La Silla, le rêve réalisé d'Alfonso Romo

Étendue sur des centaines d’hectares répartis en deux pôles, l’un dédié au sport et l’autre à l’élevage, la société La Silla est leader dans la production de chevaux de saut d’obstacles en Amérique latine. Homme d’affaires passionné d’équitation, Alfonso Romo, à la tête de cet empire depuis vingt-trois ans, s’investit sans relâche dans le développement de son sport au Mexique. Très bien représenté grâce aux anciens cracks Ninja, Casall, Quintero ou encore Éphèbe For Ever, l’affixe La Silla continue aujourd’hui à résonner sur les plus beaux terrains de concours grâce aux nombreux produits de l’élevage.



© Sportfot

Fondées le 4 mai 1995 à Monterrey, capitale du Nuevo León, au Mexique, les incroyables écuries de La Silla s’étendent aujourd’hui sur 350ha, entièrement dédiés aux chevaux. Né le 8 octobre 1950 à Mexico, Alfonso Romo est l’homme d’affaires à succès à l’origine de ce projet. Fondateur en 1981 de la multinationale Pulsar International, il a vendu en 1996 la société de production de semences Seminis au géant mondial Monsanto pour un montant de 240 millions de dollars. Comme les autres projets de sa vie professionnelle, le bientôt septuagénaire mexicain gère La Silla comme une entreprise, au service de laquelle s’activent une soixantaine de personnes en charge des quatre cents chevaux de l’écurie. 

Alfonso Romo - dit “Poncho” - a su dès le début s’entourer d’une équipe de professionnels performants. L’histoire de l’écurie débute en 1995 avec Jan Tops, réputé marchand de chevaux néerlandais et futur fondateur du Longines Global Champions Tour. Leur collaboration dure jusqu’à 2002. Le Suédois Rolf-Göran Bengtsson, multi-médaillé international auparavant employé par Jan Tops, décide de suivre l’industriel mexicain et devient le cavalier principal des chevaux de La Silla. À cette époque, Alfonso Romo s’entoure également du champion néerlandais Jeroen Dubbeldam et, en 2003, de Christian Hermon, alors membre de l’équipe tricolore avec un certain Éphèbe For Ever (SF, Galoubet A x Night and Day, Ps). “Je participais au CSIO d’Aix-la-Chapelle avec Éphèbe aux côtés d’Alfonso Romo, qui montait encore à ce moment-là. Après avoirrepéré mon cheval, il m’a d’abord demandé s’il faisait la monte afin de l’utiliser comme étalon, puis il est ensuite revenu vers nous pour l’acheter, mais nous ne nous sommes pas mis d’accord surle prix. Comme il l’adorait, il m’a finalement proposé un contrat d’exploitation où Éphèbe porterait l’affixe La Silla et ne pourrait plus être vendu. En contrepartie, nous devions luiréserver des saillies. C’est le même contrat qui s’est appliqué plus tard à Casall (Holst, Caretino x Lavall I, ndlr) ou Quintero (Holst, Quantum x Chamonix, ndlr)”, se souvient le cavalier normand, installé depuis 2007 à Beaumont-en-Auge, à dix kilomètres de Deauville. En 2003 et 2004, Christian Hermon a participé aux victoires de la France dans l’ancienne Super Ligue des Coupes des nations avec Éphèbe, qui s’est éteint le 28 mai dernier.

Au départ, la collaboration entre les deux hommes est minime: Christian a pour mission de sélectionner les meilleures poulinières pouvant être croisées avec Éphèbe, qu’elles soient localisées en France ou à l’étranger. C’est ainsi que la fabuleuse Dollar Girl (ex-Dunja, Han, Dynamo x Salem), multi-médaillée sous la selle du Britannique Nick Skelton, Feldam de Blondel (SF, Quidam de Revel x Belphégor IV), ou encore Caluma de Rhuys (SF, Galoubet A x Tigre Rouge), grande gagnante internationale avec Jean-Marc Nicolas, ont rejoint les incroyables installations de Monterrey. Petit à petit, le Normand prend la place précédemment occupée par Jan Tops et devient le principal représentant de La Silla en Europe, une véritable plaque tournante commerciale pour les chevaux arrivant du Mexique. Et La Silla se développe grandement. “Monsieur Romo est un véritable chef d’entreprise, très carré et très organisé. Il sait exactement ce qu’il veut et de quelle manière l’obtenir. Il faut que tout avance comme il le souhaite”, souligne l’ancien international tricolore.



UNE ORGANISATION BIEN RODÉE

© Collection privée

Au Mexique, 200 hectares sont dédiés à l’élevage, situé en pleine campagne mexicaine, à cent vingt kilomètres de Monterrey. Poulains, poulinières et mères porteuses - 80% des poulains sont issus de transferts d’embryons - s’ébattent dans de vastes prairies. Une trentaine de boxes et un petit manège permettent aux vingt personnes œuvrant sur place d’entraîner les poulains au saut en liberté. Cent hectares sont voués à la production de foin, gérée par un groupe de vingt-cinq agriculteurs. Enfin, cinquante hectares sont réservés au Club hípico La Silla, complexe proche du centre-ville de Monterrey, qui réunit centre d’entraînement et arène de concours. Les écuries sont composées d’un barn de cinquante boxes, d’une clinique vétérinaire dotée de matériel dernier cri et de cent cinquante boxes réservés aux concours. À cela s’ajoutent trois pistes de compétition – toutes de taille généreuse, garantissant du beau sport - et un immense manège. “Il doit mesurer 90x60m! Il est utilisé lorsqu’il fait trop chaud, soit presque 90% du temps, ou quand il pleut. Tout le monde arrive à travailler à l’intérieur. Certains cavaliers décident parfois de monter un petit parcours. Ce sont alors les seuls moments où les pistes extérieures sont utilisées”, conte Christian Hermon.

Le Normand se rend très régulièrement à La Silla. De fait, il officie presque seul depuis 2013 et la fin de la collaboration entre Alfonso Romo et Rolf Göran Bengtsson, qui aura duré neuf ans et été marquée par les multiples victoires en Grands Prix de Casall et Quintero, ainsi que par la médaille d’argent olympique et le titre de champion d’Europe individuel décrochés par Ninja (KWPN, Guidam x Lys de Darmen), respectivement en 2008 à Hong Kong et en 2011 à Madrid. De son côté, Jeroen Dubbeldam a récemment repris sa collaboration avec le magnat - mais à moindre mesure - afin de choisir les cracks de demain. “J’observe les chevaux sauter avec des cavaliers”, précise Christian. “Il y a moins de cavaliers attitrés car Monsieur Romo souhaitait se simplifier la tâche. Je regarde également les chevaux de deux à cinq ans sauter en liberté. Quant à moi, je sélectionne ceux qui sortent du lot afin de les former et de les commercialiser. Concernant ceux que je ne retiens pas, une partie reste à Mexico, où quelques cavaliers montent pour Monsieur Romo, une partie est vendue sur le territoire, et d’autres sont envoyés chez des clients aux États-Unis.”  

Alfonso Romo est secondé par Pilar Cepeda, directrice de La Silla et ancienne cavalière internationale. Présente depuis le début de l’histoire, cette femme énergique endosse une responsabilité colossale. “Elle coordonne et gère tout. Elle monte à cheval, gère l’élevage, s’occupe du commerce… Elle est impressionnante! Le matin, elle est aux écuries puis prend sa voiture pour faire la centaine de kilomètres la séparant de la ferme. Elle fait sauter cinquante à soixante chevaux en liberté puis revient le soir aux écuries. Le jour où elle prendra sa retraite - ce qui ne devrait pas tarder, puisque Pilar approche des soixante-dix ans - il faudra trois personnes pour la remplacer!”, s’enthousiasme Christian. Pilar Cepeda gère ainsi les quatre cents chevaux répartis sur les deux sites de La Silla, et notamment les poulains de trois ans.



UN ÉLEVAGE ET UN STUD-BOOK!

De la conviction, il en faut pour gérer l’élevage, l’écurie mais aussi le stud-book La Silla. Créé en 2001 par Alfonso Romo, ce livre de race a été approuvé par le secrétariat de l’Agriculture du Mexique et la Fédération mondiale des chevaux de sport (WBFSH) dans le but d’élever des chevaux de saut d’obstacles de haut niveau. Sa philosophie est proche de celle développée par le Belge Léon Melchior à Zangersheide, le SLS puisant dans les meilleurs courants de sang européens, de l’Allemagne (Han, Holst, Old, Traket, Westph) à la France (SF) en passant par la Belgique (BWP) et les Pays-Bas (KWPN). Alfonso Romo a souvent des étalons, dont les grands Selle Français Dollar de la Pierre (Quidam de Revel x Foudre de Guerre), sacré champion du monde par équipes plus tard avec le Français Reynald Angot, et Fergar Mail (Laudanum, Ps x Almé), alors rebaptisés Tlaloc La Silla et Chapultepec La Silla. Au Mexique, le premier a notamment laissé Rebozo (SLS, mère par Ramiro), quatrième des Jeux équestres mondiaux de Lexington en 2010 sous la selle du Brésilien Rodrigo Pessoa, ou encore Lucero (SLS, mère par AcordII), formé chez Christian Hermon et classé à 1,60m avec la Brésilienne Karina Johannpeter. De son côté, le second a donné à Alfonso Romo Singular (SLS, mère par Stakkato), brillant sous la selle de l’Allemand Marcus Ehning, et Chela (SLS, mère par Dollar dela Pierre), excellent avec l’Israélienne d’origine américaine Ashlee Bond.

Parmi les autres réussites de l’élevage La Silla, citons encore les SLS Santa Catarina (Cascaretto x Cor de la Bryère), classée en Coupe du monde avec la Canadienne Bretton Chad, Allegro (Alcamerade Moyon x Marinier), très bon avec l’Allemand Franke Sloothaak, Rubens (Rebozo x Cash), excellent avec la Canadienne Vanessa Mannix et l’Irlandais Conor Swail, Camilo (Portofino x Cor de la Bryère), très bon avec l’Israélien et ancien Mexicain Alberto Michán Halbinger, Run Run (Casall x Portofino), prometteur avec le Colombien Ilan Bluman, Carusso (Portofino x Joost), qui a obtenu ses tout meilleurs résultats avec Rolf Göran Bengtsson et Jeroen Dubbeldam, Monalisa (Portofino x Grannus), valorisée jusqu’à 1,60m par Julien Épaillard, Rebeca (Rebozo x CassiniI), très performante avec plusieurs cavaliers dont Edward Levy, Sancha (Chin Chin x Polydor), partenaire de l’Israélien et ex-Colombien Daniel Bluman aux Jeux olympiques de 2012 et Jeux équestres mondiaux de 2014, Califa (Carthago x Lux), classée à 1,60m avec le Colombien Mark Bluman, sans oublier Breitling (ex-Quebracho, Quintero x AcordII), vainqueur de la récente finale de la Coupe du monde Longines de Paris avec l’Américaine Beezie Madden.

ÉLEVAGE ET COMPÉTITION. 

Cette année, le nombre de naissances a été réduit de quatre-vingts à quarante, ce qui reste tout à fait honorable. “Poncho s’est rendu compte que la gestion de quatre-vingts poulains par an est trop compliquée. Désormais, nous sélectionnons les vingt-cinq meilleures juments et les croisons le mieux possible, ce qui est préférable pour produire de la qualité avec précision”, argue le représentant français. Généralement, la plupart des chevaux sont vendus avant leurs six ans. “La Silla en conserve quelques-uns, mais ils sont destinés à Alejandra et Alfonso Romo Garza Laguera, les enfants de Poncho, qui évoluent en compétition. Espérant participer aux prochains Jeux panaméricains, son fils monte de très bons chevaux et commence à performer en CSI3* et 4*.” Aussi, s’il entend poursuivre sa collaboration avec Jeroen Dubbeldam et Christian Hermon, le patriarche ne veut plus accompagner les chevaux sur le long terme. “Il préfère désormais les vendre et les voir évoluer sous d’autres selles. Je ne pense pas qu’il reformera une écurie de haut niveau, à part pour son fils, s’il continue à progresser dans cette voie”, précise Christian. 

L’industriel mexicain est aussi un organisateur de concours. Jusqu’en 2015, il a organisé à Monterrey un CSI ainsi que les championnats sud-américains des Jeunes Chevaux. Durant trois ans, le concours a été écarté du circuit en raison de problème de sécurité - il y avait énormément de monde et il était impossible de contrôler l’intégralité des personnes présentes. Néanmoins, cette année, les magnifiques pistes en herbe à l’ombre des montagnes mexicaines seront à nouveau foulées par les compétiteurs. “La sécurité s’est nettement améliorée et le fils de Monsieur Romo veut vraiment relancer cette activité. L’idée est de redévelopper le concours dans les années à venir et de regagner des étoiles”, confie le Normand. Dans le cadre du concours seront présentés en liberté et vendus aux enchères quelque vingt-cinq SLS de quatre ans, dont une quinzaine de produits maison et une dizaine provenant d’autres élevages mexicains. 

Quoi qu’il en soit, l’entreprise La Silla reste très marquée par la personnalité de son créateur. “Poncho est bien entouré, mais il connaît tous ses chevaux par cœur. Il va les voir sauter régulièrement et, lorsque je suis là, il vient en hélicoptère entre deux rendez-vous, reste deux heures et repart! Il les suit un peu moins depuis qu’il en a un très grand nombre, mais jusqu’à peu, il connaissait toutes les générations. Il prend des notes sur tous: caractères, points forts, faiblesses, séances de saut en liberté, etc.”, sourit Christian. S’il ne concourt plus depuis 2016, l’homme d’affaires monte encore très régulièrement chez lui, pour son plaisir. Et il tient toujours aussi fermement les rênes de son empire, persuadé que d’autres pépites se bousculent dans ses prairies. Gageons que son affixe continuera longtemps à résonner sur le sable fin et l’herbe des grands terrains de concours.

Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°107.