Les chevaux de légende du siècle dernier : les performers

Tout sport est ponctué d’exploits qui font sa légende. Dans ce dossier, voici la présentation de vingt chevaux qui ont fait la légende du saut d’obstacles mondial au siècle dernier et ont construit son histoire... Alors que ces vingt inoubliables chevaux sont répartis en quatre catégories, entre performers, performers-reproducteurs, reproducteurs et étoiles filantes, focus sur la première de celles-ci: les performers.



Les sports équestres ayant connu un essor important après la fin de la deuxième guerre mondiale, la rédaction de GRANDPRIX a choisi de revenir sur soixante ans d’une histoire ponctuée de grands et de petits exploits à travers vingt chevaux qui ont marqué leur époque. Un classement subjectif, bien entendu, avec des choix difficiles. Qui dit choisir, dit renoncer et, selon les points de vue, certains chevaux, absents de ce classement, auraient peut-être mérité d’y figurer. Nous pensons, par exemple, à Pomone B, Flambeau C, Norton de Rhuys ou Thor des Chaînes, du côté français. Ou encore à Big Ben, Gem Twist, Joli Coeur, Classic Touch, Weihaiwej, Dollar Girl, Tinka’s Boy, Sandro Boy, Cumano, tout comme au tout récent champion olympique Hickstead, qui n’auraient pas dépareillé dans un tel classement. Tous ceux-là, et bien d’autres que nous oublions sûrement, trouveront leur place dans une prochaine rubrique, et se verront mettre à l’honneur. 

Nous établissons ce classement d’après quatre catégories: les performers, qui ont marqué l’histoire uniquement par leurs propres performances. les performers-reproducteurs, qui ont eu une carrière sportive marquante, tout en engendrant des chevaux performants à très haut niveau. Les reproducteurs, qui n’ont pas réussi d’exploits sportifs retentissants, mais ont laissé une trace mémorable dans l’histoire par le biais de leurs descendants. Les étoiles filantes, qui ont réussi un exploit retentissant mais sans lendemain. Si le choix de vingt chevaux est cornélien, celui de leur classement l’est tout autant et n’a de valeur que celle que l’on veut bien lui accorder, certaines places pouvant tout aussi bien être interchangées. Celui qui arrive en tête de notre classement n’est pas le cheval le plus titré de ce somptueux plateau. Mais il réunit les performances sportives, une histoire, ainsi qu’un charisme hors du commun. Très ancré dans la mémoire de tous ceux qui ont pu un jour admirer ses parcours, sur les lieux de ses exploits ou en vidéo, Milton est entré dans la légende également grâce aux batailles qu’il a menées contre un autre cheval mythique: Jappeloup, leurs deux noms restant indissociables. Ensuite, nous traverserons les époques avec certains chevaux que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. 



Le duel Milton/Jappeloup, évidemment!

MILTON (1977-1999) 

Né en Grande-Bretagne chez John Harding-Rolls 

Origines: Marius x Any Questions 

Même s’il a moins de titres que certains chevaux présents dans ce classement, Milton est entré dans la légende par son histoire et le charisme qu’il dégageait. Né sous le nom de Marius Silver Jubilee, Milton est acquis poulain par Caroline Bradley, qui avait monté son père Marius et voyait en lui un futur très grand cheval avec lequel elle pourrait disputer les épreuves les plus importantes. Malheureusement, Caroline Bradley décède d’un accident cardiaque alors que Milton est âgé de six ans. Après un bref passage chez le cavalier britannique Steven Hadley, Milton est confié à John Whitaker, cavalier pour lequel Caroline Bradley avait une immense admiration. En 1987, John et Milton obtiennent la médaille d’or par équipes au championnat d’Europe de Saint-Gall et terminent deuxièmes en individuels, battus par un certain Jappeloup. Deux ans plus tard, c’est la consécration, avec une double médaille d’or, par équipe et individuelle, au championnat d’Europe de Rotterdam. Suivront deux victoires en finale de Coupe du monde, en 1990 et 1991, ainsi qu’une médaille d’argent individuelle et de bronze par équipe aux Jeux mondiaux de Stockholm. Seule manque une médaille olympique, les Bradley, en conflit avec la fédération anglaise, ayant refusé que Milton se rende à Séoul en 1988. Ils laissent finalement Milton participer aux Jeux olympiques de Barcelone, mais il s’effondre en finale. Ce sont ses derniers championnats. Le charismatique gris accumule alors les problèmes de santé avant de prendre officiellement sa retraite en 1996. Trois ans plus tard, des coliques fatales l’emportent au paradis des champions.

JAPPELOUP DE LUZE (1975-1991) 

Né en France, en Gironde chez Henri Delage 

Origines: Tyrol II x Oural 

Impossible de parler de Milton sans penser à Jappeloup, son grand rival. Un duel qui marqua la fin des années 80 et le tout début des années 90. Petit cheval (1,58m) presque noir, Jappeloup est né du croisement entre un étalon trotteur et une jument pur-sang. Acheté à cinq ans par Pierre Durand, Jappeloup se fait remarquer par ses sauts disproportionnés. À sept ans, Jappeloup devient champion de France et intègre l’équipe nationale pour ne plus la quitter, le couple est de toutes les grosses échéances jusqu’en 1990. Après deux championnats d’Europe honorables, mais sans médaille, et des Jeux olympiques de Los Angeles qui restent un souvenir cuisant pour Pierre Durand (qui se retrouve par terre avec la bride à la main, tandis que Jappeloup traverse la piste au grand galop), le couple obtient sa première médaille aux championnats du monde d’Aix-la-Chapelle en 1986. Troisièmes par équipes, Pierre Durand et Jappeloup doivent se contenter de la quatrième place en individuel à l’issue de la finale tournante. Les deux années qui suivent font entrer Jappeloup dans la légende avec un titre de champion d’Europe individuel à Saint-Gall et surtout le titre suprême de champion olympique à Séoul, le dernier en date pour un couple français. Après un dernier titre par équipe aux Jeux équestres mondiaux de Stockholm, Jappeloup prend sa retraite en 1991. Une retraite dont il ne profite pas, terrassé par une crise cardiaque quelques mois après avoir fait ses adieux à la compétition.

RATINA Z (1982-2010) 

Née en Belgique chez Léon Melchior 

Origines: Ramiro Z x Almé 

Avec For Pleasure, Ratina Z est la seule de ce classement des chevaux de légende à avoir gagné des titres lors des grands championnats avec deux cavaliers différents. Débutant sa carrière internationale avec le Hollandais Piet Raymakers, la fille de Ramiro Z est titrée dès sa première année au plus haut niveau et permet à l’équipe néerlandaise d’obtenir la médaille d’or lors des championnats d’Europe de La Baule, en 1991, échouant au pied du podium individuel alors qu’elle tenait la tête de l’épreuve avant la manche finale. Nouveau titre l’année suivante avec l’or olympique par équipes à Barcelone, tandis que Piet Raymakers et Ratina Z s’octroient l’argent en individuel. Ratina Z prend ensuite la direction des écuries de Ludger Beerbaum, avec lequel elle remporte la Coupe du monde 1993 à Göteborg, trois médailles d’or par équipes aux Jeux équestres mondiaux de La Haye en 1994, Jeux olympiques d’Atlanta en 1996 puis aux championnats d’Europe en 1997 à Mannheim. Mannheim qui est la dernière grande compétition par équipes que dispute la jument avec, en apothéose, le titre individuel pour Ludger Beerbaum et Ratina Z. À ce somptueux palmarès viennent s’ajouter de nombreux succès en Coupe des nations ainsi que des victoires dans les prestigieux Grands Prix de Londres, Amsterdam, Berlin, Bois-le-Duc, Valkenswaard et bien sûr Aix-la-Chapelle avant de prendre sa retraite sportive en 1999.

HALLA (1945-1979) 

Née en Allemagne chez Gustav Vierling 

Origines: Oberst et Helen (OI) 

Avec Halla, nous remontons l’histoire jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est en effet quelques jours après l’armistice qu’est née Halla, également connue sous le nom de Sonnenglanz. Jument issues de parents trotteurs, Halla est d’abord orientée vers le concours complet. D’un tempérament compliqué, elle change plusieurs fois de cavaliers avant d’arriver sous la selle de Hans-Gu¨nter Winkler. Gagnante de nombreux Grands Prix, dont celui d’Aix-la-Chapelle, Halla reste surtout dans l’histoire (et dans le Livre des records) comme étant le cheval ayant obtenu le plus de médailles d’or aux Jeux olympiques. Sacrée par équipes et en individuels à Stockholm (1956), Halla contribue ensuite grandement au titre olympique des Allemands à Rome en 1960. Avec Halla et Winkler dans leurs rangs, les Allemands obtiennent également trois médailles d’or aux championnats du monde et deux aux championnats d’Europe. Les titres individuels de champions d’Europe et du monde viendront couronner la fantastique carrière de Halla, qui est retirée de la compétition en 1960 et s’éteint en 1979, à l’âge respectable de trente-quatre ans. 



Une domination "made in Germany", mais quelques fiertés pour la France

LUTTEUR B (1955-1967) 

Né en France dans l’Orne, au domaine de la Foucaudière 

Origines: Furioso x Obok 

Beaucoup de chevaux ont marqué la carrière de Pierre Jonquères d’Oriola. Nous pouvons citer notamment Ali Baba, qui lui permet d’obtenir son premier titre de champion olympique individuel à Helsinki en 1952, Pomone B, grâce à laquelle il est le premier Français champion du monde individuel en 1966, et Lutteur B, le compagnon du deuxième titre individuel aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964. À ce jour, Pierre Jonquères d’Oriola reste le seul cavalier à avoir emporté deux fois ce titre. Lutteur B a également sauvé l’honneur de la délégation française lors de ces Jeux de Tokyo, puisqu’il ramène la seule médaille d’or au clan tricolore. Fils du fameux pur-sang Furioso, qui a laissé son empreinte indélébile dans l’élevage français, Lutteur B est d’abord confié au lieutenant Durant, écuyer à Saumur, avant d’être acheté par Pierre Jonquères d’Oriola à l’âge de sept ans. Outre des victoires en Coupes des nations et de nombreux classements en Grand Prix, le titre olympique reste le seul exploit marquant de Lutteur B, qui, victime d’un accident, meurt prématurément à l’âge de treize ans. 

E.T. FRH (1987-2013) 

Né en Allemagne chez Ilse Hell 

Origines: Espri x Garibaldi II 

Acheté à trois ans aux enchères à Verden, ce petit Hanovrien alezan va dominer le saut d’obstacles mondial de la fin des années 90 et occuper la première place du classement mondial WBFSH trois années consécutives, de 1996 à 1998. Détenteur du record mondial de gains (environ trois millions d’euros), E.T. FRH totalise plus de trente succès en Grand Prix et près de cent-trente podiums en compétitions internationales. Parmi ses principaux faits d’armes, des victoires à Aix-la-Chapelle, Genève, Monterrey, Dortmund, Zurich, Stuttgart, Rotterdam ou encore dans le Grand Prix de Mu¨nster à l’âge de dix-sept ans. Quatrième en individuel des Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, Hugo Simon et E.T. FRH obtiennent la médaille d’argent aux championnats d’Europe de Mannheim en 1997 et surtout deux victoires en finales de la Coupe du monde à Genève en 1996 et Göteborg en 1997. Vainqueur de la première édition de la Coupe du monde en 1979 avec Gladstone, Hugo Simon reste à ce jour le seul cavalier, avec Rodrigo Pessoa, à s’être imposé trois fois dans cette épreuve. Castré dès son plus jeune âge, E.T. FRH n’a bien sûr pas pu avoir de descendance. 

CALVARO V (1986-2003) 

Né en Allemagne chez Detlef Saul 

Origines: Cantus x Merano 

Si Calvaro V fait partie des plus grands chevaux de saut d’obstacles, c’est par son talent, mais aussi par sa taille. Calvaro V est un cheval hors norme, mesurant plus de 1,85m et doté d’une force phénoménale. Ce monstre de puissance est néanmoins un cheval hyper sensible et il faut tout le doigté du Suisse Willi Melliger pour lui permettre de donner la pleine mesure de ses moyens. Acheté à huit ans par Hans Liebherr, le père de Christina, qui le confie à Willi Melliger, Calvaro V est le pilier de l’équipe helvétique pendant toute la deuxième moitié des années 90, avec tout d’abord une médaille d’or par équipes aux championnats d’Europe de Saint-Gall. Le géant gris monte également sur la troisième marche du podium individuel, tout comme deux ans plus tard à Mannheim, alors que l’argent est au rendez-vous en 1999, cette fois par équipes. Toujours de l’argent en 1996 avec une deuxième place en finale de la Coupe du monde à Genève ainsi qu’aux Jeux olympiques d’Atlanta quelques mois plus tard. La dernière compétition par équipes du couple se solde encore par une médaille d’argent par équipes aux Jeux olympiques de Sydney. Les blessures handicapent la suite de la carrière de Calvaro V, qui est retiré de la compétition début 2003. Il ne supporte pas cette retraite et s’éteint quelques mois plus tard. 

ROCHET M (1983-2008) 

Né en France dans la Manche, chez Fernand Leredde 

Origines: Jalisco B x Le Tyrol 

Initialement enregistré sous le nom de Rochet Rouge, le fils de Jalisco B fait des débuts difficiles en compétition sous la selle de Franck Goubard puis Xavier Leredde. Vendu à Marc Gilmet, cavalier de la région dunkerquoise, Rochet Rouge tape dans l’oeil d’Alexandra Ledermann, qui le fait acheter par un ami de la famille: Dominique Mars, qui le rebaptise Rochet M. Puissant, mais au caractère très affirmé, Rochet se montre très compliqué et il faudra du temps pour que le couple trouve son harmonie et que Rochet accepte de sauter sans rechigner les rivières et obstacles sur bidet. Il faudra une bonne année pour que le déclic se produise. En 1994, le couple remporte le Grand Prix de La Baule, puis celui de Bercy l’année suivante et intègre l’équipe de France pour les championnats d’Europe de Saint-Gall, avec une médaille de bronze par équipes à la clé. Si l’équipe de France finit au pied du podium olympique l’année suivante, Alexandra et Rochet reviennent avec le bronze individuel autour du cou. En 1998, c’est une médaille d’argent par équipes qui vient s’ajouter dans l’escarcelle de nos champions à l’occasion des Jeux mondiaux de Rome suivi par un titre de champions d’Europe individuel en 1999 à Hickstead, le premier obtenu par une cavalière. Pas de médaille en 2000 aux Jeux olympiques de Sydney puis, victime d’une sérieuse blessure à un tendon, Rochet M est mis en retraite. Après sept ans à croquer les pommes dans les prés des Ledermann, Rochet M s’éteint en 2008 à l’âge de vingt-cinq ans. 

DEISTER (1971-2000) 

Né en Allemagne chez Hermann Hahl 

Origines: Diskant x Adlerschild 

Acheté 17.000 DM aux ventes aux enchères de Verden en 1974, Deister, vu son modèle et ses origines, était plutôt destiné à faire une carrière de compétiteur en dressage. Il s’avère que le grand bai, au modèle quelque peu ingrat, a plus de prédispositions pour le saut d’obstacles que le dressage. Il débute la compétition internationale avec Hartwig Steenken, champion du monde et d’Europe en individuels et médaillé d’or olympique par équipes. Steenken trouve la mort en 1978 et Deister est vendu pour 200.000 DM à Paul Schockemöhle. Une bonne acquisition, puisque les succès s’enchainent avec cinq titres de champion d’Allemagne, une médaille d’argent par équipes aux championnats du monde de Dublin, ainsi que le bronze aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, année où Deister remporte également le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle. Mais Deister reste surtout connu dans l’histoire pour être le seul cheval à remporter trois titres individuels consécutifs lors des championnats d’Europe de Munich (1981), Hickstead (1983) et Dinard (1985). Fin de carrière sportive en 1989 pour Deister, qui s’éteint en 2000 à l’âge de vingt-neuf ans.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°3.