“Cette période de crise produira une réaction en chaîne…”, Daniel Deusser

Troisième meilleur cavalier du monde au classement FEI, Daniel Deusser avait débuté son année sur les chapeaux de roue avec en ligne de mire les Jeux olympiques de Tokyo qui devaient se tenir cette année. Comme l’intégralité de ses confrères, le génie allemand a vu sa saison stoppée nette par la crise sanitaire de la Covid-19 alors qu’elle se présentait sous les meilleurs auspices. Le cavalier des écuries Stephex tente tant bien que mal de relativiser et de penser à l’avenir qu’il espère clair, mais qu’il évoque avec un trait d’inquiétude dans la voix. Entretien.  



Comment allez-vous en cette période particulière ? Comment s’est déroulée votre saison jusqu’à présent ? 
La saison pré-Covid-19 avait très bien démarré cette année. J’avais en effet obtenu quelques très bons classements sur le circuit Coupe du monde avec notamment la deuxième place de l’étape Bordeaux associé à Jasmien VD Bisschop (Larino) et je disposais d’ailleurs des points nécessaires pour aller à la finale... Nous avions également, avec Calisto Blue (Chacco-Blue), remporté un Grand Prix à Göteborg, lors de l’étape Coupe du monde en février. La saison extérieure avait débuté à Doha à l’occasion du Global Champions Tour, du 27 février au 7 mars, et j’y avais remporté, aux commandes de Killer Queen VDM (Eldorado van de Zzeshoek TN), les deux Grands Prix CSI 5*. En réalité, la saison ne pouvait pas mieux démarrer avec tous les chevaux ! Et puis, la Covid-19 et son confinement nous ont coupés dans notre élan... Cette période a été dure pour notre sport, mais pour l’intégralité de la planète surtout… 

Vous avez récemment passé plusieurs semaines à Grimaud où se sont déroulés plusieurs CSI, comment cela s’est-il passé ? 
Quelques compétitions ont repris après le confinement, dont l’Hubside Tour à Saint-Tropez. Grâce à Sadri Fegaier (propriétaire des installations à Grimaud, ndlr) et ses équipes nous avons pu retrouver un semblant de circuit extérieur. Les chevaux ont été au rendez-vous et nous avons, avec Killer Queen VDM, accroché la deuxième place du premier Grand Prix post-première vague à l’occasion du CSI 4* fin juin. J’y ai, de la même manière, terminé la saison avec une victoire dans le Grand Prix CSI 4*, le 18 octobre, associé à Scuderia 1918 Tobago Z (Tangelo van de Zuuthoeve). Je ne peux pas me plaindre de ma saison qui a été réussie malgré les circonstances particulières. Évidemment, si nous avions eu une saison normale, je crois que j’avais de belles chances de victoires nombreuses au plus haut niveau car mes chevaux sont très performants et en forme, mais c’est la vie ! 

En raison du confinement engendré par la crise de la Covid-19, vous avez passé près de trois mois sans compétition, comment avez-vous vécu cette période ? 
Au début du confinement, j’ai laissé un peu de repos à mes chevaux. Au sein des écuries Stephex, nous avons la chance d’avoir de grands espaces et plusieurs terrains de travail en extérieur. Ainsi, les chevaux ont alterné du travail calme en extérieur, de la piste de galop, etc. Je voulais néanmoins à tout prix les garder en forme et ai donc continué à les faire sauter de petits obstacles régulièrement pour qu’ils restent correctement mécanisés. 

N’a-t-il pas été compliqué de retrouver le chemin des terrains de concours ? 
Lors de notre retour en compétition, à Grimaud, j’ai terminé deuxième du Grand Prix 4* avec Killer Queen VDM. Avec elle, la rentrée a été simple car c’est une jument naturellement compétitive, très intelligente et talentueuse. En revanche, avec d’autres chevaux la compétition a vraiment manqué à mon travail quotidien et j’ai rencontré quelques difficultés de retour sur les terrains. Par exemple, il m’est alors arrivé de monter en parcours des lignes en fonction de ce que j’avais compté, comme d’habitude à la reconnaissance, mais, une fois dans l’action, j’ai eu l’impression qu’il me manquait un mètre ! Les lignes devenaient trop longues et cela était seulement dû au fait que travailler sur des lignes à la maison n’est jamais pareil que ce que nous faisons en concours. Sans compétition pendant un long moment, les chevaux avaient perdu l’amplitude nécessaire en piste et moi le sens de celle-ci. De même, en concours, en fonction du temps imparti par le chef de piste, nous sommes parfois obligés de retirer une foulée dans une ligne, ou de prendre des décisions techniques particulières et cela nous ne le faisons jamais à la maison. Il a donc fallu se remettre dans le bain, que ce soit les chevaux ou moi-même. Enfin, la compétition c’est aussi un indicateur de notre niveau par rapport à celui des autres et c’est cela qui nous pousse à nous améliorer sans cesse, à nous remettre en question en permanence. Sans concours, et donc sans cette comparaison possible, l’évolution quotidienne n’est absolument pas la même. Si vous allez en concours et que vous êtes très satisfait de votre parcours, mais que vous n’êtes que huitième, cela vous fait réaliser que, même si vous êtes content du travail réalisé, cela n’est pas suffisant puisque vous n’avez pas gagné ! Seul, à la maison, le challenge n’est pas le même !



Avec la seconde vague de Covid-19, toute la saison de Coupe du monde tombe à l’eau, qu’est ce que cela signifie pour vous ? 
Nous n’avons déjà pas vraiment eu de saison extérieure donc j’espérais vraiment que certaines étapes de la saison indoor soient maintenues à l’image par exemple de l’étape Coupe du Monde de Malines (qui devait avoir lieu du 26 au 30 décembre, ndlr), dans laquelle ma femme Caroline s’investit chaque année, Lyon ou Vérone, mais cela n’est plus qu’une illusion… C’est un désastre pour notre sport. 

Justement, vous voyez également la situation du côté des organisateurs à travers les yeux de votre femme Caroline Wauters, en charge de l’étape Coupe du monde de Malines, et de Stephan Conter, propriétaire des écuries Stephex et organisateur de compétition. Quel est leur point de vue ? 
Nous sommes tous inquiets pour le futur car cette période de crise produira une réaction en chaîne… Ce qui va se passer dans l’année à venir aura une répercussion lourde sur celles à suivre. Même si les compétitions reprennent de manière normale, est-ce que le public aura vraiment envie de revenir ? Est-ce que notre sport sera toujours aussi populaire ? Est-ce que les sponsors seront capables et auront envie d’investir comme ils le faisaient jusqu’à présent dans les sports équestres alors que leur propre activité souffre ? Et si tout revient à la normale, combien de temps cela prendra-t-il exactement ? Il y a beaucoup d’interrogations restées en suspens et qui inquiètent. J’espère que nous retrouverons un jour ces moments pré-pandémie où tout le monde appréciait le sport, qu’il s’agisse des cavaliers, du public, des organisateurs, des sponsors, des propriétaires, etc. 

Une partie importante de l’activité des écuries Stephex est la vente de chevaux. Comment les choses continuent de tourner avec un marché au ralenti ? 
Comme tout le monde nous essayons de tout faire pour s’en sortir au mieux. Il est bien sûr plus compliqué de faire du commerce car les clients internationaux ne peuvent venir voir et essayer les chevaux en raison des restrictions de voyage. Ne pas avoir de compétition ralentit évidemment l’activité de Stephex, que cela soit la vente de chevaux ou celle de camions. Cette année a été très calme en terme économique et pourtant il y a toujours toute l’écurie à faire tourner et le même nombre de personnes qui travaillent. En effet, les chevaux ont toujours besoin d’être travaillés, nourris, soignés, etc. Il n’y a donc que peu d’entrées d’argent, mais beaucoup de charges. Heureusement pour Stephex, les années précédentes ont été très performantes en terme de commerce. Ce n’est néanmoins qu’une question de temps : combien de mois encore Stephex sera-t-il capable d’assumer les charges incombant à l’écurie sans voir son activité commerciale reprendre ?
La situation est la même pour tout le monde et la survie des écuries aujourd’hui dépend principalement du résultat des années précédentes et donc de quel laps de temps chacun bénéficie avant de se retrouver dans la difficulté financière…



De nombreuses tournées en Europe ont tout de même lieu, quel est votre programme pour les semaines à venir ? 
Nous avons beaucoup réfléchi au sein des écuries ces dernières semaines sur le programme à mettre en place. Une importante partie de l’écurie est partie à Oliva pour la tournée qui se tient en ce moment ; Lorenzo (de Luca, ndlr) se rendra lui au Sunshine Tour pour quinze jours dès la semaine prochaine. En ce qui me concerne, je ne voyais pas l’intérêt d’emmener mes bons chevaux comme Scuderia 1918 Tobago Z, Jasmien VD Bisschop ou encore Killer Queen VDM sur l’une de ces tournées pour sauter principalement des CSI 2*. J’ai donc décidé de leur laisser un peu de repos. Je dispose de quelques chevaux plus jeunes et moins expérimentés que j’emmènerai sur les CSI 2* en Belgique. Nous devrions aller une fois à Lier dans deux semaines et une fois à Opglabbeek dans trois semaines. Je veux utiliser cette période pour donner davantage de métier à ces chevaux. J’espère ensuite que, en nous rapprochant de la saison extérieure, les choses s’arrangeront et nous pourrons avoir une idée plus claire de ce que sera le programme de l’année prochaine. 

Les Jeux olympiques de Tokyo 2020 étaient un objectif majeur pour vous, comment avez-vous vécu leur report ? 
Cette annonce de report a évidemment été décevante car les Jeux olympiques étaient dans un coin de ma tête depuis plus de deux ans, mais je crois que ma situation n’est pas si catastrophique. En effet, je dispose de deux chevaux, Killer Queen VDM et Scuderia 1918 Tobago Z, qui étaient prêts pour 2020 et qui le seront probablement toujours pour 2021 si les Jeux ont vraiment lieu. Pour certains autres cavaliers ayant des chevaux d’âge, la situation est beaucoup plus compliquée car certains n’auront plus de monture apte à s’élancer par exemple… Ma situation est vraiment chanceuse et j’ai toujours gardé cela en tête pour relativiser. Et puis, finalement, en effet cette Covid-19 a eu un impact très négatif sur notre sport, mais je veux sans cesse rappeler que nous faisons partie des chanceux car nous ne sommes pas allongés sur un lit d’hôpital avec la Covid… Il ne faut pas l’oublier. 

Sur quels chevaux pensez-vous pouvoir compter en vue des Jeux olympiques de Tokyo l’année prochaine ? 
Scuderia 1918 Tobago Z et Killer Queen VDM seront évidemment les deux favoris pour s’élancer à Tokyo. Ils ont tous les deux beaucoup d’expérience, nous nous connaissons très bien, nous formons de bonnes équipes et avons prouvé notre entente. Pour les autres chevaux le problème sera que, même si les Jeux olympiques se tiennent réellement, quelle sera la préparation possible en amont ? Elle sera à mon avis très courte et il sera donc difficile de compter sur de nouveaux chevaux n’ayant que peu d’expérience du haut niveau ou avec lesquels nous n’avons pas encore créé de véritable partenariat.

Pour ce qui est de l’avenir, avez-vous dans vos écuries quelques jeunes chevaux sur lesquels vous comptez particulièrement ?   
Je dispose en effet d’un très bon cheval de sept ans, Newton van het Krekelhof (Diamant de Semilly), qui évoluait auparavant avec Jonna Ekberg (cavalière des écuries Stephex jusqu’il y a peu, ndlr). Je l’ai récupéré depuis quelques mois seulement et n’ai participé qu’à deux compétitions avec lui, mais je crois beaucoup en son potentiel. J’aimerais vraiment le construire pour les futures échéances importantes.
J’ai également un autre cheval prometteur, Scuderia 1918 Mr Jones (I’m Special de Muze) qui a participé à son premier Grand Prix CSI 3* à Saint Tropez et a montré de très belles choses. Kiana van het Herdershof (Toulon) est également une très bonne jument à qui je veux encore donner de l’expérience et qui devrait donc participer aux compétitions en Belgique cet hiver pour que nous construisions vraiment une relation de confiance en vue du futur.