“La suspension de la Fédération émiratie, entre hypocrisie et fatalité”, Nicolas Wahlen
Le 24 septembre, il y a tout juste une semaine, la Fédération équestre internationale (FEI) a suspendu la Fédération nationale des Émirats arabes unis de toute activité dans les disciplines équestres jusqu’au 31 décembre 2020 ainsi que de ses activités en relation avec l’endurance jusqu’au 31 mars 2021. Manifestation d’autorité du conseil d’administration de la FEI, présidé par Ingmar de Vos, cette décision est loin de faire l’unanimité dans le microcosme de la discipline. Une pétition aux arguments pour le moins discutables a même été mise en ligne et signée par un peu plus de sept cent cinquante personnes, dont des figures habituées à commercer avec les grandes écuries du Golfe… Présentant un raisonnement plus mesuré, Nicolas Wahlen, président de l’Alliance des organisateurs de concours d’endurance (AEO), a décidé de prendre la parole à travers une tribune.
“La suspension de la Fédération émiratie est-elle une bonne nouvelle pour régler nos problèmes récurrents et améliorer notre image aux yeux de tous? Je vous laisse juge. On peut toutefois légitiment se poser au moins deux questions: Comment en sommes-nous arrivés là? Et quels sont les risques pour la filière économique de l’endurance? Ne soyons pas étonnés de la progression larvée de cette situation qui n’est que le résultat de nombreuses années de conflits d’intérêts, de comportements abusifs, de non-décisions et de suprématie, le tout orchestré par un combat de chefs qui dépasse les frontières de notre sport. Aujourd’hui, on sanctionne une fédération parce qu’elle n’a pas respecté les règles encadrant la participation de cavaliers étrangers à des événements nationaux… Hypocrisie! La vérité est ailleurs.
N’aurait-il pas fallu couper des têtes en amont pour éviter d’en arriver là? Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué tout au long de ces dernières années. Les mauvais comportements d’une minorité connue de tous pénalisent toute la filière. L’endurance est mondiale et a besoin des pays du Golfe pour se développer, mais pas à n’importe quel prix. On voit s’opposer par fédérations interposées deux entités qui revendiquent chacune la légitimité de diriger ou de dominer l’autre. D’un côté, la FEI souhaite rétablir l’ordre pour défendre la crédibilité et la transparence de notre discipline. De l’autre, les Émiratis cherchent à imposer leur modèle quel qu’en soit le coût, y compris en termes d’image. Hélas, cette opposition va provoquer des dégâts collatéraux catastrophiques pour la grande majorité des cavaliers, dont l’objectif est uniquement de pratiquer ce sport en toute transparence et en total respect de leurs chevaux.
Par ailleurs, à travers le nouveau règlement d’endurance adoptée par la FEI, dont le but est de contraindre cette minorité à de meilleurs comportements, on a posé un pansement sur une jambe de bois et on a surtout mis en place un système pénalisant l’ensemble de la discipline.”
“Reconnaissons quelques faiblesses du passé”
“Qui sera gagnant? Qui sera perdant? Que peut-il se passer maintenant? La Fédération émiratie va-t-elle plier sous les injonctions de la FEI ? Peu probable. Va-t-elle faire appel de cette décision? Peut-être. L’endurance émiratie va-t-elle s’affranchir définitivement de la FEI? Pourquoi pas. En tout cas, je n’imagine pas la FEI autoriser un régime particulier aux Émirats arabes unis pour l’organisation de courses spécifiques dans la mesure où le problème n’est pas le type de CEI qu’on dispute, mais plutôt l’application du règlement et les comportements qu’on adopte. En fait, cela ne changerait pas grand-chose à ce qui se passe aujourd’hui.
Posons-nous aussi la question de ce que nous avons cautionné consciemment ou inconsciemment à travers nos comportements et actions sur le terrain: en participant à certaines épreuves, en organisant pour le compte d’Émiratis ou en faisant commerce avec leurs écuries. Nous devons nous forger notre propre opinion à l’heure où certaines pétitions circulent sur les réseaux sociaux. Reconnaissons quelques faiblesses du passé. Peut-on continuer, d’une main, à pointer du doigt les agissements de certains, parce qu’ils auraient triché, et tendre l’autre pour recevoir les subsides du cheval vendu à ceux-là mêmes qu’on accuse? Peut-on accorder quelques passe-droits pour obtenir un sponsoring plus avantageux? Peut-on juger plus favorablement contre une invitation au soleil? Aurions-nous pu faire autrement pour exister, subsister ou survivre? Il faut croire que non, mais nous devons l’assumer ouvertement et nous questionner quant à nos propres responsabilités ces dernières années?
Gageons que tout rentrera dans l’ordre car nous avons besoin de tout le monde pour que l’endurance ne disparaisse pas. De fait, la mise à l’écart d’une seule fédération fragilise le modèle économique de toute notre filière. Par les temps qui courent, il est peu probable que les cavaliers, entraîneurs et organisateurs d’endurance puissent bénéficier du chômage partiel ou poursuivre leur carrière au télétravail…”
Nicolas Wahlen, président de l’Alliance of Endurance Organizers