Un compromis équitable et courageux sur les pay-cards?

Et si l’on admettait que le moment est venu de réglementer une pratique clandestine qu’on ne peut plus éradiquer? C’est la position défendue dans l’édito du dernier numéro de GRANDPRIX heroes.



Un édito sur les pay-cards? Encore? Est-ce bien nécessaire?, s’interrogera-t-on peut-être. Oui, mais il faut rappeler que ces places accordées à des cavaliers en concours internationaux, de saut d’obstacles essentiellement, contre le paiement d’un supplément d’engagement aux organisateurs, constituent une inégalité de traitement entre athlètes, et que celle-ci, par l’intermédiaire des points engrangés au classement mondial Longines, peut fausser le jeu des qualifications olympiques. Bien sûr, la participation aux Jeux repose in fine sur une sélection laissée à la discrétion des comités nationaux olympiques, mais le cavalier ayant obtenu le ticket pour son pays est presque toujours choisi, et la concurrence entre nations n’en demeure pas moins perturbée. C’est pourquoi, comme bien d’autres parties prenantes du sport, le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC), propriétaire dudit classement, s’est toujours officiellement opposé à cette pratique, arguant à raison qu’elle complique l’accès au plus haut niveau d’athlètes jeunes ou émergents non fortunés ni soutenus par de très généreux propriétaires de chevaux.

Pour autant, cela n’a pas empêché d’éminents membres de l’IJRC ni d’acheter leur droit de participer à tel ou tel concours ou circuit, ni de laisser s’instituer ce système dans des événements dont ils ont intégré l’équipe organisatrice. Il ne s’agit pas ici de juger qui que ce soit, mais simplement de reconnaître que les pay-cards font partie du jeu, que la Fédération équestre internationale (FEI), et en tant qu’autorité régulatrice, les interdit par principe mais les a laissé exister avec un certain degré de liberté. De fait, cela dure depuis si longtemps que ces revenus sont devenus indispensables à la rentabilité d’une majorité de CSI, et parfois même de CSIO et CSI-W. Déjà essentiels en temps normal, ils le sont encore davantage en temps de crise 

Cette année, un très grand nombre de rendez-vous, particulièrement de niveaux 3, 4 et 5*, ont été annulés, officiellement en raison des incertitudes sanitaires liées à la pandémie de Covid-19, et souvent officieusement pour des raisons financières. Depuis quinze ans, le nombre de concours avait explosé et, l’industrie – au sens large – en a profité pour se développer plus que jamais auparavant. Cependant, le gâteau du sponsoring n’a jamais crû à la même vitesse – loin s’en faut. De plus, l’équitation n’a guère gagné de parts de marché vis-à-vis des autres sports. “À lui seul, le football draine 85 % des flux financiers du sport de haut niveau”, a affirmé Jean-François Lamour, ancien ministre des Sports, dans un entretien paru le 23 septembre sur le site FrancsJeux.com. “Pour les autres disciplines, trouver des partenaires reste très compliqué.” À cela, bien des organisateurs d’événements équestres pourraient souscrire. Dans le contexte de récession historique que le monde occidental risque de traverser pendant plusieurs années, doit-on alors regarder la bulle exploser ou plutôt l’aider à dégonfler en douceur? Dans une certaine mesure, peut-être faut-il permettre aux organisateurs d’abaisser leurs dotations, de continuer à travailler avec des CSI moins étoilés, et admettre que le moment est venu de réglementer aussi courageusement et équitablement que possible une pratique clandestine qu’on ne peut plus éradiquer. En somme, accepter un mal nécessaire.



Pour y parvenir et se donner les moyens de contenir les dérives constatées en Europe et ailleurs, il faudrait d’abord que les tarifs des pay-cards soient affichés en bonne et due forme sur les avant-programmes des concours. Pour encourager une progression graduelle des cavaliers, la FEI devrait enfin instituer en jumping un système de qualification par couples comparable à celui en vigueur en concours complet. Par exemple, on pourrait imaginer qu’une paire ne puisse sauter une épreuve à 1,50m qu’après avoir réussi un sans-faute à 1,45m, et ainsi de suite.

En outre, il faut s’appuyer sur le système d’engagement numérique mis en place par la FEI, lequel permet de distinguer les athlètes appelés en fonction de leur classement mondial de ceux sélectionnés par la fédération nationale du pays hôte et ceux “invités” par les organisateurs. Celui-ci devra d’ailleurs être amélioré afin de garantir au maximum l’application effective des quotas établis pour chaque niveau – par exemple, en CSI 5*, 60% d’invités en fonction de leur classement, 20% sur sélection de la fédération du pays hôte et 20% à la discrétion des organisateurs –, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement, pour des raisons techniques, surtout en CSI 2 et 3*. À ces mêmes niveaux, il faudrait aussi assouplir le cadre règlementaire en autorisant d’autres formules avec plus d’invitations payantes tout en disposant que les concours concernés rapporteraient moins de points, voire aucun point au classement mondial. 

Enfin, il ne faudrait plus permettre à aucune série de CSI 4 ou 5*, sous prétexte qu’il s’agit d’un circuit, telle que la Global Champions League, de déroger aux règles imposées aux autres acteurs de ce marché, étant entendu que la Coupe du monde et les CSIO le font, mais dans le cadre d’autres systèmes éprouvés et fondés sur le mérite. Oui, le mérite, cette notion qui doit rester un maître-mot dans ce sport, ne serait-ce que pour garantir son équité, sa crédibilité… et son maintien dans la famille olympique.