Fein Cera, du sommet de Jerez de la Frontera jusqu'au meilleur de l'élevage (partie 2)

En mars 2019, la mémorable Fein Cera s’est éteinte au bel âge de vingt-huit ans. Sacrée meilleure jument des Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera en 2002 avec l’Américain Peter Wylde, à qui elle avait offert une superbe médaille de bronze individuelle, la Holsteiner a marqué aussi profondément le monde du saut d’obstacles que celui de l’élevage. Poulinière de renom, comptant notamment sur les prolifiques Kleine Cera et By Ceira d’Ick, cette crack n’est pas prête de tomber dans l’oubli. Retour sur deux carrières d’exception.



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La première partie de cet article, paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°113, est disponible ici.

PETER WYLDE, COMPAGNON D’UNE ÉPOPÉE SPORTIVE. 

À l’époque, Peter Wylde est un membre discret de l’équipe des États-Unis, ayant participé à seulement deux finales de la Coupe du monde en 1997 et 1999 et aux Jeux Panaméricains de Winnipeg en 1999, et ne comptant qu’un seul cheval de tête, Macanudo de Niro. “En 2001, j’étais qualifié pourla finale de la Coupe du monde avec Macanudo”, raconte le cavalier de cinquante-quatre ans. “Il était très en forme et avait fait une saison fantastique puisque nous avions gagné à Dortmund et Malines. Malheureusement, il y a eu en même temps une épidémie en Europe, et les transports de chevaux ont été interdits. De fait, Macanudo n’est pas sorti en concours de février à avril. C’était un désastre pour moi et surtout pour lui.” Une semaine avant l’échéance, les autorités néerlandaises autorisent finalement le voyage des chevaux, qui stationnent d’abord au Danemark. “Nous n’avions qu’un petit manège pourfaire travailler nos montures, ce qui était particulièrement difficile pour Macanudo.” Une fois sur place, le duo démarre tout de même sur des chapeaux de roue et pointe en dixième position après l’avant-dernière épreuve. Malheureusement, l’alezan se blesse avant la finale, contraignant son cavalier à y engager sa toute nouvelle recrue, Fein Cera. “Elle avait dix ans et n’avait jamais encore couru d’épreuve à 1,60m, puisque nous n’avions sauté que quelques parcours à 1,50m”, précise le cavalier. Aucune importance pour une telle crack, qui termine quatrième de ce test, faisant remonter Peter Wylde à la sixième place. 

S’ensuit alors un enchaînement de succès dans les plus belles compétitions du monde: des victoires dans les Grands Prix de Düsseldorf et Bruxelles, une deuxième place dans ceux de Bois-le-Duc et Stuttgart, ou encore une deuxième place dans la mythique Coupe des nations du CHIO d’Aix-la-Chapelle. “Fein Cera était le cheval rêvé pour Aix-la-Chapelle parce qu’elle avait une immense amplitude et des moyens démesurés”, explique-t-il. “Je n’ai jamais monté de cheval aussi puissant qu’elle. Rien ne lui était impossible. Je me souviens qu’un jour, Ludger Beerbaum m’a dit en rigolant que je n’avais même pas besoin de reconnaître la piste si je montais Fein Cera parce que je pouvais faire le nombre de foulées que je voulais. Le pire, c’est que c’était vrai! Elle avait en plus une technique parfaite. Je pouvais la monter sans aucune pression et avec une très légère connexion dans les mains. Pour autant, les gens ne réalisaient pas à quel point elle était chaude. Elle n’était pas aussi délicate que Shutterfly par exemple, mais elle intériorisait tout. Lors de nos détentes, elle pouvait transpirer et être au passage pendant des heures. C’est peut-être le seul cheval avec qui je n’ai jamais utilisé d’éperons. Au début, son comportement m’a rendu un peu nerveux et m’a inquiété, mais j’ai rapidement compris que cela faisait partie d’elle.”

En 2002, fort de bons résultats, le couple est sélectionné pour les Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera. Au terme des deux premiers jours de compétition, l’équipe américaine finit à une décevante sixième place, mais la paire est en tête du classement individuel. Lors de la fameuse finale tournante, Peter Wylde flanche malheureusement et accuse douze points. Il parvient tout de même à arracher une superbe médaille de bronze, la première de sa carrière, s’inclinant devant le Français Éric Navet et Dollar du Mûrier, pour l’argent, et l’Irlandais Dermott Lennon et Liscalgot, pour l’or. En revanche, Fein Cera est élue meilleure monture de cette épreuve, n’effleurant pas la moindre barre. “C’était tellement spécial...”, se souvient encore son éleveur Harm Thormählen. “Le Professeur Ingvar Fredricson, le père de Peder et Jens - qui venaient souvent chez nous pendant l’été quand ils étaient plus jeunes -, m’a appelé de Jerez de la Frontera pour me dire que Fein Cera venait d’être sacrée meilleur cheval des JEM. C’était incroyable!” Pourtant, la belle histoire a bien failli s’arrêter net pour le couple... “Après les JEM, Fein Cera a effectivement été vendue”, avait confirmé Peter Wylde dans un long entretien accordé à Grand Prix International en 2005. “Une dame l’avait achetée pour sa fille. Cette dernière faisant ses études, il avait été décidé que jusqu’à ce qu’elle soit diplômée, la jument resterait avec moi. Mais finalement, comme tout allait vraiment bien, elles ont décidé de me la laisser.” Deux ans après, le binôme est à nouveau appelé par la Fédération équestre américaine et s’envole pour ses premiers Jeux olympiques à Athènes. Le couple en repartira avec une superbe médaille d’or par équipes, glanée aux côtés de McLain Ward sur Sapphire, Beezie Madden sur Authentic et Chris Kappler sur Royal Kaliber. De quoi faire oublier une décevante quarante-neuvième place en individuel!



Des succès flamboyants à l'élevage

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Au printemps 2006, Fein Cera effectue une courte pause dans sa carrière sportive. “Ayant décidé d’effectuer des transferts d’embryon, nous l’avons arrêtée durant trois mois”, retrace Peter Wylde. C’est ainsi que naît Feinest (KWPN, Ustinov), un étalon désormais âgé de onze ans qui évolue avec l’Allemande Janne Friederike Meyer sur des épreuves à 1,40m. “Nous avions initialement choisi de la croiser avec Casall. Nous avions essayé plusieurs fois mais elle ne prenait pas... Du coup, on nous a conseillé de trouver un jeune étalon très fertile, et nous avons choisi Ustinov sur recommandation. C’était un magnifique fils de Libero H qui venait tout juste d’être approuvé, et nous pensions que cela donnerait une vraie qualité. Je dois avouer que Norbert Boley, qui était déjà président du Holsteiner Verband, m’avait dit que le plus important était de choisir un étalon Holsteiner. De fait, je me sentais un peu coupable d’avoir opté pour un KWPN, mais je voulais vraiment avoir un poulain de Fein Cera.” Retrouvant rapidement les terrains de concours avec un certain succès, terminant troisième des Grands Prix CSI5* de Bruxelles et CSI3* de Leeuwarden, Fein Cera prend finalement sa retraite sportive fin 2007 et regagne sa terre natale.

Choyée par son naisseur, Fein Cera aura au total cinq descendants directs - selon le répertoire Horsetelex. Parmi eux, le seul enregistré au Holstein sera Kleine Cera, son tout premier produit. Cette dernière engendrera à son tour quatre chevaux évoluant sur des épreuves entre 1,40m et 1,60m, dont deux ayant accédé au plus haut niveau. La première n’est autre qu’Ornellaia (Holst, For Pleasure), ancienne complice du légendaire Britannique John Whitaker, avec qui elle a disputé les Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016. “Ornellaia est une battante qui fait toujours de son mieux”, décrivait alors le multi-médaillé. “Elle est généreuse et respectueuse, mais peut se montrer un peu anxieuse le premier jour d’un concours. Elle est géniale!” 

Kleine Cera donnera aussi Zera 23 (Holst, Cero I), qui a évolué en compétition avec l’Argentin naturalisé slovène Pato Muente, avant d’être vendue à la Vénézuélienne Victoria Vargas à l’été 2017. “Zera était un rêve avec qui travailler au quotidien”, confie son ancien pilote. “Elle était toujours motivée et avait un galop incroyable, une super connexion avec le mors, et surtout un grand cœur!” Du côté de ses fils, on retiendra l’étalon Capriccio 53 (Holst, Come On), qui a brièvement tourné sur des CSI2* et 3* avec l’Allemand Uwe Schmitz, et Barack Do Santo Antonio (Holst, Baloubet du Rouet), performant sur 1,40m avec le Brésilien Rodrigo Ullmann Teixeira Lima. Kleine Cera apparaît également dans bon nombre de pedigrees en tant que grand-mère et arrière-grand-mère. Elle laisse par exemple Echo of Light, un Holsteiner issu de l’étalon Come On et de Pretty Cera, fille de Kleine Cera.

Tout comme Ornellaia, le descendant de Fein Cera a atterri dans les écuries du Britannique John Whitaker. “Echo of Light peut être très anxieux ou très intelligent, mais il a des capacités incroyables”, confie son cavalier. “Je pense qu'il a les capacités d'être un bon cheval de Grand Prix.” Probablement blessé, le gris n’est toutefois plus sorti en compétition internationale depuis avril 2017. En plus de Kleine Cera et Feinest, déjà évoqués, Fein Cera a également livré les étalons Amsterdam (ZANG, Atlantic VDL) et le prolifique By Cera d’Ick (Stakkato), enregistré au Stud-book Selle Français et approuvé par le SF, l’AES et Zangersheide. Né en 2011, ce magnifique bai, stationné dans les installations de France Étalons, compte à ce jour plus de 172 produits. Les plus jeunes ayant seulement cinq ans, il est encore difficile d’évaluer la qualité de sa production. Fin mars 2019, Fein Cera s’est éteinte des suites de coliques au bel âge de vingt-huit ans, dans la propriété de son naisseur, qui l’avait rachetée à sa retraite. Nul doute que la championne laissera une grande trace dans l’histoire des sports équestres et de l’élevage.