“Je pense que je fais partie de la dernière génération pour laquelle partir de rien était possible”, Alexis Deroubaix

Sans l’incomparable Timon d’Aure, acheté par le Qatar en fin d’année dernière, Alexis Deroubaix a dû consacrer son année 2020 à la formation de ses montures d’avenir, parmi lesquelles l’excellente Kitona de Muze, avec qui il a pu prendre part à la Coupe des nations du CSIO 3* de Vejer de la Frontera la semaine passée. Après une carrière en progression exponentielle, le Nordiste exilé au haras du Plessis, dans le Calvados, a pour la première fois dû descendre d’un cran cette saison après avoir goûté à quelques-uns des meilleurs concours du monde et aux championnats internationaux entre 2017 et 2019. Toujours mesuré, le protégé d’André et Annick Chenu s’est confié à GRANDPRIX 



En pleine progression, Kitona de Muze s'est rapidement imposée comme la jument de tête d'Alexis Deroubaix.

En pleine progression, Kitona de Muze s'est rapidement imposée comme la jument de tête d'Alexis Deroubaix.

© Sportfot

Vous revenez de Vejer de la Frontera, où vous avez concouru dans le CSI 3* puis dans le CSIO 3* avec Carmen du Plessis, Kitona de Muze et Bornthis Way Chapelle. Quel est le bilan global de ce concours ? 

Ces trois chevaux ont pris davantage de métier. Kitona a bien évolué et a engrangé une bonne expérience. Elle a notamment très bien sauté le Grand Prix du deuxième week-end et commence à être très au point. Dans la Coupe des nations, elle a fait tomber une barre, mais cela est uniquement dû à son manque de métier. Elle n’avait encore jamais vraiment affronté de tels parcours et apprend sur le tard. Il y a seulement un an, elle ne concourrait vraiment pas à un niveau comparable (elle n’avait pris part qu’à quelques CSI 2*, ndlr). Les petites fautes qu’elle fait encore pourront être gommées par la suite. Quant à Carmen et Bornthis Way, ils continuent à s’aguerrir en vue de grimper d’un échelon l’année prochaine. Cette saison, le cursus a été particulier en raison de la pandémie de Covid-19, surtout pour les chevaux en formation. L’année a été un peu hachée. Heureusement, le fait que nous ayons pu concourir régulièrement à Grimaud et conclure à Vejer de la Frontera a permis aux chevaux de bien avancer. Pour une jument de huit ans, Carmen a par exemple pu suivre un cursus presque normal à ce stade. 

Comment jugez-vous le comportement de Kitona de Muze, qui a signé un parcours à quatre points dans la Coupe des nations et un sans-faute dans le Grand Prix, conclu avec deux fautes au barrage ?

Kitona a très bien sauté samedi dans la Coupe des nations. Elle a commis une petite faute en entrée de triple à la fin de parcours, mais a sauté le parcours avec beaucoup de facilité. Elle est de mieux en mieux, notamment du point de vue du contrôle. J’ai aussi beaucoup aimé la façon dont elle a sauté dans le Grand Prix. Ce qui me réjouit, c’est qu’elle réalise cela de belle manière, ce qui permet d’envisager de belles choses. 

Elle semble encore avoir une belle marge de progression, notamment au barrage ? 

Dans le barrage du Grand Prix, j’ai tourné un peu court pour aborder l’oxer numéro trois compte tenu de son expérience. C’est de ma faute, mais elle a beaucoup appris. 

Depuis longtemps déjà, vous croyez beaucoup en Carmen du Plessis. Continue-t-elle à vous laisser espérer de belles choses ? 

On verra jusqu’où elle pourra aller, l’avenir le dira. Elle a signé des parcours sans faute dans presque tous les Grands Prix CSI 2* qu’elle a couru à Grimaud et Canteleu (l’alezane a accédé au barrage à trois reprises sur quatre et s’est notamment classée troisième le 11 octobre à l’Hubside Jumping, en vidéo en bas d'article, ndlr). Je crois que c’est une jument assez exceptionnelle, très légère et respectueuse. Elle est promise à un bel avenir et devrait progresser vers les Grands Prix CSI 3* pendant son année de neuf ans. Elle est très respectueuse, je veille donc à ne pas aller trop vite. 



“En tennis, on ne peut pas payer sa place pour jouer contre Nadal”

Le Normand d'adoption croit beaucoup en Carmen du Plessis, qui aura neuf ans en 2021.

Le Normand d'adoption croit beaucoup en Carmen du Plessis, qui aura neuf ans en 2021.

© Sportfot

Dans un entretien accordé à GRANDPRIX, le sélectionneur national Thierry Pomel a affirmé que vous comptiez sur un excellent piquet de chevaux en devenir. “Pour l’instant, il ne faut pas penser aux Jeux olympiques, peut-être pas aux Européens non plus, mais aux échéances futures”, a-t-il aussi analysé. Êtes-vous en ligne avec cela ?

En effet, ses termes sont justes et je ne vise pas les Jeux olympiques compte tenu de l’expérience de mes chevaux, et particulièrement de Kitona. Pour le reste, rien n’est impossible. Si elle évolue de façon formidable et qu’elle répète les belles performances en CSI 5*, des choses seraient envisageables. En France, d’autres couples disposent de bien plus de métier et sont davantage au point, mais rien n’est impossible. En tout cas, l’analyse de Thierry est juste et je l’accepte. 

Sur quels plus jeunes chevaux comptez-vous pour la suite ? 

Nous n’avons pas un effectif de jeunes chevaux très conséquent mais je compte notamment sur Estoy du Plessis, qui a six ans et qui promet de très belles choses. Pour le reste, les chevaux d’Annick et André Chenu sont plus jeunes pour l’instant. 

Quelles sont vos ambitions cet hiver ? 

Je pense que l’hiver va être relativement calme. On ne va pas concourir en indoor étant donné qu’il n’y a pas vraiment d’échéances. Je ne devrais pas concourir en décembre et reprendre en début d’année prochaine, en CSI 2*. Je verrai comment les choses s’organisent. Les tournées de Valencia et Oliva en Espagne affichent presque déjà complet, mais heureusement il y a de bons concours en France. J’ai aussi l’habitude d’aller à Arezzo (en Italie, au Sud de Florence, ndlr). 

Comment vivez-vous la situation actuelle ? 

C’est une période particulière pour tout le monde. Cette année a aussi été spéciale d’un point de vue personnel, car l’an dernier, je disposais d’un cheval pour concourir à très haut niveau et prétendre à des championnats (Timon d’Aure, acheté en fin d’année dernière par le Qatar, ndlr). J’ai commencé à travailler dans le monde du cheval il y a une dizaine d’années et c’est la première fois que mon ascension se stoppe et que j’ai descendu un échelon. Je m’attendais bien évidemment à ce que cela arrive un jour où l’autre, mais je n’avais encore jamais eu cette expérience. J’ai commencé comme groom de jeunes chevaux, puis j’ai été cavalier maison avant d’en arriver là. Aujourd’hui, je crois qu’il est plus compliqué de partir de rien et d’arriver à haut niveau. Je pense que je fais partie de la dernière génération pour laquelle c’était possible. Il faut aussi faire de bonnes rencontres et prendre les décisions les plus judicieuses. L’année a donc été particulière, mais j’ai de chouettes chevaux en devenir et cette petite redescente arrive bien sûr à tout le monde. 

Pensez-vous que sans moyens financiers l’ascension jusqu’au haut niveau est impossible ?

Commencer une carrière sans investissements et un soutien important est très dur. Il faut avoir de la chance et faire les bonnes rencontres. J’ai trente-deux ans, et je crois que cela a un peu changé par rapport à mes débuts. Désormais, si un cavalier part de loin, il aura davantage de mal à se démarquer. Le système devient de plus en plus comme cela. Si l’on compare au tennis, on ne peut pas payer sa place pour jouer contre Nadal. Pour moi, il n’y a que les Coupes des nations qui reflètent ce qu’est le vrai sport, car elles nécessitent une sélection. C’est ça, le beau sport. 

Comment envisagez-vous 2021 ? 

Je pense que la situation va se décanter, il devrait il y avoir un vaccin dans huit jours. Même si tous les concours ne vont pas repartir, beaucoup devraient avoir lieu. En France, nous avons la chance d’avoir une fédération active qui nous permet d’évoluer sur différents circuits comme le Grand National et de nombreux CSI.