“Avant, je ne pensais qu’à mes chevaux, à mon sport et à ma carrière, donc le moindre mauvais résultat avait un impact très fort”, Marlon Módolo Zanotelli (partie 2)

Présent sur le devant de la scène internationale depuis près d’une décennie, Marlon Módolo Zanotelli semble réussir tout ce qu’il entreprend. Régulièrement en haut des tableaux de résultats des plus belles compétitions du monde, le Brésilien, travailleur acharné et fondateur d’une activité commerciale florissante, n’en a pas pour autant oublié de fonder une magnifique famille avec son épouse Angelica Augustsson Zanotelli, enceinte de leur troisième enfant. Solidement entouré de ses proches, venus du Brésil afin de l’épauler, rien ne semble pouvoir le faire flancher. Passionné, déterminé et courageux dans le sport, le génie à la veste auriverde doit aussi sa réussite à une tête bien faite, un respect de l’autre et une sympathie sans faille. Entretien.



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Pour ce championnat, et depuis le début de l’année 2019, l’équipe du Brésil peut compter sur les conseils de Philippe Guerdat. Comment avez-vous accueilli son arrivée? 

Nous avons énormément de chance de pouvoir compter sur Philippe. J’avais déjà énormément de respect pour lui avant, mais maintenant, c’est encore décuplé! Lorsque vous travaillez à ses côtés et que vous découvrez l’homme de cheval qu’il est, sa connaissance et sa manière de faire, vous ne pouvez être qu’admiratif. Avec lui, tout est toujours très clair et très transparent. Il essaie toujours de créer une atmosphère propice à la réussite, en faisant en sorte que tout le monde soit ensemble. Ceci est primordial pour la réussite d’un groupe, et encore plus pendant un championnat. Ce n’est pas toujours facile de travailler avec des athlètes de haut niveau et cela nécessite du talent pour réussir à les faire évoluer ensemble. Le caractère des uns et des autres fait que ce n’est pas toujours simple, mais Philippe nous dit systématiquement la vérité et ce qu’il pense, sans détour. Il nous laisse faire ce que nous pensons être le mieux pour notre cheval, mais il nous aide en même temps à ouvrir notre champ des possibles. C’est vraiment fantastique de pouvoir évoluer avec Philippe! Profiter de ses conseils me donne beaucoup de confiance et m’aide au quotidien. Je suis certain que s’il n’avait pas été présent à nos côtés cette année, nous n’aurions jamais obtenu les mêmes résultats. 

Comment parvenez-vous à travailler depuis l’arrivée du coronavirus? Avez-vous effectué des stages ou des regroupements avec les autres Brésiliens installés en Europe? 

Lors du premier confinement, nous n’avons évidemment pas pu travailler en équipe, mais dès que la situation s’est calmée, Philippe est venu chez moi ainsi que chez presque tous les cavaliers brésiliens pour travailler et faire un point. Quoi qu’il en soit, il prend régulièrement des nouvelles par téléphone. Et avec les deux Coupes des nations qui arrivent, Philippe est très heureux de reprendre du service! 

Quel regard portez-vous sur l’équipe brésilienne? Est-elle arrivée, selon vous, au rang de l’Allemagne et de la France par exemple, et si non, que lui manque-telle pour arriver à s’installer durablement parmi les meilleures nations? 

Nous ne sommes pas encore au niveau des grandes équipes, mais si nous mettons en place un bon planning tourné vers les grandes échéances et selon lequel tout le monde travaille dans le même sens, alors nous avons vraiment de grandes chances de médailles. Il faut que nous priorisions tous les Coupes des nations en vue des championnats, et non que certains pensent d’abord à eux-mêmes en favorisant les CSI 5* sans importance particulière. Si nous réussissons cela, je pense que nous avons une carte à jouer et qu’il faudra compter sur nous. 

Comment abordez-vous l’échéance de Tokyo individuellement? 

J’espère pouvoir mettre en place, avec Philippe Guerdat et Pedro Paulo Lacordo (le chef d’équipe officiel du Brésil, ndlr), un planning en vue de Tokyo pour que nous y arrivions dans les meilleures conditions possibles. VDL Edgar M est ma première cartouche en vue des Jeux olympiques. Je crois qu’il faut principalement se concentrer sur le travail à réaliser et que les résultats viendront tout seuls. Lorsque nous sommes partis pour les Jeux panaméricains l’an dernier, nous n’avions jamais imaginé revenir avec deux médailles d’or puisque l’objectif était surtout de qualifier le Brésil pour les JO. La médaille est arrivée toute seule, parce que nous avions beaucoup travaillé. Pour la médaille individuelle, c’était pareil et je n’avais jamais imaginé la gagner!



“Que quelqu’un ait payé ou pas son entrée, il doit réaliser une performance et être meilleur que les autres pour marquer des points”

Rodrigo Pessoa espère pouvoir disputer sa dernière grande échéance à Tokyo. Est-ce quelque chose d’important pour vous? Quelle relation entretenez-vous avec lui? 

N’importe quel cavalier au monde voudrait avoir Rodrigo dans son équipe à mon avis. Il est l’un des meilleurs cavaliers de championnat qui existe. Lors des JEM de Normandie en 2014, qui étaient ma première grande échéance, j’étais dans l’équipe avec lui. Il donne une confiance incroyable. Lui, comme Pedro Veniss, font preuve d’une extrême tranquillité et d’un calme olympien, ce qui rassure et apaise énormément. Lorsque Rodrigo doit passer en dernier dans un championnat, nous savons qu’il a de grandes chances de réaliser un parcours parfait, et cela enlève beaucoup de pression ! Quand j’étais jeune, Rodrigo était numéro un mondial. Il faut m’imaginer, petit garçon montant au Brésil et admirant mon idole, le numéro un mondial venant de mon pays! Je le suivais à la télévision et je ressentais beaucoup de fierté en tant que Brésilien. Son histoire m’a beaucoup motivée car elle me prouvait qu’y arriver était possible. Faire équipe avec lui à Caen était un rêve devenu réalité. 

L’évolution du sport de haut niveau suscite régulièrement beaucoup de débats, notamment vis-à-vis du système d’invitations aux concours 5*. Quel est votre avis sur ce sujet? 

La Fédération équestre internationale (FEI) et le Club des cavaliers internationaux de saut d’obstacles (IJRC) essaient de trouver une solution équilibrée pour que les meilleurs cavaliers du classement mondial puissent avoir accès aux meilleurs concours. Ce qui est aussi essentiel pour les organisateurs de concours puisque cela permet de créer du beau sport, d’attirer les médias, et donc les sponsors. Si les meilleurs cavaliers ne sont pas là, le concours perd de sa prestance. Mais s’il n’y a pas assez d’argent, qui rentre notamment grâce aux invitations, alors l’événement n’attirera pas les meilleurs cavaliers... Il y a un juste équilibre à trouver. Le plus important est de mettre tout en place pour avoir le plus beau sport possible avec les meilleurs cavaliers en piste. En revanche, j’ai déjà entendu dire que les cavaliers qui achètent leur entrée pour les gros concours achètent les points du classement mondial qui vont avec. Sur ce point, je suis tout à fait en désaccord. Que quelqu’un ait payé ou pas son entrée, il doit réaliser une performance et être meilleur que les autres pour marquer des points. Ce sont des points amplement mérités. En piste, nous sommes tous égaux. Je pense que tout le monde essaie de rendre le sport meilleur et personne n’a, jusqu’à présent, trouvé la formule magique. 

Quid du bien-être animal, qui a motivé quelques modifications règlementaires ces dernières années comme les marques de sang sur les flancs à cause des éperons ou les guêtres postérieures? Cela va-t-il dans le bon sens pour vous? 

C’est important que le bien-être animal soit au centre des discussions et qu’il soit encadré. Les règles relatives aux marques de sang et aux guêtres postérieures sont, selon moi, positives pour le sport. Le problème vient de la manière dont les gens agissent par rapport aux nouveaux règlements. Par exemple, il arrive que des cavaliers soient éliminés à cause d’une marque de sang alors qu’il s’agit d’un accident, parfois d’une toute autre raison que des éperons, alors qu’en parallèle, certains cavaliers écrasent leurs chevaux dans des oxers au paddock sans que rien ne soit dit... La manière de gérer ces situations doit être revue et parfois gérée au cas par cas pour ne pas tomber dans l’excessif. Pour moi, c’est très important pour le public néophyte, à qui l’on fait parfois croire que les cavaliers sont agressifs avec leurs chevaux alors que ce n’est pas le cas. Par exemple, dans certains pays, les rênes allemandes sont interdites, donc certains spectateurs pensent qu’un cavalier qui les utilise est violent avec sa monture. Au contraire, certains chevaux sont tout de suite plus calmes lorsqu’ils sont équipés de rênes allemandes, ce qui permet au cavalier de garder un contact doux et relâché plutôt que de devoir être plus dur pour s’assurer que le cheval ne s’énerve pas et ne se blesse pas. Comme pour tout, il faut trouver le bon équilibre et ne pas écouter des non-professionnels, qui eux tenteront d’interdire les éperons, puis le mors, la selle, etc.

Vous êtes depuis plusieurs années maintenant installés à votre compte. Comment cela se passe-t-il? Quels ont été les challenges à relever pour y arriver? 

La décision de quitter Ashford Farm et Enda Caroll a été très compliquée à prendre pour moi. Cela faisait sept ans que je collaborais avec cette équipe et Enda est quelqu’un dont je suis très proche. Il a beaucoup donné pour ma carrière sportive et c’est comme un frère pour moi. Cela a été très compliqué de me séparer de lui. Angelica et moi venions d’avoir notre première fille, Mélissa, et nous avons voulu commencer à construire quelque chose pour nos enfants. Nous avons beaucoup douté car il est difficile d’allier business et sport de haut niveau, mais nous nous sommes lancés. Ma famille nous a soutenus et nous a poussés à sauter le pas en nous garantissant son aide. Mon père a notamment établi plein de prévisions économiques afin que nous ayons un projet qui tienne la route. Au départ, nous n’avions qu’un seul cheval dans les écuries, puis, petit à petit, d’autres pensionnaires sont arrivés, dont Sirène, qui m’a permis de retrouver les CSI 2* et 3*. Tout cela a été possible grâce à la famille, car l’équipe est composée en majeure partie de mes proches!

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“Travailler avec les chevaux nécessite tellement d’investissement personnel qu’il faut absolument être énormément passionné”

C’est-à-dire? 

Tout est fait en famille ! Mes trois frères sont très investis dans notre système. L’un d’eux, Marcel, est propriétaire d’un restaurant à Sentower (en Belgique, ndlr), qu’il ouvre le week-end avec mon père. Le reste du temps, il est aux écuries et nous aide au quotidien. Mario, mon deuxième frère, gère les écuries. Il s’occupe de tous les papiers des chevaux, leurs déplacements, leurs soins, les grooms, etc. C’est une chance énorme car lorsque nous partons en concours, nous savons que tout est parfaitement géré à la maison. Enfin, Marcos, le plus jeune, avait déjà lancé une structure de commerce de chevaux avec mon père avant que je m’installe. Lorsque j’ai lancé mon écurie, leurs chevaux sont venus chez moi et nous avons commencé à collaborer ensemble. Mes parents, eux, gèrent toute la partie administrative. Mon père travaille aussi aux écuries, s’occupe de faire des travaux manuels et s’occupent parfois des chevaux. Pour moi, il est simple de travailler en famille car j’ai toujours été habitué à ça. Il y a eu une pause lorsque j’étais chez Ashford Farm, et l’ordre naturel a repris le dessus. Bien sûr, cela a été plus compliqué au départ pour Angelica, car il est parfois dur de s’intégrer dans une grande famille brésilienne aussi soudée et habituée à vivre ensemble. Elle a pris le temps de connaître chacun d’eux et, désormais, nous sommes vraiment une grande famille! 

Pour vous sortir à la fois des mauvaises nouvelles actuelles et du milieu équestre, pratiquez-vous un autre sport ou avez-vous d’autres loisirs durant votre temps libre? 

J’ai un coach sportif personnel qui vient durant la semaine pour maintenir ma condition physique, et pour s’occuper en particulier de mon dos, dont je ne voudrais pas que l’état se dégrade. Mis à part cela, j’adore le football et le surf, mais je ne peux ni pratiquer le premier car cela serait trop risqué pour moi, ni le second car c’est assez compliqué en Belgique (rires)! Toutefois, je surfe un peu avec Pedro Veniss pour nous amuser et nous détendre après les journées de concours lorsque nous allons au Sunshine Tour. 

Avec votre charmante épouse Angelica Augustsson Zanotelli, vous allez accueillir votre troisième enfant. Vous semblez avoir une vie de famille parfaite, et vos comptes Instagram en font rêver plus d’un! Être père vous aide-t-il, comme nombre de cavaliers le disent, à relativiser certains échecs sportifs? 

Bien sûr, être père a tout changé, y compris ma manière de regarder la vie. Avant, je ne pensais qu’à mes chevaux, à mon sport et à ma carrière, donc le moindre mauvais résultat avait un impact très fort. Désormais, j’ai quelque chose de plus important que le sport. Si je commets deux fautes dans un Grand Prix, en rentrant à la maison, ma femme et mes enfants sont, quoi qu’il arrive, contents de me retrouver et cela change immédiatement mon humeur. Cette nouvelle vie de père m’aide aussi à me concentrer davantage lorsque je pratique mon sport car je le fais pour une bonne raison. Votre plus grande fille, Mélissa, semble déjà bien se plaire à poney! 

Conseillerez-vous à vos enfants de se lancer dans le milieu équestre? 

Cela devra de toute façon venir d’elle, car travailler avec les chevaux nécessite tellement d’investissement personnel qu’il faut absolument être énormément passionné, sinon cela ne fonctionnera pas. Nous ne lui mettons aucune pression. De temps en temps, elle veut monter son poney, mais elle préfère pour l’instant être avec les chevaux, les nourrir, les brosser, etc. Pour l’instant nous voulons juste que cela soit un amusement pour elle, et si un jour cela devient plus sérieux, alors nous verrons. 

Quels sont vos rêves et vos objectifs à atteindre à moyen et long termes? 

J’ai énormément de chance car ma vie actuelle, qu’elle soit privée ou professionnelle, est vraiment formidable. J’ai une épouse exceptionnelle, des enfants géniaux, une famille entière à mes côtés, une jolie maison et une écurie qui tourne bien! Le troisième enfant arrive et j’espère qu’on a fini après lui (rires)! Dans ma vie sportive, j’ai évidemment encore des rêves, notamment une médaille olympique, qu’elle soit par équipes ou individuelle, mais aussi une participation à la finale de la Coupe du monde ou une place dans le top 10 mondial, et pourquoi pas même, être le numéro un... J’ai encore beaucoup de rêves à accomplir. Mon père dit toujours qu’il faut que nos rêves soient grands pour ne jamais les perdre de vue et c’est ce que je fais!

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.