“J’ai mis quatre mois à prendre la décision d’arrêter le métier de groom”, Maud Ligouzat

Maud Ligouzat, la bonne fée de Philippe Rozier, s'envole vers de nouvelles aventures. Après huit années passées aux côtés du cavalier de Bois-le-Roi, la jeune femme a décidé de donner une nouvelle direction à sa vie. Éminemment passionnée et dédiée à son sport, la trentenaire a souhaité prendre du recul sur l’exigeant métier de groom concours. Malgré tout, Maud ne pouvait quitter le monde des chevaux. Philippe Rozier lui laisse d’ailleurs les portes ouvertes pour venir rendre visite à ses anciens compagnons, et particulièrement à Rahotep de Toscane, avec qui elle a tissé une relation unique. Entretien.



Cristallo A*LM se repose ici tranquillement aux côtés de Maud Ligouzat, qui lui avait d’ailleurs rendu un bel hommage lors de son départ à la retraite.

Cristallo A*LM se repose ici tranquillement aux côtés de Maud Ligouzat, qui lui avait d’ailleurs rendu un bel hommage lors de son départ à la retraite.

© DR

Vous avez annoncé votre départ des écuries de Philippe Rozier mardi 14 septembre, dans un émouvant texte publié sur les réseaux sociaux.  Que retenez-vous de votre aventure à Bois-le-Roi ? 

Beaucoup de choses (rires). Huit ans, ce n’est pas rien. J’ai les ai passés avec une même personne que j’ai vue tous les jours ou presque. Je retiens la bonne entente et la complicité, développées vers le même objectif. 

Vous avez reçu beaucoup de soutien sur les réseaux sociaux en vingt-quatre heures. Que cela représente-t-il pour vous ?

Cela fait très plaisir, évidemment. C’est très touchant, déjà parce que j’ai des compliments sur mon travail, et puis aussi parce que mon passage dans ce milieu aura laissé de bons souvenirs. En tout cas, c’est ce que les gens me témoignent. C’est un peu ce que tout être humain cherche à faire : laisser sa trace, quelque part sur terre. Au moins, j’ai laissé une trace dans le cœur de beaucoup. Et le plus important, c’est qu’eux aussi ont laissé une trace dans le mien. Il est difficile de répondre aux gens qui envoient des messages. Mais on peut remercier l’engouement qu’il y a eu sur mon texte. Cela me touche beaucoup. J’aime écrire et le témoignage de mon entourage est une belle reconnaissance. J’ai reçu des compliments, mais je tiens à dire qu’il n’est pas compliqué de faire tout ce que je fais, comme je le fais. Mes parents m’ont toujours appris à donner le meilleur de moi-même, avec de l’amour. En fait, tout cela n’est pas compliqué : c’est mon éducation.

Parmi les moments forts de votre carrière, on pense forcément au sacre olympique de la France à Rio de Janeiro. Quel souvenir gardez-vous de ce moment particulier ? 

Cela a été assez violent, dans tous les sens du terme. Pour rappeler à ceux qui ont oublié, nous étions là-bas en tant que remplaçants. Donc j’étais venue, entre guillemets, pour passer vingt jours à Rio avec les copains.  Évidemment, en tant que cinquièmes de l’équipe, on aide les autres, on les soutient, on partage les tâches quand on peut. Mais là, en l’espace de soixante-douze heures, on réalise que l’on ne va pas être cinquièmes mais bien quatrièmes, que l’on va faire partie de l’équipe (à la suite de la blessure d’Hermès Ryan des Hayettes, le cheval de Simon Delestre, Philippe Rozier et Rahotep de Toscane avaient été propulsés dans le quatuor, ndlr). Et alors là, cela a été une tout autre histoire en termes de pression et d’enjeu. Ce n’étaient plus du tout des vacances ! Je dois avouer qu’à ce moment-là, le triangle cavalier-cheval-groom a été incroyable. Je me souviens de Philippe, prêt mentalement et physiquement. Le cheval était aussi prêt, et finalement, la seule qui n’était pas trop prête, c’était moi ! Je ne réalisais pas trop ce qui se passait. J’en ai parlé avec Philippe, et il m’a dit “maintenant, faut y aller. Il faut qu’on soit prêt, et toi aussi”. J’ai vécu pendant huit ans cette dynamique de groupe, qui est assez incroyable. Et à Rio, nous avons fait feu, nous étions prêts. C’était fantastique. Quand on arrive juste pour être là, et que l’on devient acteur, on vit un sacré ascenseur émotionnel. Ce sont des moments inoubliables. L’équipe m’a organisé un repas d’adieux surprise, et on se racontait encore cette aventure. Les souvenirs semblent dater d’hier. Les mots, les sourires, les frissons sont toujours là, juste derrière nous.



“La profession de groom est usante et prenante”

© Scoopdyga

En tant que groom, comment avez-vous vécu le sacre olympique de la France ? 

Avec les quatre autres grooms (Laurence Gazel, Marine Pujo, Jérôme Gaudoux et Claude Lebon, ndlr), nous avons vécu un moment fort mais tout est resté très intime. Nous sommes proches de quelques grooms allemands donc forcément il y a eu une espèce d’engouement, mais cela n’a rien eu à voir avec notre retour en France. Là, on a eu l’impression de vraiment ressentir ce qui c’était passé. J’ai vécu ce sacre en deux temps : à Rio, avec l’équipe, c’était très sympa et incroyable, mais au retour, cela a pris une dimension vraiment folle. Nous sommes rentrés une semaine plus tard, et les gens étaient encore en larmes. Ils nous remerciaient de leur avoir fait vivre une émotion comme celle-là et ils étaient encore hyper émus. Je pense que le partage a été le plus beau moment de cette aventure. 

Y a-t-il eu un avant et un après Rio ?

Oui. Quand je suis arrivée chez Philippe, j’avais très envie de faire une Coupe des nations car je n’en avais jamais fait. La première année, nous n’avions pas véritablement de cheval pour. Et puis la deuxième année, Rahotep a commencé à se révéler, avant de progresser encore plus l’année suivante. Il y a eu l'ascension, la montée en puissance et les Jeux. Et puis, il y a eu le retour, qui n’a pas été facile. Un mois après, nous nous sommes retrouvés à Barcelone et il n’y avait plus personne… J’ai l’impression que nous étions encore trop sur l’émotion de Rio. Barcelone a été le revers de la médaille et un peu dur à avaler. C’était aussi compliqué car nous avions l’impression - même moi je le ressentais en tant que groom et pour Philippe - que nous n’avions plus le droit à l’erreur. C’était un peu dur. Je pense qu’il y a eu une période d’adaptation, et, malheureusement, ce sport là fait qu’on ne nous laisse pas le droit à l’erreur, surtout quand on revient avec une médaille olympique. Mais après un certain temps, il y a eu encore des bons moments. Je suis restée quatre ans après les Jeux donc cela valait le coup ! (rires)

Ne trouvez-vous pas que le métier de groom, primordial dans la réussite des athlètes, est parfois sous-médiatisé ?

Notre métier est de plus en plus médiatisé. Je trouve que c’est bien que l’on parle de nous mais je ne suis pas en recherche de reconnaissance. Les chevaux nous rendent tellement que je m’en suis contentée. Philippe est aussi extrêmement reconnaissant. D’entrée de jeu, au bout de trois jours de collaboration, j’ai senti qu’il allait exprimer de la gratitude et être respectueux. On reste pour les chevaux, mais aussi pour le cavalier, il ne faut pas se leurrer. Si le cavalier ne nous respecte pas, ne reconnaît pas notre travail, on ne peut pas continuer, ce n’est pas possible. Je trouve que Philippe joue un rôle super dans la reconnaissance du métier. Concernant la médiatisation, je trouve bien le fait que l’on en parle, que l’on nous connaisse. Le rôle de groom est indispensable, tous les grands cavaliers le disent. Marcel a d’ailleurs aussi fait un très beau paragraphe à mon dîner de départ qui m’a beaucoup émue parce qu’il sait l’importance de notre rôle. Les gens doivent aussi le savoir.

Avant de devenir groom professionnelle, quel a été votre parcours ? Pensiez-vous un jour vivre tous ces concours, toutes ces émotions ?

Les émotions, non, et les concours, encore moins ! J’ai passé mon monitorat car les bancs de la fac n’étaient pas faits pour moi. Ensuite, j’ai enseigné deux ans dans le centre équestre de ma mère à mi-temps. Cela m’a permis de passer mon permis poids lourd et de monter des jeunes chevaux en concours complet. Mais travailler chez sa maman à vingt-deux ans n’est pas toujours évident alors j’ai décidé de trouver une place ailleurs. J’avais un peu groomé pendant mon monitorat pour Jacques Dulcy, un cavalier de complet qui m’avait bien donné le goût de ce métier-là. Je m’étais dit “en fait, cela peut être un métier, on peut être payé pour faire ça tout le temps”. Je trouvais cela génial. J’ai ensuite trouvé cette place chez Philippe.



“La relation qui s’est créée avec Rahotep est indescriptible”

Ici à Lausanne, Maud est aux côtés des olympiques Rahotep de Toscane et Philippe Rozier.

Ici à Lausanne, Maud est aux côtés des olympiques Rahotep de Toscane et Philippe Rozier.

© Sportfot

Aujourd’hui, pourquoi avoir fait le choix d’arrêter le métier de groom ? 

C’est un beau métier, passionnant, et je ne regrette absolument rien de ce que j’ai vécu. Il n’en reste pas moins que la profession de groom est usante et prenante. Au bout d’un moment, la fatigue vous empêche de faire les choses avec autant d’engouement et de passion qu’avant. Là, je fatiguais. La route me pesait. Cela faisait une année, que, lorsque je montais dans mon camion, après une demi-heure, je me disais “quand est-ce qu’on arrive ?”. Alors quand on a dix heures de route, c’est compliqué. Physiquement aussi, c’est difficile. À vingt-trois ans, je ne faisais pas les mêmes choses que maintenant. Arrêter de groomer a été une décision extrêmement difficile. J’ai mis quatre mois à la prendre. Mais quand la fatigue vous empêche de faire votre métier avec passion, ce n’est plus la peine de continuer. C’est une question d’équilibre. C’est un métier où on donne de soi, de sa personne. La charge mentale est énorme. Tout cela n’est pas supportable lorsqu’on est fatigué. On ne fait plus les choses avec passion et c’est là que ça peut dérailler. 

Qu'est-ce qui va le plus vous manquer ? 

Les chevaux, c’est sûr. Je ne les quitte pas car je ne reste dans la région, mais les chevaux vont me manquer, c’est évident. Les gens, eux, on les appelle, on leur envoie un texto, même si on est loin. Les amis que l’on a rencontrés et avec qui on a construit une super relation restent. Mais les chevaux, malheureusement, ils ne connaissent pas encore les textos. Ils ne peuvent pas nous faire un selfie au bout du monde pour nous dire “t’inquiètes, je suis à ce concours là, mais ça va” (rires). Depuis que je suis toute petite, j’ai un poney. Il est toujours en vie, il a trente ans et s’appelle Carnac. Il a été mon premier amour. J’ai ensuite eu une ponette de concours avec qui j’ai vécu de grandes émotions sur mes premières épreuves importantes en complet. Enfin, j’ai mon cheval, qui a une personnalité vraiment atypique, mais avec lequel je m’entends bien. J’ai toujours eu des chevaux dans ma vie, mais, malgré tout cela, et c’est difficile à dire car ce n’est pas le mien, mais la relation qui s’est créée avec Rahotep est folle. Elle est indescriptible. Ce sont les sensations, les regards, le toucher. C’est vraiment une chance de l’avoir vécu. C’est dur de le lâcher mais c’est ça qui va le plus me manquer, c’est indéniable.

Allez-vous tout de même garder un pied dans le monde du cheval ?

Je ne vais pas tout quitter car je monte à cheval comme je respire. J’ai toujours pratiqué l’équitation et je me suis toujours occupée des chevaux. Je ne peux pas arrêter du jour au lendemain. C’est comme si demain vous arrêtiez de manger ou de respirer, ce n’est pas possible. Franchement, c’est vital. Je débute une formation pour passer le diplôme d'état d'éducateurs jeunes enfants ainsi qu’une licence en science de l'éducation. Je n’habite pas loin des écuries et Philippe a laissé la porte ouverte à toutes mes envies de contact avec Toto (le surnom de Rahotep de Toscane, ndlr) et ses copains. Et puis mon ami monte à cheval et j’ai carte blanche pour aller poser mes fesses sur ses équidés. Une collègue a aussi une chouette jument que j’aime beaucoup monter !