Nino des Buissonnets, itinéraire d’un surdoué
Le dimanche 11 décembre 2016, Nino des Buissonnets tirait sa révérence devant son plus fidèle public, dans l’arène de Palexpo à Genève. Auteur de six saisons de sport exceptionnelles, l’impétueux et génial Selle Français sacré champion olympique en 2012 avec Steve Guerdat, profite désormais d’une paisible retraite. Portrait d’un ancien champion pas comme les autres.
Nino des Buissonnets voit le jour le 24 juillet 2001 à Bondues, près de Lille, chez Caroline et Nicolas Deroubaix, fille et fils du regretté Jean-Luc, qui avait lancé l’élevage des Buissonnets. Éleveur modeste au coup d’oeil aiguisé, le Nordiste avait craqué sur Hermine du Prelet, une jument atypique aux origines d’exception (SF, Narcos II x Almé x Uriel x Starter x Furioso, Ps). “Mon frère était très amateur des belles diagonales!”, entame Philippe Deroubaix, qui oeuvrait à ses côtés à Bondues. “Il a tout de suite voulu l’acheter parce que sa souche maternelle était vraiment prometteuse. C’était une petite jument assez épaisse qui n’a jamais été débourrée! Elle n’a jamais été présentée en concours d’élevage. Un jour, alors que j’ai essayé de la transporter, elle a complètement défoncé le toit du van!” Les Deroubaix espèrent alors que Kannan (KWPN, Voltaire x Nimmerdor), l’étalon du moment qui évolue alors sous la selle de Michel Hécart, transmettra à leur poulain un beau modèle et du sang, ce dont Hermine ne manque pourtant pas. “Nous espérions produire un crack, comme tous les éleveurs… Et à la naissance, il faut bien avouer que nous avons été déçus. Nino était très petit. Sa taille nous a fait si peur que nous nous sommes demandés ce qu’allait bien pouvoir faire ce cheval. Même si Hermine produisait de petits poulains, nous ne nous attendions pas à ça. Au niveau du comportement, il était un peu spécial, toujours très excité. Au moins, il ne manquait pas de sang!”, décrit-il.
Après quelques mois, le poulain rejoint les écuries de Patrick Varlet, marchand installé à Lambres dans le Pas-de-Calais, avant de rapidement gagner le haras des Princes. Débourré par Marius Huchin, propriétaire des lieux, le Selle Français débute sa formation sur le circuit Jeunes Chevaux avec Guillaume Foutrier, aiguillé par Patrick Caron. “Nino était tout petit et avait beaucoup de sang et d’énergie. Il était assez dur dans la bouche et avait beaucoup de force dans l’arrière-main. Il n’avait vraiment pas la morphologie d’un cheval de haut niveau! L’une de ses plus grandes qualités était son très grand respect”, se souvient l’ancien sélectionneur des équipes de France. Malgré un sacré caractère, Nino réussit des débuts prometteurs, signant treize sans-faute sur seize parcours à quatre ans. “Quand j’avais croisé Guillaume au CIR de Compiègne, il m’avait dit percevoir un vrai potentiel chez lui. Il avait un bon sentiment. Nino était petit et délicat, mais avait du talent”, confie Philippe Deroubaix.
En fin d’année de cinq ans, une petite boiterie et un léger retard de croissance encouragent l’entourage du cheval à le gérer très soigneusement. Il ne saute que six épreuves à six ans, avec quatre sans-faute à la clé. À sept et huit ans, il reprend un rythme plus soutenu et se montre relativement régulier à 1,40m. “Nous avons décidé d’attendre avant de lui faire sauter des épreuves importantes, car sa croissance n’était pas achevée. Il a été très préservé. Nino a été géré de façon exemplaire, aussi bien chez Marius Huchin que chez Steve Guerdat par la suite. L’erreur aurait été de trop l’exploiter. Guillaume a réellement été un excellent formateur pour lui. À neuf ans, Nino a franchi un vrai cap pendant une tournée printanière à Manerbio en Italie. À Villeneuve-Loubet, peu de temps après, nous avons reçu plein d’offres, mais personne ne l’a acheté, parce que très peu de gens croyaient en lui. Quand il a été vendu peu de temps après, Guillaume a été très triste de le voir partir”, rappelle Patrick Caron.
INOUBLIABLES JO DE LONDRES!
Au cours de ce printemps 2010, le marchand belge Gilbert de Roock acquiert le hongre pour la modique somme de 25 000 euros, et l’envoie dans les écuries de l’Allemand Manfred Marschall, lequel confie la suite des opérations à son collaborateur Tim Hoster. Le contact s’établit vite et bien entre l’Allemand et le SF. Dès juin 2010, le couple remporte une épreuve à 1,50m au CSI 3* de Pforzheim, où Steve Guerdat repère le jeune talent. Le champion suisse tente alors de convaincre son fidèle mécène, Yves Piaget, de l’acheter. Cependant, devant le refus catégorique de ce dernier, il se tourne vers Urs Schwarzenbach, un magnat de la finance et de l’immobilier qui avait déjà mis à sa disposition les magnifiques écuries dans lesquelles il évolue toujours aujourd’hui, près de Zurich.
Après des débuts en dents de scie, les deux athlètes s’apprivoisent. Au fil des mois, le couple se forme véritablement, achevant l’année 2011 en terminant troisième, deuxième et quatrième des Grands Prix Coupe du monde de Lyon, Stuttgart et Genève. Dès lors, Nino des Buissonnets, entre en lice pour les Jeux olympiques. Sa deuxième place en finale de la Coupe du monde, en avril 2012 à Bois-le-Duc, confortent le staff helvétique d’envoyer le binôme à Londres. Après avoir concédé une faute dans les deux manches de l’épreuve par équipes, le 8 août 2012, Steve et Nino décrochent la médaille d’or individuelle en signant le seul double sans-faute de la finale. “J’étais rivé devant ma télévision. C’était incroyable, j’en ai encore des frissons et des émotions aujourd’hui! Je sais toute la réflexion des croisements qui ont précédé la naissance de Nino. Le voir gagner nous a procuré une forme de reconnaissance et de récompense”, se souvient Philippe Deroubaix. “Si ce cheval n’avait pas croisé Guillaume Foutrier et Steve Guerdat, nous n’aurions sûrement jamais entendu parler de lui. Sa réussite est intimement liée à ces hommes qui ont réussi à tirer la quintessence de ses qualités. Sans un cavalier comme Steve, il n’aurait jamais accompli tout ça”, avoue-t-il. Une opinion partagée par Patrick Caron. “En toute franchise, je n’aurais jamais pensé qu’il atteindrait le niveau olympique. Steve dit que Nino est le cheval de sa vie, mais je pense que le contraire est tout aussi vrai. Ces rencontres ont été déterminantes pour lui.”
La carrière du couple ne s’arrête pas là. Deux mois après, il s’offre le Grand Prix CSI 5* de Rio de Janeiro. En 2013, il termine à nouveau deuxième de la finale de la Coupe du monde à Göteborg, puis cinquième du Grand Prix CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle. Quelques semaines plus tard, alors que la médaille de bronze lui tend les bras aux championnats d’Europe de Herning, le fougueux bai refuse de sauter le deuxième élément du triple final de l’ultime parcours, faisant reculer son pilote au huitième rang. Une péripétie vite effacée par trois deuxièmes places dans les Grands Prix CSI 5*-W d’Oslo, Helsinki et Stuttgart, et surtout par un premier triomphe dans le fameux Grand Prix de Genève.
TERRIBLES JO DE RIO...
En 2014, ces deux athlètes au caractère bien trempé se classent cinquièmes de la finale de la Coupe du monde à Lyon, puis onzièmes des Jeux équestres mondiaux de Normandie après une Chasse marquée par un nouveau refus. Toujours aussi efficace en indoor, Nino offre à Steve deux troisièmes places à Oslo et Stuttgart et une victoire à Helsinki. Au printemps suivant, la paire termine deuxième du Grand Prix CSIO 5* de Saint-Gall et s’impose surtout dans le Grand Prix CSIO 5* de La Baule, une victoire dont elle sera disqualifiée en raison du contrôle positif du crack à la codéine et à l’oripavine. Même si le cavalier parvient à démontrer son innocence dans cette affaire liée à une intoxication alimentaire, son cheval reste suspendu et privé des championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle. Une fois encore, le duo retrouve toute sa superbe à Genève, s’adjugeant son deuxième Grand Prix dans une ambiance indescriptible, le 13 décembre 2015.
Lancés à la conquête d’un second sacre olympique, performance jamais accomplie en saut d’obstacles, Steve et Nino montent en puissance au début de l’été 2016, signant un double sans-faute dans la Coupe des nations de Rotterdam avant de terminer troisièmes du Grand Prix CSI 5* de Knokke. À Rio, ils concèdent neuf points au total des trois qualificatives, comme les trois autres paires suisses, mais sont évidemment retenus par Andy Kistler, leur chef d’équipe, pour la finale individuelle. Alors qu’ils y réussissent l’un des treize sans-faute de la première manche, puis l’un des six doubles sans-faute dans la seconde, l’exploit semble se dessiner. Hélas, une faute sur le tout premier obstacle du barrage, un mur de palanques surmonté d’une barre, les cloue à la quatrième place, la pire pour un cavalier qui rêvait d’offrir à son protégé une dernière médaille, quelle qu’en fût la couleur... En six ans de carrière au plus haut niveau, ces deux camarades de jeu, similaires à bien des égards, n’ont jamais cessé de prendre du plaisir et d’éblouir leurs supporters.
Un groom passionnée
Pendant six ans, Emma Uusi-Simola et Heidi Mulari, grooms de Steve Guerdat, ont soigné Nino des Buissonnets avec toute l’attention qu’il requiert. Cette dernière garde des merveilleux souvenirs de son compagnon de route: “Nino est assez proche de l’homme, donc le lien entre nous s’est tissé rapidement et naturellement. Je le montais toujours à la maison quand Steve n'était pas là. Dieu qu’il est fainéant! La première fois que je l’ai vu sauter, il s’envoyait cinquante centimètres au-dessus des chandeliers, au grand galop. Je pensais qu’il serait très difficile à monter, y compris sur le plat, mais pas du tout. Au fil des années, il s’est tout de même un peu amélioré. Il est très coquin, on dirait un enfant de cinq ans! Si vous lui dites d’aller à gauche, il ira à droite! Avant chaque grand championnat, il aimait bien jouer avec nos nerfs. Soit il avait un peu de fièvre, soit il déferrait… Quand il a été sacré champion olympique, c’était irréel. Je n’arrivais pas à réaliser, c’était un sentiment très étrange. Aux écuries, en attendant notre retour, tout le monde avait décoré son box! Peu de grooms ont eu la chance de vivre ça.”
Cet article, dont la deuxième partie sera publiée demain, est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°97.