Cavalier Royale, toujours au goût du jour (partie 1)
En parcourant les listes de départ des derniers championnats du monde des Jeunes Chevaux de saut d’obstacles, disputés chaque année à Lanaken, sauf en 2020 pour les raisons que l’on sait, un certain Cavalier Royale revient régulièrement dans les pedigrees des chevaux inscrits au stud-book du Cheval de Sport Irlandais (ISH). Ce fils du Selle Français Cor de la Bryère fut le premier cheval de race Holsteiner importé sur l’île d'émeraude. Et son empreinte est indélébile. Voici son histoire.
Les terres de Tornesch, petite ville du Land allemand du Schleswig-Holstein, sont particulièrement fertiles en bons chevaux de sport. Ainsi, c’est là, à trente kilomètres au nord-ouest de Hambourg, qu’est née la jument Étoile (Holst, Aldato), arrière-grand-mère de VDL Bubalu (KWPN, Baloubet du Rouet x Nimmerdor) et arrière-arrière-grand-mère de Verdi TN (KWPN, Quidam de Revel x Landgraf I), deux étalons médaillés d’argent par équipes aux Jeux olympiques de Londres en 2012 et d’or aux Jeux équestres mondiaux de Normandie en 2014 avec les Néerlandais Maikel van der Vleuten et Jur Vrieling. De Zamora, propre sœur d’Etoile, sont issus Cicero (Holst, Cor de la Bryère x Liguster), Cicera’s Icewater (Holst, Corofino I x Cor de la Bryère), Kira III (Holst, Carthago x Cor de la Bryère), ancienne bonne partenaire du Belge Ludo Philippaerts, Spiga (Holst, Carthago x Landgraf I), performante avec le Néerlandais Léopold van Asten, ainsi que l’étalon Cavalier Royale, tous élevés par Anke et Manfred Johannsen, parents de la talentueuse cavalière de concours complet Inken von Platen-Hallermund.
Cette souche maternelle, que la famille développe depuis des générations, provient en réalité de celle d’Anke Johannsen, née Plüschau, depuis les années 1900. Lorsque l’on remonte sur trois générations la lignée de Cavalier Royale, on s’aperçoit que son grand-père, Liguster, et son arrière-grandpère, Colombo, furent également élevés par la famille Johannsen-Plüschau. Ligustra, la mère de l’étalon, a engendré onze produits dont huit issus de Cor de la Bryère (PS, Rantzau, Ps x Lurioso), étalon qualifié de “don de dieu” par les éleveurs allemands, tant il a influencé et bouleversé à jamais leur production, notamment dans le Holstein, avant que ses descendants n’essaiment dans toute l’Europe, et même au-delà. Cavalier Royale est le tout premier poulain de Ligustra, et le second n’est autre que l’étalon Caprivi (Holst, Capitano).
Signalons aussi que Thymara, propre sœur de Cavalier Royale, a été nommée meilleure jument du stud-book Holsteiner et a également terminé première du test de performances de sa classe d’âge. Elle est d’ailleurs la grand-mère maternelle de Spiga, précédemment citée. En 1984, Cicero, propre frère de Cavalier Royale, a été classé deuxième de l’approbation des étalons Holsteiner et a été importé aux États-Unis en 1988 par Karen Reid. Il est notamment le grand-père maternel de Cristallo (Holst, Caretino), quintuple finaliste de la Coupe du monde et multiple vainqueur de Grands Prix CSI 5* avec l’Américain Richard Spooner. Vamara, autre propre sœur, a joué, comme Cavalier Royale, un rôle important dans l’élevage irlandais, à travers son fils, Courage II (ex-Calypso Song, Holst, Capitol I), cinquième du dernier classement des meilleurs pères de gagnants internationaux en concours complet établi par la Fédération mondiale de l’élevage des chevaux de sport (WBFSH), et déjà troisième en 2018. Courage II était l’étalon le plus représenté dans cette discipline aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Bien qu’il n’ait effectué que quatre saisons de monte en Irlande, puisqu’il est arrivé à douze ans en 2002 et est mort en 2006, il a parfois été décrit comme le successeur de Cavalier Royale. “Il a sailli un petit nombre de juments en Suisse avant d’être vendu, ou loué, en Irlande, probablement en raison de ses origines communes avec Cavalier”, déclare Andrea Etter à son sujet. Courage II est également passé sous les selles des Suisses Walter Gabathüler et Leslie McNaught, qui conservent tous deux le souvenir d’un cheval agréable à monter, volontaire et doté d’un excellent coup de saut.
LE COUP DE GÉNIE DE MAUX HAURI.
Né en 1978, Cavalier Royale a été présenté à la Körung du Holstein mais non approuvé et vendu en Suisse dans la foulée. “Mon père l’a acheté en Allemagne à trois ans puis l’a vendu à William Mosset, propriétaire de chevaux chez Hansueli Sprunger (le père de Janika, ndlr) et Walter Gabathüler”, raconte Andrea Etter, le frère du champion Daniel Etter. “Mosset l’a ensuite vendu à Max Hauri qui l’a lui-même cédé à l’Irlandaise Marion Hughes. Il convenait particulièrement bien aux juments irlandaises car il leur a apporté l’action qui leur manquait.” En 1989, après avoir brillé sur la scène internationale avec le Suisse Hansueli Sprunger, Cavalier Royale a donc été exporté en Irlande avec l’aide de Seamus Hughes et Max Hauri, marchand et cavalier ayant participé aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964 et Munich en 1972, en complet et en saut d’obstacles la seconde fois. “Il est arrivé grâce à Max Hauri, brillant homme de cheval. Ayant tous deux représenté la Suisse dans bien des Coupes des nations, ses deux fils, Markus et Thomas Hauri, vendent et élèvent aujourd’hui des chevaux. Ayant décelé la qualité des juments irlandaises, Max Hauri, qui appréciait particulièrement Cor de la Bryère, a pensé qu’il serait bénéfique d’apporter de la puissance et de l’équilibre aux chevaux irlandais. Il a alors conseillé à mon père d’acheter Cavalier Royale et de l’utiliser en Irlande, ce qu’il a fait”, raconte Marion Hughes. “Cependant, comme mon père n’aimait pas trop les étalons, il l’a confié à Michael Quirke, un ami de la famille.”
Il a alors été consacré à la reproduction pendant trois ans chez l’éleveur Paddy Quirke. Puis, il a passé la plus grande partie de sa vie à l’élevage de Williamstown, à Dunboyne, propriété de John Hughes, le frère de Seamus Hughes, vétérinaire spécialisé dans la reproduction et grand éleveur de chevaux Pur-Sang et Demi-sang. “Tous les trois ont accompli du bon boulot. Michael et Paddy Quirke l’ont fait saillir de nombreuses juments car ils l’aimaient beaucoup. À l’époque, mon oncle, qui était vétérinaire à Dublin, commençait à pratiquer les transferts d’embryons. Nous en avons fait beaucoup avec Cavalier Royale quand nous l’avons accueilli. Mon oncle l’adorait, il avait des centaines de photos de lui et en était si amoureux qu’il faisait en sorte qu’il y ait toujours un âne ou un mouton pour lui tenir compagnie à l’écurie. Il laissait même la radio allumée toute la journée pour qu’il ne s’ennuie pas.” “Seamus et Max était de très bons marchands et amis”, se rappelle John Hughes. “Seamus a importé de nombreux chevaux irlandais en Suisse. Max, de son côté, a estimé que le pedigree de Cavalier Royale, mêlant notamment les courants de sang de Furioso, Cottage Son et Ladykiller, trois Pur-sang nés en Irlande, conviendrait bien à nos juments irlandaises. Cavalier était le plus gentil des chevaux. Il venait toujours vers nous lorsque nous rentrions dans son pré et ne mangeait pas sa ration si l’on ne l’agrémentait pas de carottes. Il avait un excellent tempérament, qu’il a d’ailleurs transmis à ses produits.”
UN PIONNIER RECALÉ PUIS APPROUVÉ.
Avant de devenir l’étalon le plus populaire du pays, Cavalier Royale s’est d’abord vu refuser l’approbation de l’Irish Horse Board. “Les responsables de la commission n’appréciaient pas que des étalons continentaux viennent sur leur territoire. Encore faut-il rappeler que nous étions les premiers à importer un Holsteiner en Irlande…”, rappelle Marion Hughes. Heureusement, ladite commission est revenue sur sa décision dès la saison suivante. Sa réputation est alors allée crescendo grâce aux performances de sa descendance. Ainsi, pas moins de huit produits issus de sa première génération se sont qualifiés pour la finale nationale du championnat des trois ans, dont cinq qui ont figuré dans le top vingt. Lors de ce rendez-vous organisé à Millstreet, la descendance de Cavalier Royale a obtenu de meilleurs résultats que celle de Clover Hill (ISH, Golden Beaker, Ps x Tara), qui n’avait plus été battue depuis des années. “Michael Quirke, pilier du monde de l’élevage à l’époque, a été le premier à l’utiliser. De nombreuses personnes avaient confiance en son travail et ont donc cru en Cavalier Royale. De plus, il était très fertile. La première année, même sans approbation, il a produit quatre-vingt-dix poulains”, affirme Marion Hughes.
Par la suite, ses produits n’ont cessé de performer sur les circuits Jeunes Chevaux, à l’image de La Dona (ISH, mère par King of Diamonds), qui a connu un grand succès avec Marion Hughes, avant de progresser jusqu’à 1,60m. Sa propre sœur, La Gata, a concouru au même niveau avec la Suissesse Dehlia Œuvray. En 1992, grâce à des transferts d’embryons réalisés par John Hughes, Grange Queen (ISH, Kings of Diamonds x Nordlys, Ps) a donné trois poulains ISH de Cavalier Royale. Deux d’entre eux se sont illustrés jusqu’à 1,60m : Two Mills Showtime avec le Britannique Robert Maguire et Splendido avec Japonais Shinichiro Sugiyama. Et la troisième, Naomi Cambell, a engendré Rolo Tomasi (ISH, Laughton’s Flight), qui a notamment fini quatrième du célèbre Derby de Hickstead avec l’Irlandais David Simpson. Pour être complet sur cette famille, MHS Attraction (ISH, Numero Uno x Diamant de Semilly), petite-fille de Naomi Cambell, concourt aussi à 1,60m sous la selle de l’Espagnol Sergio Álvarez Moya.
En 2006, lors des Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle, Marie Burke a formé un couple remarquable avec l’étalon Chippison (ISH, Cavalier Royale x Flagmount Boy), qu’elle avait fait naître, terminant vingt-quatrième - la première performance irlandaise. Précédemment, la paire s’était aussi classée deuxième du Grand Prix CSIO de Lisbonne, troisième du Grand Prix CSIO de Dublin et avait remporté la Coupe des nations de Lummen. Chippison a même fini deuxième meilleur performeur de l’année selon les données collectées par la WBFSH. Mentionnons également Calibra II (ISH, mère par Penistone, Ps), vu aux Jeux olympiques de 2008, à Hong Kong, sous la selle de la Suédoise Lotta Sjöberg (ex-Schultz), Bornacoola (ISH, mère inconnue), performante en Coupe du monde et Coupe des nations avec l’Irlandais Gerard Flynn, Amos (ISH, mère par Ballinvella, Ps) et McGuinness (ISH, mère inconnue), auteurs de remarquables carrières avec l’Américain Richard Fellers, les propres frères Royal Charmer et Prince Cavalier (ISH, mère par Diamonds are Trumps), élevés par Anne Hughes, l’épouse de Seamus Hughes, et ayant concouru respectivement avec le Suisse Markus Fuchs et l’Italien Paolo Nuti. Citons encore Cavinem (ISH, mère par Diamond Lab), vu à 1,60m avec l’Irlandais Billy Twomey, Casino (ISH, mère OI), arrivé au même niveau avec le Britannique Robert Whitaker, de même que Camaron Hills Shanroe (ISH, mère par ARD Allez Cat, Ps), finaliste de la Coupe du monde avec Richard Spooner, avant de poursuivre sa route sur ce circuit avec les Américaines Joie Gatlin puis Molly Talla, Mr Flanagan (ex-Royal Agent, ISH, mère par Yellow River, Ps), performant à cette hauteur avec Dominique Robert, ou encore Egie of Colors (BWP, mère par Royal Feu), vue à 1,50m avec Janika Sprunger et mère de Caol Ila Birdavenue (sBs, Eros Platière), très performante à 1,45 m avec le jeune Belge Brent Gaublomme.
Enfin, Marion Hughes a monté elle-même au plus haut niveau deux autres excellents fils de Cavalier Royale : HHS BR Charlton (ISH, mère par King of Diamonds), qu’elle a fait naître en 1990, et Heritage Transmission (ISH, mère Diamond Serpent), né en 1995 pour le compte de Max Hauri. “Charlton était un merveilleux cheval, issu de la première année de production de son père en Irlande et avec lequel j’ai terminé dixième des championnats d’Europe d’Hickstead, en 1999. Lorsque nos chevaux avaient trois ans, mon père commençait à les longer pour voir comment ils se comportaient. À cet âge, Charlton était très imposant, mais mon père l’adorait. Il se comportait comme une machine à la longe, de même qu’au saut en liberté. Mon père l’amenait parfois dans le jardin devant notre maison, ce qu’il n’avait jamais fait avec un autre cheval auparavant. Charlton était comme son animal de compagnie. Mon père est mort en 1994, il n’a donc pas pu le voir briller en piste. Après les Européens de 1999, nous l’avons vendu aux États-Unis, où il a accompli une belle carrière avec Clare Bronfman, remportant notamment le Grand Prix CSIO de Rome en 2002. Avec Transmission, j’ai fini deuxième du Grand Prix CSIO de Falsterbo, et nous avons participé à plusieurs autres beaux CSIO, dont ceux de Dublin et Aix-la-Chapelle, ainsi qu’aux championnats d’Europe de Mannheim, en 2007. Hélas, il s’était blessé lors du Dublin Horse Show…” Il a ensuite obtenu quelques bons résultats sous la selle du Britannique Nick Skelton, avant de terminer sa carrière avec l’Américain Richard Neal. “Cavalier Royale m’a également donné quelques bonnes juments, que j’ai vendues parce que j’étais jeune et que je n’avais pas les moyens de les garder. L’une d’elle, Dreamin (ISH, mère par Clover Hill), née en 1990, a participé à la victoire de la Suisse aux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers avec Thomas Hauri, le fils de Max.”
Cet article, dont la deuxième partie sera publiée demain, est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX heroes (n°118).