“En France, nous n’arrivons pas à préparer les jeunes chevaux pour être compétitifs aux championnats du monde”, Richard Dick
Richard Dick, éleveur passionné à la tête du haras d’Ick était présent à la Grande Semaine de Fontainebleau pour y applaudir Girl Power DK, l’un des produits les plus prometteurs de son élevage, déjà vice-championne de France des chevaux de quatre ans qui s’est tenue mercredi. Il livre ses impressions et fait part de son point de vue sur les sujets qui font l’actualité des sports équestres.
Quel bilan tirez-vous de cette Grande Semaine de Fontainebleau ?
La grande Semaine ne fait pas partie de nos objectifs principaux. Nous y étions présents avec une seule jument, Girl Power DK, qui a terminé vice-championne des quatre ans vendredi. L’objectif était avant tout de nous faire plaisir et de faire plaisir au cavalier, Elliot Souster, qui aime beaucoup cette jument passée sous sa selle en cours de saison. Nous sommes assez compétiteurs et nous savions que nous avions une chance avec Girl Power dans ce championnat. Nous sommes ravis des résultats, d’autant plus que les chevaux de nos clients ont eux aussi été performants. La plupart se trouvent être des produits de notre étalon By Cera d’Ick (SF, Stakkato x Landadel), ce qui nous rend encore plus fiers parce que ce cheval a un pourcentage de réussite exceptionnel à travers sa production. Avant, le public connaissait sa production principalement à travers un très bon cheval de cinq ans qui s’appelle Black Cera d’Ick (Zang, By Cera d’Ick x For Pleasure). Désormais, une dizaine de ses produits sont sur le circuit et se montrent très performants, démonstratifs et compétitifs.
Pouvez-vous nous en dire plus sur Girl Power DK?
C’est une fille d’Urline de Muze, sœur utérine de Mylord Carthago, issue de l’Holsteiner Cash et Fragance de Chalus (par Jalisco B). Urline avait déjà engendré un excellent cheval, A Big Boy, l’un des premiers fils de Kannan a avoir réellement brillé à haut niveau lors des championnats d’Europe de Windsor en 2009. J’ai acheté cette jument alors qu’elle avait déjà un petit peu d’âge, mais j’en ai obtenu une bonne production. Elle donne naissance à des chevaux généralement près du sang comme Girl Power. J’ai quelques-uns de ses produits qui ne sont pas encore révélés au grand public, mais la plus connue est la propre sœur de A Big Boy, Cool Girl DK, qui évolue actuellement en CSI à 1,45m. L’année dernière, elle a gagné le top 7 au Grand National de Canteleu sous la selle d’Elliot Souster.
Selon moi, Girl Power DK a de l’avenir à haut niveau. C’est en tout cas dans ce sens que nous la préparons et pour cette raison que, de manière générale, la Grande Semaine n’est pas un objectif majeur pour nos chevaux. Ce ne sera donc pas non plus un objectif que d’aller jusqu’à la finale à cinq ans, ni même à six ans. Elle le fera si elle montre beaucoup de facilités et de progression, mais elle a de grandes capacités sportives que nous préférons préserver.
Girl Power est active à la fois en compétition et en reproduction. Nous maîtrisons les transferts d’embryons chez nous et nos juments nous en donnent en parallèle de leur carrière sportive, ce qui est assez atypique. Nous assurons nous-même les transferts d’embryons avec les mères porteuses et travaillons en partenariat avec Equitechnic. Pour le moment, je n’ai pas encore vraiment réfléchi à l’étalon avec lequel j’aimerais croiser Girl Power, mais j’ai quelques idées de ce que je peux rechercher. Elle a vraiment beaucoup de sang et est très respectueuse. Nous nous orienterons vers des étalons avec du rayon, comme Vagabond de la Pomme, par exemple.
Cette Grande Semaine se déroulait pour la première fois sur le Petit Parquet de Fontainebleau, récemment refait à neuf et désormais en sable, alors que les épreuves se tenaient habituellement sur la grande piste en herbe du Grand Parquet. En saut d’obstacles, les avis sont divisés entre ceux qui souhaitent conserver des pistes en herbe et ceux qui dénoncent les inconvénients de ce type de sol en concours. Quel est votre point de vue?
Je ne suis d’aucun clan. Bien évidemment, nous voulons que les chevaux sautent sur de bonnes carrières et malheureusement, depuis plusieurs années, la piste du Grand Parquet s’avère difficile à stabiliser. Mon point de vue est purement relatif au confort des chevaux, mais je pense justement qu’il s’agit d’un réel dilemme. Il est toujours un peu particulier de préparer les chevaux pour venir à la Grande Semaine. Nous qui sommes basés dans la région de Deauville, nous n’avons pas de terrain en herbe à proximité, ce qui nous oblige à nous rendre à Saint-Lô, par exemple, et cela représente beaucoup de temps et d’énergie, surtout pour que les épreuves ne se déroulent finalement pas sur herbe, comme cette semaine. Toutefois, les pistes en herbe ont quelque chose d’unique et de prestigieux. Les remises des prix sur le Petit Parquet ont tout de même moins de classe que celles qui se tiennent sur le terrain d’honneur. Maintenant, peut-être que ce côté prestigieux est un peu obsolète et qu’il faut passer à autre chose. Mais, dans ce cas, il faudrait faire de même sur tous les plans. On se rapproche alors de plus en plus du système de la Belgique qui consiste à faire des épreuves Jeunes Chevaux dans d’assez petites carrières. Le premier jour de cette Grande Semaine, les chevaux étaient d’ailleurs assez surpris car le type de parcours était très différent de ce à quoi nous sommes habitués en Normandie. C’est aussi ce qui a fait l’originalité de ce concours. Je peux comprendre qu’il y ait des problèmes techniques avec la piste en herbe à cause des intempéries. Ce que je regrette, c’est que la décision de ne pas y organiser les épreuves n’ait pas été davantage anticipée, ce qui nous aurait permis de préparer les chevaux un peu différemment. Le plus important demeure d’avoir des pistes praticables et sécurisées pour les chevaux. La question ne concerne pas seulement le Grand Parquet, je pense qu’il doit y avoir une réflexion globale sur le sujet. Pour avoir participé régulièrement aux championnats du monde Jeunes Chevaux de Lanaken, aux Pays-Bas, nous voyons bien qu’en France, nous n’arrivons pas à préparer les chevaux de manière à être compétitifs lors de ces championnats du monde qui se tiennent juste après la Grande Semaine de l’élevage. Les épreuves Jeunes chevaux que l’on court en France ont un format complètement différent de ce qui est fait en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne. La question serait de savoir si l’on s’adapte à un modèle européen ou si l’on conserve notre spécificité. Aujourd’hui, la sélection pour Lanaken se fait à Fontainebleau et quand on sort du système, on ne peut pas y retourner.
Quel regard portez-vous sur l’impact de la crise sanitaire sur la filière équine et sur sa gestion par les organisateurs de concours?
Je trouve qu’en France, nous sommes déjà privilégiés par rapport à d’autres pays. D’ailleurs, de nombreux cavaliers étrangers viennent concourir chez nous depuis la fin du confinement. Nous avons la chance d’avoir quelques CSI financés de façon indépendante, comme le Hubside Jumping de Grimaud, qui continuent de faire vivre la filière. En Belgique, les beaux concours, majoritairement organisés par de grands marchands, ont tous été annulés. À l’échelle de l’Europe, je trouve que nous nous en sortons bien. Nous sommes bien sûr inévitablement touchés. En tant qu’éleveur dont la clientèle est composée en majorité de professionnels, je constate qu’ils sont impactés par le fait qu’il y ait moins de concours et donc moins de commerce sur les chevaux que l’on pourrait qualifier de “très haut de gamme”. Notre marché national demeure tout de même assez fort.
Bien qu’approuvés par un bon nombre des acteurs de la filière pour avoir permis de relancer l’activité post-confinement, ces concours financés de manière indépendante ont toutefois contribué à créer le débat, notamment autour de sujets tels que le système d’invitations et des places au sein des épreuves…
Bien sûr, avec la réduction drastique du nombre de concours, il est évident que les meilleurs vont là où ils peuvent aller et prennent donc les places de cavaliers qui vivent habituellement des concours de proximité. Il y a également des problèmes de gains, de plus en plus présents chaque année. Les gains distribués sont de moins en moins importants et c’est une problématique qui touche les cavaliers, mais aussi les éleveurs. On pense souvent que les grandes structures ont beaucoup de moyens, mais ce n’est pas une question de moyens. Nous avons effectivement plus de chevaux sur le circuit, mais c’est aussi pourquoi nous comptons sur les gains, notamment pour pouvoir assurer les engagements. Certains gains inscrits sur le programme de concours auxquels j’ai participé avant la crise du Covid-19 n’ont jamais été payés. C’est très difficile pour tout le monde et les cavaliers en ressentent l’impact dans leur recette. Je trouve que, globalement, la filière équine n’est pas la plus à plaindre par rapport à certains secteurs d’activité qui subissent des crises économiques très importantes. Les sports équestres représentent tout de même un microcosme. Les petites structures, surtout celles qui étaient déjà en difficulté, son celles qui en pâtissent le plus.