Embrun de Réno, le pari sur l’avenir de Karim Laghouag
Élégant noir pangaré à la puissante locomotion, Embrun de Réno avait remporté avec brio le championnat de France des chevaux de cinq ans l’an dernier à Pompadour, sous la selle de Karim Laghouag, son copropriétaire. Cheval d’avenir, Embrun est pressenti pour prendre la relève du piquet de haut niveau de son cavalier et tenter de lui offrir, comme Entebbe de Hus à Rio en 2016, une médaille d’or olympique par équipes, mais cette fois-ci à Paris en 2024! En attendant, on le suivra ce week-end à la Grande Semaine de l’élevage de chevaux de concours complet. Portrait.
Né d’un père issu de Jazz et d’une mère par Gribaldi, des deux meilleurs étalons de ces vingt dernières années aux Pays-Bas, Embrun de Réno (OC, Eliott MC x Tamaris des Étangs) était a priori destiné à une belle carrière en dressage. Son éleveuse, Catherine Sabot, souhaitait ainsi un étalon chic pour sa jument proche du sang et au caractère affirmé, Haramis d’Enfer (Tamaris des Etangs x Espoir d’Escla), issue d’une souche testée essentiellement en endurance, mais ayant évolué en saut d’obstacles sous la selle de son naisseur, Stéphane Bourras. Pour son second poulain, elle a donc choisi Elliot MC, un bon espoir de dressage, sacré champion de France à trois ans. Malgré sa non-approbation au Studbook Selle Français en raison d’une méforme le jour de sa présentation, Catherine Sabot a persisté dans son choix. “Je voulais faire naître un cheval plutôt orienté dressage malgré les origines orientées saut d'obstacles de ma jument”, explique-t-elle. “Embrun est né tout seul, au box, avec une semaine d’avance. C’était un poulain très indépendant et très débrouillard. Il a toutefois montré un sacré caractère dès son plus jeune âge et il a donc fallu que je sois très présente durant son éducation. Une fois la relation de confiance établie, il s’est prêté au jeu. Il me suivait partout dans l pré! À trois ans, je l’ai envoyé au débourrage chez une cavalière, mais cela ne s’est pas bien passé, alors je l’ai récupéré. Après quelques mois au pré pour le remettre en forme, je lui ai cherché une nouvelle maison. Une amie m’a conseillé l’écurie de Marine Faust, qui avait déjà beaucoup d’expérience avec des chevaux de dressage, mais aussi de complet. J’ai beaucoup vanté le cheval en arrivant car j’ai toujours cru en lui malgré son caractère. Je lui ai dit qu’il fallait s’accrocher”, se souvient-elle.
Après plusieurs années en Allemagne et près de sept ans passés auprès de Karim Laghouag pour assurer le travail de ses chevaux sur le plat, Marine Faust a donc accueilli le cheval chez elle, dans le Perche. Les débuts ont été difficiles mais Marine ne s’est pas avouée vaicue. “La première fois que je suis montée dessus, il s’est cabré et je me suis demandé s’il était débourré”, raconte la cavalière. “Le cheval n’avait pas fini sa croissance et il avait un caractère bien trempé, mais j’ai tout de suite senti qu’il avait ce petit quelque chose qu’ont les grands chevaux d’avenir. Peu à peu, il a accepté de travailler, et une fois qu’il a commencé les concours, il s’est très bien comporté et s’est montré très démonstratif. Il a toujours eu une très bonne locomotion et un équilibre hors du commun. Il apprend très vite mais comme tout bon cheval il requiert beaucoup de constance et de rigueur dans le travail”. En concours, ses allures, son look et son équilibre lui ont permis d’obtenir des moyennes dépassant les 75%. Après le premier concours au haras de Jardy, en avril, l’année de ses quatre ans, il a toutefois connu une période de fatigue. Il a alors passé un peu de temps au pré avant de revenir dans une plus belle forme encore et a naturellement pris la direction de la finale du Cycle libre de la Société hippique française, à Saumur, où il a terminé troisième avec une note de 75,8%. “C’était une émotion hors du commun”, se rappelle Catherine Sabot.
À l'issue de cette finale, Marine Faust a contacté Karim Laghouag et Jean-Luc Force pour leur parler du cheval. “Je lui avais déjà fait sauter des obstacles de cross et de concours hippique car cela fait du bien aux jeunes chevaux de voir plusieurs disciplines. Le cross lui avait beaucoup plu! Lors de la finale de Saumur, j’ai parlé du cheval avec Thaïs Meheust et sa maman, qui m’avait contactée. Et après la finale, Karim a souhaité prendre le cheval à l’essai”, raconte-t-elle. Le cavalier acquiert donc Embrun durant l’hiver, en co-propriété avec Camille Lafitte et son coach sportif Guy Bessat. “Les premières fois que je l’ai monté, j’ai eu besoin d’un moment d’adaptation. Au départ, il ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait… Mais très rapidement, il m’a fait confiance et m’a montré qu’il était capable de tout”, se souvient Karim Laghouag, évoquant un cheval facile à vivre au quotidien, mais à ne pas mettre entre toutes les mains. “Embrun ne conviendrait pas forcément à tous les cavaliers parce qu’il a du tempérament et qu’il est très puissant. Il faut savoir composer avec sa force et sa volonté, et sa jeunesse se ressent encore par moments dans son comportement. Lorsqu’on parvient à l’avoir à l’écoute, il est fantastique.”
Le produit d’un savant mélange
Jazz, le grand père paternel d’Embrun, particulièrement apprécié en dressage pour sa locomotion et son chic, est également un excellent chef de race et père de plusieurs étalons approuvés, dont le très expressif Don Juan de Hus (KWPN, Jazz x Krack C), partenaire de Jessica Michel-Botton aux championnats du monde Jeunes Chevaux de Verden en 2013. Parmi les produits de Jazz, on compte également Parzival (KWPN, Jazz x Ulft), gagnant de la Coupe du monde de dressage à Leipzig en 2011 et à Bois-le-Duc en 2012 et multi médaillé en championnats avec la Néerlandaise Adelinde Cornelissen. Du côté de sa mère, Embrun bénéficie du sang de Tamaris des Étangs (SF, Dynamique x Pre Catelan II, Ps), lui-même issu d’une lignée maternelle de Pur-Sang. Par cette alliance, le hongre a hérité du cadre et de la locomotion transmis par son père et du sang de la souche maternelle, faisant de lui un atout redoutable pour le concours complet. “S’il y avait des élevages spécialisés dans les chevaux de concours complet, on chercherait à y produire ce type de chevaux”, s’amuse son cavalier. “Il a tout pour lui. Il a beaucoup d’allure et est très élancé. Il est parfait pour notre discipline car ses aptitudes naturelles lui permettent de se positionner dès le départ dans le test de dressage. Au cross, il est assez franc, galope vite et il est malin! Il est également très respectueux à l’obstacle. Je ne sais pas s’il conviendrait pour du dressage ou du saut d’obstacles à haut niveau, mais son physique est on ne peut plus adapté à notre discipline.”
Ses qualités, Embrun les a immédiatement fait valoir sous la selle de son partenaire. Pour sa première année, le couple a réussi une brillante saison sur le Cycle classique des chevaux de cinq ans, ponctuée par une première place lors de la finale de Pompadour après s’être classé dans presque toutes les épreuves auxquelles il a participé. Lorsqu’on l’interroge sur cette régularité, Karim Laghouag affirme: “Le fait est que le cheval ne s’est jamais arrêté. Il fait de temps en temps une petite barre, mais qui n’en fait pas? Parfois il est deuxième, troisième ou cinquième, mais il est toujours classé, parce qu’au dressage, il met tous les membres du jury d’accord! Il a vraiment une très belle locomotion et sur le rectangle, chaque allure est notée à huit ou neuf.”
Ayant entamé l’année 2020 dans un contexte particulier imposé par la crise sanitaire, le jeune cheval a bel et bien consolidé l’espoir que son cavalier fonde en lui. “Aujourd’hui, il y a lui et les autres”, affirme-t-il. Toutefois, il nuance: “On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Certains chevaux ont tous les atouts, mais ne franchissent jamais le cap, tandis que d’autres n’ont pas forcément les meilleures prédispositions —comme Punch de l’Esques, par exemple— et finissent par devenir des cracks par leur volonté et leur résistance. Il est difficile de mesurer cela chez un cheval. Sa volonté va-t-elle demeurer intacte? Son physique va-t-il tenir? En principe, oui. Sur le papier, c’est un cheval exceptionnel. Il est grand, fin, doté de très bonnes proportions et d’excellents aplombs, ce qui fait qu’il a très peu de risques de se blesser. Ce n’est pas non plus un cheval compliqué, qui nécessite de le détendre énormément, donc on l’économise facilement. Tous ces éléments, mis bout à bout, font de lui un réel cheval d’avenir. Disons que le pourcentage de chances de réussite avec lui est très élevé.”
Paris en ligne de mire
Pour Karim Laghouag, l’objectif est clair: conserver Embrun au sein de son écurie afin que celui-ci lui permette peut-être de décrocher une médaille aux Jeux olympiques de Paris en 2024. Le cheval aura alors dix ans, l’âge idéal, selon lui. “Embrun ne cesse de progresser. Comme c’est un très grand cheval (1,71m, ndlr), il est un peu plus tardif que d’autres, qui auraient fini leur croissance plus tôt. Lui n’a pas encore tout à fait terminé de se développer, ce qui explique aussi qu’il aille très peu en concours pour le moment”, explique-t-il. “S’il court très facilement la finale de Pompadour cette année, nous l'emmèneront au Lion-d’Angers. Il est très utile d’emmener un jeune cheval voir ce type de terrain, mais je reste assez philosophe dans l’établissement de son programme. S’il y va, c’est super, mais avant tout, nous préparons l’avenir. Quoi qu’il en soit, il gravit les échelons de la manière la plus ludique possible en prenant du plaisir. J’essaye de faire en sorte que les concours lui semblent faciles et abordables. Il entrera dans ses retranchements physiques à partir de huit ans, âge auquel ses performances commenceront à devenir plus significatives.”, poursuit t-il.
Pour atteindre son objectif, le cavalier, déjà sacré champion olympique par équipes à Rio en 2016, associé au regretté Entebbe de Hus, compte sur le travail effectué avec Embrun depuis le début. “Le gros avantage avec lui est que j’aurais contribué à toutes les étapes de son apprentissage. Je lui ai fait sauter ses premiers obstacles et courir ses premiers cross. J’ai pu tout lui apprendre et c’est un facteur très important pour moi car les meilleures performances que j’ai réalisées par le passé ont toutes été signées avec des chevaux qui m’accompagnaient depuis très longtemps. Je pense notamment à Histoire de Triballe, Punch de l’Esques ou Entebbe de Hus. Je suis très heureux de pouvoir à nouveau faire un cheval à ma main”, confie-t-il. “En équitation, il faut être deux. Lorsqu’on se trompe avec un cheval qui nous connaît peu, il n’est pas toujours en mesure de nous corriger, et inversement. Mais lorsque le couple se connaît par cœur, l’un peut pallier les défauts de l’autre et c’est ce que je recherche avec Embrun”.