La ponction ovocytaire et l'ISCI pour aider à produire des embryons

Grâce à la ponction ovocytaire (également appelée Ovum pickup en anglais : OPU), il est aujourd’hui possible de pratiquer une ISCI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde), c’est-à-dire de féconder un à un les ovocytes prélevés une fois qu’ils sont arrivés à maturation in vitro, puis de transférer les embryons préalablement congelés ainsi obtenus dans des juments porteuses. Avec ce procédé, l’élevage a amorcé un nouveau tournant. Quel processus suit précisément cette technique? Qu’en est-il du bien-être animal? À qui s’adresse cette méthode de procréation? En quoi est-elle novatrice, porteuse d’avenir? Autant de questions auxquelles Sébastien Neyrat, directeur du centre d’insémination de Châtenay et de Béligneux le Haras, et Hubert Terris, du haras de Hus, ont tenté de répondre.



LA PONCTION OVOCYTAIRE ASSOCIÉE À L’ISCI, UNE TECHNIQUE POINTUE QUI NÉCESSITE L’INTERVENTION DE PROFESSIONNELS SPÉCIFIQUES ET AGUERRIS

Sébastien Neyrat, directeur du haras de Châtenay et responsable du centre d’insémination, décrit la procédure de ponction ovocytaire qui se déroule au sein de sa structure, pour être ensuite associée à une ISCI qui, elle, a lieu en Italie, dans un laboratoire spécialisé, chez Aventea, dirigé par le Professeur Galli entouré de son équipe, jusqu’à la réimplantation d’un embryon dans une jument porteuse: “À l’arrivée de la jument dans notre établissement, nous procédons à un examen gynécologique et de bonne santé, ainsi qu’à des analyses sanitaires indispensables à l’exportation des ovocytes puis à la réimportation des embryons. Un suivi échographique nous permet de suivre l’évolution des follicules jusqu’à atteindre un nombre optimal – dix à quinze généralement, voire beaucoup plus. À ce stade, nous programmons l’acte chirurgical dans une salle thermostatée et aseptisée. Pour son confort et la précision de l’acte, la jument est tranquillisée puis anesthésiée par voie épidurale. Au moyen d’une longue aiguille échoguidée introduite par voie vaginale, le liquide folliculaire sera aspiré pour ensuite être transmis au laboratoire afin d’isoler chaque ovocyte. Les ovocytes étant des gamètes très sensibles à l’environnement, la salle de ponction et le laboratoire obligent à des conditions draconiennes de stérilité. Cette opération nécessite la présence de deux vétérinaires chirurgiens, deux biologistes et un soigneur, qui assiste la jument à chaque instant. À l’issue de l’intervention, la jument rejoint les écuries pour des soins post-opératoires durant quarante-huit heures. Les ovocytes sont expédiés en Italie chez Aventea, où ils subissent une phase de maturation qui dure entre vingt-quatre et quarante-huit heures. Une fois maturés, les biologistes procèdent à l’ISCI, c’est-à-dire qu’ils injectent mécaniquement un spermatozoïde dans chaque ovocyte - la semence de l’étalon aura au préalable été choisie par le client. Durant cinq jours, les embryons se développent in vitro. Ceux qui seront en mesure de garantir un maximum de chance de gestation sont congelés. Ils sont alors soit stockés, soit mis en place dans une jument receveuse. Nous disposons, pour ce faire, d’un cheptel de deux cents mères porteuses. En 2020, notre taux de réimplantation positive à quarante-cinq jours a atteint 72%, un excellent résultat proche de celui de la réimplantation d’embryons frais. La ponction ovocytaire a lieu en phase transitoire ou anœstrus, c’est-à-dire le plus souvent entre octobre et février, alors que l’implantation des embryons demande la cyclicité des mères receveuses, soit entre mars et septembre. Une expertise est indispensable, tant au niveau des vétérinaires que des biologistes. Concernant les vétérinaires, pas plus de cinq ou six personnes en France sont qualifiées, formées et assez expérimentées pour réaliser cette procédure. Du côté des biologistes, une formation classique n’est pas suffisante pour gérer le degré de sensibilité des ovocytes, des compétences approfondies en biologie cellulaire sont indispensables.”



À QUI S’ADRESSE CE PROCÉDÉ ? 

Hubert Terris, vétérinaire en chef du centre d’insémination du haras de Hus, développe: “Nos clients sont avant tout des passionnés de génétique. Un des avantages de ce procédé est de permettre l’obtention d’embryons congelés. Cela permet de s’affranchir des contraintes d’espace et de temps : les embryons peuvent être déplacés et remis en place lorsque souhaité. Ceci est propice à la diffusion de la génétique et aux échanges commerciaux. Aujourd’hui, le niveau de compétition est de plus en plus exigeant. Les chevaux capables de sauter des parcours d’1,60 m sont rares et chers. Ainsi, obtenir des embryons de grande qualité est un moyen d’espérer d’obtenir plus tard un cheval de haut niveau. Il existe désormais un véritable marché autour des embryons, avec des agences de courtage spécialisées, des ventes aux enchères, etc. Ils s’échangent comme des bijoux de grande valeur. Cela apporte un aspect nouveau à l’élevage, qui est à la base une activité agricole.” Sébastien Neyrat abonde dans ce sens : “Une certaine frange de la clientèle souhaitant investir dans la très grande génétique a vu les chevaux de sport de cinq et six ans devenir inaccessibles, de même que le sont devenus les jeunes chevaux de deux et trois ans. Désormais, leur intérêt se porte donc naturellement vers le foal, la gestation et même l’embryon congelé. Un élan spéculatif s’est aussi développé, comme la recrudescence des ventes aux enchères. Cela engendre beaucoup de mouvements autour de ces gestations et c’est, in fine, très bon pour l’éleveur qui est sollicité de toutes parts pour ces gestations. Lors de la mise à la reproduction d’une nouvelle retraitée sportive, celle-ci ne jouira pas de la même longévité de carrière reproductive qu’une jument qui a pouliné toute sa vie, et c’est pourtant elle qui est porteuse du plus grand potentiel génétique. La ponction ovocytaire associée à l’ISCI permet alors de rattraper le temps où la jument n’avait pas accès à la reproduction en disposant plus rapidement d’un stock d’embryons.” Hubert Terris note aussi que “pour une jument qui doit être vendue, cela permet de disposer quand même de sa descendance. Ce procédé est aussi intéressant du côté des étalons : certaines semences sont très rares, ou très chères, ou les deux, or avec ce procédé, quelques spermatozoïdes suffisent pour plusieurs embryons. Et puis, certains étalons ne sont pas fertiles en IAC, et dans ce cas l’ISCI permet plus facilement d’obtenir efficacement des produits.”

CE PROCÉDÉ EST-IL COÛTEUX? 

Plutôt non. Hubert Terris explique que “s’il faut investir une certaine somme à la base, le client s’y retrouve puisqu’il peut, avec un seul morceau de paillette, obtenir de nombreux embryons”. Sébastien Neyrat entre concrètement dans le vif du sujet: “Pour la ponction ovocytaire à Châtenay et l’envoi en Italie des ovocytes pour l’ISCI, il faut débourser 1 600 euros hors taxes. Ensuite, chaque embryon congelé est facturé 420 euros hors taxes. Ainsi, un seul embryon représente un investissement d’environ 2 000 euros hors taxes, mais pour deux embryons, le coût de revient est de 1 200 euros hors taxes par embryon, et c’est ainsi mathématiquement dégressif. Concernant la réimplantation : l’implantation de l’embryon coûte 250 euros hors taxes, et la location d’une jument receveuse confirmée gestante à quarante-cinq jours coûte 2 600 euros hors taxes. Lors d’une implantation d’embryon congelé, le propriétaire pourra aisément fournir sa propre jument receveuse, jeune et en bonne santé gynécologique.”



QUELLES SONT LES JUMENTS CONCERNÉES PAR CE PROCÉDÉ? 

Sébastien Neyrat rappelle que “l’ISCI fut d’abord développée pour pallier des problèmes de fertilité de la femelle ou du mâle. On désigne alors les juments atteintes d’endométrite chronique, celles dont la fertilité est amoindrie par de nombreux transferts d’embryons, ou celles pour qui le choix de l’étalon pose des problèmes de fertilité ou de disponibilité de la semence.” Hubert Terris résume: “La candidate idéale est la jument de haute valeur génétique habituée aux manipulations, qui produit beaucoup de follicules et que son éleveur destine à un étalon dont la semence doit être économisée ou est très chère.” Précisons ici, comme le signifie Sébastien Neyrat, que pour les juments de sport, le procédé en lui-même ne nécessite absolument pas d’interrompre leur carrière plus de dix jours en hiver, d’où l’intérêt. Elles doivent néanmoins restées éloignées des terrains de concours environs quatre semaines car l’anesthésique utilisé appartient à la liste des produits dopants. 

QU’EN EST-IL DU BIEN-ÊTRE ANIMAL? 

Durant toute la procédure, les professionnels mettent tout en œuvre pour garantir le bien-être animal. Il s’agit donc de contraindre le moins possible la jument et d’éviter au maximum la douleur. “C’est une opération pratiquée en routine, peu invasive concernant un organe: l’ovaire étant constitué de tissu cicatriciel, la ponction des follicules qui le constitue n’est en rien destructeur”, détaille Sébastien Neyrat. “Toutefois, les risques de complications existent malgré une occurrence faible: inflammation du péritoine, hémorragie, ou ataxie. Nous avons fixé les limites d’âge de trois à vingt-quatre ans pour ne pas prendre de risques supplémentaires, liés à l’âge. Nos chirurgiens ont plus de trente ans d’expérience en gynécologie et leur avantage est d’avoir beaucoup pratiqué la palpation ovarienne avant la généralisation des échographies.” Hubert Terris explique quant à lui que “l’OPU reste un procédé invasif: c’est la seule technique de reproduction qui implique une infraction tissulaire. Cela s’apparente à de la chirurgie debout. Toutefois, avec les progrès de la neuroleptanalgésie, la douleur est bien maîtrisée. Pour éviter les traumatismes, il est important que les juments soient coopératives. Ainsi, une jument de sport habituée à voyager, être manipulée, parfaitement dressée, sera naturellement une meilleure candidate qu’une pouliche de deux ans sans expérience et plus douillette. J’ai aussi noté, avec l’expérience, que les juments qui avaient pouliné avaient le ligament ovarien plus détendu, ce qui rendait l’opération plus facile, donc encore moins invasive.”

CE PROCÉDÉ EST-IL AMENÉ À ÉVOLUER? 

Même si le procédé est déjà extrêmement pointu, Hubert Terris note à ce sujet: “À l’occasion d’un colloque international en Amérique du Sud, je me suis familiarisé avec une sonde plus légère, précise, dotée d’un meilleur angle de vue, facile à nettoyer et plus maniable, ce qui permet l’intervention d’un opérateur de moins : c’est une sonde fabriquée en France par un laboratoire appelé IMV. Nous sommes avant tout des praticiens de terrain, donc cette méthode innovante et épurée me séduit.” Et Sébastien Neyrat de conclure: “Dans un premier temps, la pratique de la ponction ovocytaire et de l’ISCI est amenée à se généraliser. Le bien-être des reproductrices compliquées est amélioré car elles ne passent plus leur temps en centre d’insémination et peuvent profiter de vertes prairies au printemps. D’un point de vue technique, le processus est maîtrisé et nous avons de très bons résultats. Notre recherche actuelle au centre de Châtenay se base sur l’amélioration du confort de la jument et de sa gestion, de manière à limiter toute forme de stress. C’est la raison pour laquelle nous accueillons beaucoup de compétitrices de haut niveau... Nous leur devons bien cela!”

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°121).