Dans le Perche, Gwennaelle passe ses nuits à veiller sur les chevaux

Alors que les cas de chevaux mutilés se multiplient et inquiètent toujours les propriétaires, la surveillance s'organise. Près de Bellême, dans le Perche ornais, Gwennaelle effectue des rondes presque toutes les nuits. Reportage.



Tous les soirs ou presque, c’est le même rituel. Dans le village de Colonard-Corubert, à l’arrière de sa petite voiture, Gwennaelle fait monter Silver, une Malamute d’Alaska très douce mais imposante. Lampe sur le tableau de bord et téléphone à portée de mains, la jeune femme de vingt-cinq ans part pour une tournée d’une trentaine de kilomètres à travers la campagne vallonnée et bucolique du Perche, autour de Bellême. C’est dans cette région que l’Orne a découvert son premier cas de mutilation, à Buré, près de Mortagne-au-Perche, le 24 août. Une jument avait été blessée à la gorge, dans un petit village tranquille de quatre-vingt-dix âmes, sans que personne ne s’en rende compte. “J’ai commencé début août, pas très longtemps après les premiers cas”, se souvient cette cavalière qui travaille également dans le monde des spectacles équestres. Quand elle commence à entendre parler de ces sévices faits aux équidés, l’horreur la gagne. “Je venais de me séparer d’une jument. Mon premier réflexe a été d’appeler la nouvelle propriétaire pour savoir si tout allait bien.”

Propriétaires, haras, éleveurs, rapidement, c’est tout le monde du cheval qui sent le souffle de la cruauté se rapprocher de lui. Alors, pour dissuader ces monstres invisibles, Gwennaelle s’est organisée et a pris la route, parfois plusieurs fois par jour, pour surveiller les champs. Son parcours est variable, mais jamais hasardeux. “J’ai effectué un gros travail par téléphone avec des éleveurs ou des propriétaires. Je laisse aussi des mots dans les champs. Ils m’ont dit où étaient leurs chevaux, m’ont donné des détails… J’ai appelé des communes aussi et bien sûr les gendarmes, pour les prévenir que je faisais des rondes régulières dans le secteur”, détaille-t-elle. Face à cet engagement sans faille, tout le monde joue le jeu… ou presque. “Une mairie près de Bellême m’a dit qu’elle ne se sentait pas concernée par le problème et m’a un peu envoyée balader. Je trouvais ça dommage…”



Résistance citoyenne

Ce soir de ronde, Gwennaelle scrute les chevaux au loin, surtout ceux qui sont situés dans des champs directement au bord des routes. Les herbes, les traces de passage, les chemins pour garer une voiture, elle finit par connaître chaque détail et ne se laisse pas déconcentrer. Près Colonard-Corubert, elle croise un homme, sac de course à la main, visiblement alcoolisé et littéralement perdu dans la campagne. “Celui-là ne doit pas venir pour les chevaux”, s’amuse-t-elle.

Détacher sa ceinture de sécurité, serrer le frein à main, dégainer sa lampe: la cavalière répète ces opérations des dizaines de fois pour s’assurer que les chevaux vont bien. À Serigny, elle marcher plusieurs centaines de mètres en bordure de route afin de trouver la trace des chevaux. “Ah, ils sont tout au fond”. Soulagement. Quand elle appelle les animaux, ces derniers rappliquent sans attendre. La méfiance ne fait pas partie de leur quotidien. “Ces rondes, je les fais aussi pour me sentir bien et me dire que je suis utile aux chevaux”, dit-elle en caressant un équidé.

Mais que ferait cette frêle jeune femme si elle tombait nez à nez avec un agresseur? “J’ai toujours le téléphone avec moi. J’appellerai le 17 et je resterai enfermée dans ma voiture. Il ne faut surtout pas essayer de prendre la place des gendarmes”, note-elle très justement.



Café, tord-nez et réseaux sociaux

“Ce qui semble incroyable, c’est que sur les premiers cas, certains ont utilisé le tord-nez, un instrument que seuls les spécialistes des chevaux utilisent. Ou bien ils ont pu droguer les animaux pour commettre des mutilations…”, souffle Gwennaelle. Beaucoup de zones d’ombres entourent ce qui reste malheureusement le mauvais feuilleton de l’été. Toutefois, grâce à Gwennaelle et aux réseaux sociaux, la surveillance s’organise. Sur la page Surveillance Equidés Basse-Normandie, l’Ornaise lance souvent des appels aux bonnes volontés ou aux propriétaires de chevaux pour leur donner des conseils. Une méthode qui fonctionne bien. “Grâce à des volontaires comme Gwen, nous pouvons avoir des groupes privés de discussion et échanger les informations qui remontent ensuite aux gendarmes”, argumente Luc le Résilient, fondateur de la page Facebook. “Je crois que je n’ai jamais vu une telle collaboration citoyenne avec les forces de l’ordre, cela fait plaisir à voir”, se satisfait l’administrateur.

Les rondes couvrent aujourd’hui une large partie de l’ex Basse-Normandie, mais pas vraiment le Perche. “Il faut que des personnes nous rejoignent. Que l’on puisse se relayer, couvrir des zones plus vastes. C’est important pour dissuader les agresseurs. Et personnellement, ça me soulagerait aussi un peu”, confie la jeune cavalière qui sait qu’elle ne pourra pas tourner tous les soirs jusqu’à Noël en plus de son travail. “Pour l’instant c’est la passion des chevaux qui me fait tenir. Ça et le café”, sourit-elle au volant. Il est 23h à Colonard et Gwennaelle termine sa tournée. Elle n’aura croisé aucun suspect, vu aucune voiture près des champs et observé tous les chevaux qu’elle voulait voir. Mission accomplie. “Je vous laisse car demain matin j’y retourne. Je le fais trois tournées dans la journée.”