Rouge de Ravel, le joyau français poli par Guy Williams
Un guerrier susceptible. Ainsi peut-on décrire l’attachant Rouge de Ravel. Depuis trois ans, le Selle Français évolue sous la selle du Britannique Guy Williams. Ensemble, ils enchaînent les succès. Leur dernière victoire en date remonte à un Grand Prix CSI 3* disputé le 10 octobre à Vilamoura. Né chez Priscilla et Jean-Noël Pottier, puis acquis par Corinne et Gavin-John Alexander à trois ans, le beau bai figure au cinquième rang du dernier classement des meilleurs performeurs internationaux en saut d’obstacles. Après s’être consacré à sa carrière sportive, l’étalon écrira bientôt une nouvelle page de son histoire. Portrait.
“J’ai acheté Rouge de Ravel aux ventes NASH, alors qu’il n’avait pas tout à fait trois ans… parce qu’il m’avait fait un câlin lorsque j’étais allée le voir dans les boxes à Saint-Lô et qu’il avait un cœur au milieu du front!”, narre avec une passion toujours intacte Corinne Alexander, propriétaire de l’étalon. “À ce moment-là, je me suis dit: ‘Toi, si tu ne pars pas à une somme pharaonique, tu seras mien’. À l’époque, nous étions assis à côté du sélectionneur de l’équipe de France, Laurent Élias, qui avait dit que ce cheval était intéressant. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose!” C’est ainsi que Rouge de Ravel (ISO 178, SF, Ultimo van ter Moude x Quouglof Rouge) a rejoint le haras de Lillebec, propriété de Corinne et Gavin-John Alexander et situé à Pont-Audemer, dans l’Eure.
Né en 2005 chez Priscilla et Jean-Noël Pottier, le beau bai avait été cédé à six mois à Xavier Leredde, qui l’avait baptisé en francisant son nom de famille. “Nous avions acheté pouliche sa mère, Océane du Ruisseau. À cette époque, nous achetions quelques foals tous les ans. Nous avons élevé la jument puis l’avons fait reproduire dès l’âge de quatre ans. Rouge a été son premier poulain”, conte Jean-Noël Pottier, dont le travail est aujourd’hui récompensé par les performances du crack. “Poulain, il était déjà magnifique, avec beaucoup de tissus. Il était très dynamique, dans le sang et plaisant. Il venait facilement vers l’homme et était un petit peu joueur. Son tempérament d’aujourd’hui reflète bien le caractère qu’il avait poulain.”
Une fois installé chez les Alexander, le Selle Français débute sa formation sous les selles des cavaliers successifs du haras. À quatre ans, il effectue treize parcours avec Nicolas Hamon et signe un bon double sans-faute au CIR d’Auvers. L’année suivante, Clément Boulanger reprend les rênes du bouillonnant étalon, qu’il monte jusqu’à ses sept ans. “C’était un cheval avec du sang, très respectueux. Une vraie petite balle. Il a toujours eu une véritable personnalité”, se souvient Clément Boulanger, qui surnommait Rouge de Ravel “mon coquin”. Déjà prometteur, le mâle participe sous sa selle à la finale du Cycle classique des chevaux de cinq ans, à Fontainebleau. “Je garde le souvenir d’un vrai cheval d’avenir, avec du caractère. Il est de la trempe de ceux qui nous marquent en tant que cavalier”, reprend Clément Boulanger. “Il fait partie des chevaux qui naissent naturellement doués. Ensuite, il faut pouvoir les guider jusqu’au haut niveau.”
À six ans, Rouge se blesse dans son box. Sa propriétaire le soigne avec attention, et il retrouve les terrains de compétitions l’année suivante, toujours sous la selle de Clément Boulanger. Lorsque ce dernier quitte le haras de Lillebec, il laisse les rênes du charismatique bai au Portugais Francisco Guedes, puis à Jonathan Chabrol. De fin 2013 à début 2015, Rouge de Ravel évolue sous la selle de Christophe Grangier. Même s’il est toujours plus simple de vanter les qualités d’un cheval après qu’il a fait ses preuves à haut niveau, le pilote se souvient d’un partenaire “facile, intelligent, très beau et avec un vrai sens de l’obstacle", qui "n’était pas si facile à gérer à la maison, avait un caractère d’entier et était un peu fainéant, ou facilement distrait par les juments.” Après un an de collaboration, Christophe Grangier, qui n’était pas salarié de Lillebec et montait surtout les recrues de Corinne Alexander en concours, change d’horizons. Entre 2015 et 2016, Rouge effectue encore quelques apparitions François-Xavier Boudant et Elliot Souster, ainsi que le Monégasque Wenceslas Thomel.
Rouge de Ravel a été formé par plusieurs cavaliers, dont Christophe Grangier. © Sportfot
Guy a vu Rouge… et il est resté!
Durant l’hiver suivant, il croise enfin la route de Guy Williams, alors installé à Saint-Paër, à vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de Rouen. “J’ai rencontré les propriétaires de Rouge lors d’un concours national en France, où j’accompagnais ma fille. Gavin m’a demandé si je voulais monter le cheval. Il avait toujours su qu’il pouvait gagner des Grands Prix”, relate le cavalier, avec son accent so british. “Je me souviendrai toujours du jour où Guy est venu l’essayer”, poursuit Corinne Alexander, non sans émotion. “C’était comme s’ils étaient faits pour se rencontrer: quand on les a vus tous les deux sur la carrière, on a su qu’ils s’étaient trouvés.” Pour autant, sans un coup du destin, les deux complices ne se seraient peut-être jamais rencontrés. “Un grand cavalier, le Brésilien Yuri Mansur, est venu le voir, parce qu’il voulait absolument le monter. Lorsqu’il est arrivé, nous avons sorti Rouge de son box… et il était raide boiteux !”, raconte Corinne Alexander. “Nous étions très inquiets. Une fois la voiture partie, nous nous sommes empressés de ressortir le cheval afin de voir ce qu’il avait. Et là, plus aucun signe de boiterie! On l’a regardé se mouvoir sur la piste en herbe, la carrière de sable, sur le sol dur, dans le rond d’Havrincourt, etc. Rien, plus rien ! Je me suis dit qu’il n’avait pas envie de déménager et qu’il voulait rester à Lillebec.”
Finalement, la vie a eu raison d’associer Rouge de Ravel et Guy Williams. “Quand il a rejoint Guy Williams, Rouge de Ravel est vraiment passé au niveau supérieur. Cette rencontre a été un vrai déclencheur”, confirme Jean-Noël Pottier. Auparavant, il avait majoritairement évolué jusqu’à 1,40m. “Nous avons pris extrêmement soin de lui. Nous faisions très attention à toutes ses séances de travail, et ne concourait pas énormément”, souligne Corinne Alexander. “Nous attendions de rencontrer la personne qui lui conviendrait parfaitement.” Avec trente-sept victoires internationales en trois ans, dont un Grand Prix CSI 4*, en 2019 à La Corogne, cinq Grands Prix CSI 3*, à Reims en 2017 et 2018, à Béthune en 2018, à Mons en 2019 et Vilamoura le 11 octobre cette année, sans oublier un Grand Prix CSI 2* en 2017 à Auvers, et pas moins de trente podiums supplémentaires, Rouge de Ravel est devenu l’un des meilleurs chevaux d’Europe. Il s’est d’ailleurs aussi illustré au niveau 5*, remportant le Bunn Leisure Trophy l’an dernier au CSIO d’Hickstead, ou encore une épreuve à 1,50m en 2018 au Longines Global Champions Tour de Londres.
Quand on questionne Guy Williams sur les raisons de ses innombrables succès, le Britannique répond sobrement qu’il n’y a pas de secret : “Rouge est simplement un excellent cheval. Pour notre premier concours international, je l’ai récupéré chez les Alexander et emmené directement au CSI 2* de Lummen. Là-bas, il a terminé deuxième de deux épreuves comptant pour le classement mondial. Puis il m’a accompagné au CSI 5* de Windsor, où il a terminé sixième du Grand Prix. Depuis, il a continué sur sa lancée et a toujours remporté des épreuves”, résume Guy Williams. “Sa régularité est l’une de ses principales qualités. Il saute toujours de la même façon. Il est aussi très rapide, agile et respectueux. Il veut gagner autant que moi et aime être monté dans un train soutenu! En outre, il a une forte personnalité. Il est très courageux et il a beaucoup de qualités, mais aussi un caractère bien trempé. En tant que cavalier, on doit s’adapter à lui. Il doit suivre sa propre voie.”
Rouge de Ravel et Guy Williams se sont habitués aux remises des prix. © Sportfot
Une future carrière d’étalon ?
Aujourd’hui, tous les succès de Rouge le conduisent à la cinquième place du classement des meilleurs performeurs internationaux en jumping édité en octobre par la Fédération mondiale de l’élevage des chevaux de sport (WBFSH). L’étalon est même le premier représentant du stud-book Selle Français. Désormais âgé de quinze ans, le beau bai n’a rien perdu de sa superbe. “Je m’attendais à ce qu’il s’use un peu au fil des saisons, mais j’ai été surprise lors de sa dernière visite vétérinaire: tout est nickel”, se réjouit Corinne Alexander. D’ailleurs, Rouge est suivi par le même vétérinaire depuis ses débuts. Cela explique peut-être sa longévité au très haut niveau.
“J’espère que l’année prochaine sera encore fructueuse pour lui”, avoue Guy Williams. “Par la suite, si nous en avons l’opportunité, il sera sûrement stationné dans un haras pour faire la monte. Enfin, cela relève bien sûr de la volonté des propriétaires.” Si Rouge de Ravel s’est jusqu’à présent entièrement consacré au sport, la demande des éleveurs s’accroît. “On nous le demande beaucoup, et il va prochainement être distribué. Les Anglais sont comme des fous, il y a une trentaine de personnes qui sont déjà sur liste d’attente”, révèle Corinne Alexander. “Il sera d’abord disponible outre-Manche. En France, l’engouement est moins important. Les seuls à me l’avoir demandé, lorsqu’il était plus jeune, sont les Chenu (Annick et André, propriétaires du haras du Plessis et des chevaux montés par Alexis Deroubaix, ndlr).” Christophe Grangier estime aussi que son ancien protégé “mériterait” d’engendrer une descendance. “Il n’y a pas beaucoup de chevaux modernes comme lui qui sont étalons. Il a des qualités plaisantes et a gagné sur tous les terrains d’Europe, aussi bien en indoor qu’à l’extérieur. C’est un guerrier!”, salue-t-il.
Désormais installé au Royaume-Uni, où Guy Williams a réemménagé, Rouge de Ravel n’est jamais bien loin du regard bienveillant de Corinne Alexander. “C’est mon bébé. Quand je vais le voir, je fais exprès de me cacher dans les boxes pour voir sa réaction quand il entend ma voix”, confie cette dernière. “Il me cherche et tourne dans son box. Il reconnaît tous les gens qu’il a connus depuis que nous l’avons acheté. C’est vraiment une très belle histoire.” La propriétaire du haras de Lillebec est si attachée à son protégé qu’elle ne peut pas le regarder sauter en piste. “J’ai peur”, confesse-t-elle.
Chez Guy Williams, Rouge a trouvé une routine qui semble lui convenir en tout point. “Je pense qu’il aime avoir une vie paisible. Ma groom, Natalie Tinworth, l’emmène se promener. Je le monte très peu en dehors des concours et il ne saute jamais à la maison. Je ne crois pas qu’il apprécierait de travailler sur le plat tous les jours! Alors, il profite simplement de ses balades”, détaille Guy Williams, très reconnaissant envers les Alexander. “Je suis très chanceux d’avoir rencontré Rouge. C’est l’une des meilleures choses qui me sont arrivées lorsque je vivais en France. Gavin et Corinne m’ont toujours soutenu, malgré les hauts et les bas. Et j’espère que cela va continuer ainsi”, salue le Britannique.
Sans aucun doute, Rouge de Ravel ne laisse personne indifférent avec sa personnalité extravagante. Si aujourd’hui, après tant de succès, beaucoup aimeraient en prendre les rênes, il devrait terminer sa carrière avec Guy Williams, qui a fait briller le crack aux yeux de tous. Le Britannique a su polir ce joyau brut, choyé depuis plus de douze ans par des propriétaires passionnés investis. Et le beau bai le leur rend bien!
Revivez la victoire de Guy Williams et Rouge de Ravel dans le Grand Prix CSI 3* de Reims en 2018