“Il ne faut pas imaginer que notre sport est régi par une demi-douzaine de personnes”, Pierre Le Goupil

Chef de piste international de concours complet de niveau 3*, Pierre Le Goupil officie depuis plus de vingt ans dans de grands événements organisés en France et à l’étranger. Nommé fin novembre membre du comité technique de concours complet de la Fédération équestre internationale, il partage pour GRANDPRIX sa vision de la mission qui lui a été confiée au service de la discipline, mais évoque aussi son actualité.



Fin novembre, vous avez été nommé membre du comité technique de concours complet de la Fédération équestre internationale (FEI). Face à vous, la concurrence était féroce, avec l’Australien Wayne Copping, le Polonais Marcin Konarski, le Britannique Alec Lochore, l’Uruguayen Juan Carlos Nuñez Araujo et l’Irlandais David O’Meara. Cette nomination a-t-elle sonné pour vous comme une consécration personnelle?

Absolument pas, car cela n’a jamais été un objectif. Cette commission est centrale, mais cela reste un groupe de travail. Je n’ai pas reçu le Prix Nobel! Le fait qu’on entre dans l’olympiade de Paris, même si les Jeux de Tokyo n’ont pas encore eu lieu, a peut-être joué en ma faveur. À vrai dire, je me suis posé la question mais je n’en sais rien. En voyant l’ensemble des candidats en lice, je me suis dit que rien n’était joué, mais cela n’a engendré aucun stress en moi. J’ai davantage été saisi par la curiosité, d’où est née l’envie. Rappelons qu’il s’agit d’un mandat de quatre ans. C’est donc juste un passage, une étape dans une vie professionnelle au sein de la filière. 

Cela étant, je suis convaincu que cette mission va être passionnante, car les rencontres et les échanges avec des personnes qui partagent à ce niveau les mêmes préoccupations que vous offrent toujours énormément à apprendre. En tous cas, c’est ainsi que je vis mes déplacements à l’étranger, même quand je rencontre des gens moins expérimentés que moi. En termes de développement personnel, c’est gratifiant et je me sens assez gâté. D’ailleurs, je compte bien en profiter, sans oublier qu’il y a un service à rendre et que je vais m’efforcer de le faire du mieux possible. Cela pourra être parfois ardu! Tous les acteurs de la discipline, moi le premier, avons souvent tendance à dire: “Mais que fait la FEI?”. Il faut parfois trancher pour aller de l’avant, ou pondérer une décision, l’adapter d’une année sur l’autre en fonction des retours du terrain… Rien n’est jamais satisfaisant à 100%, parce que le système parfait n’existe pas. 

Sur quels sujets serez-vous amené à travailler au sein du comité?  

Bien entendu, il s’occupe de la mise à jour du règlement applicable aux épreuves internationales. Cela inclut également la production des nouvelles reprises de dressage ainsi qu’un volet sécurité, désormais au cœur de toutes les préoccupations. Il étudie les suggestions et demandes des fédérations nationales, cavaliers et experts, avec lesquels il échange perpétuellement, opère un tri, et effectue une synthèse avant de présenter un projet final au conseil d’administration de la FEI qui, lui, entérine des décisions et en propose d’autres à l’assemblée générale. Le comité organise aussi la formation des officiels et a un droit de regard sur les calendriers et l’attribution des championnats et autres grands rendez-vous, toujours avec un souci d’harmonisation et d’équité. Là encore, il s’agit d’émettre un avis a priori, pas de prendre une décision finale. Bien évidemment, la crise sanitaire en cours a chamboulé les cartes au niveau du calendrier, et ce sera un des sujets premiers à aborder ces prochaines semaines.

Et puis, il y a un volet qui me concerne particulièrement au regard de mes états de service: le développement de la discipline. C’est quelque chose qui me tient à cœur car je le vis et que je trouve cela passionnant. Même si cela peut sembler un peu abstrait du point de vue occidental, puisque cela concerne des pays hors circuit où l’on ne sait pas trop ce qui se passe, c’est essentiel dans la mesure où il en va du maintien du concours complet, et plus généralement des sports équestres, au programme olympique. 

La FEI a un programme de développement tendant à démontrer et promouvoir l’universalité des sports équestres dans le monde entier, au même titre que les sports de balle, l’athlétisme ou le vélo. Mais il y a beaucoup à faire pour le complet! Quand je suis allé à Taïwan l’an dernier, j’ai constaté qu’il y avait désormais là-bas une culture du dressage et du jumping fondée sur l’import de chevaux et l’appel à des techniciens étrangers. Pour le complet, il y a un attrait, stimulé par la progression du Japon ces trente dernières années, le pays étant devenu un exemple, voire une locomotive en Asie. Le Japon fait des émules, à l’exemple de l’Inde, de la Thaïlande ou de la Chine, et suscite une envie qu’il faut encourager et développer. Cela représente aussi un nouveau marché, et cela n’est pas un gros mot! Ce qui permet de faire vivre toutes les composantes de la filière est bon pour le sport. Des actions sont donc déjà menées par la FEI. Quant à moi, je pourrai apporter mon expérience sur ce sujet, et une vision globale fondée justement sur cette expérience. Il y a beaucoup à faire!



Pour les Européens de 2021, “rien n’est joué à l’heure actuelle”

En pratique, comment allez-vous travailler dans le cadre de ce comité?

En théorie, j’aurai deux ou trois réunions en présentiel chaque année à Lausanne ou ailleurs. Il y aura aussi des réunions téléphoniques au moins mensuelles avec les autres membres du comité et des intervenants extérieurs. Ma boîte de courriel commence déjà à déborder! Cela dit, je n’ai pas encore vécu tout cela de l’intérieur, n’ayant pris mes fonctions que très récemment. En tout cas, je suis très honoré de cette nomination et j’ai hâte de me mettre au travail. Après, je pense qu’il ne faut pas tout attendre d’en haut. Il appartient à chacun des acteurs de la filière d’accomplir son travail au mieux et de faire remonter sa vision de ce vers quoi le sport doit tendre, en particulier par le canal fédéral. Il ne faut pas imaginer que le sport est régi par une demi-douzaine de personnes qui prennent des décisions de manière unilatérale. L’esprit du règlement en particulier, de l’organisation et du développement de notre sport, est un miroir de ce qui remonte d’en bas.

On peut malheureusement supposer que les effets de la pandémie se feront encore sentir en 2021. L’une des questions, outre le report des JO, est la tenue ou non de championnats d’Europe l’été prochain. Sous la pression des parties prenantes du sport, la FEI en a reprogrammés en dressage et en jumping, mais toujours pas en complet… Quel regard portez-vous sur cette question? 

Ce sujet fait effectivement débat, y compris à la FEI. Pour le moment, je ne peux pas en dire grand-chose si ce n’est que je participe à ces pourparlers et que rien n’est joué à l’heure actuelle. Cela peut encore changer, mais il n’y a pas d’informations définitives à donner pour le moment, seulement des discussions en cours. À titre personnel, je suis favorable à la tenue d’un tournoi européen. Cela ne surprendra personne puisque l’association Ustica, organisatrice du Grand Complet au Haras du Pin, qui est un peu mon bébé, était candidate pour les organiser. Malheureusement, il ne pouvait le faire qu’en août 2021 alors que la FEI voulait impérativement une date en septembre pour que ces championnats ne soient pas trop rapprochés des JO. En outre, plus le temps passait, plus il était difficile d’envisager financer et organiser le projet sans que le risque ne soit trop lourd à porter. Nous avons donc dû en faire notre deuil. 

Pour autant, je pense qu’il est nécessaire que des championnats d’Europe aient lieu l’an prochain. D’abord, certaines nations ne pourront pas aller aux Jeux mais ont besoin qu’on leur propose une échéance majeure et de vivre l’expérience d’un championnat. Et puis, le nombre de couples participant aux JO a été réduit de quatre à trois par équipe, plus un remplaçant, si bien que peu de gens sont concernés. En réalité, je dirais que les nations qui auront le plus besoin d’un championnat l’an prochain sont d’un côté les nations les moins fortes, en quête d’expérience et pourquoi pas d’accessits, alors qu’elles n’auront peut-être même pas d’équipe ou de couples présent à Tokyo. De l’autre, les nations les plus performantes, avec un réservoir plus conséquent de cavaliers et chevaux, en ont besoin pour qualifier d’autres couples pour la suite, les meilleurs cavaliers ayant d’ailleurs souvent plusieurs montures de ce niveau.

Ces dernières semaines, le champion allemand Michael Jung, relayé entre autres par le Français Maxime Livio, ont porté à la connaissance du public le souhait d’un organisateur de les conduire à Avenches, en Suisse. Cela a-t-il une chance d’aboutir?

Effectivement, des candidats sont toujours en lice, parmi lesquels Avenches, plus en avant que les autres. Nous allons voir ce qui va se passer. Par ailleurs, je crois savoir que les Jeux de Tokyo sont bien partis pour se dérouler. Dans quelles conditions? Personne ne le sait. Il faudra évaluer l’impact d’un vaccin, son efficacité, et la possibilité d’assurer la sûreté sanitaire sur site. Tout le monde fait comme si l’événement allait avoir lieu, mais il ne faut pas que cela bloque la réflexion sur la tenue de championnats continentaux, quels que soient les continents d’ailleurs. 

Pour terminer, et avec un clin d’œil particulier à nos lecteurs normands, comment se porte votre famille, bien connue dans le milieu équestre?  

Comme pour tout le monde, l’année a été un peu difficile. Mes parents, André et Bernadette, vont assez bien pour des personnes de leur âge même s’ils ne rajeunissent pas et que papa pâtit un peu des conséquences de l’accident qu’il a subi en 1989. Mon frère Guillaume, qui gère et anime le centre équestre, tente de maintenir la tête hors de l’eau dans la situation chaotique que toutes les structures connaissent cette année. Mon frère Jean travaille dans un centre équestre pas très loin, et cela va bien pour lui. Quant à André-Jacques, il a arrêté son activité de speaker sur les terrains de concours il y a plusieurs années déjà, et essaie actuellement de construire autre chose. Yannick, mon épouse, en parallèle à son métier de professeur de collège, est d’ores et déjà à pied d’œuvre pour l’organisation du prochain Grand Complet au Haras du Pin, en août 2021, tandis que nos deux filles, ayant mis l’activité de concours en sommeil pour l’hiver, se concentrent sur leurs études: première année en fac de médecine pour Zara, et classe de seconde au lycée pour Camille. La vie suit donc son cours. 

La première partie de cet entretien a été publiée hier sur GRANDPRIX.info