“Après Rotterdam, beaucoup de gens m’ont tourné le dos et ont été désagréables avec moi”, Charlotte Chalvignac-Vesin

Cavalière française de dressage, Charlotte Chalvignac-Vesin est arrivée en haut de l’affiche aux rênes de l’alezan Lights of Londonderry. Récente lauréate du Grand National de Cluny avec l’expérimenté hongre, quelques semaines après s’être adjugée le bronze aux championnats de France Pro Élite, la jeune femme a quitté la Haute-Savoie en juin pour s’installer en Mayenne, à quarante-cinq minutes du Mans. Un véritable choix stratégique pour cette compétitrice, qui évoque l’avenir de son fils de Londonderry ainsi que les différents chevaux qui constituent la relève au sein de ses écuries. Elle revient également sur son élimination l’année dernière lors des Européens Longines de Rotterdam et ses objectifs sportifs. Entretien.



Lors du Grand National de Cluny le week-end dernier, vous avez remporté avec Lights of Londonderry le Grand Prix avec 71,739%, devant les piliers français Morgan Barbançon et Sir Donnehall II. Comment avez-vous vécu ce succès?

Morgan est une très bonne cavalière, il y a forcément un sentiment de fierté de gagner face à elle. Lights commence à être en pré-retraite depuis le début de l’année. Il travaille moins, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est beaucoup plus en forme et a un très bon moral. Pendant la détente, il était bien et quand je suis arrivée autour de la carrière du Grand Prix, c’était impressionnant. J’ai trouvé qu’il y avait du monde et que le concours avait attiré beaucoup de public. Lights était tout content de voir ce monde! Quand nous sommes rentrés sur la ligne du milieu et qu’il a accéléré, j’ai senti qu’il avait envie de gagner. Il m’a tout donné. Nous avons exécuté nos meilleurs appuyers de l’année, qui ne sont pas notre point fort. Je suis vraiment très contente de lui.

Comment se dessine la suite pour lui? 

Toute cette année, il n’y a pas eu d’objectifs avec lui. C’est lui qui nous dit ce qu’il a envie de faire et s’il continuera à concourir cette année ainsi que la saison prochaine ou pas. Il va au pré tous les jours. Je me suis aperçue que lorsque je ne le montais pas, il était devant la porte au bout d’une semaine, presque triste. Je le remonte alors puis il retourne à nouveau au fond de son pré. Il a quand même besoin de continuer à être monté de temps en temps et que l’on s’occupe de lui. Dans l’absolu, j’aurais aimé terminer avec lui par la finale du Grand National à Lyon. Je pense aussi à l’international du Mans. Aujourd’hui, nous sommes plus à l’écoute de son moral que de son physique, car physiquement il va très bien. Au moment où je vous parle, il est au fond du pré, me regarde et il n’a pas forcément envie d’être monté, mais peut-être que demain cela sera le contraire! (Rires) 

Lights of Londonderry est un cheval expérimenté que vous montez depuis mars 2019. Sur quoi axez-vous votre travail? 

Il n’y a pas du tout d’axe de travail. Quand il a envie d’être monté, je fais une détente et parfois je vais galoper dans les champs, afin qu’il sorte de son pré. Je ne le travaille pas du tout. Avant de l’engager sur un concours, j’effectue une fois les pirouettes, les changements de pied au temps, un peu de passage-piaffé. De toute manière, il sait tout faire, alors je pourrais même ne rien faire du tout et aller concourir! Il n’a pas besoin de répéter. Par exemple, la semaine dernière, je l’ai monté à la maison le mercredi puis nous avons fait le transport jusqu’à Cluny. Le jeudi, j’ai marché et galopé un peu, puis planifié une détente le lendemain, avant qu’il ne déroule son Grand Prix le samedi. Ce que je trouve difficile, c’est qu’en tant que cavalier nous voulons nous rassurer en déroulant, mais avec un cheval de cet âge-là, nous n’avons pas ce besoin. S’il a envie de le donner et qu’il sait le faire, il le fera de toute façon.

S’il est en forme, envisagez-vous de faire le voyage jusqu’à Tokyo pour les Jeux olympiques, qui ont été reportés à l’été prochain?

Non, pas du tout. Il m’a déjà énormément donné. Aujourd’hui c’est un plus et un vrai bonheur de concourir. Il aura dix-sept ans, il est donc exclu qu’il fasse dix mille kilomètres en avion. Il ne mérite pas non plus que je lui impose de nombreux déplacements pour participer aux concours de sélection. En plus, il va faire très chaud et lourd à Tokyo. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout un objectif et ça ne le sera pas avec Lights.


Avec 71,739% dans le Grand Prix, Charlotte Chalvignac-Vesin et Lights of Londonderry se sont imposés à Cluny lors de l'étape du Grand National. Crédit: PSV Morel

 

 

 



“Je savais que je ne pouvais pas rééditer mon titre de championne de France”

Quels sont ses qualités et ses défauts?

Son vrai défaut est également une qualité. Il s’agit de son caractère, qui est très affirmé! Il est à la fois dominant et généreux. Si l’on parle de qualités sportives, ce sont les mouvements rassemblés, comme le passage-piaffé. Maintenant, nous obtenons beaucoup de points. À Cluny, nous avons récolté un neuf pour un piaffer, huit dans les pirouettes, qui sont des mouvements coefficient deux. Mais Lights reste très particulier dans son caractère.

Vous êtes passée par toutes les émotions avec lui en championnats, puisque vous êtes championne de France Pro Élite l’an dernier, puis éliminée lors du Grand Prix aux championnats d’Europe Longines de Rotterdam quelques semaines plus tard, Lights of Londonderry s’étant malencontreusement donné un coup…

Quand j’ai eu ce problème-là, beaucoup de gens m’ont tourné le dos et ont été désagréables avec moi. Cela aurait pu arriver aux championnats de France, ou n’importe où. C’était de la malchance et cela m’a fait murir. J’ai été propulsée assez rapidement sur le devant de la scène grâce à Lights, même si j’avais eu d’autres chevaux de Grand Prix avant. Je me suis aperçue que c’est un monde de requins. Lorsqu’on est performant, tout le monde est sympa, mais cela peut vite changer quand un problème arrive. J’ai reçu des messages déplaisants sur les réseaux sociaux, disant que le cheval avait une tendinite et que cela se voyait à l’avance. Or, il était en forme puisqu’il avait été sélectionné. De plus, si je me suis élancée sur le Grand Prix c’est que tout allait bien. Si nous avions eu le moindre soupçon, nous n’aurions pas pris le départ de l’épreuve. La carrière de détente et celle des dix minutes sont surveillées par des stewards, et s’ils voient un cheval qui n’est pas droit, ils ne le laissent pas concourir. Lights a retravaillé trois semaines après. Deux mois après, il a gagné à Saint-Lô avec plus de 71%. Il fait partie, je pense, des meilleurs chevaux de France en termes de résultats… Cela m’a permis de débuter ma carrière professionnelle avec beaucoup plus de recul. C’était un mal pour un bien. Aujourd’hui, cet épisode ne change rien à ma vie hormis que je sais sur qui je peux compter ou non.

Vous êtes retournée cette année à Vierzon pour les championnats de France, d’où vous repartez avec le bronze. Comment analysez-vous cette performance?

Cette année, nous sommes encore sur le podium, à la troisième place, donc c’est vraiment bien. Je savais que je ne pouvais pas rééditer notre titre, car Anne-Sophie Serre et Actuelle de Massa étaient notamment présentes. Elles ont fait une saison formidable, ont le vent en poupe et des ambitions sportives, alors que nous étions plus là pour nous faire plaisir. Dorénavant, je ne participe habituellement qu’au Grand Prix en concours. À Vierzon, il a dû réaliser le Grand Prix Spécial en plus. Il a fait un très bon Grand Prix, mais il était fatigué pour la seconde épreuve. C’est là que je me suis aperçue qu’il était vraiment en pré-retraite, qu’il avait envie de me donner énormément mais qu’il ne pouvait pas tout le temps. L’année dernière au contraire, nous étions en pleine forme et en pleine ascension.

Lights of Londonderry a été débuté par Jean Vesin, votre mari, entre ses quatre et sept ans. L’aviez-vous monté à ce moment? 

Effectivement, et il avait déjà beaucoup de caractère! (Rires) Il était encore entier, très énergique et pas facile du tout. À ce moment, j’avais un cheval qui s’appelait Zilverster, qui a le même âge que Lights, qui concourrait lui avec Jean. Nous nous challengions énormément quand nous participions aux épreuves des sept ans ensemble! Un coup il gagnait, puis la fois d’après c’était moi. Lights avait déjà quelque chose en plus, même si je ne pourrai pas dire quoi exactement. Il donnait cet avant-goût qu’il pouvait être un cheval de haut niveau.



“Comme tous les athlètes, j’ai Paris 2024 dans un coin de ma tête”

Lights of Londonderry a maintenant seize ans, avez-vous un cheval qui incarne la relève dans vos écuries? 

J’ai deux chevaux qui participent déjà aux Grands Prix, Élegante Plus et Elice. Ce sont deux lusitaniens de onze ans, qui appartiennent à mes associés, Olivier et Marie Arnal – que je remercie d’ailleurs –, un investisseur monégasque et nous. Il n’est pas sûr qu’ils restent dans mes écuries l’année prochaine. J’ai également un bon huit ans, Hermès, qui a remporté la Pro 1 Préliminaire à Cluny, ainsi que deux épreuves au Mans. Aujourd’hui, c’est un cheval encore timide dans son caractère. Par exemple, le premier jour à Cluny, il a été très impressionné, ce qui n’a pas été le cas le lendemain, d’où sa victoire avec plus de 69%. Il ne déroulera peut-être pas le Grand Prix l’année prochaine, mais dans les prochaines années certainement, car il a un passage-piaffer, des appuyers, un trot et un galop grâce auxquels il obtient énormément de points. Il y a aussi Icario, un très grand Lusitanien de sept ans, qui connaît tous les mouvements du Grand Prix mais que je n’ai pas encore sorti en compétition. Il participera peut-être directement au championnat de France des Sept ans au Mans. Il a une qualité similaire à celle de Hermès, mais il est plus mature dans sa tête. Enfin, j’ai un second sept ans qui déroule également le Grand Prix, Irano Da Estribeira. Il est travaillé quasiment exclusivement par mon mari, et je concoure avec lui.

Travaillez-vous avec un entraîneur particulier?

Mon mari est mon entraîneur à la maison et en concours. Il fait également plein d’autres choses à côté et est indispensable à ma réussite. Je tiens à le remercier car il s’investit énormément pour que j’y arrive, et il se met même parfois en retrait pour cela. Sinon, je m’entraîne aussi beaucoup toute seule. Je travaille grâce aux miroirs et aux vidéos, que j’analyse quand cela se passe moins bien avec un cheval.

Aujourd’hui, quelles sont vos ambitions sportives? 

Bien sûr, j’ai envie de participer aux Jeux olympiques et à de grosses échéances. J’ai Paris 2024 dans un coin de ma tête, mais ce n’est pas une surprise, il en va de même avec tous les athlètes. Aujourd’hui, mon objectif sportif est d’avoir la meilleure équitation possible avec les meilleurs chevaux possibles.

Quel est votre meilleur souvenir avec Lights of Londonderry?

Si je ne devais en donner qu’un seul, cela serait le jour de son arrivée! (Rires) Le jour où je suis allée le chercher en Allemagne est aussi un beau souvenir, et je remercie sa propriétaire Bernadette Brune. Après, il y a eu beaucoup de bons moments, comme la Reprise Libre en Musique à Geesteren (en juin 2019, le couple a terminé cinquième du CDIO 3* avec 75,070%, ndlr) et puis forcément le titre de champion de France. C’était quand même sympa, même si j’ai mis beaucoup de temps à réaliser la performance que cela représente. Il m’a fallu au moins trois ou quatre mois, jusqu’à l’hiver! C’était vraiment une réaction à retardement.