“Mon objectif est d'être une bonne personne, un bon père, et numéro un mondial”, Alexander Bragg

Arrivé sur le devant de la scène voici à peine trois ans, Alexander Bragg semble plus déterminé que jamais. Âgé de quarante ans, le Britannique a débuté sa carrière sur le tard mais compte déjà à son actif de belles performances, faisant de lui aujourd’hui l’un des piliers de son équipe. Empli de hargne et d’envie de se surpasser, le sympathique complétiste, installé à Sommerset, trace sa route avec, en fer de lance, une humanité rare et un humour rafraîchissant. Rencontre.



Passé sous la selle de l’Irlandais Cathal Daniels en fin d’année dernière, Alcatraz, ici au CCI 4* de Marne-la-Coquette, a permis à Alexander Bragg de remporter deux concours internationaux.

Passé sous la selle de l’Irlandais Cathal Daniels en fin d’année dernière, Alcatraz, ici au CCI 4* de Marne-la-Coquette, a permis à Alexander Bragg de remporter deux concours internationaux.

© Éric Knoll

Tout d’abord, comment allez-vous? Vous venez de remporter le CCI 3*-L de Lignières (entretien réalisé le 12 octobre 2020) avec Zagreb (KWPN, Perion x Nagano). Comment avez-vous vécu cette première victoire de l’année? 

Nous démarrons notre tournée française sur des chapeaux de roue! Nous avons décidé de nous installer en France pendant trois semaines pour courir le CCI 3*-L de Lignières, le Mondial du Lion-d’Angers puis le CCI 5* de Pau. Ce super résultat avec Zagreb nous donne confiance avant d’aller à Pau, qui sera notre première grande échéance depuis un moment. J’espère que mon cheval pourra y réaliser la même performance et gagner! Il a participé à quelques concours nationaux au Royaume-Uni après le confinement, mais il était important pour moi de l’emmener dans un concours international afin qu’il retrouve l’atmosphère de ces grandes compétitions avant Pau. 

Comment avez-vous géré la crise de la Covid-19, le confinement et cette période sans compétition? 

Cette période a été assez compliquée car tous les chevaux étaient prêts pour débuter la saison et nous avons dû stopper net car le calendrier s’est vidé. J’ai continué d’entraîner mes chevaux pour assurer leur progression et faire en sorte qu’ils soient prêts lorsque la saison redémarrerait. Nous avons la chance de disposer de superbes infrastructures, d’un parcours de cross et d’une carrière de saut d’obstacles, donc nous avions tout le nécessaire pour travailler. Pour les jeunes chevaux, cette période leur a été bénéfique puisque j’ai pu prendre le temps pour eux, pour une fois! Ils ont énormément évolué. Il était néanmoins important de pouvoir reprendre la compétition rapidement car pour les chevaux d’âge, à l’image de Zagreb (seize ans, ndlr), cela aurait été dur de redémarrer après un an d’arrêt... Et l’adrénaline de la compétition m’a vraiment manqué! Pendant le confinement, mon épouse m’a donné énormément de travaux à réaliser, donc j’ai repeint la maison, les obstacles, etc.! Toutes nos installations sont comme neuves, mais je me suis vraiment ennuyé sans concours (rires)!

Les Jeux olympiques de Tokyo, qui devaient avoir lieu cette année, étaient un véritable objectif pour vous. Comment avez-vous vécu leur report?

 Mentalement, c’est un vrai challenge. Jusque-là, je gardais mes chevaux dans la meilleure forme possible, sans les fatiguer, et essayais de prouver aux sélectionneurs que nous étions prêts pour aller aux JO. Durant cette pause, il a fallu trouver le juste milieu pour rester en forme sans trop en faire, d’autant que nous ne savions pas quand les concours allaient reprendre. 

À part une participation olympique, quels sont vos rêves? 

L’équipe britannique a énormément de couples capables d’aller à Tokyo, et la concurrence est rude. Il faut donc être en grande forme pour être sélectionné! Pour ma part, les deux chevaux que je prépare pour Tokyo, Zagreb et King of the Mill (ISH, Stormhill Miller, Ps x Kildalton), iront à Pau, puis iront faire leurs preuves à Badminton le printemps prochain. Nous avons d’ailleurs reçu de bonnes nouvelles du comité d’organisation du CCI 5* de Badminton, qui réfléchit à organiser son concours à huis clos afin de garantir sa tenue! Cette période est assez bizarre car, normalement, les championnats sont les seuls concours où la décision d’y participer ne dépend pas de vous mais de votre sélectionneur. En ce moment, c’est pareil: nous n’avons pas le choix d’aller à tel ou tel concours. C’est étrange à vivre pour moi car j’ai l’habitude d’avoir beaucoup de liberté vis-à-vis de mes chevaux. 

Comment définiriez-vous votre manière de travailler avec vos chevaux? 

J’essaye de conserver un fonctionnement simple. Je me fixe un objectif par session et par cheval. L’homogénéité du travail est très importante également. Elle crée de la discipline qui, sans que vous ayez besoin d’être ferme avec les chevaux, leur donne envie de bien faire. J’entraîne mes chevaux comme j’éduque mes enfants! Les enfants apprennent les bonnes manières parce que vous montrez l’exemple. Cela fonctionne de la même manière avec les chevaux: ils absorbent votre caractère. Si vous êtes confiant et assidu, alors les chevaux le deviennent également. De plus, j’essaie de ne pas former les jeunes chevaux juste pour la compétition, mais pour leur offrir une progression. En concours Jeunes Chevaux, les juges voudraient parfois voir les chevaux avec la tête maintenue sur le dressage, mais une monture de cinq ans ne peut pas faire ça car c’est un exercice fatiguant, qui créera ensuite de la tension et de l’énervement. Je préfère former mes chevaux selon mes objectifs et non sur ceux que les compétitions imposent. Ils sont ainsi heureux de travailler et confiants, et notre collaboration est plus harmonieuse. Il faut garder en tête l’objectif final, c’est-à-dire former un cheval pour le haut niveau, tout en avançant à son rythme, sans jamais le mettre en difficulté. 

Comment êtes-vous organisé aux écuries ? 

J’ai habituellement quinze chevaux de concours, ainsi que deux à quatre jeunes chevaux de trois ou quatre ans. Mes filles de dix, treize et seize ans montant également à cheval, nous avons vingt-cinq chevaux au total. Étant une très bonne cavalière de dressage, mon épouse aide aux écuries aux côtés de quatre grooms permanents. Je n’ai pour l’instant pas de cavalier maison car je suis concentré sur mes compétitions et je ne pense pas pouvoir dédier assez de temps à quelqu’un d’autre. Le nombre de chevaux actuels fait que nous pouvons tout gérer nous-mêmes. De plus, je suis maréchal-ferrant diplômé donc c’est moi qui ferre toute l’écurie!



“LES CHEFS DE PISTE DOIVENT METTRE EN PLACE DES PARCOURS PLUS HOMOGÈNES EN FONCTION DES LABELS D’ÉPREUVES”

Entouré de son épouse Simmone et de ses trois filles, Alexander Bragg dipose de l’encadrement et de la motivation pour perdurer à haut niveau.

Entouré de son épouse Simmone et de ses trois filles, Alexander Bragg dipose de l’encadrement et de la motivation pour perdurer à haut niveau.

© Collection privée

Avez-vous des élèves? Faites-vous du commerce de chevaux? 

Pour l’instant, je n’ai pas le temps de m’occuper d’élèves car je suis trop concentré sur ma carrière. J’ai essayé pendant un moment, mais cela ne rentrait pas dans mon plan ni dans ma quête de la place de numéro un mondial! Je veux me concentrer sur mon équitation. L’hiver, lorsque j’ai un peu plus de temps, j’apprécie donner des stages, et je vais d’ailleurs sûrement venir en France prochainement pour cela. Je suis excité par ce projet, même si je dois encore travailler mon français (rires)! Quant au commerce, à ce stade de ma carrière, je n’en ai pas tellement envie, ni le temps. Il se peut que nous vendions quelques chevaux parfois, mais ce n’est pas une priorité. La majeure partie de mon équilibre financier est garantie par les pensions payées par les propriétaires de mes chevaux et les dotations en concours. De fait, cette année a été un peu plus compliquée car les compétitions offrant les dotations les plus conséquentes ont été annulées... Heureusement, nous sommes aussi aidés par des sponsors. 

Parlez-nous de votre piquet de chevaux. De qui est-il composé? 

À part Zagreb, je monte une super jument nommée Quindiva (Old, Quintender 2 x High Roller), performante jusqu’au niveau CCI 4*, en particulier sur le cross et le saut d’obstacles. Elle devrait aller au CCI 4*-L de Saumur, en mai 2021, puis enchaîner avec le CCI 5* de Pau à l’automne. Je dispose également de Hester (BHHS, Heinrich Heine x Blue Henry), une jument de neuf ans dont le programme est assez similaire. Concernant King of the Mill, j’aimerais l’amener courir le CCI 5* de Burghley en septembre 2021. C’est un Pur-sang avec une incroyable galopade, donc ce genre de terrain lui irait très bien. Je dispose également d’Ardeo Premier (ISH, Hold Up Premier x Cruising), qui participera au championnat du monde des jeunes chevaux de sept ans. Il ira ensuite au CCI 4* de Blenheim en septembre prochain aux côtés de Shannondale Aristo (ISH, Shannondale Sarco St Ghyvan x Spring Diamond), qui a énormément progressé cette année et devrait être capable de courir les CCI 4* dès la saison prochaine. C’est important pour moi d’intégrer de nombreux jeunes chevaux dans mon système, de manière à ce qu’ils puissent épauler puis relayer mes chevaux de tête afin de pouvoir rester à haut niveau durablement. Mon objectif est d’être un jour numéro un mondial et, pour cela, il est indispensable d’avoir un important réservoir de chevaux. 

Donc la formation des jeunes chevaux vous plaît? 

Je crois beaucoup à la construction d’un couple. Si vous formez un cheval dès le départ, il ne connait pas d’autre manière de fonctionner que la vôtre. Si un jour il est un peu effrayé par un nouvel élément ou un terrain de concours, vous aurez plus de facilité à le rassurer car il vous fait confiance. Grâce à cela, vous pouvez parfois obtenir 10% de plus d’un cheval, parce qu’il veut vous donner le meilleur. De la même manière, vous le comprendrez plus facilement, vous connaîtrez ses forces et ses faiblesses, donc vous saurez comment procéder dans des situations difficiles. On retire beaucoup de fierté lorsque l’un d’eux atteint le haut niveau, car il s’agit du fruit de son travail. D’un point de vue financier, je n’ai de toute manière pas les moyens d’acheter des chevaux déjà performants. 

Vous êtes arrivé récemment sur la scène internationale, et une large partie du grand public ne vous connaît pas. Quel a été votre parcours jusqu’à aujourd’hui? 

De mes seize à vingt-trois ans, j’étais rugbyman professionnel, après avoir monté quelque peu à cheval en parallèle. J’ai ensuite rencontré Simmone à qui j’ai demandé, après trois mois seulement, de m’épouser. L’année suivante, nous étions mariés et un an plus tard, Simmone était enceinte de notre première fille! Comme elle était cavalière de complet, j’ai monté son cheval pour le garder en forme durant sa grossesse. J’ai alors participé à mon premier concours et j’ai adoré le cross! À partir de ce moment-là, j’ai continué la compétition et voilà où nous en sommes (rires)! Je ne me suis pas réveillé un jour en me disant que je voulais devenir cavalier professionnel, je m’y suis juste mis pour aider Simmone. À force de voir les mêmes cavaliers gagner, et de me rendre compte qu’ils étaient tous des professionnels, et puisque je voulais devenir meilleur, nous avons décidé de démarrer une activité. L’écurie a débuté avec quatre chevaux, puis a grandi jusqu’à quatorze aujourd’hui et j’ai atteint le niveau 4* (en l’espace de quatre ans depuis son premier CCI 4*, ndlr). Cela a été une véritable course pour moi, mais j’avais envie d’y arriver! Je continue à apprendre, à progresser et j’ai l’impression que je deviens chaque année un meilleur cavalier et un meilleur homme de cheval. J’ai envie de croire que si je continue comme ça, je deviendrai numéro un mondial et les autres cavaliers devront venir me chercher! J’étais assez naïf au départ et mon premier CCI 4* à Blenheim m’a ouvert les yeux sur ce qu’était réellement le haut niveau. Mon objectif est alors devenu encore plus grand. Ça n’a pas toujours été facile, certaines blessures de mes chevaux ont ralenti ma progression, mais m’ont aussi rendu plus fort. Il y a beaucoup de pression pour arriver au sommet, et surtout pour y rester. Il faut parfois prendre une grande respiration! 

Quelles sont les personnes qui vous ont permis de construire votre carrière? 

J’essaye d’apprendre de tous, cavaliers, entraîneurs, etc. J’écoute beaucoup de discours philosophiques et motivationnels, ce qui ne me ressemble pas tellement car je suis plutôt quelqu’un d’extraverti, mais cela m’aide à comprendre certaines choses de la vie. Vous pouvez être meilleur si vous le choisissez. Je dis souvent à mes filles : “Vous pouvez choisir d’être une bonne cavalière ou une cavalière exceptionnelle. Cela dépend de la dose d’efforts que vous aurez choisi de donner. Quoi que vous choisissiez, il faut que ce choix vous rende heureuse. Mais si vous ne travaillez pas assez pour devenir une cavalière exceptionnelle, alors ne soyez pas déçues de n’être qu’une bonne cavalière!” Il n’y a pas de sens à leur dire ça si je ne le fais pas moi-même. Je dois parfois me secouer et me dire d’arrêter de gémir et de travailler plus dur! 

Y-a-t-il un cavalier que vous admirez en particulier? 

J’ai toujours beaucoup apprécié Andrew Nicholson. J’admire son caractère fort, sa discipline, sa détermination et sa capacité à se concentrer sur un objectif. J’admire aussi le fait qu’il puisse être performant avec différents types de chevaux. C’est la preuve qu’il est un vrai homme de cheval et pas seulement un bon cavalier. En plus, c’est quelqu’un de très ouvert, qui essaie toujours de répondre aux questions et d’aider.



“NOUS DEVONS CONTINUER À PROMOUVOIR NOTRE SPORT ET À LE MONTRER À DAVANTAGE DE PERSONNES”

Vous êtes actuellement treizième au classement mondial. La place de numéro un est-elle votre but ultime? 

Devenir numéro un mondial est mon objectif final, mais ma motivation principale est l’amour que je porte à ce que je fais ! J’aime le sport, les chevaux, la fierté ressentie en voyant les progrès réalisés... Égoïstement, je veux être le meilleur de tous, ce qui me motive doublement. J’aime tellement ce que je fais que j’ai très peu l’impression de travailler dur. Mes filles sont une grande motivation pour moi. Il faut que je sois un bon modèle et que je leur montre qu’on peut être récompensé si on a de la volonté. Je veux aussi leur montrer qu’il est possible de réussir avec la manière, en traitant son prochain correctement, en le respectant, en étant juste et en faisant en sorte que les gens aient une bonne image de vous. C’est essentiel à du bonheur à long terme. Il ne faut pas marcher sur les gens en grimpant les échelons, parce que si un jour vous redescendez, vous les croiserez à nouveau, et quelqu’un vous fera la même chose. Mon objectif est d’être une bonne personne, un bon père, et numéro un mondial. Je n’ai pas encore endossé tous ces rôles, mais j’essaie d’y arriver (rires)

De plus en plus de personnes pointent du doigt la sécurité en concours complet. Quel est votre point de vue sur ce sujet? Comment rendre le sport plus sûr sans le dénaturer? 

Les chefs de piste doivent mettre en place des parcours plus homogènes en fonction des labels d’épreuves. Un CCI 4* peut être aussi compliqué qu’abordable en fonction des concours. Certains cavaliers arrivent à performer sur un CCI 4* facile et gagnent leur qualification pour un CCI 5*, alors qu’ils ne sont pas prêts pour ce niveau de difficulté. Le système de pin’s mis en place sur les obstacles de cross est une bonne chose et rend le sport plus sûr. Les cavaliers doivent néanmoins prendre leurs responsabilités et être capables d’estimer lorsqu’ils sont prêts ou non pour le niveau supérieur. C’est cette remise en question qui permettra d’éviter les accidents. Au CCI 4*-L de Lignières par exemple, le cross était techniquement facile et le temps accordé beaucoup trop simple à respecter. En tant que représentant des cavaliers, j’ai dit au juge FEI que ce parcours n’était pas éducatif car les engagés allaient désormais croire qu’ils étaient prêts pour du haut niveau, alors que ce n’était pas le cas pour tout le monde. 

En concours complet, les dotations sont souvent dérisoires. Comment améliorer cela? 

En tant que cavalier, nous devons continuer à promouvoir notre sport et à le montrer à davantage de personnes, même néophytes, à travers les médias. C’est le seul moyen d’obtenir davantage d’argent. Les circuits comme l’Event Rider Masters sont géniaux car grâce à leur exposition médiatique, nous gagnons des publics non-initiés. Plus nous aurons de public, plus les sponsors seront prêts à investir. C’est un challenge car, pour le saut d’obstacles par exemple, il suffit de mettre les spectateurs autour d’une carrière et de disposer quelques caméras sur la piste pour capter l’atmosphère; en concours complet, si l’on veut montrer l’intégralité de la compétition, nous parlons d’un espace beaucoup plus large et plus compliqué à couvrir. Les cavaliers devraient faire l’objet de sujets dans les médias généralistes, comme cela est le cas pour les pilotes de Formule 1 par exemple. On pourrait aussi imaginer des animations durant les compétitions. Cela rendrait le sport plus attractif pour tous. Les fédérations, elles, devraient travailler davantage avec les médias pour que la portée de notre sport soit plus large. Il y a un vrai effort commun de communication à mettre en place.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°121).