suite en compétition. La hauteur, la vitesse et la technicité des parcours jouent aussi leur rôle. Pour autant, les chevaux restent des animaux, pas des machines. Le rythme actuel n’est soutenable qu’avec cinq, six ou sept chevaux de Grand Prix, ce qui permet de pouvoir alterner vraiment et que chacun ne concoure que deux week-ends sur cinq. Le cavalier n’en ayant qu’un ne pourra guère performer qu’un ou deux ans. Pour pouvoir accéder aux CSI 5*, il faut être en haut du classement mondial ou sauter des Coupes des nations et espérer quelques invitations. Quand un cavalier y accède enfin, il a tendance à user son cheval, si bien qu’au bout de deux ans c’est fini… Désormais, le haut niveau est réservé à de grosses écuries ayant un fort pouvoir d’achat leur permettant de renouveler leurs chevaux. Cependant, c’est dangereux à l’échelle d’un pays, parce que le jour où les sponsors de ces écuries passent à autre chose, l’équipe nationale peut se retrouver sans rien. 

Le nombre de concours a augmenté, et ils sont mieux en mieux dotés. Économiquement, pour les cavaliers de haut niveau et les propriétaires, cela a changé la donne… 

Rien que sur le Longines Global Champions Tour, en une année, un très bon cheval peut gagner 500 000 à 1 million d’euros, ce qui est considérable. Il est certain que cela nourrit la motivation des propriétaires à investir ou conserver leurs cracks. Pour les cavaliers concourant à haut niveau, c’est extraordinaire, parce qu’ils peuvent vraiment gagner leur vie, mais cette prolifération de concours essore les chevaux… Ces dotations et l’émergence de nouvelles nations, nourrissent la demande et fait flamber le prix des chevaux de très haut niveau. Sachant très bien que tous les propriétaires ne peuvent pas investir dans un cheval d’âge, les cavaliers se reportent donc sur des plus jeunes. Les très bonnes montures de six ou sept ans valent déjà très cher, donc ils cherchent des chevaux de cinq, voire quatre ans. Maintenant, on n’a plus de mal à vendre les très bons, donc ces évolutions sont bénéfiques d’un point de vue commercial. 

En revanche, avec le développement exponentiel de tous les circuits privés, certains cavaliers semblent délaisser les Coupes des nations, voire les championnats… 

C’est vrai, et j’ai peur que tous ces concours ne prennent le pas sur les Coupes des nations et leur retirent leur aura. Il n’y a pas si longtemps encore, tous les meilleurs cavaliers représentaient leur pays dans les CSIO. Lors des Coupes des nations, il y a une ambiance et une tension qu’on ne retrouve pas en Grands Prix. C’est sympa à vivre. Et puis, monter pour son drapeau, ça a du sens ! Aujourd’hui, beaucoup de cavaliers ne veulent plus participer aux CSIO - voire aux championnats - s’il y a un gros CSI 5* en même temps. Pour moi, ce n’est pas normal. Les Coupes des nations en ont déjà beaucoup pâti. Je comprends aussi les propriétaires : si l’équipe nationale n’est pas bien classée, même avec double sans-faute de leur cheval, ils ne gagnent pas un centime. Avec la même performance dans un Grand Prix CSI 5*, ils peuvent espérer voir leur cavalier terminer parmi les cinq premiers et toucher pas mal d’argent. J’espère que les CSIO ne vont pas disparaître, mais cela me semble quand même bien mal parti. Autrefois, les Coupes des nations d’Aix-la-Chapelle, Hickstead, La Baule, Dublin, Rome ou Saint-Gall étaient de vraies références. Y réussir un double sans-faute représentait quelque chose. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on ne parle plus que des circuits privés. Je m’interroge aussi sur les équipes de la Global Champions League. Avec un droit d’entrée à deux millions d’euros, celui qui fait payer ça à son propriétaire pourrait tout aussi bien acheter un très bon cheval… 

En novembre 2016, la Fédération équestre internationale a validé la réduction des équipes olympiques à trois cavaliers pour les Jeux de 2020. Craignez-vous que cela s’étende aux autres épreuves par équipes? 

Je pense qu’on va y venir petit à petit mais j’espère que ce n’est pas pour tuer un jour ces épreuves. Ça coûte moins cher, mais ça modifie toute la compétition. Sur quatre, il y en avait souvent un qui vivait un jour sans, mais les autres pouvaient encore rattraper le coup et maintenir leur équipe dans la course. À trois, le destin de l’équipe sera scellé dès le premier mauvais parcours. On perdra alors de très bonnes équipes, tout notre sport risque d’être chamboulé. Je pensais qu’il y aurait une plus forte résistance de la part des cavaliers dès la présentation de cette mesure. Je trouve dommage qu’ils n’aient pas protesté davantage et plus tôt, mais nous sommes dans un monde individualiste… Après, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Dans quinze ans, on reviendra peut-être en arrière. Pour moi, en tout cas, il y a un gros point d’interrogation quant à l’avenir des sports équestres…

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°101.