Aston, mi-taureau, mi-cheval

Qui aurait un jour cru qu’un taureau puisse être monté? C’est l’exploit réussi par Sabine Rouas avec Aston. L’Alsacienne fait travailler ce taureau exactement comme Samy, son cheval. Le résultat est bluffant: saut d’obstacles, dressage, longues rênes, travail à pied, Aston sait tout faire et impressionne. “Magnifique”, “épatant”, “wow” ou “élégant” sont quelques-uns des commentaires enthousiastes que l’on peut retrouver sous ses vidéos. Ils sont plus 50.000 fans sur les réseaux sociaux à suivre les aventures de Sabine, Aston, Samy et Lotus, le dernier petit taureau arrivé au sein de cette joyeuse bande il y a presque un an.



Sabine et Aston se produisent en spectacle en France mais également à l'étranger.

Sabine et Aston se produisent en spectacle en France mais également à l'étranger.

© Collection privée

Entre Sabine Rouas et Aston s’écrit une histoire singulière, marquée par une réelle complicité qui saute aux yeux et fascine. La jeune femme, originaire de Strasbourg et cavalière depuis ses quatre ans, fait travailler ce taureau comme Samy, son cheval. Cette petite troupe est également composé d’un deuxième jeune taureau, Lotus, et tous évoluent en complète harmonie. Depuis 2015 et le lancement de la chaîne YouTube Aston le taureau, ils sont plus de 50 000, tous réseaux sociaux confondus, à suivre l’évolution et le quotidien de la troupe. “Je ne m’attendais pas du tout à un tel succès. Je pensais que les bovins n’intéressaient personne à part moi!”, rigole d’ailleurs Sabine.

Un phénomène qui n’a pas échappé aux organisateurs d’événements et qui s’exporte en dehors des frontières de l’Hexagone. Les médias du monde entier s’arrachent Aston, pour qui “une production japonaise” s’est même déplacée. L’émission de France 3 Tout le Sport les a également mis à l’honneur mardi 27 octobre après quatre jours de tournage dans le Grand Est. Et le taureau, régulièrement invité à des spectacles, vient de conclure dix jours de tournage pour un film – une première!

Mais alors, qui est Aston? “Nous avons fêté ses sept ans en avril 2020. Son papa est un taureau de race charolaise, et sa mère une Simmental, la vache suisse de la pub Milka! Comme les chevaux, les bovins grandissent jusqu’à sept ans. En juin, nous nous sommes aperçus qu’il avait encore grandi. Il fait maintenant 1,70m au garrot”, détaille l’Alsacienne, qui précise aussi qu’Aston pèse près d’1,3 tonnes. Un gabarit qui impressionne les visiteurs, souvent étonnés qu’il soit si “énorme”. “Comme Aston et Samy sont tous deux en vidéo, les gens ne se rendent pas compte de sa carrure, parce que mon cheval toise tout de même 1,83m!”, s’amuse Sabine. Aston se distingue par son caractère bien affirmé et sa susceptibilité. “Il décide de ce qu’il veut faire. Il le fera par jeu, et s’il n’a pas envie alors il ne le fera pas. Il faut lui parler comme à un humain. Il comprend tout, beaucoup mieux d’ailleurs que tous mes autres animaux”, raconte Sabine, conquise par les qualités de son bovin.

Véritable athlète, le taureau suit un programme précis d’entraînement, exactement comme Samy. Ses activités sont variées et il évolue dans les mêmes disciplines qu’un cheval. “Nous travaillons à pied, aux longues rênes, en dressage et à l’obstacle. Comme pour les chevaux de concours, l’intérêt est qu’il sache sauter en carrière, mais nous partons parfois aussi en extérieur. Même s’il reste un bovin, plus lent et plus lourd, il apprend tout aussi bien.” Particulièrement choyé, “Aston a ses couvertures dédiées, sa chemise séchante, son dispositif de balnéothérapie pour les pattes ou encore son propre maréchal-ferrant. Récemment, nous avons fait pas mal de dressage, ce qui a étiré ses tendons, donc nous lui avons prodigué des bandes de repos avec de l’argile.” Bref, exactement comme un cheval. Aston montre d’ailleurs de belles aptitudes, enchaînant cessions, épaule en avant, départ au galop et s’adonner à des épreuves de puissance, comme son ami Samy!



“309”, le début de l’aventure

Comme Samy, Aston adore le saut d'obstacles.

Comme Samy, Aston adore le saut d'obstacles.

© Collection privée

D’où cette idée a-t-elle pu germer? “Je peux vous en parler pendant deux heures!”, commence joyeusement Sabine, cavalière amateur qui a évolué jusqu’à 1,30m en compagnie d’Underwood, “le cheval de ma vie. Il est mort en 2009 et j’ai eu un choc émotionnel. Je me suis alors plongée dans les études, puis le travail, car c’était trop dur pour moi. Pendant trois ans, je ne voulais plus voir un cheval.” Une opportunité professionnelle au Luxembourg lui fait passer la frontière. La jeune femme et son futur époux habitent un appartement “collé à une ferme d’élevage d’une vingtaine de vaches, produisant du lait bio.” La passion des grands animaux ne l’a jamais quittée, et le manque s’installe. Finalement, après avoir demandé l’autorisation de l’agriculteur voisin, elle reprend contact, mais cette fois avec des vaches, pour s’en occuper. “Comme tout le monde, je connaissais les vaches dans les champs mais je n’avais aucune idée de leur caractère. Le fermier m’a ouvert ses portes alors je suis allé les voir tous les soirs après le travail, dont une en particulier, la “309”, de son numéro à l’oreille.” Tout débute avec cette fameuse vache, qui répondait “meuh” à son numéro quand Sabine l’appelait, au bout de deux mois. Une complicité s’installe. “J’ai commencé à me rendre compte que les vaches étaient très sensibles et très intelligentes. Je lui ai appris à donner la patte, faire des bisous, puis à monter sur elle.”

Au bout de deux ans, elle l’achète avec son bébé, baptisé futur Aston. “Mon mari trouve toujours les prénoms d’animaux, et 309 est un ancien modèle de Peugeot. Comme lui est fan d’Aston Martin, il l’a nommé Aston! C’est d’ailleurs pour cela que notre nouveau taureau s’appelle Lotus, pour rester dans l’univers de l’automobile!”, plaisante la jeune femme. Devenir propriétaire de bovin n’est pas forcément de tout repos… “À partir de l’acquisition, les ennuis ont commencé, car nous pouvions difficilement les garder en appartement, et l’éleveur nous a laissé cinq jours pour partir. Je n’étais pas encore connue donc les écuries m’ont prise pour une folle, et les autres éleveurs ne voulaient pas en entendre parler…” 

Finalement, une solution est trouvée par l’un de ses amis, ancien maréchal-ferrant d’Underwood. Le mère et son bébé passent onze mois dans un pré à plusieurs centaines de kilomètres, le temps pour Sabine de trouver ses propres infrastructures. “Comme j’avais désormais mes écuries, j’ai pu commencer à travailler avec Aston. Je l’ai éduqué pour qu’il connaisse Samy, son odeur, ses réactions, etc. J’ai également réalisé cet apprentissage avec mon cheval, qui ne connaissait pas les bovins, et je les ai fait travailler ensemble. J’ai appliqué un mimétisme entre les deux espèces. Cela fonctionne très bien avec les animaux, comme entre humains. Puis je me suis dit: ‘pourquoi pas le monter comme un cheval’, et je lui ai enseigné ce qu’il fallait.”

Aujourd’hui, “Aston, Samy et Lotus forment une bonne bande de copains.” Ce troupeau évolue ensemble et s’amuse, pour le plus grand bonheur de son entourage. La mère, “309”, est morte il y a un an, causant “un gros chagrin à Aston” et entraînant “une dépression chez Samy. Le vétérinaire m’a dit qu’il fallait retrouver très vite un nouveau compagnon. J’ai cherché un taureau dans toute la France, avec des critères précis pour que je puisse démarrer le travail dès son arrivée. C’est ainsi que Lotus nous a rejoint le 1er décembre 2019”, explique Sabine. 



Une communauté fidèle et pleins de projets

Il y a désormais toute une équipe et une véritable entreprise autour d'Aston.

Il y a désormais toute une équipe et une véritable entreprise autour d'Aston.

© Collection privée

Une communauté s’est formée autour d’Aston, véritable star des réseaux sociaux, comptant 11.000 fans sur Instagram, 48.000 sur Facebook, plus de 21.000 sur YouTube, où les vidéos de Sabine cumulent plus de 5,6 millions de vues en cinq ans, dont 697?355 pour celle révélant le record de puissance du taureau en saut d’obstacles! Une société s’est développée autour de ce phénomène. “Les gens sont fans. Nous avons fait des masques avec le logo Aston par exemple.” L’Alsacienne fourmille d’idées et de nombreux projets sont en cours, comme une BD en format A5 pour Noël en préparation et de futures vidéos autours de Lotus et de son évolution.

Si sa vie “a changé du tout au tout”, elle continue son activité première de formatrice au management en entreprise, tout en œuvrant en tant qu’éthologue. Elle donne également des cours – notamment en visioconférence – à d’autres cavaliers ayant également des vaches. “Je fais aussi des films, des interviewes pour des médias étrangers qui sont parfois rémunérées. Je perçois des revenus via YouTube et mes formations. C’est une vraie entreprise.” Elle est également appelée dans toute l’Europe pour des spectacles, et s’est déjà produite en “Belgique, Allemagne, France et au Luxembourg. C’est actuellement en projet pour aller aux Pays-Bas et en Suisse.” Une costumière se charge de créer sur mesure les habits d’Aston, qui évolue par ailleurs uniquement en licol.

Pour être prête le jour J, Sabine “travaille toutes les semaines dans des écuries de compétition” pour habituer Aston à évoluer dans de multiples environnements et dans des conditions variées. “Je travaille également avec certains cavaliers de dressage, qui ont été surpris au début. Je m’offre des stages avec eux depuis quelques années maintenant. Je le fais parfois avec des cavaliers de saut d’obstacles. Maintenant, tout le monde est habitué à travailler avec Aston.” Sa réputation et son expérience la précèdent et elle est aujourd’hui acceptée dans toutes les écuries. D’ailleurs, Aston dispose d’une véritable équipe autour de lui, et intéresse les nutritionnistes, ostéopathes équins ou encore maréchaux-ferrants. “En décembre 2019, il est tombé malade et j’ai été acceptée dans une clinique équine”, ajoute son heureuse propriétaire.

Naturellement, l’activité de la jeune femme sur les réseaux sociaux l’expose à la critique, pas toujours constructive, mais la communauté de Sabine est particulièrement bienveillante face à ce taureau domestiqué. “Nous avons eu des remarques négatives, mais de dix ou quinze personnes seulement, ce qui reste une minorité.” Si nécessaire, elle assure que sa vision du travail avec Aston, Samy et Lotus est fondée sur le respect. “Je veux que mes animaux soient heureux dans leur tête. Quand c’est le cas, ils nous donnent beaucoup. Il faut que ce soit un jeu. Je n’ai pas non plus de pression financière, car je ne gagne pas ma vie qu’avec les spectacles. Face à cette pression, on peut ne plus respecter le bien-être de l’animal. Si mes animaux ne se sentent pas bien, je ne vais pas me produire sur scène. C’est très important, surtout avec les bovins.”

Peu de taureaux dans le monde peuvent se targuer de reproduire les mêmes exercices qu’Aston. Peuvent-ils tous réussir cela? “J’ai un vrai doute à ce sujet. J’ai envie de dire que oui. Comme pour tout animal, on peut obtenir des choses en travaillant”, débute l’Alsacienne. “Le cavalier avec lequel je travaille, Baptiste Delorme, m’a dit: ‘Votre taureau est exceptionnel et à mon avis, il n’y en a pas dix comme lui.’ Mais je n’ai pas suffisamment de retour d’expérience pour dire que les bovins sont comme les chevaux et que le travail permet de tout obtenir. En matière d’élevage équin, on exploite certaines lignées plus que d’autres. Les races sont sélectionnées pour trouver les meilleurs talents à l’obstacle, alors que pour les bovins sont sélectionné en fonction de leur capacité à donner de la viande ou du lait de qualité et en quantité. Je suis la première à tenter cela. Nous n’avons pas assez de recul, mais je peux déjà dire que notre nouveau taureau ne sautera pas comme Aston. En revanche, il sera très bon au dressage, par exemple”, conclut avec philosophie la passionnée.

 

Aux côtés de Sabine, Aston, Samy et Lotus forment “une bonne bande de copains”.

Aux côtés de Sabine, Aston, Samy et Lotus forment “une bonne bande de copains”.