“Je me concentre désormais sur ma progression et plutôt que sur mes résultats”, Nicole Favereau (partie 1)

Cinquièmes du dernier championnat de France de dressage, Nicole Favereau et Ginsengue font partie des couples à qui le report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été prochain pourrait bien profiter. Consciente des nombreux sacrifices consentis pour réaliser son rêve d’évoluer à haut niveau, la Bordelaise préfère aujourd’hui savourer chaque moment de sport. Son championnat, ses ambitions pour la saison hivernale, ses objectifs, sa relève, son regard sur sa discipline et le monde qui l’entoure, c’est avec la bonne humeur qui la caractérise que la tout juste sexagénaire s’est confiée.



Vous venez de prendre la cinquième place du championnat de France de dressage, à Vierzon, avec Ginsengue (BWP, Welt Hit II x Livingstone). Quel bilan en tirez-vous? 

Je suis satisfaite de ce résultat car j’ai signé deux reprises à plus de 70%, et surtout sans la moindre faute ni note en dessous de 6,5. Jusqu’à présent, Vierzon ne nous avait pas réussi avec Ginsengue, sauf pour notre première fois, en 2015, où nous avions participé au Critérium Espoir Grand Tour (qu’elles avaient remporté, ndlr). Mon cheval avait neuf ans et c’était la première fois que j’obtenais plus de 68% dans un Grand Prix! Les années suivantes, je pense que je m’étais mis un peu trop de pression par rapport aux Jeux olympiques de Rio, puis pour rentrer dans le Groupe 1 (mis en place par la Fédération française d’équitation début 2019 comme support de sélection pour les grands championnats, ce groupe est accessible pour les couples ayant obtenu au moins trois fois la note de 70% dans un Grand Prix du Grand National ou en CDI 3* minimum au cours des douze derniers mois, ndlr), si bien que je passais constamment à côté… Désormais, je ne ressens plus autant cette pression car j’ai décidé de me concentrer sur ma progression plutôt que sur les résultats. Cela semble me réussir! J’espère que nous allons continuer sur cette lancée. Ma jument est âgée de quatorze ans et effectue sa cinquième année au niveau Grand Prix, donc nous commençons vraiment à trouver notre équilibre. Je pense aussi que je la monte mieux! 

Après un printemps tronqué à cause de la crise de la Covid-19, comment abordez-vous la saison indoor, qui se vide progressivement de la majorité de ses grands événements? 

Mon désir le plus cher est de pouvoir courir sur le circuit de la Coupe du monde. Ma jument semble être taillée pour, et j’ai moi-même des prédispositions parce que j’aime beaucoup les Reprises Libres en Musique. Ginsengue se transcende dans ces épreuves! Je vais demander à participer à quelques étapes, mais il faut que mes demandes soient acceptées car nous sommes nombreux à solliciter les places disponibles. 

Avez-vous le regard tourné vers les Jeux olympiques de Tokyo pour 2021? Comment évaluez-vous vos chances de sélection? 

Disons que je regarde les JO du coin de l’œil. Ils ne sont pas un objectif prioritaire, mais je ne dis pas que je ne veux pas y aller. Déjà, pour les chevaux, les conditions vont être difficiles : il y aura une vingtaine d’heures de vol, avec une escale aux Émirats arabes unis, et une température d’environ 37°C et un ressenti de 45°C… Même si les épreuves seront programmées en fin de journée, cela reste très chaud. Ces paramètres gâchent un peu la fête. De plus, il y aura seulement trois cavaliers dans l’équipe, donc les places sont chères. Si je suis lucide, je pourrais peut-être décrocher la place de quatrième et être là pour mes coéquipiers en cas de souci. J’ai pratiqué le handball à haut niveau, donc je connais le rôle du remplaçant, et j’aime beaucoup pouvoir aider l’équipe de France. Compte tenu des conditions climatiques, je pense que la FFE accordera aussi beaucoup d’importance à l’état de santé des chevaux sélectionnés. 

Le fait que les JO aient été déplacés à l’été prochain constitue-t-il un avantage pour vous?

Il est clair que nous serons plus au point l’année prochaine, donc c’est un avantage pour nous, et tant qu’à faire, j’aurais même bien aimé que les Jeux soient déplacés en Europe ! (Rires)



© PSV Morel

Comment jugez-vous la progression de Ginsengue? 

J’ai beaucoup douté avec elle. Le fait d’atteindre les 70% ne nous a paradoxalement pas forcément aidées au début. Je m’étais fixée comme objectif de ne plus commettre de faute, mais parfois, c’est aussi un risque à prendre pour atteindre de plus grandes notes… Je suis désormais sortie de ce processus. Dorénavant, je monte pour aller chercher des points partout où je le peux, et tant pis si je fais une faute. Je trouve que cela porte ses fruits ; par exemple, lors du Grand National de Mâcon, j’ai effectué deux petites fautes, mais je suis quand même sortie avec 71,400% en étant allée chercher des points partout! 

Votre jument semble avoir pris davantage de maturité depuis quelques mois. La période de confinement y est-elle pour quelque chose? 

En réalité, je pense que Ginsengue a bénéficié de l’arrivée de mon autre cheval, Rubens (Rhein, Rifaisos x Livingstone). Bien qu’il ne soit pas encore sorti en compétition, il a déjà intégré tous les mouvements du Grand Prix, même s’il doit encore prendre de la force pour les enchaîner parfaitement. Pouvoir compter sur une monture supplémentaire rassure beaucoup. Même si j’ai monté pas mal d’autres chevaux avant, Ginsengue a vraiment été ma première jument de qualité. Quand nous avons réalisé nos premiers bons scores, je n’en revenais pas! Désormais, nous visons les 72%, qui sont largement à notre portée. Mais pour les atteindre, je dois encore progresser. Je travaille énormément ma condition physique, car c’est une jument tellement sportive à monter qu’il faut que je sois la plus affûtée possible. En fait, elle peut être aussi bien très lourde à monter que légère comme une libellule. En général, lors de la première reprise, elle ne se porte pas vraiment, est un peu anxieuse et intériorise beaucoup. 

Sur quels autres chevaux pouvez-vous compter? 

Je peux déjà citer Rubens. C’est un frère utérin de Ginsengue, mais il est beaucoup plus féminin que celle-ci et n’a pas les mêmes qualités. Rubens est très élastique, danseur, léger et aérien, alors que Ginsengue est davantage une force de la nature. Il est aussi beaucoup plus confortable! Je pense qu’il a de l’avenir. Je monte également un bon cheval de six ans, Johnny Walker (KWPN, Everdale x Orm), qui devrait atteindre assez vite le niveau Grand Prix. À six ans, il passage déjà naturellement, a un excellent galop et marche très bien au pas. C’est le portrait tout craché de son père! Il a les mêmes qualités et les mêmes défauts. Franchement, je n’ai jamais eu une telle qualité de chevaux dans mes écuries. Toutefois, je garde à l’esprit que nous devons en vendre de temps en temps car le haut niveau coûte cher. Si nous avions un mécène, nous pourrions nous permettre de garder les meilleurs, mais ce n’est pas le cas… J’ai quand même la chance de pouvoir conserver Rubens, qui appartient à Mathieu Boisselier (cavalier et gérant de l’éleveur d’Hulm, ndlr), avec qui je m’entends très bien. 

Vous allez fêter vos soixante ans le 29 septembre (entretien réalisé fin août, ndlr). Ressentez-vous l’envie de poursuivre encore longtemps votre carrière sportive? 

Comme je suis professeure de gymnastique à la base, j’ai une bonne condition physique et cela m’aide beaucoup, donc oui. Ma carrière décolle un peu plus aujourd’hui car nous n’avons jamais disposé de gros moyens financiers, puis nous avons eu des enfants et avons tout construit petit à petit. Si Birdy du Bois (Iram de Chalezac x Esco), mon premier cheval de Grand Prix, était arrivé maintenant, il serait vraiment performant car c’était un génie! 

Disposez-vous d’un soutien technique à l’entraînement?

J’ai d’abord connu Patrick Le Rolland (ancien cavalier et entraîneur de dressage, disparu le 28 août 2014, ndlr), qui a beaucoup compté pour moi. Je lui dois une fière chandelle car il m’a permis d’apprendre à monter Birdy, qui était très compliqué. J’ai aussi travaillé avec Jean-Marie Donnard (ancien écuyer du Cadre noir, décédé le 17 août 2017, ndlr), dont la méthode m’a beaucoup inspirée. Depuis quelques années, je profite des conseils de Carlos Pinto (cavalier portugais de haut niveau, ndlr), et je n’envisage pas de faire appel à qui que ce soit d’autre car je suis fidèle. C’est un excellent cavalier et dresseur de chevaux, quelqu’un de vrai et qui dit toujours la vérité. J’ai parfaitement confiance en lui car il est très honnête et c’est extrêmement important pour moi. 

Que vous apporte l’expérience de cavalier de concours complet de votre époux, Jean-Marc? 

Il faut avouer que Jean-Marc monte souvent les cas compliqués (rires) ! C’est toujours lui qui va faire galoper les chevaux dehors, qui les emmène dans l’eau ou leur fait sauter des troncs. Il est d’ailleurs récemment tombé de Ginsengue, qui est très délicate en extérieur. Elle a littéralement voulu le ramener aux écuries!



Après quelques remous en 2018, les relations entre les cavaliers et la FFE semblent désormais plus apaisées. Comment définiriez-vous désormais l’entente avec le staff fédéral?

Aujourd’hui, chacun s’est remis au travail. Nous avons digéré la déception des Jeux équestres mondiaux de Tryon (où la FFE avait décidé de ne pas envoyer d’équipe, jugeant les effectifs restants pas au niveau, ndlr), et personne n’oublie qu’il faudra bien figurer en 2024, aux JO de Paris. Il a fallu aller de l’avant, et après une période de dialogue et de mises au point, les relations entre la FFE et les cavaliers ont aujourd’hui retrouvé leur calme. 

Vous avez remporté trois fois le Grand National. En quoi ce circuit a-t-il fait évoluer la discipline? 

Pour beaucoup de cavaliers, le Grand National n’est vraiment pas négligeable car il peut permettre de financer une partie de la saison, les dotations étant intéressantes. Même si nous donnons beaucoup de stages et que nous vendons des chevaux, le haut niveau coûte cher. Pour ne rien gâcher, ce sont de beaux concours, bien organisés et offrant de belles infrastructures. Même médiatiquement, le Grand National est aussi une belle vitrine ! 

En tant qu’enseignante, comment estimez-vous que le dressage pourrait être rendu plus attractif dans les centres équestres? 

Pour donner envie de faire quelque chose, il faut déjà aimer ça. Le dressage est une discipline qui peut être ludique à tout âge. Il faut prendre le problème à la base : certains enseignants sont un peu dépassés techniquement… De fait, ceux-là ne sont pas capables d’expliquer les exercices précisément, notamment pour les pratiquants les plus avancés, et la pédagogie n’est pas suffisamment adaptée.

La deuxième partie de cet entretien, paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX, sera publiée demain.