Flipper d'Elle*HN nous a quittés, l'oeil du tigre s'est éteint

Le 26 octobre, le petit génie Flipper d’Elle*HN, vingt-sept ans, a poussé son dernier soupir dans les bras de son cavalier de toujours, Laurent Goffinet. Avec la disparition de ce cheval si charismatique, une page s’est tournée, mais le souvenir de Flipper d’Elle est ancré profondément dans l’esprit de ceux qui l’ont suivi en concours ou assisté à ses exploits. Incroyable performeur au style inimitable, il a aussi œuvré en tant que reproducteur, laissant une descendance tout à fait honorable. Mais Flipper, c’est tellement plus qu’un étalon. Flipper, il vendait du rêve!



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Sur sa page Facebook, Laurent Goffinet a annoncé la triste nouvelle dans la soirée du lundi 26 octobre. “C’est avec beaucoup d’émotion que je vous annonce que Flipper est parti rejoindre le paradis des grands champions. Je lui avais fait la promesse d’être présent jusqu’à la fin. Il s’est endormi tranquillement cet après-midi, dans mes bras. Au revoir petit crack, tu vas me manquer ma Flipouille.” Dès lors, les réseaux sociaux ont été inondés de partages de la publication de Laurent, ainsi que de témoignages de toutes sortes, qu’ils viennent d’anonymes, de personnalités ou de grands cavaliers. Pas de doute, ce petit cheval au tempérament de feu avait su toucher le cœur de tout le monde et devenir la mascotte des amoureux des sports équestres. 

LE FLEURON D’ALEXIS PIGNOLET 

Comme son affixe l’indique, Flipper d’Elle (SF, Double Espoir x Jalisco B) est né chez Alexis Pignolet, dans la petite commune de Moon-sur-Elle, dans la Manche, à une dizaine de kilomètres au nord de Saint-Lô. Flipper n’est pas issu d’une des deux souches originelles du haras d’Elle (celles de Gazelle, SF, Uriel x L’Alcazar, Ps et d’Altesse d’Ira, SF, Prince du Cy x Galveston, Tf), mais d’une jument acquise par Alexis, comme le raconte son fils Bertrand : “Mon père avait acheté Pavlova des Malais (SF, Jalisco B x Uriel) lorsqu’elle était pouliche. Il montait les chevaux de Tancrède Dumont (naisseur de la jument, ndlr) et aimait bien cette souche. Il a d’ailleurs monté la mère de Pavlova, Gueule d’Amour (SF, Uriel x Beau Prince II, Ps), qui avait beaucoup de qualités, même si elle était chaude et pas facile. Mon frère Alain et moi avons ensuite monté Pavlova, qui était également très compliquée, mais c’était la crack du siècle! C’est avec elle que j’ai gagné mon premier Grand Prix. Elle avait une tête en or et des moyens illimités. Je pense que c’était une jument pour sauter les plus grosses épreuves, mais elle était très chaude et pouvait vite finir en lançades dans des lignes un peu courtes, donc c’était compliqué. Elle était très respectueuse et courageuse mais ne prenait pas toujours le temps de sauter. Alain a passé des heures à travailler avec elle. Au niveau du potentiel, c’est peut-être la meilleure jument que nous ayons eue au haras. Elle a d’ailleurs été essayée par Mélanie Smith et Katie Monahan, et je me souviens que je n’ai jamais fait sauter un cheval sur des barres aussi énormes! Elles avaient proposé de la louer pour sa carrière sportive, mais mon père l’avait achetée pour sa souche et n’a pas voulu s’en séparer. Mon père était coutumier du fait et il a souvent refusé de vendre des juments qu’il voulait à tout prix conserver pour l’élevage, même face à de très grosses offres, comme ça avait été le cas pour Altesse d’Ira, Gare à Elle (SF, Bayard d’Elle x Fair Play III) ou encore Une Étoile d’Elle (SF, Jalisco B x Uriel).” 

Vouée à l’élevage dès ses neuf ans, Pavlova des Malais est issue du croisement de Jalisco B (SF, Almé x Furioso, Ps) et Uriel (SF, Nankin x Ascot, Ds), qui a très bien fonctionné et donné quelques très bons chevaux comme Stew Boy, Allegreto, Gin Tonic Star, Fuego du Prelet, Une Étoile d’Elle, ou encore Dollar du Mûrier, médaillé d’or par équipes et d’argent en individuel à Jerez de la Frontera en 2002. 

La grand-mère de Pavlova, Belle Hélène (Ps, Beau Prince II x Relic) était une Pursang issue d’une famille où l’on retrouve de nombreux bons étalons ou/et gagnants en courses, comme Hyperion (Ps, Gainsborough x Chaucer), Double Jump (Ps, Rustam x My Babu), Turner (Ps, Tiepoletto x Vieux Manoir) ou Linamix (Ps, Mendez x Breton), gagnant de la Poule d’essai des poulains et père de Sagamix (Ps, d’une mère par Sagace), vainqueur du Prix de l’Arc de Triomphe en 1998. 

On y trouve également des gagnants à haut niveau en saut d’obstacles, comme le Pur-sang Volchebnik (Ps, Leguendarniy x Fliguiel) avec Rodrigo Pessoa, ou encore l’actuel Elektric Blue P (DSP, Eldorado van de Zeshoek x For Pleasure), régulièrement classé dans des Grands Prix CSI 4 et 5* avec Max Kühner. Belle Hélène a eu une production presque entièrement orientée pour le sport. Elle a notamment engendré, outre Gueule d’Amour, l’étalon Nomenoe II (ISO 128, SF, Uriel), et Makkevka (SF, Uriel), mère des bons Sorbet d’Astrée (ISO 148, SF, Arthy) et Tifoun d’Astrée (ISO 157, SF, Galant de la Cour), et grand-mère d’Undiams de Varenne (ISO 164, SF, Diamant de Semilly x Rox de la Touche), qui a évolué dans des CSI 2* avec Michel Robert avant de passer sous la selle de Clément Frèrejacques. Indicée 128 et mise à la reproduction à sept ans, Gueule d’Amour laisse une descendance correcte, où l’on trouve Qokory Ko (ICC 144, SF, Jarnac x First Bride), Burggraefin de Lizon Z (ISO 139, Z, Burggraaf x Quidam de Revel) ou Gaia des Saules (ISO 135, SF, Le Tot de Semilly x Night And Day, Ps), et la fameuse Pavlova des Malais, qui a obtenu un ISO 145 en 1988. 

Pavlova des Malais aura ses trois premiers poulains avec Double Espoir (SF, Ibrahim, Ps x Plein d’Espoirs, Ds), étalon né chez Alexis Pignolet. Naîtra d’abord Double d’Elle, étalon national qui n’a pas laissé une grande descendance, puis Espérance d’Elle, qui deviendra la mère du bon Urano de Cartigny (ISO 168, SF, Diamant de Semilly), qui a atteint le haut niveau avec Pénélope Leprévost. Après la naissance de Flipper, Alexis Pignolet croisera Pavlova à un autre étalon maison, Bayard d’Elle (ISO 167, SF, Double Espoir x Grand Veneur), ce qui donnera Gulliver d’Elle (ISO 122) et surtout Hadji d’Elle (ISO 165), performant avec Eugénie et Cédric Angot. 

Pavlova donnera aussi naissance à Kachemire d’Elle (ISO 142, SF, Allegreto), mère notamment de Balko d’Elle (ISO 138, SF, Diamant de Semilly), champion des étalons de trois ans avant de briller sous la selle de François-Xavier Boudant, ou encore Milady d’Elle (ISO 146, SF, Adelfos), mère de Rick d’Ick (ISO 145, SF, Le Tot de Semilly) et d’Unzip d’Ick (ISO 152, SF, Diamant de Semilly). Nymphe d’Elle (SF, Adelfos) est la mère de la bonne Tourterelle d’Elle (ISO 157, SF, Kannan), vue avec Tony Hanquinquant. Paprika d’Elle (SF, Bayard d’Elle), la dernière fille de Pavlova, a elle été indicée 138 et a engendré Vive Étoile d’Elle (ISO 127, SF, Miami de Semilly).



TOUT SAUF UN “PETIT CHEVAL”

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Flipper grandit sur les bords de l’Elle, rivière de Normandie, et Bertrand Pignolet se souvient surtout de ce petit crack sautant ses premières barres. “Je n’ai pas de souvenir de Flipper lorsqu’il était poulain, en revanche, je me rappelle bien quand on lui a fait sauter des obstacles en liberté dans le manège. C’était un vrai chat ! Il ressemblait à un grand poney mais avait un rebond incroyable et ça ne le gênait pas de partir une foulée avant. Il était très sûr de lui, tout en étant extrêmement respectueux. Le cheval a été présenté au concours d'étalons de Saint-Lô, où il a bien sauté, et les Haras nationaux l’ont acheté lors des ventes Nash (pour 200 000 francs, soit 30 400 euros, ndlr).” 

Guy Bideault, directeur du Haras de Saint-Lô d’alors, décide de confier Flipper à Laurent Goffinet, mais l’histoire aurait pu être toute autre. “Quand j’ai commencé à monter des chevaux pour les Haras nationaux, je devais récupérer Enzo du Reverdy (ISO 156, SF, Papillon Rouge x Grand Veneur) et Caloubet du Bois (ISO 144, SF, Qredo de Paulstra x Grand Veneur), tandis que Flipper devait partir chez Frédéric Burnouf (formateur de jeunes chevaux manchois, ndlr). Huit jours avant que les chevaux arrivent, Guy Bideault m’a appelé en me disant qu’Enzo du Reverdy allait finalement aller chez Frédéric Burnouf, et qu’ils m’envoyaient un petit cheval nommé Flipper à la place. Au début, l’objectif était seulement de courir la saison sur le circuit des chevaux de quatre ans”, raconte Laurent, qui est d’emblée conquis par son nouveau protégé. “La première fois que j’ai sauté avec Flipper, j’ai senti qu’il était sûrement plus qu’un “petit cheval”. Je ne l’imaginais pas réaliser cette carrière, bien sûr, d’autant que je ne connaissais pas le haut niveau, mais il était tellement doué... C’était un petit phénomène! Il aurait pu être une superstar dans des épreuves à 1,40m, mais il était énergique, hyper-respectueux. Je dois dire qu’il était quand même un peu trop fougueux à quatre, cinq et six ans. C’est clair que j’en ai bavé, mais il était extraordinairement doué de la barre.”

Finaliste du Cycle classique à quatre, cinq et six ans, Flipper va véritablement commencer à se révéler à sept ans, terminant deuxième du championnat de France des chevaux de sept ans et sacré meilleur étalon de sa génération. Le bai dévoilant son potentiel, le directeur du Haras de Saint-Lô envisage de le confier à un cavalier plus aguerri. “J’ai quand même eu beaucoup de chance puisque Monsieur Bideault m’avait dit que Flipper devait partir chez Julien Épaillard à son année de sept ans”, relate Laurent Goffinet. “Là où j’ai eu de la chance, c’est que Monsieur Bideault a été muté, remplacé par Monsieur Nantey. Quand ce dernier a pris ses fonctions, j’ai pris rendez-vous avec lui pour discuter de Flipper. Il m’a dit qu’il ne voyait pas pourquoi il changerait le cavalier de Flipper tant nous réalisions de bons résultats.”

EN ROUTE POUR LA GLOIRE

Et des résultats, Flipper en aura régulièrement et poursuivra sa progression, mais suscitera de plus en plus de convoitises, si bien que Laurent sera encore à deux doigts de perdre son cheval à l’âge de neuf ans. “Un jour, Monsieur Nantey m’a appelé pour m’avertir du très grand nombre de sollicitations qu’il recevait, et que le ministère de l’Agriculture mettait la pression pour confier le cheval à un cavalier de haut niveau. C’était deux ou trois semaines avant les championnats de France. Monsieur Nantey m’a dit que la seule chose qui pourrait jouer en ma faveur, c’était de prouver que nous pouvions faire de belles choses. Si je montais sur le podium à Fontainebleau, ils auraient du mal à m’enlever le cheval... Et nous avons gagné le Critérium! Après ce succès, j’ai été tranquille, parce que Jean-Maurice (Bonneau, sélectionneur de l’équipe de France de l’époque, ndlr) nous a détectés et nous a donné notre chance. Il m’avait demandé si je voulais vraiment m’investir dans le haut niveau et dit qu’il était prêt à m’accompagner si c’était le cas. Jean-Maurice m’a vraiment ouvert les portes et m’a fait confiance.” 

Laurent peut alors respirer et se concentrer sur sa quête du haut niveau pour vivre la plus belle aventure de sa vie de cavalier. En 2003, alors que Flipper est âgé de dix ans, le couple explose aux yeux du grand public. Vainqueurs des Grands Prix à 1,50m d’Auvers, Palaiseau et Franconville, puis septièmes des championnats de France Pro 1, Laurent et Flipper sont sélectionnés pour la première fois en équipe de France pour le CSIO de Dublin. Avec une faute en première manche et un parcours parfait dans la seconde, le couple contribue grandement à la victoire de l’équipe de France. Suivra aussitôt une deuxième place dans la Coupe des nations de Rotterdam, assortie d’une cinquième place dans le Grand Prix, puis une première victoire dans “son” Grand Prix 3* de Saint-Lô. Flipper commence à écrire sa légende. 

Novices en 2003, Laurent et Flipper deviennent vite l’un des couples piliers de l’équipe de Jean-Maurice Bonneau. En 2004, ils remportent la Coupe des nations de Rotterdam et terminent deuxièmes à Hickstead et Dublin avant de remporter la finale de la Coupe des nations de Barcelone et de s’adjuger pour la deuxième fois le Grand Prix 3* de Saint-Lô. Après une victoire dans la Coupe des nations de Saint-Gall, puis dans le Grand Prix de Deauville, et un titre de vice-champion de France, Laurent et Flipper sont sélectionnés pour leur premier grand rendez-vous, les championnats d’Europe de San Patrignano en 2005, où le couple va faire vibrer toute la France équestre. Neuvièmes de la Chasse, Laurent et Flipper réalisent la troisième meilleure performance de l’ensemble des compétiteurs dans l’épreuve par équipes avec une première manche sans faute et une deuxième à quatre points, seuls deux couples ayant réussi le double sans-faute - Marco Kutscher et Montender 2 (KWPN, Contender x Burggraaf) et Christina Liebherr et LB No Mercy (KWPN, Libero H x Dilleburg). Laurent et Flipper se retrouvent troisièmes du classement général avant la finale, et tous les passionnés français se prennent à rêver. Hélas, “Flipouille” a tout donné, comme il l’a toujours fait pour son cavalier, mais la marche est trop haute. Après deux fautes en première manche, le petit génie au grand cœur jette l’éponge. Une triste fin pour une belle épopée, mais également l’un des plus beaux moments d’émotion entre le cheval et son cavalier. 

Je garde un souvenir exceptionnel de ces championnats d’Europe de San Patrignano. Lors de la dernière manche de la finale individuelle, le cheval était vraiment fatigué et je n’avais plus du tout la même tension. Dans le triple, j’ai demandé une distance pourrie, Flipper s’est arrêté. Il était tellement fatigué que, quand je suis revenu, il s’est de nouveau arrêté et nous avons été éliminés. Il y avait une énorme pression avec les médias et nos supporters, et je suis parti m’isoler. Je m’étais enfermé dans le box, accroupi. J’étais triste que ça se finisse comme ça. Et là, de lui-même, Flipper est venu me faire un gros câlin, comme s’il me faisait comprendre qu’on en avait bavé tous les deux... C’est vraiment un moment gravé dans ma mémoire”, se souvient, ému, le Normand, pour qui chaque victoire avec Flipper reste un moment particulier. “Ce cheval-là, quand il entrait en piste et qu’il gagnait une épreuve, il se donnait tellement à 200 % que chaque victoire était particulière. Je me rappelle des trois Grands Prix qu’il a gagnés à Saint-Lô, d’une victoire dans le Prix de l’Europe à Aix-la-Chapelle, des championnats d’Europe, des Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle (dont ils ont fini cinquantièmes en individuel et onzièmes par équipes, ndlr)... C’était d’ailleurs très drôle parce que quand il gagnait, la remise des prix pouvait durer une heure, il ne bougeait pas d’un centimètre. Il regardait tous ses copains derrière en leur disant: “Je vous ai mis une bonne petite raclée!” En revanche, quand il ne gagnait pas et qu’il était juste deuxième ou troisième, il était tout simplement odieux. Il ne supportait pas de ne pas être devant les autres. Il avait une gagne exceptionnelle! Il sautait avec son cœur et avait envie de faire plaisir.”

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UN GÉNIE QU’IL FALLAIT SAVOIR ÉCOUTER

Tous derrière et lui devant, c’était sa façon de voir la vie à ce petit cheval bai de génie. Mais génie doit forcément rimer avec envie pour que l’art puisse s’accomplir. Et Laurent Goffinet a su parfaitement s’adapter à ce surdoué avec lequel il fallait savoir composer, mais sûrement pas essayer de s’imposer. “Au quotidien, il était très gentil. C’était un amour de cheval. À la maison, parfois, il n’aimait pas tellement travailler sur le plat et me faisait comprendre que ça le gonflait. Du coup, je préférais partir en trotting (rires)! J’ai entendu dire de nombreuses fois que le cheval n’était pas dressé, mais j’ai le souvenir d’avoir voulu changer de mors pour que ce soit moins le bazar, mais je n’arrivais plus à sauter 1,30m. Il avait besoin de cette énergie et de cette tension et il avait une bouche extrêmement dure. Mais il lui fallait ça; il venait tellement s’enterrer dans le pied qu’il fallait qu’il comprime le ressort. 

Il était atypique et tellement doué qu’il n’avait pas besoin d’apprendre grand-chose. Combien de fois on m’a demandé comment j’avais fait pour lui donner ce style-là, mais je ne lui avais rien appris, il savait faire tout ça naturellement! Quand Flipper est arrivé, j’avais l’habitude de vouloir mettre toutes mes montures dans le même moule, mais il m’a fait comprendre qu’il fallait fonctionner différemment. Il m’a appris à être à l’écoute des chevaux et à gérer la carrière d’un cheval. Avec Flipper, je pouvais courir un grand événement ou une Coupe des nations, et quinze jours après, disputer une épreuve à 1,30m pour son moral. De toute façon, il savait me faire comprendre s’il avait besoin de souffler! Quand il était à l’entrée de piste, qu’il commençait à regarder le parcours avec un œil pétillant et se mettait à hennir, on savait qu’il était là et qu’il allait répondre présent. S’il rentrait en piste de façon un peu nonchalante, fatigué, la tête un peu basse, je savais qu’il ne fallait pas viser la victoire et qu’il avait besoin de souffler un peu. C’était un cheval auquel il ne manquait plus que la parole. Je pense que je comprenais dix fois plus mon cheval que certains êtres humains.”

Comme Rocky Balboa, Flipper d’Elle avait besoin d’avoir l’œil du tigre pour renverser des montagnes et terrasser des adversaires, parfois intrinsèquement bien plus forts que lui. C’est cet œil dont se souvient Jean-Maurice Bonneau, qui a su faire confiance à ce petit cheval et à son cavalier novice. “S’il y a une image que je retiens de ce cheval-là, au-delà de sa qualité de saut, c’est son regard”, confie l’intéressé. “J’étais privilégié car j’étais l’un des rares à pouvoir observer le regard des chevaux juste avant de rentrer en piste. Je me souviens encore du regard de Flipper à l’entrée de piste d’Aix-la-Chapelle, quand il scrutait les tribunes et le parcours. C’était impressionnant et ça m’a marqué.” 

Au début de l’été 2008, après près de six ans de carrière au plus haut niveau, treize victoires en Grands Prix internationaux, quatre en Coupes des nations, deux titres de vice-champion de France Pro 1, une participation aux championnats d’Europe et aux Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle, la carrière sportive de Flipper prend fin. “J’ai participé au CSI 4* de Franconville, où nous avons gagné le Grand Prix, puis à Canteleu, où Flipper a contracté une tendinite au box... Il avait quinze ans et j’ai pris la décision d’arrêter sa carrière à ce moment-là. Je voulais vraiment qu’il puisse profiter d’une belle retraite, ce qu’il a fait pendant douze ans. Il continuait à faire la monte, mais j’avais pu négocier avec les Haras nationaux pour le récupérer dans mes écuries à la fin de chaque saison. Quand France Étalons a racheté les étalons des Haras nationaux, ils ont été géniaux avec moi. Denis Hubert (qui dirige France Étalons avec Michel Guiot, ndlr) m’a tout de suite assuré que je continuerai de récupérer Flipper à la fin de chaque saison de monte. Ils ont même tenu à participer aux frais quand il était chez moi alors que de mon côté, je ne demandais rien, je voulais juste avoir mon cheval chez moi”, raconte Laurent Goffinet.

PARTI DANS LES BRAS DE SON CAVALIER DE TOUJOURS 

Et puis, ce lundi 26 octobre, au lendemain du Grand Prix 3* de Saint-Lô qu’il avait remporté à trois reprises, Flipper d’Elle a tiré sa révérence. À l’aube de ses vingt-huit ans, “Flipouille” a poussé son dernier souffle dans les bras de celui avec qui il a vécu une véritable histoire d’amour longue de près d’un quart de siècle, Laurent Goffinet. “Depuis un moment, il avait du mal à s’alimenter car il avait les dents qui s’effritaient à cause de la vieillesse, et j’avais de plus en plus de mal à le maintenir en état”, confie son fidèle protecteur. “Nous lui donnions plein de petites rations tout au long de la journée, mais cela faisait quelques jours que nous voyions bien que c’était de plus en plus dur. Le lundi, au lendemain du Grand Prix de Saint-Lô, on m’a appelé en disant que Flipper était allongé dans son box et que ça n’avait pas l’air d’aller... Quand je suis arrivé dans le box et que j’ai vu son œil, j’ai vu qu’il n’avait plus la force de se battre. S’il avait pu parler, il m’aurait dit de le laisser partir. Il m’a vu et a redressé les oreilles. Le vétérinaire est immédiatement arrivé, mais m’a dit que cela allait être vraiment dur de faire quelque chose... Flipper s’est relevé, nous sommes allés lui faire manger de l’herbe, qu’il coupait mais n’arrivait pas à avaler. À un moment, il a fait un demi-tour, s’est à moitié cassé la figure et titubait. Là, je me suis dit que c’était la fin. Le vétérinaire a été incroyable. Il a tout fait pour qu’il ne souffre pas. Flipper s’est couché, le vétérinaire lui a injecté le produit, et j’ai senti sa tête de plus en plus lourde... Il s’est endormi tranquillement. Je ne voulais surtout pas qu’il parte pendu au bout d’une grue et soit jeté comme un bout de viande. Nous avons fait les démarches pour que Flipper soit incinéré et j’ai récupéré ses cendres pour qu’il reste avec moi, aux écuries. Spontanément, des gens ont même pris l’initiative de lancer une petite cagnotte pour contribuer aux frais d’incinération. C’était très touchant. Quand j’ai vu tous les témoignages partagés après sa mort, je me suis rendu compte à quel point il avait marqué les gens.”

L’œil du tigre s’est éteint, tandis que les nôtres se sont mouillés en apprenant ton départ. Le petit génie que tu as été restera l’un des plus grands et des plus attachants champions de saut d’obstacles. Alors, merci Flipouille. Merci pour Laurent, merci pour la France, merci pour toutes ces émotions que tu as su procurer à tous les passionnés de sports équestres. Tu n’as peut-être pas le plus grand palmarès, mais tu auras marqué l’histoire par ton génie, ton courage et le couple si attachant que tu formais avec Laurent. C’était un petit cheval bai et, dans nos cœurs, ce sera à jamais “Tous derrière et lui devant”.

UNE PRODUCTION EN DEMI-TEINTE 

Depuis la naissance de sa première génération en 1998, Flipper a engendré 1 528 produits en France dont 1 126 qui ont évolué en compétition. Flipper n’a pas connu de creux dans sa production et sa cote est montée progressivement pour atteindre 100 saillies en 2000, puis rester entre 100 et plus de 250 saillies pendant dix ans. Il compte aujourd’hui près de vingt générations et plus d’un millier de chevaux ayant foulé les pistes de concours, des statistiques suffisantes pour avoir une vision fiable de la qualité de sa production. Si la qualité de sa descendance est globalement bonne, avec des chevaux performants tant en catégories Amateur que Pro, et plus du tiers d’entre eux indicés au-dessus de 120, force est de constater qu’il manque des chevaux marquants régulièrement classés au plus haut niveau. 

Les meilleurs produits de Flipper s’illustrent entre 1,45m et 1,55m, mais très peu ont été classés en Grands Prix 5*. Seul Clipper du Haut du Roy (sBs, d’une mère par Puccini), né en 2008, a régulièrement disputé des Grands Prix 5* avec plusieurs belles prestations, dont une quatrième place dans le Grand Prix du Longines Global Champions Tour de Prague en 2019 avec Jane Richard Philips. D’autres chevaux nés à l’étranger en 2008 et 2009 semblent prometteurs, comme le KWPN Dante (d’une mère par Calando I), classé jusqu’à 1,55m avec le Belge Sven van Dijck, ou le Oldenbourg Fitch (d’une mère par Carolus I), classé en Grand Prix 4* avec l’Allemand Jan Andre Schulze Niehues. À suivre également, la progression de la Selle Français Uranie de Belcour (d’une mère par Diamant de Semilly), huitième à l’Hubside Jumping de Grimaud fin septembre de son premier Grand Prix 5* sous la selle du numéro un mondial, Steve Guerdat. 

Les produits de Flipper d’Elle se comportent très bien également en concours complet, avec plusieurs chevaux classés ou gagnants en CCI 3* et 4*. Flipper d’Elle a été présent à cinq reprises dans le Top 100 du classement des meilleurs étalons de concours complet établi par la Fédération mondiale de l’élevage des chevaux de sport (WBFSH), contre trois fois dans le top 100 de saut d’obstacles, avec, comme meilleur classement, une vingt-sixième place en 2013. Dans le tableau des meilleurs produits de Flipper au classement WBFSH, il est intéressant de constater que les mieux classés le sont d’ailleurs en concours complet et que les chevaux d’obstacles et de complet se partagent équitablement les douze premières places. 

On retrouve Flipper d’Elle en tant que père de mères chez quelques bons chevaux, comme Émilie de Diamant AS (BWP, Diamant de Semilly), classée à 1,60m avec Jack Towell, le regretté Berdenn de Kergane (SF, Quaprice Boimargot), qui semblait promis à une belle carrière sous le nom de Casco Bay avec Laura Kraut, ou encore Samouraï du Thot (SF, Milor Landais), qui a participé aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016 et remporté le CCI 4*-L de Strzegom début octobre avec Julia Krajewski.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.