McLain Ward, l’accomplissement dans la discrétion (partie 2)

Acteur incontournable du saut d’obstacles depuis plus de vingt ans, McLain Ward est revenu sur le devant de la scène de manière fulgurante, jusqu’en avril 2017 où il s’est enfin adjugé la finale de la Coupe du monde Longines, aux rênes de sa phénoménale HH Azur Garden’s Horses. D’une nature discrète, l’Américain aborde avec franchise les grands épisodes d’une carrière épatante, et d’une vie qui n’a pas toujours été si simple.



La première partie de ce portrait est à lire ici

À huit ans, McLain Ward participait déjà à ses premières compétitions de saut d’obstacles à poney:

“J’ai commencé par monter à poney très tôt vu que mes deux parents travaillaient dans le milieu des chevaux, notamment mon père Barney qui a été un cavalier de haut niveau à succès. J’ai grandi dans une grande ferme au milieu des chevaux. L’équitation était vraiment ancrée dans la famille. Je devais avoir un ou deux ans quand on m’a mis en selle pour la première fois ! Mes parents avaient acheté un petit poney pour moi. Je dois avouer que j’étais un cavalier catastrophique! Je n’avais pas beaucoup de talent. Mes parents m’ont donné mes premiers cours, relayés par Paul Vallière, un entraîneur qui était très réputé aux États-Unis. Il m’a coaché de mes sept à dix-sept ans. Mes débuts ont vraiment été difficiles, car je ne me positionnais vrai- ment pas bien en selle. Un jour, un ami de mon père nous avait proposé un poney qui avait l’air excellent, avec énormément de moyens et de puissance, mais un caractère très fort. Mon père a directement décliné l’offre parce qu’il savait que je ne m’en sortirais pas! Vers l’âge de treize ans, j’ai eu comme un déclic et tout s’est amélioré, puis je suis passé à cheval.”

En 1995 à Göteborg, en Suède, McLain Ward a disputé sa toute première finale de Coupe du monde avec Orchestre:

“C’était une première expérience géniale! Orchestre était un bon cheval, très respectueux. Nous avions terminé dixièmes, ce qui était vraiment bien pour une première, d’autant que je n’avais que vingt ans et que j’étais vraiment un outsider. J’étais fier de cette performance, à laquelle nous nous étions bien préparés. À cet âge, on grandit, on prend de l’expérience, on se construit et on fait des choix déterminants. Pour moi, la transition entre les Jeunes Cavaliers et le haut niveau n’a pas été difficile. De fait, j’ai l’impression que c’est plus compliqué aujourd’hui. Les circuits pour les jeunes se sont énormément développés, comme dans beaucoup d’autres sports, mais le haut niveau a considérablement évolué aussi. À l’époque, pourvu qu’il ait obtenu de bons résultats, un jeune cavalier était automatiquement propulsé dans le grand bain à dix- huit ans. C’était une progression assez naturelle mais il fallait être plus autonome, car il n’y avait pas tout l’accompagnement actuel. Ayant grandi dans ce milieu, j’avais déjà rencontré de nombreux champions de l’époque, donc je n’étais pas réellement intimidé à l’idée de concourir avec eux. J’ai surtout essayé de faire de mon mieux et d’en surprendre quelques-uns. Pour autant, il y en avait certains que j’admirais et dont je voulais m’inspirer. Pour plein de raisons différentes, j’aimais bien Franke Sloothaak, Paul Schockemöhle, Ludger Beerbaum, Jan Tops, John et Michael Whitaker... Chaque cavalier a des approches et techniques différentes qu’il est toujours intéressant d’observer.”

Dès ses premiers Jeux olympiques, en 2004 à Athènes, McLain Ward a atteint le Graal en décrochant l’or collectif avec Sapphire. Il avait alors fait équipe avec Chris Kappler, Beezie Madden et Peter Wylde, respectivement associés à Royal Kaliber (KWPN, Ramiro x Voltaire), Authentic (KWPN, Guidam x Katell, Ps) et Fein Cera (Holst, Landadel x Cor de la Bryère):

“Sapphire a été l’un des chevaux les plus importants de ma carrière. Notre histoire a commencé de manière assez anecdotique! Un ami qui l’avait essayée m’a appelé pour me vanter toutes ses qualités. Quelques jours plus tard, nous l’avons directement achetée par téléphone, sans l’essayer, ni même la voir et la soumettre à une visite vétérinaire! Nous avons investi avec François Mathy, avec lequel mon père collaborait depuis 1979, et qui a toujours été d’un grand soutien pour moi. Sapphire était une jument plutôt facile, avec d’énormes moyens, et très gentille. Elle avait toujours envie de bien faire. Elle avait une action incroyable, ce qui pouvait parfois nous poser quelques problèmes sur certains terrains ou dans certaines combinaisons. Elle était fabuleuse! Ces premiers JO étaient mes premiers grands championnats, et Sapphire n’avait que neuf ans, donc nous étions plutôt jeunes et impressionnés par l’événement. Nous avons vécu une semaine incroyable avec Beezie Madden, Chris Kappler et Peter Wylde. C’était une belle équipe. Avec le recul, je me rends compte à quel point cette compétition a été géniale. Sur le moment, j’ai juste essayé de faire de mon mieux. Je n’ai réalisé ce que j’avais vécu que quelques mois plus tard.”



Comme à Athènes, McLain et Sapphire, alors à l’apogée de leur carrière, ont offert l’or à l’Oncle Sam aux JO de Hong Kong, se classant cinquièmes en individuel:

“Nous avons arraché l’or après un barrage incroyable face au Canada. Ces JO ont été un moment très important pour le sport américain: en conservant notre titre, nous avons prouvé que nous étions une vraie grande équipe. Sapphire et moi avons barré pour le bronze individuel, et fauté sur le dernier obstacle... Probablement à cause du stress de fin de parcours. J’étais terriblement déçu. Hong Kong, c’était phénoménal. J’y ai vécu mes meilleurs Jeux, en dépit des disqualifications pour dopage qui n’étaient que des cas particuliers. En ce qui me concerne, n’ayant encore jamais vécu d’échec collectif, j’ai commencé à penser que je terminerais à chaque fois sur le podium... Quatre ans plus tard, les JO de Londres m’ont mis un sérieux coup derrière la tête.” 

En 2014, McLain Ward et HH Rothchild ont décroché une médaille de bronze par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Normandie, terminant cinquièmes en individuel:

“Rothchild a un destin d’outsider! J’ai commencé à le monter quand il avait sept ans. Au début, je le détestais, je n’avais vraiment aucune envie de le monter! J’ai même traîné des pieds pour l’essayer. Je le trouvais très mauvais sauteur, mais il était respectueux et courageux. Au fur et à mesure, j’ai appris à l’apprécier et il a commencé à obtenir de bons résultats en tant que deuxième cheval. Il a un caractère intéressant, et il est très intelligent. À partir de la retraite de Sapphire, il est devenu le numéro un de l’écurie, et a finalement dépassé toutes nos attentes. Je dois dire que ce cheval est l’une des plus belles fiertés de ma carrière. Il est presque facile de gagner plein de Grands Prix avec un crack, mais il est bien plus gratifiant de parvenir aux mêmes résultats avec un cheval qui n’a pas tous les moyens ou le talent du monde, mais avec lequel on a persévéré et travaillé dur. Alors que je n’avais jamais imaginé y participer avec lui, nos JEM de Normandie ont été superbes. Nous avons décroché le bronze par équipes, et terminé aux portes de la finale à quatre! Hélas, nous avons commis une malheureuse faute en demi-finale. J’étais vraiment déçu, d’autant qu’il aurait été intéressant de le voir évoluer avec trois autres cavaliers. Je dois dire que certains en avaient même peur ! Après l’épreuve, Jeroen Dubbeldam m’avait dit qu’il était très content de ne pas avoir à le monter. D’ailleurs, je trouve dommage que la finale tournante disparaisse du format des JEM, car elle était vraiment intéressante. Pour autant, le sport a tellement évolué et les chevaux coûtent maintenant plusieurs millions... Le risque est devenu trop grand, donc je comprends les réticences des propriétaires et sponsors.”

En août 2016 à Rio, McLain a disputé ses quatrièmes Jeux olympiques consécutifs. Associé à l’incroyable HH Azur Garden’s Horses, il a grandement contribué à la médaille d’argent collective des États-Unis avant de terminer neuvième de la finale individuelle:

“J’avais remarqué Azur à cinq ans et avait failli la laisser passer, la jugeant très verte et trop sauvage! Elle est délicate, à la fois respectueuse et courageuse, mais a aussi beaucoup de sang et une immense amplitude. Il me faut donc contrôler toute sa force pour l’équilibrer. Les Jeux olympiques de Rio ont été excellents, y compris au niveau des installations pour les chevaux. Nous avons décroché une belle médaille d’argent et j’ai signé un superbe double sans-faute dans la finale par équipes! Les Français ont été incroyables dans cette compétition, je ne vois pas d’autre mot! Ils ont vrai- ment mérité leur médaille. Il y a eu pas mal de surprises, et notamment beaucoup de disqualifications, ce qui est normal car le niveau d’exigence a évolué en termes de respect du bien-être des chevaux – nous sommes sous le feu des projecteurs. En individuel, j’ai commis une faute bête dans l’épreuve d’ouverture, puis une dans chaque manche de la finale. J’ai peut-être vécu mes derniers Jeux olympiques sous ce format avec des équipes de quatre couples. Je n’approuve pas le nouveau système voté par la FEI, mais il n’y a pas que des mauvaises choses et il faut désormais faire avec. Si nous voulons que notre sport reste olympique, il faut parfois accepter quelques évolutions. Je préfère voir notre sport changer de format plutôt qu’être remplacé ! Les cavaliers se placent souvent au centre des réflexions, mais il faut aussi penser aux télévisions, au marketing et aux spectateurs.”

Le 2 avril à Omaha, aux États-Unis, McLain Ward et HH Azur ont remporté la finale de la Coupe du monde Longines, sans concéder le moindre point de pénalité au terme de la compétition:

“Je me suis senti bien à Omaha! J’y ai vécu l’une des meilleures semaines de ma vie, et cette victoire est évidemment le plus beau titre individuel de mon palmarès. Nous avons bien préparé Azur pour ce rendez-vous, qui était notre objectif majeur cette année. Les chevaux ont toujours une marge de progression, mais elle a vraiment été parfaite à chaque parcours. En participant aux Jeux olympiques, je pense qu’elle a beaucoup gagné en maturité. À Rio, elle avait sauté l’épreuve par équipes de façon spectaculaire, et la finale individuelle de manière un peu moins brillante. Je sentais qu’elle n’était plus aussi fraîche que le premier jour. À Omaha, j’avais l’impression que rien ne pouvait la perturber. Je suis très fier de ce qu’elle a accompli, mais aussi de mon équipe à la maison, des propriétaires (Azur appartient aux écuries Double H Farm de Hunter Harrison, ndlr), et de la manière dont j’ai monté. Avec le recul, je me rends compte que j’ai failli gagner cette finale trois fois: à Leipzig en 2002, à Las Vegas en 2009, et à Genève en 2010! Je suis très heureux d’avoir remporté celle-ci sans concéder une seule faute. J’attendais ce moment depuis longtemps. Je pense qu’Azur a une longue carrière devant elle. À moi de tout faire pour la maintenir aussi longtemps que possible à ce niveau. Pour cela, je vais surtout me concentrer sur les grands championnats. Mon prochain objectif est le Grand Prix CSIO5* d’Aix-la-Chapelle, qui me tient vraiment à cœur. Ensuite, nous irons peut-être à Barcelone pour la finale mondiale de la Coupe des nations.”

D’une nature plutôt réservée sur les terrains de concours, entouré de sa famille, McLain Ward mène une vie paisible dans ses écuries situées non loin de New York:

“Ma vie est extraordinaire. Je peux tout partager avec ma famille, ce qui décuple mes émotions. Il y a deux ans, Lauren et moi avons donné naissance à Lilly, notre premier enfant. Cela n’a ni altéré ma motivation ni changé ma vision du sport, mais je le vis différemment. J’en profite encore plus. Quand les choses ne se passent pas comme prévu, ma famille m’aide à relativiser. Les moments passés à la maison sont essentiels à mon équilibre. C’est pourquoi je ne concours pas tous les week-ends. Quand j’ai le temps, je m’adonne aussi à des activités comme le golf, le base-ball – je suis un grand fan des Yankees! – et le tennis, qui m’aident à me relâcher. Je n’ai jamais été très sociable ou extravagant, ni fait la fête tous les week-ends. En revanche, je ne suis pas si introverti. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je suis comme un livre ouvert: chacun peut lire ce qu’il veut en moi. Simplement, je n’expose pas ma vie privée. Lorsque mon père a connu ses problèmes judiciaires, j’étais jeune et j’ai vécu une sorte de black-out. Ce moment a été très dur à vivre personnellement et professionnellement. Pour le dépasser, j’ai essayé de travailler pour devenir le meilleur possible. J’ai soutenu mon père comme je le pouvais, parce que c’était mon père et qu’il a fait des choses incroyables pour moi. Je lui dois beaucoup et j’ai gardé ce qu’il y avait de meilleur en lui. Au-delà de ses erreurs, c’était un homme entier et gentil qui aimait sincèrement les chevaux. À travers ma carrière, j’ai toujours essayé d’honorer ce qu’il m’avait appris et de montrer à quel point il était un vrai homme de cheval. Sincèrement, ma vie est exactement telle que je l’ai désirée.”

Cet article d’archive est paru dans GRANDPRIX Heroes n°99 en mai 2017