Charismatique et bouillonnant Quickly de Kreisker
Avec le Marocain Abdelkebir Ouaddar, Quickly de Kreisker formait l’un des couples les plus charismatiques du circuit. Ayant débuté sa carrière d’étalon sur le tard, son entourage ayant toujours privilégié sa carrière sportive, le fils de Diamant de Semilly n’a jamais suscité un grand engouement de la part des éleveurs. Pourtant, certains de ses produits semblent intéressants. Cette année, onze d’entre eux se sont qualifiés pour les finales nationales du Cycle classique, programmées fin septembre et début octobre à Fontainebleau.
Lorsque Quickly de Kreisker et Abdelkebir, dit Kebir, Ouaddar rentraient en piste, le public retenait son souffle, prêt à vibrer et à assister à un show. Aussi bouillants l’un que l’autre, Kebir et Quickly faisaient le spectacle, agrémenté par les ruades intempestives de l’étalon avec lesquelles le cavalier marocain avait appris à composer. Tout n’était pas toujours académique - c’était même parfois acrobatique, comme lors d’un parcours mémorable au CSI 5* du Salon du cheval de Paris - mais le couple savait se montrer diablement efficace. De fait, il a remporté pas moins de trente-deux épreuves internationales en un peu plus de quatre ans de compétition en commun, dont deux Grands Prix de niveau 5*, en 2014 au CSIO d’Al-Aïn et surtout en 2016 au Saut Hermès au Grand Palais, incontestablement sa plus belle victoire, avec une avance de plus de deux secondes sur les pourtant véloces britanniques Scott Brash et Hello Forever (Old, For Pleasure x Nimmerdor), faisant exulter le public parisien.
Acheté aux ventes Fences par Liliane Fromer, propriétaire de l’élevage des Blés, sis à Hurbache, dans les Vosges, Quickly de Kreisker a été formé par Benjamin Robert, qui l’a monté de quatre à huit ans, excepté un intermède à cinq ans où il a évolué avec Thomas Rousseau. L’Aquitain, qui travaillait alors chez Bruno Souloumiac, dans les Côtes-d’Armor, l’a valorisé en compétition jusqu’à 1,50m. Finaliste du Cycle classique à Fontainebleau à quatre, cinq et six ans, Quickly a aussi participé au championnat du monde des chevaux de sept ans à Lanaken, concédant une faute en finale et terminant seizième. Avant la vente du crack au roi Mohammed VI du Maroc, à l’automne 2012, et son arrivée sous la selle d’Abdelkebir Ouaddar, le couple remporte coup sur coup une belle épreuve à 1,50 m au CSI 3* de Dinard, puis le Grand Prix CSI 2* d’Auvers.
Benjamin Robert garde mille et un souvenirs de Quickly, qu’il place au sommet de la liste des meilleurs chevaux qu’il ait montés. “Dès le début, nous avons vu qu’il serait sûrement très bon, mais c’est à partir de ses six ans que nous nous sommes vraiment rendu compte qu’il était extraordinaire. On pouvait avoir l’impression qu’il n’avait pas trop de force, mais il avait un coup de jarret formidable, quittant le sol un peu comme un chat. Ce n’est pas le cheval du monde qui a montré le plus de moyens, mais c’est un génie et une vraie bête de concours! J’ai vu passer beaucoup de très bons chevaux, mais lui, c’est vraiment le meilleur que j’aie eu l’opportunité de former.”
Quickly est encore âgé de huit ans lorsqu’il intègre le piquet de Kebir, alors entraîné par Marcel Rozier, avec le double objectif de porter l’équipe marocaine aux Jeux équestres mondiaux de Normandie, et de se qualifier pour les Jeux olympiques de Rio. En quelques mois, ces deux êtres plutôt instinctifs trouvent l’entente, décrochant une première victoire significative dès mars 2013 dans un Grand Prix CSI 3* du Sunshine Tour, à Vejer de la Frontera. Ils devancent alors de près de deux secondes le génial Michel Robert avec Oh d’Éole (ISO 176, SF, Kannan x Papillon Rouge), suivi par le Franco-Suisse Romain Duguet sur Quorida de Trého (ISO 177, SF, Kannan x Tolbiac des Forêts) et le Britannique Robert Whitaker avec Catwalk IV (Holst, Colman x Corleone) - autrement dit, de belles références. À neuf ans toujours, Quickly remporte également le Grand Prix CSI 3* de Vichy, ainsi que les Grands Prix CSI 3*-W de Tétouan et Rabat, dans le cadre du Morocco Royal Tour.
MAUDITE RIVIÈRE
L’année 2014 commence sur les mêmes bases pour le duo, qui devient peu à peu l’un des chouchous du public, dans le monde entier et particulièrement en France. Vainqueurs de leur premier Grand Prix de l’année, au CSI 3*-W de Sharjah, Kebir et Quickly s’adjugent ensuite celui du CSIO 5* d’Al-Aïn puis participent à la finale de la Coupe du monde Longines de Lyon, qu’ils terminent à une fort belle onzième place. Ils gagnent ensuite le Grand Prix CSI 3* du Touquet avant de remporter une épreuve majeure du CSIO 5* de La Baule et de terminer deuxièmes du Grand Prix, derrière le Canadien Éric Lamaze sur Powerplay (Holst, Casall x Limbus) et devant Patrice Delaveau avec Carinjo 9*HDC (Holst, Cascavelle x Landgraf I).
La route vers Caen et les JEM était toute tracée, avec non seulement une première participation collective pour le Maroc, mais aussi de réelles chances pour l’un de ses cavaliers de réussir quelque chose de grand. Quickly prouve alors qu’il fait bel et bien partie des meilleurs chevaux du monde - il prend d’ailleurs la tête du classement des meilleurs performeurs établi par la Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport (WBFSH) - en ne renversant qu’une seule barre en cinq parcours. Malheureusement pour la paire, c’est la rivière qui lui posera problème à trois reprises. Trois fautes sans lesquelles le couple se serait invité à la finale tournante. Cela lui vaut néanmoins une très honorable treizième place finale.
Deux ans plus tard, Quickly permet à Abdelkebir Ouaddar d’être le premier cavalier marocain à participer aux Jeux olympiques. Une première en demi-teinte avec une faute dans la première qualificative et neuf points dans la suivante, qui ôtent toutes chances au couple de participer à la finale. En début d’année 2017, Quickly se blesse. Depuis, il n’est jamais revenu en compétition. Si son cavalier a toujours espéré son retour, il semble assez improbable de revoir le bai, à l’aube de ses dix-sept ans, à haut niveau. Pour autant, le “poney magique”, comme l’appelle son cavalier, restera à tout jamais le cheval de cœur de Kebir. “Quickly est exceptionnel et j’ai ressenti un coup de cœur dès que je l’ai essayé. Il m’a tout donné et je pense qu’aucun autre cheval ne pourra m’apporter ce que Quickly m’a offert. C’est vraiment le cheval de ma vie. Nous avons couru la finale de la Coupe du monde, les Jeux équestres mondiaux et les Jeux olympiques. Au Brésil, il m’a offert le plus beau cadeau de ma vie et m’a apporté énormément de bonheur. De plus, c’est un cheval vraiment gentil et attachant, qui adore les câlins. À la maison, il est calme et peut même être un peu fainéant. En revanche, en concours, il sait pourquoi il est là, se motive et devient un guerrier prêt à tout me donner.”
UNE DES MEILLEURES SOUCHES FRANÇAISES
Quickly de Kreisker est né chez Guillaume Ansquer, installé à Plouhinec, non loin de Quimper, dans le Finistère. Cependant, s’il a imaginé le croisement entre Diamant de Semilly et Briseis d’Helby et a fait naître le poulain, l’éleveur breton n’a cependant pas eu le temps de beaucoup connaître le futur champion. “J’ai acheté Briseis lors d’une réduction d’effectif de l’élevage d’Helby. Non seulement elle était issue de la même souche que l’étalon Fakir de Kreisker (ISO 140, SF, Quito de Baussy x Muguet du Manoir) et sa sœur Jumpy de Kreisker (ISO 164, SF), mais j’aimais bien aussi le fait que ce soit une fille de Laudanum. Albert Lamotte m’a acheté le poulain sous la mère et a ensuite présenté Quickly de Kreisker à deux ans aux ventes Fences. En fait, je n’ai pas fait grand-chose et pas vraiment connu Quickly, qui est le premier poulain que j’ai eu avec Briseis.”
On ne présente plus le père de Quickly de Kreisker, Diamant de Semilly, qui a engendré moult chevaux de haut niveau et a été classé numéro un du classement des meilleurs pères de gagnants internationaux en saut d’obstacles de la WBFSH en 2015 et 2016. Briseis d’Helby, fille du très bon Pur-sang Laudanum, a donné quatorze produits, dont sept ont été indicés au-dessus de 140. Si Quickly est celui qui a obtenu le plus fort indice (ISO 183), on trouve également les SF Javelot d’Helby (ISO 173, Vas y Donc Longane), Kouros d’Helby (ISO 161, Narcos II) ou Iliade d’Helby (ISO 155, Vas y Donc Longane). Briseis est issue de l’une des plus prestigieuses familles du Selle Français, qui remonte à Son Altesse (Vas Y Donc), née en pleine Seconde Guerre mondiale. Par le biais de trois de ses filles, Kavala (Écossais), Libellule L (Foudroyant II, Ps) et Magali (Fra Diavolo, Ps), elle a laissé une descendance extraordinaire avec une multitude de chevaux ayant sauté 1,45m et plus ainsi que de nombreux gagnants au plus haut niveau. Sans vouloir être exhaustifs, citons par exemple Baladine du Mesnil (ISO 181, SF, Le Sartillais x Le Plantero) et Ionesco de Brekka (ISO 171, SF, Dollar du Mûrier x Quat’Sous), deux des grands chevaux de la carrière d’Olivier Guillon, l’étalon national First de Launay (ISO 189, SF, Laudanum, Ps), qui a emmené Florian Angot jusqu’aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004, Oaks Redwood (AWHA, ASB Conquistador alias Bush van de Heffinck x Verdi), finaliste des JEM de Tryon en 2018 avec l’Australien Billy Raymont, Kiwi du Fraigneau (ISO 173, SF, Alcyon du Defey x Laudanum), très performant avec Éric Navet, Kirfa de Kreisker (ISO 171, SF, Papillon Rouge x Muguet du Manoir), excellent avec le Brésilien Alvaro de Miranda, Qoud’Cœur de la Loge (ISO 172, SF, Idéal de la Loge x Ténor de la Cour), brillant avec Roger-Yves Bost, Ratina d’la Rousserie (ISO 168, SF, Quincy x Apache d’Adriers), excellente avec Pénélope Leprevost, de même que son propre frère Viking d’la Rousserie (ISO 165, SF) avec Kevin Staut, Saura de Fondcombe (ISO 168, SF, Balou du Rouet x Paladin des Ifs) avec la Suissesse Nadja Peter Steiner et Éric Lamaze, ou encore Valdocco des Caps (ISO 168, SF Number One d’Iso x Quidam de Revel) avec Guillaume Foutrier et tant d’autres.
UNE SEMENCE QUI SE FAIT RARE
Quickly de Kreisker a débuté la monte en 2010. Il compte cent soixante-seize produits enregistrés au SIRE. Cent-quarante-cinq étaient en âge de concourir en 2019 et quatre-vingt-douze sont apparus en compétition. Les premiers poulains, âgés de neuf ans, commencent tout juste à arriver à maturité. De sa première génération, treize chevaux sont nés et onze ont évolué en compétition. Parmi eux figure Bilbot (ISO 134), qui a intégré le piquet de chevaux d’Abdelkebir Ouaddar, qui en dit grand bien. “C’est un cheval qui a un cœur plus gros que lui. Il ne regarde rien et montre la même envie de bien faire que Quickly. Je pense que c’est un petit champion en puissance”, espère le Marocain. L’année suivante a vu naître trente-neuf produits enregistrés au SIRE. On en a compté jusqu’à cinquante en 2015, la plus prolifique génération de l’étalon breton. Certains d’entre eux se feront peut-être remarquer fin septembre et début octobre à Fontainebleau, puisqu’ils sont huit à s’être qualifiés pour la finale des cinq ans. Quickly compte également deux produits de quatre ans et un de six ans qualifiés pour la finale.
Pour Liliane Fromer, qui a géré sa carrière d’étalon, Quickly lègue souvent son mental, mais pas toujours son modèle. “Il n’était pas spécialement le roi du saut en liberté, mais il avait une bonne tête et montrait de l’intelligence à l’obstacle. Les produits que j’ai chez moi me font penser à lui: ils réfléchissent et ne font pas n’importe quoi, mais sans être les plus démonstratifs du lot. En revanche, dans les modèles, je trouve qu’il y a un peu de tout. Certains sont typés Diamant de Semilly et d’autres sont plus dans le sang.” Selon Guillaume Ansquer, qui a utilisé Quickly et suivi sa production, il faut veiller à bien le croiser. “J’ai vu de bons produits. Maintenant, je pense qu’il ne faut pas l’utiliser comme on utiliserait Diamant de Semilly. Comme les autres chevaux qui ont beaucoup de sang et d’énergie, il faut le croiser à des juments ayant de la force dans le dos et des jarrets bien en place. Parfois, j’ai vu des poulains très jolis, mais qui pouvaient sembler manquer un peu de force. Cette année, j’ai vu des chevaux qui sautaient très bien, comme Expresso, propriété de l’écurie Chev’el. J’en ai fait naître plusieurs, dont une que je juge vraiment très bonne, Féerie FR de Kreisker, qui est au travail chez Rémi Morteau. Quickly amène beaucoup d’énergie et de modernité alors je trouve dommage qu’il ne saillisse plus trop de juments...”
Effectivement, n’ayant pas été prélevée depuis qu’il a évolué au plus haut niveau, la semence de l’étalon se fait de plus en plus rare. On peut cependant espérer que la fin de sa carrière sportive rime avec la reprise de ses fonctions de reproducteur. “Inch’allah” comme on dit sur l’autre rive de la Méditerranée.
Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°120).