Mount St John Freestyle, itinéraire d’une prodige que tout le monde attendait au tournant
Lorsqu’en 2016, le meilleur cheval de dressage de tous les temps Valegro a fait ses adieux à la compétition en son jardin, à l’Olympia de Londres, nombreux sont ceux qui se sont demandés si Charlotte Dujardin trouverait un nouveau partenaire à la hauteur de son talent. Quelques mois plus tard, Mount St John Freestyle a fait une arrivée discrète sur la scène internationale, explosant finalement devant de nombreux regards ébahis aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en septembre 2018. Expressive, brillante et avec encore de belles années devant elle, la fille de Fidermark rassemble aussi deux vieilles amies, qui rêvent chacune du plus beau des métaux. Portrait d’une Hanovrienne dont on devrait entendre parler encore longtemps.
Le costume aurait pu être vraiment trop grand pour elle. Les attentes trop importantes. Bien qu’attendue au tournant après le presque invincible Valegro, Mount St John Freestyle parvient toutefois à impressionner son monde, à commencer par sa cavalière, Charlotte Dujardin.
Née le 17 mai 2009 chez Stephan Kurz, Freestyle a rapidement tapé dans l’œil de sa propriétaire actuelle, Emma Blundell. À la tête de Mount St John Equestrian, un élevage spécialisé dans le dressage, la Britannique a très vite eu un coup de cœur pour la baie… sur papier glacé ! “La première fois que je l’ai vue, c’était en fait dans le catalogue de la vente aux enchères de Verden. Je cherchais une pouliche avec du sang de Donnerhall, un étalon extrêmement connu et même une véritable légende de l’élevage. Freestyle a pour mère une fille de Donnerhall, donc c’était parfait. Je voulais également une pouliche avec un bon caractère et avec trois bonnes allures. Mon objectif était de trouver un cheval qui serait capable d’être concentré sur sa reprise, sans prendre peur à chaque coin du rectangle, car à la base, je devais la conserver sous ma selle. Freestyle est exactement comme cela : alerte mais jamais effrayée”, explique Emma Blundell, qui en fait l’acquisition et laisse grandir sa pouliche dans ses près du Yorkshire du Nord.
À quatre ans et dans son début d’année de cinq ans, Freestyle est formée par sa propriétaire, qui remarque déjà de sacrées qualités chez sa protégée. “Elle n’a qu’une seule envie, c’est de faire plaisir à son cavalier. Elle adore apprendre et emmagasine de nouvelles choses extrêmement rapidement. D’un jour à l’autre, elle se souvient de ce qu’elle a appris la veille. Le cavalier a donc une grande responsabilité car il doit lui apprendre les choses correctement”, décrit-elle avec une admiration perceptible. Emma Blundell pense alors à présenter sa jument à Charlotte Dujardin, qu’elle connaît depuis bien longtemps. “J’ai rencontré Charlotte lorsque nous avions toutes les deux une dizaine d’année. Nous étions concurrentes lors d’épreuves de showing (des épreuves montées ou à pied lors desquelles les poneys sont notés par des juges selon leur modèle, leurs allures etc., ndlr), ce qui était très populaire en Grande-Bretagne il y a vingt ans. Par ailleurs, elle m’entrainait ponctuellement”, explique-t-elle. Alors en haut de l’affiche avec l’immense Valegro, la multimédaillée accepte. “Je me suis dit qu’il pourrait être intéressant que Charlotte l’emmène plus loin que moi. Je savais qu’elle avait beaucoup de talent et je savais pertinemment que je ne serais pas la prochaine Charlotte pour l’emmener haut (rires). Je lui ai donc demandé si elle voulait bien l’essayer, et je ne l’ai jamais récupérée (rires)”, se souvient la trentenaire.
Attachée à détenir au moins cinquante pour cent des parts des chevaux qu’elle monte depuis le jour où elle a craint de voir Valegro partir après les Jeux olympiques de Londres en 2012, Charlotte Dujardin ne détient pourtant aucune part dans Freestyle. “Charlotte et moi nous nous connaissons depuis si longtemps que nous avons une espèce d’accord tacite. Nos objectifs sont les mêmes, nous nous faisons confiance et cela n’est pas près de changer. Je pense que c’est ce qui lui permet de se sentir en sécurité”, résume son unique propriétaire.
“Freestyle a supporté tellement plus de pression que Valegro”, Charlotte Dujardin
En décembre 2017, Charlotte Dujardin présente pour la première fois Freestyle face à une grande audience, dans le cadre d’une masterclass donnée avec Carl Hester à l’Olympia Horse Show. Déjà, l’amazone ne tarissait pas d’éloges sur sa pépite, que son mentor appelait “Mrs Valegro”. “Elle a un cœur en or et je dois dire qu’elle me fait penser à Valegro sur la piste”, disait même la meneuse de l’équipe britannique. “En concours, elle adore lorsqu’il y a du public. Elle se comporte bien s’il n’y en a pas, mais dès que les tribunes sont garnies, on sent qu’elle s’élève et qu’elle aime faire le show”, dit d’elle sa propriétaire.
Quatre mois plus tard, Freestyle prend part à sa toute première compétition internationale aux Pays-Bas, où elle s’impose dans le Grand Prix et la Libre du CDI 3* avec 75,152% et 81,45% ! Jusqu’en juillet, Charlotte Dujardin continue de polir son joyau, qui s’impose dans les six épreuves de CDI 4* et 3* auxquelles elle prend part en Grande-Bretagne. À seulement neuf ans, la belle brune est alors sélectionnée pour concourir aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, qualificatifs pour les Jeux olympiques de Tokyo. Malgré le jeune âge de sa protégée, pas question pour sa propriétaire de passer à côté d’une telle opportunité. “Lorsqu’on a un cheval avec de tels moyens dans cette situation, il faut croire le cavalier, ainsi que Carl Hester et toute son équipe, qui ont bien plus d’expérience. C’est ce que j’ai fait, et j’aurais de toute façon été triste de refuser et que quelque chose de mal arrive, sans jamais qu’elle ne puisse montrer son talent au monde”, explique-t-elle.
En Caroline du Nord, nombreux étaient ceux qui attendaient impatiemment à la fois de découvrir ce couple mais aussi de voir s’il pouvait venir perturber l’Allemande Isabell Werth et le retour en grâce de sa Bella Rose 2, ou encore les rêves d’or de Laura Graves avec Verdades. “Au début de sa carrière, elle a supporté tellement plus de pression que Valegro. Les gens attendent que nous parvenions à égaler tout ce que j’ai accompli avec Valegro. Pour lui, l’ascension jusqu’au plus haut niveau a été plus simple, car personne ne savait qui nous étions au départ”, décrit Charlotte Dujardin.
À Tryon, personne n’a été déçu ! L’étendue, l’élévation, l’énergie de chaque mouvement de Mount St John Freestyle sont à l’image de son arrivée parmi l’élite du dressage mondial, fracassantes. Cinquième du Grand Prix avec 77,764%, elle participe à la médaille de bronze décrochée par l’équipe de Grande-Bretagne, dont elle signe la meilleure performance. Deux jours plus tard, elle dépasse les espérances de son entourage en décrochant le bronze dans le Spécial avec 81,489%. “Le passage et le piaffer de Freestyle sont incroyables, son trot allongé aussi. Le piaffer est encore perfectible, mais une fois que ce sera au point l’an prochain, je pourrai défier Isabell (rires)”, s’amusait alors sa cavalière. Une blague qui a finalement pris des allures de promesse tenue à Lyon. Mais avant cela, il y a eu la douche froide de Rotterdam…
“Charlotte a été extrêmement impactée par l’élimination”, Emma Blundell
Logiquement sélectionnées pour les championnats d’Europe Longines de Rotterdam en 2019 après seulement deux CDI 3* courus et gagnés en Grande-Bretagne, Charlotte Dujardin et “Freebie” arrivent aux Pays-Bas parmi les favoris. Signant la deuxième meilleure performance du Grand Prix avec 81,91% derrière Isabell Werth et Bella Rose 2, la paire Britannique est finalement éliminée peu après sa sortie de piste. Un coup de tonnerre ! En cause, une trace de sang trouvée sur le flanc gauche de l’Hanovrienne et qui a relégué l’Union Jack du deuxième au quatrième rang. Charlotte Dujardin est alors “complètement dévastée”. Emma Blundell a quant à elle été bien moins bouleversée par ce malheureux épisode. “En réalité, beaucoup de personnes ont été plus impactées par la situation que je ne l’ai été. Charlotte était bien sûr extrêmement triste car elle se sentait responsable. […] Je suis très attentive au bien-être de mes chevaux et dès que nous avons ramené Freestyle aux écuries, que nous l’avons lavée, les cavaliers de l’équipe britannique de saut d’obstacles sont venus voir et ne pouvaient même pas trouver la marque sur le flanc. La jument n’a pas souffert, elle allait très bien. Bien sûr, il était triste que nous ne puissions pas prendre part à la Reprise Libre en Musique car elle était en grande forme, mais si l’on met cela en perspective, lorsqu’un cheval de course ou de complet connaît une mauvaise journée, on parle plutôt d’une fracture ou d’un accident mortel en piste. Comparé à cela, une petite égratignure n’est pas grand-chose lorsque l’on fait le bilan. Freestyle est encore jeune, a encore de belles années devant elle… […] C’était simplement malheureux, et j’espère que cette malchance est derrière nous”.
Fin 2019, Freestyle a fait ses débuts sur le circuit de la Coupe du monde, s’impose directement dans le Grand Prix de Lyon avant de s’incliner dans la Libre face à Isabell Werth et Emilio 107. Imbattable à Londres, elle se place deuxième de chaque test à Amsterdam, signant toutefois son meilleur score dans la Libre 89.505%, contre 90,28% pour l’une de ses plus grande rivales, Weihegold, là encore associée à la reine allemande de la discipline.
Lorsque l’on interroge Emma Blundell sur ses ambitions avec Freestyle, la réponse est on ne peut plus claire. “Nous espérons qu’elle atteindra le sommet. Charlotte et moi sommes ambitieuses donc nous ne rêvons que d’or. Pour cela, tout doit être parfait le jour J et nous devons avoir également un peu de chance, car la concurrence est rude”, affirme-t-elle avec détermination. En attendant, elle suit sa protégée partout où elle se déplace et lui rend régulièrement visite. “Lorsque l’on a une jument de cette trempe, ce serait bizarre de ne pas vouloir la suivre de partout (rires) ! Je vis à environ quatre heures des écuries de Charlotte et Carl, mais Freestyle ne pourrait avoir une meilleure cavalière. En temps normal et sans les restrictions liées au Covid-19, j’essaie de rendre visite à Freestyle tous les mois”. Après leur report en 2021 et si les Jeux olympiques de Tokyo ont finalement bien lieu, l’échéance sera bien sûr un objectif dans le calendrier de l’expressive jument aux grandes oreilles.
Outre sa carrière de compétitrice, Mount St John Freestyle se consacre ponctuellement à l’élevage grâce aux transferts d’embryons. Elle compte deux filles, dont une par Ampere, nommée Mount St John A La Freestyle. L’autre a cinq ans, s’appelle Mount St John Dancefloor, et a pour père De Niro. “Elle ressemble d’ailleurs beaucoup à sa mère. Ces deux pouliches font partie de notre programme d’élevage et ont des poulains chaque année. Le plus vieux petit-fils de Freestyle a désormais deux ans et a l’air très prometteur. J’essaie de beaucoup varier les pères car je trouve cela très intéressant d’essayer différentes lignées afin de voir ce qui fonctionne le mieux ou ce qui peut être amélioré”, précise l’éleveuse.
“C’est incroyable d’avoir une telle jument et cette histoire est en quelque sorte un conte de fées. Freestyle est la première pouliche de dressage que j’ai achetée, je voulais qu’elle soit ma propre jument et il s’est avéré qu’elle avait trop de qualités, qui auraient été gâchées si elle était restée sous ma selle. C’est extraordinaire d’avoir pu lui offrir Charlotte comme cavalière et assez fou de vivre cela aux côtés d’un pouliche que j’ai achetée, d’avoir la chance de traverser le monde, de rencontrer des personnes formidables, de faire perdurer son héritage… Je n’avais pas tant d’ambitions au départ ! Il est formidable de voir que tout fonctionne au-delà de ce que j’aurais pu espérer. J’ai désormais hâte de voir ses petits-enfants à l’œuvre étant donné que ses filles sont consacrées à l’élevage. J’espère aussi que nous pourrons nous envoler vers les Jeux de Tokyo l’an prochain. Je sais que Charlotte nourrit de grandes ambitions pour cette échéance, et moi aussi !”, conclut Emma Blundell.