Ces héros qui ont marqué l’histoire (partie 2)

Au commencement émergea une idée simple, inspirée à Max Ammann par le ski alpin, qui avait réuni ses plus grandes compétitions, de Kitzbühel à Val-d’Isère, sous la bannière d’une Coupe du monde. Encouragé en 1976 par le Prince Philip, alors président de la FEI, le journaliste calqua ce beau concept pour donner corps à la saison hivernale, rythmée par de bruyants et colorés concours indoor. Deux ans plus tard, le rêve du Suisse devint réalité: la première Coupe du monde de saut d’obstacles se déploya sur seize étapes – dont Bordeaux, déjà! – et se conclut à Göteborg, qui en accueillit la finale. En trente-cinq éditions, cette compétition a suscité les convoitises de centaines et centaines de cavaliers et chevaux à travers le monde, au fil du développement des ligues de qualification. Seuls vingt-quatre heureux élus ont eu l’honneur de soulever le précieux trophée depuis 1979. D’Hugo Simon à Meredith Michaels-Beerbaum, en passant par Conrad Homfeld, Mario Deslauriers, Ian Millar, John Whitaker, Rodrigo Pessoa et Markus Fuchs, replongez-vous dans l’histoire de cette belle et noble compétition. 



La première partie a été publiée hier.

John Whitaker et Milton, stars hollywoodiennes!

Impossible d’occulter John Whitaker de l’histoire de la Coupe du monde. Authentique génie de l’équitation, doté d’un ressenti quasi instinctif forgé dans les collines du nord de l’Angleterre, le Britannique a longtemps été un des acteurs majeurs des grands concours hivernaux et l’un des plus inamovibles finalistes, ne manquant à l’appel que trois fois entre 1979 et 2000 (1980, 1981 et 1992). Dix-neuf finales, juste trois de moins que son frère Michael; six podiums, un record codétenu avec Rodrigo Pessoa; et deux grandes et belles victoires, avec le mythique Milton! John Whitaker a fait chavirer tous les publics de la planète, en été comme en hiver, sur les grandes prairies comme sur les pistes les plus étriquées de la Coupe du monde.

Après quatre tentatives avec Ryan’s Son, troisième en 1982, une avec Hopscotch et une avec Clonee Temple,J ohn lance Milton dans le grand bain à Paris, en 1987. Après cette finale de découverte, le majestueux gris progresse d’année en année, terminant huitième en 1988, puis deuxième en 1989. Son tour arrive enfin en 1990, dans un fameux duel avec Jappeloup. 

L’année suivante à Göteborg, John Whitaker et Milton deviennent le deuxième couple à conserver son titre. Partant en quatrième dans la Chasse, ils n’ont guère l’opportunité de jauger le parcours. Ne pouvant prendre tous les risques, ils terminent tout de même troisièmes derrière les Allemands Otto Becker sur Pamina (Westph, Polydor x Fruhwein) et Franke Sloothaak sur Walzerkonig (Han,Watzmann x Absatz). Aucun des treize meilleurs chasseurs ne signe de sans-faute dans l’exercice suivant, remporté au barrage par Nelson Pessoa sur Special Envoy, devant Ian Millar sur Czar, et Roger-Yves Bost sur Norton de Rhuys (Duc de Ferce x Roi delaVesquerie). Milton, adulé comme une star hollywoodienne, renverse une brique du mur, et aborde le dernier rendez-vous en troisième position, ex-æquo avec Bosty, derrière Becker et Neco. Ces quatre-là se tiennent en un point et demi! Dans l’ultime rendez-vous, Pamina faute une fois dans chaque manche, privant Becker de podium. Norton, lui, ne renverse que la sortie du triple, tandis que Special Envoy et Milton déjouent tous les pièges de Roland Nilsson, Nelson Pessoa tenant la corde pour un demi-point. Dans le money-time, Roger Yves Bost est sans faute, tout comme John, qui effleure à peine le double. Neco, doyen de cette finale, en a l’issue entre les rênes. Hélas pour lui, Special Envoy échoue dans le double, ce qui offre un doublé à l’aîné des Whitaker.

Blessé en 1992, le fils de Marius ne peut défendre ses chances à Del Mar. En 1993, il portera une dernière fois John à la deuxième place en partageant les efforts avec Grannusch, derrière Ludger Beerbaum et Ratina Z, une autre légende. Ensuite, le génie anglais traversera la décennie avec Grannusch et Welham, alternativement ou ensemble, et disputera en 2000 ce qui reste sa dernière finale, associé à Steps Helsinki (Trak, Forpost x Chromogenas).

Comme Hugo Simon, John Whitaker reste compétitif à haut niveau, même si ses grands exploits se sont quelque peu raréfiés depuis la retraite de Peppermill, médaillé de bronze des championnats d’Europe 2007 et 2011. Pas question pour autant de songer à la retraite. “Premièrement, j’aime toujours ça. Deuxièmement, je ne sais rien faire d’autre! Tant que je suis encore capable de gagner et de battre la jeune génération, je continue”, s’est-il confié au magazine GRANDPRIX en décembre 2013. John a signé sa dernière apparition en Coupe du monde lors du CSI5*-W de Londres en 2018, avec JB’s Hot Stuff (AES, Locamo 62 x Cavalier Royale).é

Rodrigo et Baloubet, les as des as

Bien qu’il ait grandi et appris l’équitation en Europe, et qu’il ait avoué son admiration sans borne pour Ludger Beerbaum, Rodrigo Pessoa a apporté un vent de fraîcheur et un parfum exotique dans une discipline se résumant souvent à un match entre Europe et Amérique du Nord. Personne n’oubliera jamais son génie de père, Neco, mais comme celui-ci, deuxième des finales 1984 et 1991, n’a jamais remporté de grand titre, il revenait à Rodrigo d’imprimer son patronyme sur les plus beaux trophées des sports équestres. Tout aussi génial, et plus décisif dans les moments-clés, le fils du maître va commencer par le circuit Coupe du monde. Après une découverte, en 1993 avec Special Envoy, et une douloureuse défaite, en 1996 avec Tomboy, le Brésilien va enchaîner trois victoires et trois podiums, de 1998 à 2003! Formé patiemment par Neco, Baloubet du Rouet (Galoubet A x Starter), véritable as des as, va même enchaîner huit finales – un record!

Deux ans après la médaille de bronze historique des Auriverdes aux Jeux olympiques d’Atlanta, Rodrigo débarque à Helsinki avec Baloubet, un alezan de huit ans, dont la notoriété n’a pas encore dépassé le cercle des spécialistes. Même Neco n’avait pas envisagé qu’il participe à cette finale. “Nous l’avons lancé sur le circuit pour qu’il prenne de l’expérience, mais à Paris, Bois-le-Duc et Göteborg, il nous a montré qu’il était prêt.” Face à la fougue, l’expérience de John Whitaker et Grannusch, dix-neuf ans! Ces derniers signent d’ailleurs une Chasse parfaite, tenant en respect Rodrigo, et l’Allemand Lars Nieberg sur Esprit FRH.

Grannusch tient le choc par la suite, se qualifiant pour le barrage du Grand Prix. À ce stade, René Tebbel et Radiator établissent un super chrono de référence auquel ne s’attaquent ni Nieberg, ni Pessoa. Whitaker, lui, ne laisse pas passer l’occasion de s’imposer, de plus de deux secondes qui plus est! Le niveau s’élève le dernier jour, et John voit Grannusch fauter deux fois dans la première manche, puis trois fois dans la seconde. “C’est le parcours indoor le plus haut que j’ai eu à sauter”, dira le Britannique. Terrible. Baloubet faute une fois au premier tour, laissant Nieberg virer en tête, mais malgré son inexpérience, le Selle Français trouve en lui les ressources pour se reprendre et signer un sans-faute, plaçant Lars dans la même position qu’en 1995 avec For Pleasure. Hélas pour ce dernier, la sortie du triple s’effondre au passage d’Esprit. Rodrigo peut lever les bras au ciel, tandis que la troisième place récompense son modèle Ludger Beerbaum, avec Priamos.

En 1999, Rodrigo conservera son titre dans le temple de Göteborg, aux dépens de Trevor Coyle, le premier Irlandais à se hisser sur le podium, avec Cruising, ainsi que René Tebbel sur Radiator. En 2000, le Brésilien inaugurera la belle série des finales de Las Vegas en s’imposant devant deux Suisses, Markus Fuchs sur Tinka’s Boy (KWPN, Zuidpool x Zeus) et Beat Mändli sur Pozitano (Westph, Polydor x Waidmannsdan), devenant le deuxième triple vainqueur et le seul à enchaîner trois succès. Il faudra attendre 2001 pour voir le grand Baloubet du Rouet s’incliner devant Tinka’s Boy, en Suède. Le Brésilien et son alezan, deuxièmes devant Michael Whitaker et Handel II (AES, Wolfgang x Ulft), seront encore troisièmes à Leipzig en 2002 derrière les Allemands Otto Becker et Ludger Beerbaum, sur Cento (Holst, Capitol I x Caletto) et Gladdys S (Westph, Grandeur x Apart). Si 2004, année de la médaille d’or olympique de Rodrigo et Baloubet, marque un échec cuisant pour le couple à Milan, où Bruno Broucqsault et Dilème de Cèphe déjouent tous les pronostics, ses deux autres dernières finales, en 2003 et 2005 à Las Vegas, se soldent par une deuxième place – derrière la révélation Marcus Ehning – et enfin une cinquième place. En huit finales, Baloubet a laissé une marque indélébile sur une compétition entrée à jamais dans le cœur du public.

Rodrigo Pessoa, finaliste à Las Vegas en 2007 avec Oasis en 2009 avec Rufus, pour une cinquième place à clé, a également tenté sa chance avec Let’s Fly, en 2010 à Genève.

 




Markus Fuchs, la persévérance suisse

Après les Autrichiens, Américains, Canadiens, Britanniques, Allemands, Néerlandais et Brésiliens, les Suisses vont s’offrir l’honneur d’inscrire le nom d’un des leurs au palmarès de la Coupe du monde. Pour y parvenir, ils doivent attendre la vingt-troisième finale et l’avènement de Markus Fuchs et Tinka’s Boy, en 2001 à Göteborg. À quarante-cinq ans, le Suisse allemand et son fils de Zuidpool ont, pour ce faire, dû terrasser les triples tenants du titre, Rodrigo Pessoa et Baloubet du Rouet, au terme d’un barrage d’anthologie.

Markus n’en était pas à son coup d’essai. En 1992 déjà, il avait terminé troisième de la finale de Del Mar, en Californie, en selle sur Shandor, son triple médaillé de bronze par équipes des championnats d’Europe de Saint-Gall, en 1987, Rotterdam, en 1989, et La Baule, en 1991. Profitant de l’expérience de son cheval, il domine la Chasse, au nez et à la barbe de Thomas Frühmann et Genius, les futurs vainqueurs, et de Franke Sloothaak et Walzerkonig. Ludger Beerbaum, victime le premier jour d’une mémorable mésaventure de chronomètre lancé avant qu’il ne prenne le départ et qu’il ne s’en rende compte – erreur réparée pour lui et pour la Britannique Tina Cassan, un temps disqualifiée, au terme d’interminables tractations nocturnes – remporte la deuxième épreuve avec Rush On (Westph, Report I x Rivale), la doublure de Ratina Z, devant Thomas, le frère de Markus, associé à Dylano (Westph, Debuetant x Douglas). Frühmann aborde la dernière journée en tête devant Markus et Thomas. En réussissant un double sans-faute, l’Autrichien, qui avait récupéré Genius un an plustôt chez l’Allemand Dirk Hafemeister, s’offre son premier et seul grand titre international, sans avoir renversé la moindre barre. Doubles sans-faute également, Éric Navet et Roger-Yves Bost n’ont pu se hisser sur le podium, complété par deux Suisses, l’ex-Britannique Lesley McNaught-Mändli associée à Pirol, et Markus, suivi de Thomas.

Markus dispute sa deuxième finale en 1999 à Göteborg, avec Tinka’s Boy, qui prend goût à cet événement, à en juger par sa deuxième place l’année suivante, à l’apogée du règne de Rodrigo et Baloubet. En 2001, le couple sera donc assez fort pour briser le rêve du quadruplé du Brésilien. Enchaînant finales de Coupe du monde et grands championnats sans discontinuer de 1999 à 2004, ils termineront cinquièmes à Las Vegas en 2003, puis troisième à Milan en 2004, année marquée par l’émergence d’un autre couple de légende: Meredith Michaels-Beerbaum et Shutterfly. 

Meredith Michaels-Beerbaum et l’extraterrestre Shutterfly

Ensemble, Meredith Michaels-Beerbaum et Shutterfly (Han, Silvio I x Forrest) ont pris part à sept finales de Coupe du monde, juste une de moins que Rodrigo Pessoa et Baloubet du Rouet, même si le crack n’a couru que la Chasse lors de sa dernière apparition, en 2011 à Leipzig. L’Allemande, Californienne d’origine, avait découvert cette compétition en 1998 avec Stella, une fille de Quick Star, étalon qu’elle avait également eu l’opportunité de monter dans sa jeunesse. Avec Shutterfly, un hongre léger, habile, rapide et puissant, l’épouse de Markus, et belle-sœur de Ludger Beerbaum, va tout gagner ou presque. Après avoir pris part à leur première finale de Coupe de monde, en 2003 à Las Vegas, avec une huitième place à la clé, le couple n’est battu que par Bruno Broucqsault et Dilème de Cèphe, en 2004 à Milan.

L’édition 2005, la troisième ayant pour cadre la cité débauchée du Nevada, sera la bonne. Celle qui a été, quelques mois plus tôt, la première femme à accéder au rang de numéro un mondial, sera la quatrième représentante de la gent féminine à soulever le trophée, après les Américaines Melanie Smith (en 1982 sur Calypso), Leslie Burr Lenehan (en 1986 sur McLain), et Katharine Burdsall (en 1987 sur The Natural). Sur la mini-petite piste de la Thomas & Mark Arena (61m x 38m!), c’est un Belge, Ludo Philippaerts, qui s’installe en tête le premier soir en se montrant le plus rapide avec Parco (BWP, Darco x Attack), devant l’Allemand Marcus Ehning sur Gitania. Meredith et Shutterfly pointent en sixième position. Le lendemain, le couple s’empare du Grand Prix, saluant un parcours magnifique, une impression partagée par le Suisse Steve Guerdat, deuxième sur Pialotta (Westph, Pilot x Akitos), jument formée par le Suédois Rolf-Göran Bengtsson, et récupérée l’année suivante par Edwina Alexander. Sans-faute au premier tour, Hubert Bourdy cède au barrage avec Ève des Étisses (Quidam de Revel x Pot d’Or). Le dimanche, bien que l’Allemande tienne la tête, ses compatriotes Alois Pollmann-Schweckhorst, Lars Nieberg, Marcus Ehning et les deux frères Beerbaum, ainsi que Ludo Philippaerts, Rodrigo Pessoa, Nick Skelton, Michael Whitaker et Kim Frey ont encore une carte à jouer. Les pénalités pleuvent. Meredith commet sa seule faute du week-end dans le triple de la première manche, tandis que Whitaker et Pessoa ne touchent pas une barre avec Portofino (KWPN, Habsburg x Orthos) et Baloubet, le premier étant juste pénalisé d’un point de temps dépassé. La seconde manche est d’abord marquée par le sans-faute de Philippe Léoni et Cyrenaika FRH (Han, Cheenook x Lanthan). Dans le money-time, Michael Whitaker assure à nouveau, se laissant juste piéger par le chronomètre. Marcus Ehning s’en sort miraculeusement, de même que Lars Nieberg, alors que Rodrigo descend du podium pour une faute sur une palanque. Ne bénéficiant que de trois points de marge sur Whitaker, Meredith et Shutterfly volent et n’en concèdent aucun, ce qui leur offre une victoire amplement méritée.

Cinquième de la finale 2006 à Kuala Lumpur avec Checkmate, Meredith vivra une désillusion inimaginable en 2007, pour son come-back à Vegas, en tombant à la réception d’un oxer sur bidet, une image vue des centaines de milliers de fois sur internet. Le couple se reprendra l’année suivante à Göteborg en s’imposant dans la trentième finale de l’histoire, une des plus réussies. Cinquième de la Chasse, elle concède un point de temps dans le Grand Prix avant de remporter l’ultime épreuve au mérite d’un sublime double sans-faute, partageant le podium final avec le Californien Rich Fellers, associé à Flexible, et son compatriote Heinrich-Hermann Engemann, avec Aboyeur W. L’année suivante, Meredith prendra sa revanche sur le destin en s’imposant une seconde fois dans le désert du Nevada, remportant de surcroît les trois épreuves, une performance ahurissante compte tenu de la concurrence. Le dimanche, dédiant sa victoire à son père, disparu trois mois plus tôt, elle éclatera littéralement en sanglots avant de revêtir un beau chapeau de cow-boy pour la remise des prix. L’Américain McLain Ward et le Néerlandais Albert Zoer, ne renversant pas la moindre barre sur Sapphire et Oki Doki, n’auront droit qu’aux accessits. Avec trois victoires, Meredith Michaels-Beerbaum a égalé Hugo Simon et Rodrigo Pessoa, avant d’être rejointe à ce stade l’année suivante par Marcus Ehning.

Cet article d’archive est paru dans GRANDPRIX International n°81