Changer de pied sans trembler

Une fois les changements de pied en l’air isolés parfaitement maîtrisés, il est temps de les enchaîner de manière consécutive dans les lignes de quatre, trois et deux temps. Intégrés aux reprises de dressage à partir des épreuves Amateur Élite et Pro 3, les séries de changements de pied mettent autant à l’épreuve la rectitude que le contrôle de l’allure et la réactivité aux aides. Bertrand Liegard, cavalier membre du Groupe 1 de l’équipe de France, détaille les prérequis pour réussir cette figure de Haute École.  



Avant d’aborder les lignes, le changement isolé doit être tout à fait acquis, tant sur le grand côté que sur la diagonale, du galop à faux vers le galop à juste et vice versa. “Il faut déjà s’assurer que les changements de pied isolés soient parfaitement exécutés en amont et surtout sans prise de galop”, insiste Bertrand Liegard. Les changements doivent être exécutés précisément à la demande du cavalier, à la fois dans la rectitude et l’équilibre. De la même manière, les changements de pied doivent être aisés sur un grand cercle vers l’intérieur autant que vers l’extérieur.

Dans un premier temps, plusieurs changements peuvent être enchaînés sans prêter attention au nombre de foulées les séparant, mais en veillant seulement à maintenir le contrôle de l’attitude et de l’allure entre deux. Sur une diagonale ou un grand côté, deux changements pourront s’enchaîner avant de progressivement réduire l’écart en ajoutant un troisième changement, puis un quatrième, etc. “Il ne faut pas aller trop vite, respecter l’échelle de progression dans le mouvement, commencer simplement en exécutant d’abord trois changements de pied sur la diagonale sans vouloir respecter un contrat de foulées entre chaque changement.” À la moindre tension, l’exercice doit être interrompu. Inutile de s’obstiner si le galop se détériore ou si le cheval se crispe. Cela mettrait vraisemblablement en péril la réalisation des changements. “Le cavalier doit avoir une bonne qualité de galop, un bon équilibre dans le galop, une bonne hauteur de nuque ainsi que maintenir une bonne trajectoire dans le tracé.”



Compter les changements

En toute logique, l’étape suivante sera les changements de pied aux quatre temps. D’abord, le cavalier se contentera de deux changements successifs, l’un vers la droite puis quatre foulées plus tard, un nouveau vers la gauche, ou inversement. Lorsque cet enchaînement semble parfaitement acquis, il devient envisageable d’accumuler davantage de changements toutes les quatre foulées. En se basant sur l’exemple des trois temps, il existe plusieurs méthodes pour compter les changements. En admettant que le texte de la reprise, par exemple le Saint Georges ou l’Intermédiaire I, indique une diagonale avec cinq changements de pied aux trois temps, les options sont multiples pour calculer les foulées. Option 1 : 1- 2-3 ; 2-2-3 ; 3-2-3 ; 4-2-3 ; 5-2-3. Option 2 : 1-2-3 ; 1-2-3 ; 1-2-3 ; 1-2-3 ; 1-2-3. Option 3 : 1- 2- et change ; 1-2- et change ; 1-2- et change ; 1-2- et change ; 1-2- et change. Il est dans tous les cas indispensable de tenir un calcul précis afin d’éviter les erreurs, mais également d’employer les aides au moment le plus opportun. Lorsque les changements de pied sont au nombre de neuf, comme les deux temps dans le Grand Prix notamment, il s’agit non seulement de conserver le rythme d’un changement une foulée sur deux, mais également le nombre total de changements, soit neuf dans ce cas précis. Pour rappel, le changement de pied doit être demandé durant la phase de projection de la foulée précédente, lorsque le cheval est dans une attitude montante, sans quoi le risque de retard ou de faute est décuplé.

Bien répartir les changements de pied sur la diagonale va s’avérer indispensable pour décrocher les meilleures notes. Le nombre de changements sur la diagonale est systématiquement impair puisqu’il s’agit initialement d’un changement de main. Le cavalier doit veiller à ce que le changement médian soit placé sur la ligne du milieu ou sur la diagonale HXF ou MXK. Certains entraîneurs vont même jusqu’à recommander de compter le nombre de foulées total sur une diagonale afin de calculer précisément à quelle foulée doit être demandé le tout premier changement.

Il est fréquent que la pureté de l’allure se détériore au fur et à mesure de l’exercice, le cavalier se focalisant davantage sur le comptage des foulées que sur le maintien du galop juste et de la trajectoire correcte. Ainsi, les diagonales ont tendance à zigzaguer, voire à rejoindre la piste trop tôt. Simultanément, le galop tend à s’accélérer, le cheval gagnant en amplitude à force de perdre l’équilibre. C’est ainsi que les derniers changements risquent d’être fautifs et de ternir un exercice pourtant joliment démarré. Il est important de conserver l’équilibre montant du début à la fin en respectant ces trois étapes : parade (remettre le cheval sur les hanches), céder (permettre l’amplitude, l’expression, l’activité des postérieurs et la liberté d’épaules) puis changer.

Le bon galop pour changer de pied réunit l’équilibre, la connexion, l’activité, la rectitude et le rassemblé. Il est essentiel d’avoir un galop identique sur chaque pied afin que les changements soient symétriques. “Il faut surtout être capable de varier la cadence des changements de pied, c’est-à-dire les demander une fois plus grands, une fois plus petits, afin de travailler sur l’amplitude et sur une bonne réactivité à la jambe, afin que le cheval les passe rapidement.”

La rectitude, un incontournable 

Le manque de rectitude risque d’impacter la projection du galop et la fluidité des changements, d’où l’importance de la rêne extérieure dans cet enchaînement. Le cheval ne devrait pas tordre sa tête de droite à gauche en cadence avec le pied du galop, ni basculer ses hanches au rythme de chaque changement. L’esprit du cheval doit clairement dissocier les aides visant à améliorer la rectitude des aides du changement de pied. Redresser les épaules du cheval sur la ligne avec la rêne extérieure ne doit pas entraîner l’anticipation du changement de pied. “Pour travailler la rectitude dans ses lignes: se placer sur la longueur en piste intérieure, utiliser davantage la jambe extérieure pour tenir les hanches et ainsi contrôler la rectitude et l’équilibre latéral du cheval. Le nez du cheval doit être au milieu des ars du torse, ce qui permet de contrôler en même temps ses épaules.”

Alors qu’un cheval qui balance les hanches de droite à gauche sera sanctionné, travailler les lignes sur la piste contre le parebottes sera une aide considérable pour améliorer la rectitude. Si le cheval a tendance à basculer la croupe vers la droite en changeant en ce sens, demander le changement sur la piste à main gauche de juste à faux s’avérera être un outil précieux. “Pour aller chercher la note de 10 en concours, il faut que la diagonale soit parfaitement équilibrée, c’est-à-dire que les changements de pied rapprochés soient étalés sur l’ensemble de la diagonale. On va ensuite regarder l’amplitude des changements de pied, la rectitude et l’attitude. Il faut chercher à avoir les changements de pied les plus grands possibles, sans perdre l’équilibre au fur et à mesure de la diagonale.” 



La position du cavalier

Le haut du corps reste fixe, le regard porté au loin. Les jambes sont descendues et décontractées afin d’éviter toute incompréhension. Entre les changements de pied, elles encadrent le cheval dans l’optique de conserver le galop sur le bon pied et de prévenir toute anticipation. Bien que les techniques varient, la plupart d’entre elles consistent à décaler la jambe extérieure pour initier le changement. Par exemple, pour changer de pied du galop à droite vers le galop à gauche, la jambe droite se recule nettement. Simultanément, la future jambe intérieure s’avance, libérant le cheval de l’obligation de rester sur le pied droit. Ce décalage peut être maintenu jusqu’au prochain changement et adapté en fonction de la sensibilité de chaque cheval. Accompagner la foulée avec la jambe extérieure peut éventuellement aider le cavalier à se repérer dans les séries de changements afin d’aider au comptage des foulées.

Avec le balancement des jambes, le cavalier est susceptible de bouger dans la selle, or il est préférable de conserver un maximum d’équilibre dans le poids du corps et de tranquillité dans l’assiette afin de ne pas gêner son cheval. Le buste reste droit, sans vriller de gauche à droite. Dans un souci d’esthétique autant que d’efficacité, mieux vaut rester assis au milieu du cheval, apportant une impression d’aisance tout en encourageant le maintien d’une ligne parfaitement droite. L’effet “essuie-glace” est à proscrire. Bien que les jambes s’avancent et se reculent, leur action doit être nette et précise, se relâchant le plus possible. La préparation grâce aux indications du corps et la précision du cavalier permettent de lutter à la fois contre l’anticipation, mais également contre la surprise d’un cheval qui aurait une réaction excessive sur les aides. “Il faut bien garder à l’esprit que dans les changements de pied, l’ennemi premier lorsque l’on commence à travailler sur les lignes est la prise de galop. Pour contrôler cela, il faut avoir un cheval parfaitement en équilibre et qui reporte facilement du poids d’une jambe sur l’autre comme dans un appuyer car les aides d’un appuyer s’apparentent à la demande d’un changement de pied.”

Les erreurs fréquemment rencontrées dans les lignes de changements de pied portant préjudice à la notation sont: les fautes de compte ; les fautes de changements: en deux temps, pieds joints, croupe haute, rupture du galop… Pour les éviter, deux exercices sont recommandés en préparation des lignes de changements de pied. Le premier consiste tout simplement à enchaîner des changements sur une serpentine de cinq ou six boucles de manière à maintenir le galop sur les hanches grâce aux courbes tout en soignant l’activité et la rectitude sur les lignes droites. Pour que cette préparation soit optimale, la rectitude en amont et en aval du changement doit être irréprochable. Le second exercice est constitué d’un enchaînement de discrètes cessions à la jambe préparant le changement de pied. Au galop à droite, le cheval est placé sur la ligne du quart. Le cavalier demande une longue cession à la jambe gauche, vers la droite, allant peu de côté mais les épaules menant les hanches. Il obtient une légère contre flexion, le bout du nez du cheval sensiblement incurvé à gauche. Avant de changer de pied, le cheval marche droit une ou deux foulées puis repart dans le sens contraire en cession à la jambe droite, sur le pied gauche et dans cette même direction. Sur une longueur pourront s’enchaîner à terme deux, puis quatre, puis six cessions successives. Ce mouvement sensibilise le cheval aux aides des changements, le canalisant avec la rêne extérieure et le rendant attentif aux jambes.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°120 d’octobre 2020