“J’ai arrêté le handball, mais il m’arrive encore de rêver de mes matchs!”, Nicole Favereau (partie 2)

Cinquièmes du dernier championnat de France de dressage, Nicole Favereau et Ginsengue font partie des couples à qui le report des Jeux olympiques de Tokyo à l’été prochain pourrait bien profiter. Consciente des nombreux sacrifices consentis pour réaliser son rêve d’évoluer à haut niveau, la Bordelaise préfère aujourd’hui savourer chaque moment de sport. Son championnat, ses ambitions pour la saison hivernale, ses objectifs, sa relève, son regard sur sa discipline et le monde qui l’entoure, c’est avec la bonne humeur qui la caractérise que la tout juste sexagénaire s’est confiée.



La progression du dressage français vous semble-t-elle suffisante, face aux progrès que continuent à réaliser les étrangers? 

Le dressage français a effectivement beaucoup progressé ces dernières années, le niveau global a augmenté, et nous n’avons jamais aussi bien monté qu’aujourd’hui, mais nous ne sommes pas encore assez nombreux. Cela concerne les Seniors mais aussi les Jeunes, même s’il y a des éléments prometteurs. Beaucoup de gens s’intéressent davantage au dressage qu’avant, mais il faut savoir les garder. Nous manquons de chevaux bien dressés pour que les cavaliers puissent apprendre à bien monter et vraiment découvrir les sensations du dressage. 

La domination sans partage d’Isabell Werth et de l’Allemagne permettent-ils encore au dressage d’avoir un minimum de suspense? Et donc d’attirer médias et spectateurs...

Je ne le vois pas comme ça. Les Allemands ont retrouvé cette pole position, qui leur a un temps échappée. La compétition se joue effectivement souvent entre les Allemandes, et je pense que Dorothee Schneider parviendra un jour à battre Isabell Werth, par exemple. Et les Britanniques, comme les jeunes Néerlandais, ne sont pas si loin derrière! Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître l’excellence de leur système et ce sont de vraies sources d’inspiration. 

Quelle est votre opinion sur le port de la bombe obligatoire en CDI à partir de 2021? 

J’y suis favorable. Je vais même aller plus loin : notre discipline connaîtra un nouveau souffle lorsque la FEI décidera de ne plus rendre obligatoire le frac (la veste de concours des dresseurs, ndlr) et d’autoriser les polos, etc. Nous passerons moins pour des gens guindés, pratiquant un sport réservé à une élite. Et franchement, cela serait tellement plus confortable pour les cavaliers… Dans la mesure où nous pratiquons un sport où il faut s’employer physiquement, nous ne sommes pas aujourd’hui habillés de manière adéquate. Je ne comprends pas pourquoi cela n’évolue pas plus vite. 

Le raccourcissement du Grand Prix a un temps été évoqué. Qu’en pensez-vous? 

Je trouve que cela serait positif pour les étapes de la Coupe du monde. Il faut reconnaître qu’il y a toujours très peu de public devant le Grand Prix, qui ne sert qu’à définir l’heure de passage de la RLM. Afin d’éviter de fatiguer les chevaux pour “rien”, raccourcir le Grand Prix pourrait effectivement s’entendre. Ils avaient effectué un essai lors du CDI-W de Londres, et j’avais trouvé qu’il n’avait pas tant été réduit, mais je ne sais pas ce que les autres cavaliers en ont pensé. En revanche, la durée doit à mon sens rester inchangée en championnats car il compte pour le classement par équipes, mais il pourrait évoluer dans sa forme, car cela fait un certain nombre d’années qu’il est identique.



© PSV Morel

La lutte contre la maltraitance animale, et plus minoritairement le mouvement animaliste, semblent plus que jamais faire écho dans la société. Les sports équestres vous semblent-ils en danger? 

Je pense que ces mouvements vont nous obliger à accorder encore plus d’attention au bien-être animal dans notre sport, et on le voit depuis les nouvelles règlementations au sujet des muserolles ou des traces de sang sur la zone des éperons, qui permettent d’évoluer vers une meilleure pratique. Par exemple, je pense que l’utilisation d’un stick lors de la détente sera un jour prohibée. 

Le dressage n’est-il pas sujet à plus d’exigences de la part du spectateur que les autres disciplines? 

C’est le revers de l’idée de légèreté dans le dressage; pour un public non averti, un cheval de dressage qui transpire est un cheval qui souffre. Or, cela choque moins en saut d’obstacles ou en concours complet. En plus, pour ce qui est de cette dernière discipline, les chevaux évoluent en extérieur, ce qui donne l’impression d’une discipline plus naturelle, alors qu’un cheval ne saute pas des obstacles naturellement! Pour moi, le dressage est la discipline la plus naturelle car les mouvements que nous effectuons peuvent s’observer dans la nature. Il y a beaucoup de formation à effectuer dans ce domaine, et il faut reconnaître qu’Odile van Doorn a entrepris un super travail pédagogique lorsqu’elle commentait les épreuves de dressage sur Equidia. Les gens comprenaient ce qu’il fallait regarder, ce qui est jugé, etc. Pour aimer cette discipline, il faut en connaître les codes. 

L’avenir des sports équestres et du dressage en particulier est-il selon vous dans l’allègement des artifices, des embouchures, des éperons, et du renforcement des règles fixées par la FEI? 

Je trouve que chacun devrait avoir le choix, même si je suis persuadée que nous allons tendre vers l’allègement des artifices. Par exemple, la bride n’est pas plus un outil barbare qu’un filet simple. Au départ, celle-ci permet même plus de décontraction. Certains chevaux se sentent mieux en filet simple, mais ne sont pas pour autant mieux dressés que ceux qui sont montés en bride. Et inversement. Il faut choisir ce qui est le mieux pour chaque cheval et trouver l’embouchure qui lui permet de s’exprimer dans les meilleures conditions. Idem pour les éperons. 

Peut-on raisonnablement dire que “c’était mieux avant”

Je pense que notre sport a progressé. Nous n’avons rien inventé, puisque tous les mouvements avaient déjà été inventés ou codifiés, mais je pense que les écuyers d’hier seraient bluffés de voir les chevaux d’aujourd’hui et ils n’auraient qu’une envie : monter dessus, car de tels athlètes aussi dressés n’existaient pas à leur époque. La différence entre les chevaux et les cavaliers des années 1990 et ceux d’aujourd’hui est impressionnante!



L’actualité est marquée par une vague de violences et de barbaries commise sur de nombreux équidés. L’augmentation de la violence de ce genre vous inquiète-t-elle? 

La violence, qui existe depuis toujours, tend malheureusement à augmenter en intensité, et on ne peut pas nier que certains individus sont inquiétants… Franchement, j’ai du mal à comprendre cette histoire horrible… Ces individus, qui font souffrir des animaux gratuitement et les considèrent comme un exutoire, n’ont pas une once d’empathie. Et qu’est-ce qui empêcherait ces gens de désormais s’en prendre à des humains? Est-ce que les médias ont aussi leur part de responsabilité? Je ne sais pas… En tout cas, de manière générale, les journaux télévisés ne présentent que des images de violences dans une espèce de course au sensationnel, alors qu’il se passe aussi de belles choses dans le monde. Au milieu de ces drames, il y a des gens solidaires, et on l’a vu notamment lors de l’explosion au port de Beyrouth (au Liban, le 4 août, après laquelle un élan de solidarité et des levées de fonds d’aide ont fleuri sur les réseaux sociaux, ndlr). Après chaque catastrophe, les gens se mobilisent pour aider ceux qui sont dans la misère. Je déplore un peu qu’on ne parle que des émeutes et des drames… Tout ça contribue à alimenter un sentiment de peur et d’inquiétude. On manque de choses qui font rêver, de belles histoires, des gens qui sont pleins d’amour et qui veulent partager! 

La crise de la Covid-19 a mis en lumière certains dysfonctionnements de la société, notamment notre dépendance à un système mondialisé, intrinsèquement lié au dérèglement climatique. Êtes-vous sensible à ce sujet? Quelle place pourrait occuper l’écologie dans le secteur des sports équestres? 

Bien sûr. Nous allons devoir prendre notre part sur les enjeux environnementaux en trouvant des modes de fonctionnement qui permettent de moins polluer. Chacun, chez soi, peut essayer de consommer moins d’eau et d’électricité, ou encore de récupérer les eaux de pluie. Mises bout à bout, ces petites choses ont de l’importance. En revanche, en ce qui concerne la mondialisation, nous avons peu de pouvoir dessus, si ce n’est en tentant de consommer le plus local possible. 

Pour à la fois sortir du milieu équestre, et ne pas vous focaliser sur ces mauvaises nouvelles en rafale, avez-vous trouvé d’autres occupations? Pratiquez-vous toujours le handball? 

J’ai arrêté le handball, même s’il m’arrive encore de rêver de mes matchs (rires) ! Si je devais en refaire, je le pratiquerais comme loisir car l’entraînement était très intensif. Cela dit, je fais encore beaucoup de sport pour m’entretenir. En soit, nous disposons de peu de temps libre car le haut niveau demande une concentration totale. Nous aimerions bien aller à Saint-Pétersbourg, en Russie, car nous aimons beaucoup voyager. Nous sommes allés à Rome récemment et nous nous sommes régalés! 

Vous diriez-vous confiante en l’avenir? 

Oui, car je suis optimiste. Je me dis que quoi qu’il arrive, dès lors que je suis avec ma famille, nous nous en sortirons. Nous sommes passés par des périodes tellement difficiles que cela nous a formés. Aujourd’hui, nous faisons attention, mais nous avons moins peur du lendemain.

Cet entretien est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°120).