Le pâturage mixte, un choix aux multiples bénéfices

Le pâturage mixte consiste à stationner différentes espèces d’herbivores sur une même surface, de manière simultanée ou alternée, au cours de la saison de pâturage. Cette pratique, utilisée depuis des décennies par les éleveurs, présente de nombreux avantages. Les dernières recherches, dont l’Institut français du cheval et de l’équitation se fait l’écho, ont objectivé ses bénéfices. Et d’autres études sont actuellement menées pour en préciser les modes de conduite.



Sur le site du Haras national du Pin, dans le l’Orne, deux années de pâturage ont été étudiées dans le cadre du projet PaturBovÉquin, dont le but était de comparer les effets d’un pâturage mixte entre équins bovins avec ceux d’un pâturage mono-spécifique équin ou bovin. Ce protocole expérimental a permis d’acquérir un ensemble de données sur le comportement alimentaire des animaux, les caractéristiques du couvert prairial et l’évolution du parasitisme gastro-intestinal des deux espèces. Il sera d’ailleurs complété avec une dernière année de mesure en 2020. La mise à l’herbe des animaux s’est effectuée fin avril 2020.

Les données déjà recueillies laissent présager des résultats positifs en faveur du pâturage mixte. Sur le volet alimentaire, une homogénéisation du couvert semble s’opérer de manière plus importante dans le traitement mixte. Et sur le volet parasitaire, le nombre moyen de vermifuges administrés aux poulains du traitement mixte sur la saison de pâturage semble s’être réduit. “Cette dernière année de mesure nous permettra de valider ou non ces premiers résultats très encourageants”, assurent les auteurs de l’étude. 

Selon une récente étude intitulée menée par L. Forteau, B. Dumont, G. Sallé, G. Bigot et G. Fleurance, intitulée “Les chevaux qui paissent avec des bovins présentent un nombre réduit d’œufs de strongle en raison de l’effet de dilution et de la dépendance accrue aux lactones macrocycliques dans les fermes mixtes”, des jeunes chevaux placés en pâturage mixte avec des bovins ont excrété deux fois moins d’œufs de strongles gastro-intestinaux que leur homologues laissés seuls dans des systèmes équins spécialisés. La pâturage entre espèces d’herbivores induit un effet dit de dilution. En d’autres termes, les parasites des bovins et des équins sont spécifiques à chaque espèce. Chaque espèce est alors susceptible d’agir comme un cul-de-sac pour les parasites de l’autre espèce. Attention toutefois, il existe tout de même deux parasites communs aux équins et bovins : la grande douve du foie (Fasciola hepatica) et une espèce de strongle (Trichostrongylus axei).

Une autre étude récente conduite en 2017 par F. Brun, L. Lansade et G. Fleurance, et intitulée “Le pâturage mixte bovins-équins: de nouvelles données comportementales à la disposition des éleveurs et détenteurs”, a mobilisé des poulains de selle et des génisses écornées. Il a alors été mis en évidence que les interactions entre les deux espèces sont rarement négatives. Des affinités entre espèces ont même été constatées. De plus, la mixité semble accroître la curiosité et l’éveil des poulains. 

Enfin, les effets semblent tout aussi favorables pour les prairies. En effet, équins et bovins ont des préférences et aptitudes alimentaires différentes mais complémentaires. Le cheval affectionne majoritairement les graminées et sélectionne prioritairement une végétation rase (inférieure à quatre centimètres). En outre, il a tendance à déféquer davantage dans les zones hautes. Pour sa part, la vache apprécie les graminées, légumineuses et autres, mais privilégie une végétation plus haute (supérieure à cinq centimètres). Et elle défèque sur l’ensemble des parcelles. Selon les propos d’éleveurs, en cours de vérification expérimentale, le pâturage mixte entraînerait donc une diminution des zones de refus dans la parcelle et une augmentation de la valeur alimentaire de la prairie.



“Nous ne reviendrions plus à un pâturage mono-espèce”, Clément Daussin

Dans le cadre du projet EquiBov, deux lots différents ont été observés en pâturage en rotation, dans une conduite à chargement égal: un lot mixte comprenant deux poulains de sang de deux ans et trois génisses de race Limousine d’un an et un lot équin comprenant quatre poulains. Dans le cadre du projet PaturBovÉquin, trois lots différents ont été observés en pâturage continu, dans une conduite à chargement égal, avec une diminution du chargement au cours de la saison: un lot mixte comprenant trois poulains de sang de deux ans et six génisses de race Charolaise d’un an, un lot équin de six poulains et un lot bovin de douze génisses. Les objectifs étaient de comparer un pâturage mixte simultané et un pâturage spécialisé équin et/ou bovin suivant différentes conduites de pâturage selon les critères suivants : suivi de l’évolution du couvert prairial, études des choix alimentaires, suivi du parasitisme gastro-intestinal, suivi de la croissance et étude des interactions sociales.

Selon une autre étude menée dans des prairies normandes par W. Matin-Rosset et C. Trillaud-Geyl, avec des poulains de trait et des bœufs, dans un pâturage mixte, les performances de croissance des chevaux seraient meilleures quand le ratio équin/bovin est de 30/70 plutôt que 50/50. “Voilà maintenant cinq ans que nous réalisons du pâturage mixte alterné avec des bovins. Cela a considérablement amélioré la qualité de nos pâtures, diminué les refus et réduit par deux le temps de broyage. Nous ne reviendrions plus à un pâturage mono-espèce”, déclare Clément Daussin, responsable d’élevage du haras de la Morsanglière, situé à Bonneville-la-Louvet, dans le Calvados. Dans cette propriété de la famille Mestrallet cohabitent soixante équidés Pur-sang et de selle, douze vaches allaitantes de race Aubrac et trente-cinq à quarante bœufs de race Normande. “Les juments sont en permanence avec les vaches de même statut physiologique. Cela me permet, au printemps, de surveiller à la fois les vêlages et les poulinages. Les chevaux tournent parmi les différents troupeaux de bovins. Ils consomment ainsi les refus des bovins et la prairie est mieux utilisée. La cohabitation entre les chevaux et les vaches se passe très bien, il y a rarement de bagarres. J’utilise souvent les juments pour conduire le troupeau de vaches à un endroit donné ou même pour m’aider à boucler certains veaux”, décrit pour sa part Xavier Devaud, gérant du GAEC du Chaudron, situé à Saint-Agnand-de-Versillat, dans la Creuse. Celui-ci compte cent trente vaches allaitantes Limousine, cinq juments et un étalon de race trait Breton.

S’appuyant sur les données recueillies pendant trois années au Haras du Pin, une analyse statistique des données relatives à l’impact des trois traitements (mixte, équins seuls et bovins seuls) sur le couvert prairial, le parasitisme gastro-intestinal et les performances de croissance des deux espèces est prévue courant 2021. En outre, le projet EquiBov a également donné lieu à des enquêtes menées dans des élevages dans deux régions contrastées: la Normandie et le piémont nord du Massif central. L’objectif de celles-ci est de comparer la gestion de l’herbe, du parasitisme et de l’organisation du travail entre les élevages mixtes chevaux de selle et bovins allaitants et les élevages spécialisés dans les chevaux de selle. Les résultats sont à venir.