La nouvelle vie d’Hermine du Prelet, la mère de Nino des Buissonnets (et d’autres)

À la suite d'un portrait de Nino des Buissonnets paru en deux parties ces deux derniers jours sur GRANDPRIX.info (lire ici et ici), Claire Peuble, fondatrice de l'élevage du Ventel, a souhaité partager des nouvelles de la mère de l’ancien crack de Steve Guerdat, Hermine du Prelet. Depuis huit ans, cette attachante Selle Français, aujourd’hui âgée de vingt-cinq ans, coule des jours heureux dans le Nord de la France, dans les prés de sa propriétaire, qui a eu la chance de faire naître d'autres poulains de sa protégée.



© Collection privée

Comment et pourquoi avez-vous acquis Hermine du Prelet (SF, Narcos II x Almé)? 

À l'époque, je me lançais dans l’élevage. Son ancien propriétaire, chez qui j'avais des chevaux au travail, souhaitait la vendre d'une part car il souhaitait se tourner davantage vers la compétition, et d'autre part car Hermine ne donnait plus de produit. Tous ses poulains mouraient malheureusement à la naissance... Malgré tout, je l'ai quand même rachetée parce que je suis directement tombée sous son charme! J’étais tellement fière, c’était un honneur de pouvoir me lancer dans l’élevage avec une telle jument. La première fois que je l’ai vue au box, j’ai été impressionnée comme si l’on me montrait Nino des Buissonnets! J’aime beaucoup la souche d’Hermine, une souche basse qui n’avait pas été très exploitée en transferts d’embryons. C’est pourquoi j’ai pu l’acheter.

De quels problèmes souffrait-elle?

Lorsque j'ai acheté Hermine, alors que ses deux derniers poulains étaient morts quarante-huit heures après leur naissance. elle était pleine de Kannan. Son dernier poulain, qui est mort en 2013, était pourtant né en pleine santé, mais son état s’est dégradé dès les premiers jours. Alors, ses propriétaires l’ont amenée dans une clinique pour l’intuber, et le poulain n’a pas survécu. Je ne comprenais pas pourquoi ses poulains ne survivaient pas et j’ai cherché longtemps, pendant des mois. C’était frustrant parce que j’adorais déjà cette jument et je savais que j’avais la mère du champion olympique en titre, mais que nous n’étions jamais sûrs de la viabilité de ses poulains. De plus, je ne travaille pas dans le domaine scientifique ou vétérinaire, donc je n’avais pas vraiment d’expertise. J’ai eu la chance de tomber sur la clinique Keros, en Belgique, où des professionnels l’ont sauvée. Ils ont découvert qu’Hermine souffrait d’ictère hémolytique (affection rare touchant 1 à 2% des poulains et s’expliquant par la placentation de la jument qui, de type épithéliochorial, ne laisse pas passer les grosses molécules de la circulation sanguine maternelle au poulain, ndlr). Alors qu’Hermine était pleine, l’équipe de la clinique a effectué des prises de sang un mois avant son terme et ils ont trouvé des taux anormaux d'anticorps. En résumé, le lait d’Hermine empoisonnait ses poulains. Franchement, cette équipe, dont faisait partie Hilde et Gaby Vandaele, a été exceptionnelle. Ils ont assuré à la naissance, pour la mère comme le poulain, et avaient même acheté du matériel exprès pour nous! Ils ont été extrêmement patients et ont dû réapprendre à la pouliche à téter sa mère. Avant d’avoir trouvé cette anomalie, il ne nous restait qu’un choix: ne plus utiliser Kannan, car il s’agissait d’une incompatibilité entre Hermine et lui, qui s’est déclarée après le premier poulain de ce croisement. Maintenant que nous avons trouvé, tout s’est heureusement arrangé!

Comment se sont passés les débuts d'Hermine chez vous?

Quand nous sommes allés la chercher au haras des Princes, géré par Carole et Marius Huchin, que j’aime beaucoup d’ailleurs, on nous a dit qu’elle avait beaucoup de caractère. Je me souviens qu’il y avait cinq ou six personnes pour nous aider à l’embarquer car madame était compliquée! Même pendant le trajet, elle a énormément bougé. On a même cru qu’elle allait perdre son poulain à force de gesticuler. C’était une vraie princesse! Elle était dans un état magnifique, et encore aujourd’hui d’ailleurs. J’ai rarement vu une jument de vingt-cinq ans dans cette forme! À la maison, elle a vraiment des comportements d’entier. Dès qu’on sort un cheval du box d’à côté, elle se met debout. Elle est la seule jument que mes stagiaires n’osent pas sortir au pré! Elle a beaucoup de sang et elle “ronfle” beaucoup, mais elle est aussi très gentille et intelligente. D’ailleurs, ses produits ont un peu ce caractère de feu. C’est peut-être quelque chose qu’elle donne à ses poulains! 

Ce doit être une fierté d’être propriétaire de la mère d’un champion olympique!

Les gens sont étonnés car Hermine est très différente des poulinières habituelles, et c’est à mon avis ce qui fait sa force. Je suis effectivement très fière de l’avoir à l’élevage. Non seulement elle a produit un champion olympique, mais sa lignée est exceptionnelle. J’ai la chance d’avoir une souche assez rare car peu exploitée. Hermine n’a pas beaucoup produit par transferts d’embryon avant que je ne l’achète, et j’essaie de valoriser cette exclusivité. Évidemment, il y a quand même une certaine pression quand on a une jument qui a produit un tel crack, mais je n’y suis pour rien dans la réussite de Nino! Je n’ai fait que copier le travail des naisseurs d’un crack. C’est à la famille Deroubaix, naisseuse de Nino, et à tous les autres avant eux que revient le mérite. Ce sont de vrais savants! J’ai fait naître cinq poulains de Kannan par transferts. C’est assez drôle car quand mes clients viennent voir des chevaux - j’en ai une trentaine à la maison - et que je leur montre Hermine, ils pensent que c’est une blague! Elle mesure 1,58m et lle est épaisse comme un cob! Elle n’est pas du tout faite comme un cheval de sport. Elle ressemble davantage aux vieilles juments normandes des années 1980!



“J’ai reçu plein de messages d’Allemands intéressés par des frères et sœurs de Nino”

© Collection privée

Le premier produit que vous avez naître d’Hermine, Elestra du Ventel, semble plutôt prometteuse. Pouvez-vous revenir sur son histoire?

Comme je voulais m’installer et développer mon élevage, j’ai rapidement décidé de la proposer aux ventes Fences... et je dois dire que c’est le grand regret de ma vie (rires)! Acheter hermine a représenté un investissement et je savais que nous allions tirer un bon prix de cette pouliche, ce qui permettrait d’équilibrer mes comptes. Mais entre les mois de juin et septembre, j’ai eu le temps de m’attacher! Je me souviens des ventes Élite Fences, en 2014, car j’ai prié pour qu’Elestra n’atteigne pas mon prix de réserve, fixé à 45.000 euros, ce qui était déjà une belle somme. Finalement, la pouliche a réalisé à l'époque le deuxième top price des foals de la vente (46.000 euros)! Alors que tout le monde applaudissait, moi je pleurais! Après, je me suis promis de ne plus vendre de pouliche d’Hermine (rires). Elestra a été achetée par l’Américaine Elizabeth Miller, qui collabore avec la cavalière Katie Dinan. Elle m’a d'ailleurs envoyé un petit message récemment pour m'avertir que la jument allait être désormais montée par le Suisse Beat Mandli et commencer les épreuves dédiées aux chevaux de sept ans. Je lui envoie un message par an en espérant que la jument ne soit pas assez bonne et qu’ils veuillent bien me la revendre, mais cela n'arrivera pas car ils croient beaucoup en elle! De plus, ils ont eu la gentillesse d’accepter de ne pas la renommer, alors que cela se fait beaucoup aux États-Unis.  

Quid des autres poulains qu’Hermine vous a donnés?

Depuis qu’elle m’appartient, elle a donné huit produits. Parmi eux, il y a Gold Digger, dont j’ai assez peu de nouvelles car il a été acheté par un milliardaire allemand. Il n’est pas encore sorti en concours, mais a fait le spectacle lors de l’approbation des étalons du stud-book Oldenbourgeois cette année. Il est d’une qualité incroyable et tout le monde en a parlé. Après cette présentation, j’ai d'ailleurs reçu plein de messages d’Allemands intéressés pour acheter des frères ou sœurs de Nino! De la même génération, nous avons fait naître Gino du Ventel, issu de Kannan. J’ai décidé de le garder et il a récemment été approuvé par le stud-book Selle Français. Il a passé le début d’année chez Pénélope Leprevost avant de revenir profiter des prés en raison de cette saison écourtée, et devrait reprendre sa formation l’an prochain avec une cavalière voisine. J’ai fait naître un poulain nommé Infini Ventel (SF, Casall), âgé de deux ans. Tout le monde me disait de ne pas utiliser Casall car il produisait petit et qu’Hermine n’était déjà pas très grande, mais il mesure déjà 1,60m à deux ans donc il devrait atteindre une taille moyenne. Il a une locomotion et un coup de saut incroyables, et il est très moderne. J’avais choisi Casall car je voulais ramener de la souplesse et du sang, Hermine étant assez rigide. Hermine transmet sa volonté, ce qui peut parfois manquer aux produits de Casall. Je dois avouer que ce fameux Infini avait été vendu, mais je l’ai racheté il y a deux mois... (rires) Parmi ceux que j’ai fait naître, j’en ai offert un à une amie, et une autre, nommée Grande Dame du Ventel, vient d’être croisée à Cornet du Lys. Grande Dame ressemble d’ailleurs beaucoup à Nino dans sa façon de bouger et de sauter! J’espère que l’avenir sera intéressant avec tous ces chevaux. En tout cas, j’en rêve! Finalement, il n’y a peut-être pas que Nino qui sortira de cette souche et qui atteindra le haut niveau! Honnêtement, même si l’on ne peut jamais savoir, je pense vraiment qu’un autre crack sortira du lot. Je suis sûre qu’Hermine donnera naissance à un autre crack. 

Quels sont ses projets pour la suite pour Hermine?

Hermine a donné sa dernière pouliche cette année. Elle va rester à la maison, comme tous mes autres chevaux. Depuis toujours, j’essaie de faire vivre mes chevaux dans les meilleures conditions. Cela me coûte plus cher, mais je préfère que mes chevaux soient à l’aise! Tout le monde me pousse à faire de l’injection intracytoplasmique (ICSI)... Je l’envisage, mais je ne suis pas sûre de moi. Nous verrons bien...