Victorio des Frotards, un modeste charentais devenu grand (partie 1)

Nouveau partenaire de choc de Steve Guerdat, charismatique numéro un mondial, Victorio des Frotards n’en finit plus d’étonner. Vainqueur des quatre Grands Prix de niveau 5* qu’il a courus cette année, ce Selle Français, hissé au plus haut niveau par Raphaël Goehrs, a suivi un parcours 100 % made in France. Né en Charente, ce performer au talent indiscutable et à l’allure atypique, laquelle lui a valu quelques bouderies en début de carrière, fait désormais figure de prétendant à une sélection olympique.



Né chez la famille Potier, Victorio des Frotards était un poulain au modèle atypique.

Né chez la famille Potier, Victorio des Frotards était un poulain au modèle atypique.

© Collection privée

Numéro un mondial depuis janvier 2019, n’ayant cédé son brassard Longines qu’en janvier 2020 à son ami et co - équipier Martin Fuchs, Steve Guerdat semble pouvoir aborder avec la plus grande sérénité les Jeux olympiques de Tokyo, reportés à l’été 2021. S’appuyant déjà sur la fabuleuse Albführen’s Bianca (SWB, Balou du Rouet x Cardento), son premier choix pour un potentiel cinquième rendezvous olympique, et l’étonnant Vénard de Cerisy (SF, Open Up Semilly x Djalisco du Guet), le Suisse n’exclut pas de se rendre au Japon avec Victorio des Frotards (SF, Barbarian x Prince Ig’or, AA), qui a intégré ses écuries en avril 2019.

À travers ce hongre, le Suisse a une nouvelle fois prouvé son amour pour les Selle Français, désormais au nombre de sept dans son piquet, avec Ulysse des Forêts (Col Canto x Le Tot de Semilly), Uranie de Belcour (Flipper d’Elle x Diamant de Semilly), Tum Play du Jouas (Querlybet Hero x Voltigeur du Bois), Arthémis des Sources (Jasper Bleu x Quel Type d’Elle), Dynamix de Belhême (Snaike de Blondel x Cornet Obolensky), Cayman Jolly Jumper (Hickstead x Quincy) et Brahman Un Prince (Guépard De Brekka x Diamant de Semilly). Est-il encore nécessaire de rappeler que le Jurassien a écrit quelques-unes des plus glorieuses lignes de son palmarès avec des chevaux français, à commencer par son titre de champion olympique, en 2012 à Londres, avec Nino des Buissonnets (SF, Kannan x Narcos II), sa première crack Jalisca Solier (Alligator Fontaine x Jalisco B), Albführen’s Paille de la Roque (Kannan x Dollar du Mûrier), victorieuse de la finale de la Coupe du monde Longines en 2015 à Las Vegas, ou encore la généreuse Nasa (SF, Cumano x Prince d’Elle), Cayetana (Robin II x Papillon Rouge), lauréate du Grand Prix CSIO 3* de Roeser, ou encore Enzzo (SF, Obéron du Moulin x Double Espoir), avec lequel il a couru ses deuxièmes championnats d’Europe Jeunes Cavaliers en 2001 à Gijón. “Je ne m’attache pas vraiment aux origines des chevaux, mais force est de constater que les Selle Français me correspondent bien”, avait confié le cavalier dans un long entretien paru dans le numéro 106 de GRANDPRIX, en mai 2019. “Et puis, l’herbe est souvent plus verte chez le voisin: à l’étranger, je retrouve parfois de bons chevaux nés en Suisse, en me demandant comment j’ai pu les laisser passer!” Outre une probable préférence inconsciente pour les Selle Français, le triple lauréat de la Coupe du monde s’est toujours dit plus intéressé par les chevaux capables de se transcender en piste. Une qualité souvent associée aux SF, dont le mental d’acier est depuis toujours une marque de fabrique.

Fennecy Chétardie, la mère de Victorio des Frotards, et Twister des Frottards, son frère utérin.

Fennecy Chétardie, la mère de Victorio des Frotards, et Twister des Frottards, son frère utérin.

© Collection privée



UN DESTIN INSOUPÇONNÉ

Victorio des Frotards a été formé successivement par Hervé Miallier (ici en photo), Emma Ramos, Antoine Denibeau, le marchand Emmanuel Portet et Henry Crepelle.

Victorio des Frotards a été formé successivement par Hervé Miallier (ici en photo), Emma Ramos, Antoine Denibeau, le marchand Emmanuel Portet et Henry Crepelle.

© Collection privée

Avec Victorio des Frotards, Steve Guerdat a mis moins d’un an à établir une parfaite collaboration en piste, remportant les quatre Grands Prix de niveau 5* auxquels il a participé avec lui entre janvier et juillet 2020 : les deux épreuves phares du CSI 5*-W de Bâle début janvier, puis de l’étape de Coupe du monde de Bordeaux le mois suivant et le plus beau Grand Prix de l’Hubside Jumping début juillet à Grimaud. La réussite du couple est telle que l’alezan a donc pris place sur la liste des prétendants à une sélection olympique. 

À l’origine, Victorio n’était pas franchement prédestiné à une grande carrière au plus haut niveau, comme une grande partie des Selle Français que le Suisse a dénichés dans l’Hexagone, souvent boudés par les meilleurs cavaliers ou marchands. Il est né le 7 juin 2009 à Brie, à une dizaine de kilomètres au nord-est d’Angoulême, en Charente, modeste terroir d’élevage comparé à la Normandie, la Bretagne ou encore l’ancien Rhône-Alpes. L’alezan a vu le jour chez Catherine et Christian Potier, ainsi que leur fils Julien, éleveurs de chevaux et Poneys de Selle au lieu-dit les Frottards. Selle Français Originel, il est issu de Barbarian (SF, Quiniou x Fantaisiste), étalon ayant remporté le fameux Grand Prix CSI-A de Caen en 1998 et disputé les Jeux olympiques de Sydney en 2000 avec Philippe Rozier, et de Fennecy Chétardie (SF, Prince Ig’or x Jumbo du Poncel). Née chez le Charentais Lucien Tisseuil, cette alezane a été formée sur le Cycle classique de la Société hippique française, se qualifiant pour les finales nationales de Fontainebleau à quatre et cinq ans, obtenant un ISO 133. Rapidement vouée à la reproduction, elle a donné plusieurs poulains, dont Victorio bien sûr, mais aussi Marquise Chétardie (ISO 128, SF, Cap de B’Neville), Phéric Chétardie (ISO 127, SF, Hermès d’Authieux) et Twister des Frottards (ISO 126, SF, Orphée de Nantuel), qui a concouru jusqu’à 1,30 m avec Marie Demonte. 

“Mon père avait acheté cette jument à côté de la maison”, raconte Julien Potier. “Même si elle n’a pas brillé sportivement, elle était délicate et avait un bon coup de saut. Malheureusement, nous n’avons pas eu beaucoup de chance avec elle… À chaque fois que nous choisissions des étalons renommés, la fécondation échouait. C’était tellement compliqué que nous avons décidé de la vendre quelques années plus tard, même si nous n’avons jamais eu de femelle d’elle pour conserver sa souche !” Avant de quitter les Frottards, Fennecy engendre un certain Victorio, cinquième de ses huit produits. “Honnêtement, je dois avouer que nous n’avions pas du tout choisi ce croisement…”, avoue Julien Potier dans un éclat de rire. “Comme Barbarian était stationné dans le coin, nous l’avons utilisé pour féconder la jument et nous assurer qu’elle n’avait aucun problème. Nous ne savions pas du tout quel cheval cela allait donner !” Une histoire comme on en fait (presque) plus de nos jours! 

Dès ses premiers pas, Victorio montre de belles aptitudes, malgré un modèle atypique. Très grand - il toise 1,71 m au garrot - et très frêle à la fois, presque chétif, il est loin des stéréotypes de la gravure de mode. “C’est vrai qu’il n’était ni le plus solide, ni le plus beau”, décrit son co-naisseur. “En revanche, il a compensé cela avec un super galop et une incroyable intelligence de la barre. C’était un vrai chat ! De fait, son modèle fluet fait sa qualité dans le sens où il a développé un très grande agilité. Il pouvait sauter un oxer carré d’1,50 m sans pied, ce n’était pas un souci pour lui. Il bougeait vraiment bien en liberté. En revanche, il montrait un caractère très prononcé. Par exemple, il voulait toujours sauter à main droite. Lorsqu’il abordait un obstacle à main gauche, il effectuait un demi-tour pour le franchir à l’envers!”

Une fois débourré, fin 2012, Victorio est cédé à Hervé Miallier, un marchand de chevaux installé dans la région. “Nous avons choisi de le vendre car nous avions besoin de trésorerie pour faire tourner la boutique”, explique le fils de la famille Potier, avec une pointe de regret. “Si cela m’arrivait aujourd’hui, je procèderais peut-être différemment. Surtout, si Victorio arrivait aujourd’hui, j’aurais les cavaliers et le système adéquats pour pouvoir le garder plus longtemps. Pour autant, je suis très heureux de cette histoire même si ce n’est pas moi qui ait le plus gagné dans l’affaire ! (rires) D’ailleurs, j’ai à la maison un frère de Victorio (Equinox des Frottards, ndlr), que j’ai acheté il y a un an et demi. C’est une histoire incroyable ! Les particuliers à qui j’avais vendu Fennecy l’ont fait saillir un peu à l’aveugle (par Pézétas du Rouet, SF, Quidam de Revel x Grand Veneur, ndlr). Ils se sont retrouvés avec un poulain qu’ils n’ont même pas déclaré. Quand je l’ai récupéré, il n’avait ni papiers ni éducation, et était très sauvage. Aujourd’hui âgé de six ans, il a beaucoup progressé, même si la Covid-19 a chamboulé sa formation. Je pense qu’il pourrait devenir un bon cheval de sport et concourir jusqu’à 1,50m, mais il n’a pas l’envergure de Victorio, qui avait un meilleur galop et un meilleur équilibre. En revanche, lui aussi est malin comme un singe !”



UNE FORMATION ASCENDANTE MAIS ANIMÉE

Arrivé dans les écuries d’Hervé Miallier, à une quinzaine de kilomètres de Brie, Victorio découvre la compétition sur le Cycle classique. De ses quatre à ses six ans, il change régulièrement de cavalier formateur, passant successivement sous les selles d’Emma Ramos, Antoine Denibeau, le marchand Emmanuel Portet et Henry Crepelle. L’ayant monté à six ans, ce dernier garde d’excellents souvenirs d’un cheval particulier mais déjà talentueux. “Il était assez atypique en raison de son modèle très fin, et il avait un galop spécial. Il jouait un peu à “l’anguille” en piste, mais restait très chaud devant les obstacles. Il ne voulait pas les toucher et se comportait comme un félin ! Franchement, il avait un sens hors norme de la barre. Pour autant, je ne me rendais pas tellement compte de cette qualité à l’époque car j’avais très peu d’expérience. J’avais dix-neuf ans et je commençais, alors j’ai autant été un professeur pour Victorio que lui l’a été pour moi. Honnêtement, je l’ai rencontré trop tôt dans ma carrière et j’aimerais bien le monter avec l’expérience que j’ai aujourd’hui.” 

Les statistiques de l’alezan sur le Cycle classique sont décroissantes, avec un taux de sans-faute de 76,92 % à quatre ans, 53,33 % à cinq ans, puis seulement 35,29 % à six ans. “Je me souviens encore de nos premiers parcours où il me trimballait en piste”, sourit Henry. “Il n’était pas toujours très concentré. Nous avons dû travailler sur la rectitude et les changements de pied, par exemple. Et même si je savais qu’il était bon, je n’aurais jamais imaginé qu’il atteindrait ce niveau, notamment à cause de son gabarit. De fait, personne n’aurait parié sur lui à l’époque. Il était si compétitif qu’on l’imaginait évoluer à un bon niveau national, voire international, mais pas parmi les plus grands ! D’ailleurs, si Steve est content de mon travail et qu’il cherche un cavalier, qu’il n’hésite pas à m’appeler !”, plaisante encore le Charentais, dont le père a d’ailleurs racheté Victorio fin 2014, avant de le revendre un an plus tard à la famille Goehrs, par l’intermédiaire d’Emmanuel Portet.

La deuxième partie de ce portrait, parue dans le dernier magazine GRANDPRIX au mois de septembre, sera publiée demain.

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