Qu'y a-t-il derrière les applications et objets équestres connectés ?

Que peuvent nous apporter les applications équestres? Comment sont-elles contrôlées? Quel est leur avenir? Sans avoir la vocation de lister toutes les applications et objets équestres connectés du marché, GRANDPRIX a plutôt interrogé certains acteurs du secteur sur les tenants et les aboutissants de ce nouveau mode de consommation dans notre vie quotidienne.



Au creux d’une poche, contre la poitrine, sur la cuisse, vissé sur la fesse pendant un parcours de saut d’obstacles, discret ou en évidence, le smartphone se retrouve sur la quasi-totalité des cavaliers d’aujourd’hui. Merveilleux outil multitâches, ce téléphone est souvent gorgé d’applications jusqu’aux tréfonds de sa mémoire. Qu’y a-t-il derrière ces incessantes notifications? En nous appuyant sur les réponses de notre dernier sondage en ligne portant sur ce thème, nous notons que les applications sont autant utilisées comme moteur de recherches ciblées et comme agenda pour mieux s’organiser au quotidien, puis comme support de progression via le coaching, pour gérer à distance la santé équine et, enfin, pour sa sécurité et la géolocalisation. Se faire coacher à distance, visionner ses cours et ses parcours, trouver une demi-pension, une saillie, acheter un cheval, du matériel, de la nourriture, prévoir des engagements de concours, connaître les listes de départ, les accidents de la route, l’écurie ou le vétérinaire le plus proche, ne plus rien oublier en notant tous les détails, établir un carnet de santé, visualiser ses randonnées, ne plus jamais se perdre dans la nature, trouver un moyen de transport d’un claquement de doigts… L’homme couplé à son smartphone s’approcherait-il d’un super-héros? 

INVESTISSEMENT ET PROTECTION 

Le recours aux applications et objets connectés ne fait toutefois pas l’unanimité. “À part celles qui gèrent les concours, les autres ne servent pas à grand-chose”, critique Philippe, un des lecteurs sondés. Un autre déplore des pratiques marketing trop agressives pour une application “survendue”, quand Céline et Isabelle notent les mauvais calculs GPS qui faussent les kilométrages d’une séance. Nicolas et Frédéric regrettent enfin, quant à eux, la dépendance à la technologie au mépris des sensations et connaissances. Parmi les autres griefs, nous retrouvons le coût des applications et la protection des données. En effet, il n’est pas anodin de confier à un logiciel une multitude de data qui concernent l’environnement quotidien du cheval ainsi que d’éventuelles coordonnées bancaires. “Il est naturel de s’interroger sur ses protections”, amorce le responsable commercial Kavalog Franck Blanc, de la société Aexae qui commercialise les logiciels Kavalog et l’application iKavalog, spécialisés en gestion d’écuries, de centres équestres et en facturation. “Pour sa part, Aexae s’est engagée de façon très active à respecter toutes les obligations légales en matière de protection des données à caractère personnel, notamment en s’engageant dans la conformité au Règlement européen 2016/679, dit règlement général pour la protection des données (RGPD). Entre autres, ne traiter que des données loyalement et licitement collectées ou encore ne pas communiquer ces données à des tiers en dehors de l’entreprise sans en informer les personnes concernées. La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) est l’autorité indépendante de contrôle qui veille à ces obligations en France. D’un point de vue plus pratique, chaque client a son propre login et mot de passe modulable. Les logiciels et l’application Kavalog/iKavalog sont entièrement paramétrables par le dirigeant du centre équestre qui peut souhaiter mettre en ligne et en avant tel ou tel onglet selon le destinataire. À ce jour, nous équipons plus de mille cents clubs de toute taille.”

Gratuite ou payante, il ne faut pas oublier qu’une application doit reposer sur un modèle financier viable pour perdurer. “Une application gratuite n’est possible que si elle s’appuie sur des options payantes comme l’annonce de la vente de son cheval ou des publicités multiples et ciblées”, note Sophie Roscheck, fondatrice de l’application Ekism ID (disponible dans sept langues), qui centralise le calendrier des entraînements, des soins et du budget d’un cheval. Surnommée “Madame Digital Cheval” par les médias, Sophie fait partie de nombreux groupes de travail et est régulièrement sollicitée pour intervenir sur les sujets relatifs au digital. “Je considère cette application comme un outil de promotion pour démarrer mon activité, mais on parle par exemple ici d’un investissement de plusieurs dizaines de milliers d’euros.”



VERS UNE COLLABORATION ENTRE APPLICATIONS ?

Pour Céline et d’autres lecteurs, “il y a à l’heure actuelle trop d’applications alors qu’une seule pourrait être plus pratique et idéale. Par exemple, pourquoi ne pas faire une même application regroupant à la fois la gestion d’écurie, les données d’évolution du cheval au travail, le suivi des résultats des concours, la localisation GPS, etc.? Tendre à plus d’échanges entre applications serait agréable, mais je comprends que l’on veuille conserver ce que l’on a durement élaboré.” Instaurer un partenariat entre les différentes applications fut un temps le souhait de la Belge Sophie Roscheck. “J’ai toqué à de nombreuses portes mais, jusqu’ici, ce projet collaboratif avec d’autres applications est en pause”, détaille-t-elle. “Il est compliqué de construire un partenariat et de synchroniser des équipes. En outre, il y a l’inquiétude de perdre sa base de données, ses idées ou encore ses clients. Il n’est pas exclu néanmoins que cela puisse évoluer dans l’avenir.” “Le souhait d’avoir tout à un même endroit est une tendance naturelle sur tous les marchés, à commencer par celui des hypermarchés dans les années 1960. Il est donc vraisemblable que regrouper les applications par cibles d’utilisateurs soit une évolution possible”, appuie Nica Stapel, directrice du Pôle Hippolia, qui accompagne de nombreux projets innovants de la filière équine. En tant que pôle de compétitivité, le Pôle Hippolia peut en outre labelliser certains projets et permettre de valider la cohérence et la pertinence d’une innovation grâce à un comité d’experts de la filière équine. 

“Beaucoup d’applications naissent mais ne survivent pas”, avance Maud, une des lectrices sondées. “Il y a parfois plusieurs applications pour un même marché, qui n’est pas encore prêt à mon sens à accueillir tant d’acteurs. Au final, je m’y perds un peu”, confie un autre lecteur. “Effectivement, la filière équine a connu ces dernières années une explosion du nombre d’applications spécialisées”, répond Nica Stapel, du Pôle Hippolia. “Comme sur les autres marchés, les créneaux “évidents” ont été pris d’assaut rapidement et plusieurs acteurs peuvent se disputer le même marché, ce qui, là aussi, est normal. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la créativité de nos entrepreneurs et l’évolutivité des besoins... Quand Twitter ou Instagram sont apparus, on était loin de penser qu’il y avait encore tant de place sur le marché des réseaux sociaux!”

DES ANNÉES DE RECHERCHES? 

“Le smartphone est à l’heure actuelle assez développé pour se suffire à lui-même et ne pas devoir nécessairement être couplé à un objet connecté pour performer. Recourir à une application seule permet d’atteindre une plus large part de marché, de par sa facilité d’acquisition et son coût moindre par rapport à un objet”, développe Ann de Mot, fondatrice de la future application Tagalo, qui détecte les chutes de cheval et avertit automatiquement les proches si le cavalier ne réagit pas à temps. “Rechargeable facilement, interchangeable quelle que soit la monture et évolutive avec les capteurs du téléphone, l’application seule offre un vrai plus. Nous avons fait appel à une équipe de cascadeurs pour tester notre algorithme sous toutes les coutures quels que soient le type de chocs, de cheval, d’allure, de poids du cavalier, de modèle de smartphone, etc. Au final, nous avons un algorithme fiable à 99% et qui sait très bien faire la différence entre une chute, une réception d’obstacle, un cavalier qui descend de cheval et un cheval qui trébuche. Le recours aux cascadeurs nous a aussi permis de préconiser le meilleur emplacement possible, à savoir placer le téléphone dans une poche ventrale imperméable car il est assez rare de tomber à plat ventre. Il vaut mieux éviter de placer le smartphone sur le bras, à la ceinture, sur les hanches ou dans le bas du dos, car ce sont souvent des endroits d’impacts qui risquent de casser la vitre du smartphone et d’occasionner des douleurs. Nous espérons mettre rapidement sur le marché une application qui sécurise le cavalier et les proches lors d’une séance en solitaire. Le financement reste encore un problème, d’autant plus en ces temps de crise, mais nous gardons espoir! À long terme, et appréciable pour les environnements riches en équitants, nous prévoyons de former une communauté d’utilisateurs qui recevront une alerte si une chute est détectée dans leur secteur proche, afin qu’ils puissent aller voir monture et cavalier pour des premiers secours.”

Il en est de même pour les objets connectés. “N’étant pas considérée comme un dispositif médical au sens strict, notre guêtre connectée Tendiboots n’a pas à répondre à un très lourd cahier des charges”, commentent en introduction Morgane et Stéphane Juban, cofondateurs de la jeune société Ekico à l’origine de guêtres connectées qui détectent finement les irrégularités de locomotion. “Néanmoins, la validation scientifique de la guêtre, ainsi que de son algorithme, n’a pas été de tout repos. Il nous a fallu quatre ans de recherches, quatre études scientifiques, l’appui d’une quinzaine de vétérinaires, ou encore le recours à des experts et ingénieurs, notamment en électronique, matériaux et design industriel. Nous avons heureusement pu compter sur le soutien de la Région Normandie, et notamment la bourse French Tech, Normandie Incubation, et le label de qualité du Pôle Hippolia.” La validité des objets connectés n’est pas régie à ce jour par une haute autorité supérieure mais par la société fondatrice ellemême, qui se tourne vers des examinateurs indépendants. “Notre Tendiboots étant destinée à un public vétérinaire, nous avons dialogué avec l’Ordre des vétérinaires ainsi qu’avec l’Association vétérinaire équine française (AVEF)”, poursuit le couple d’entrepreneurs. “Nous avons d’ailleurs appris que la télémédecine vétérinaire - non autorisée à ce jour - était actuellement en cours de test, ce qui pourrait être une grande avancée. En attendant, l’AVEF a mis en place en août dernier un label de qualité “testé et approuvé” pour tout ce qui est nouveau service/matériel/outil.” La guêtre connectée se pose sur les membres antérieurs et va enregistrer les pressions et les mises en charge à l’intérieur de cette dernière pour transmettre au vétérinaire des indicateurs d’anomalie. “Notre objectif est de fournir au professionnel des données objectives, fines et inscrites sur la durée. Notre guêtre est actuellement à l’essai auprès de nos vétérinaires collaborateurs. Nous avons également des demandes de cavaliers professionnels ou ostéopathes qui proposent de la louer pour suivre par eux-mêmes la réhabilitation d’un cheval souffrant d’une desmite (une inflammation du ligament, ndlr), par exemple. Il nous reste encore beaucoup à faire, continuer à récolter les données... Les objets connectés à visée vétérinaire ont, sans aucun doute, un très bel avenir pour augmenter le bien-être du cheval”, concluent les cofondateurs d’Ekico.



POUR QUEL FUTUR?

Pour 45% des sondés de notre panel, il est en effet encore possible de développer de nouvelles applications. “Mon second projet, Ekism Event, est une agence pour les organisateurs”, poursuit Sophie Roscheck. “Depuis 2018, nous avons mis en place une application gratuite destinée au CCI Les 5* Étoiles de Pau. Elle groupe les listes de départ, le plan du cross, promeut l’événement sportif grâce aux photos partagées par ses membres et permet une communication instantanée, très utile en cas d’accident sur un parcours ou sur le trajet pour se rendre au concours. Sans créer de toute pièce une application réservée à un concours, ce qui correspond à un bon budget, il est également possible d’héberger l’application du concours sur notre plateforme et d’offrir une seule application pour plusieurs portes d’entrée.” 

“Il reste encore plein de possibilités à explorer”, poursuit Sophie Roscheck. “En course d’endurance ou d’attelage, par exemple, une balise posée sur le couple ou l’équipage permet de suivre l’évolution des cavaliers sur les boucles. Outre permettre au concurrent de visualiser sa progression et de se géolocaliser, c’est également un plus pour l’organisateur et le public. Une application peut également être utile en randonnée. Avec la Fédération française de tourisme équestre de la région Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons mis en place EQUI-Topo, qui recense plus de cinq cents itinéraires sur fond de carte IGN de la région et permet en outre de trouver un hébergement pour son cheval ou un vétérinaire local si besoin, mais également des informations touristiques promues par la région. Ce système de balise et de géolocalisation peut aussi être développé pour les cavaliers en situation de handicap visuel pour remplacer les “crieurs” (personnes placées de chaque côté de l’obstacle qui vocalisent au cavalier qui arrive les battues d’approche et l’instant du saut, ndlr). C’est une technologie encore en développement mais elle promet!”, s’enthousiasme Sophie Roscheck. 

Dernière innovation en date, et sur l’idée de Sean Lynch, groom de l’actuel numéro trois mondial au classement Longines des cavaliers, Daniel Deusser, “nous venons de publier GROOM GO TO, une application qui partage des astuces de groom, informe sur l’écurie de transit, le transporteur ou la clinique la plus proche, ou encore sert de partage d’offres d’emplois. L’application a déjà été téléchargée près de mille fois en seulement deux mois”, se réjouit Sophie. 

Au-delà de suivre des concours, une application peut aussi s’utiliser au calme. Issu d’une collaboration entre l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’université de Milan, le protocole “Cheval bien-être” permet de faire un bilan de l’état de bien-être d’un groupe de chevaux dans leur environnement, au repos et à un instant T. Ce protocole peut mettre en évidence les points sur lesquels le bienêtre des chevaux est altéré et servir de base à une réflexion dans une démarche d’amélioration de leurs conditions de vie. Adaptée pour une utilisation sur smartphone, l’application Cheval Bien-être sera accessible à tous à la fin de l’année. “Ce protocole d’évaluation du bien-être des chevaux est une adaptation du protocole AWIN Horse (Animal Welfare Indicators), enrichi des connaissances scientifiques les plus récentes”, précise la responsable du projet, Christine Briant, docteure vétérinaire et ingénieure de développement à l’IFCE et l’Inrae. “Nous avons une forte demande générale des professionnels et particuliers pour évaluer le bienêtre de leurs chevaux en s’appuyant sur des données scientifiques. Le bien-être animal est complexe et doit être évalué sur de nombreux critères. Nous avons sélectionnés une trentaine d’indicateurs à mesurer dans l’environnement et sur le cheval. À l’origine, il a été conçu pour évaluer le bien-être d’un groupe de chevaux adultes mais peut également être utilisé pour un seul cheval.” Destinée aussi bien aux propriétaires qu’aux gérants d’écuries, l’application se veut pédagogique et rappelle les comportements révélateurs de mal-être ou encore les besoins élémentaires en nutrition, contacts sociaux positifs, mouvements, confort thermique, absence de blessures et maladies, etc. En espérant que tous les indicateurs de bien-être recueillis par les futurs utilisateurs restent au vert, et pour longtemps!

“La pandémie actuelle de Covid-19 et en particulier les mois de confinement ont changé l’attrait pour le secteur des applications”, note enfin Sophie Roscheck, “Madame Digitale Cheval”. “Les centres équestres en particulier se tournent de plus en plus vers une application qui leur est dédiée. Elle permet de communiquer sur les concours internes, les inscriptions aux stages, l’état de santé des chevaux, l’offre de demi-pension, etc. Ce genre d’information est souvent perdu dans le flux des réseaux sociaux... Le but ici est que plus personne ne puisse dire “je n’étais pas au courant! ” Tout le monde ou presque a un smartphone et tout le monde peut être informé en temps réel. L’application induit un changement de consommation, d’habitude, et j’espère servira à faciliter la vie de nombreux utilisateurs et contribuer au bien-être des chevaux!”, conclut Sophie Roscheck.