Queen Girl Kervec, si bon sang ne saurait mentir

Queen Girl Kervec inaugure aujourd’hui une série de seize portraits baptisée “Trésors de championnes”. Celle-ci s’appuie sur une sélection de juments nées après 1995, ayant obtenu d’excellents résultats sportifs, matérialisés par l’obtention d’un indice de performances supérieur à 160, et ayant engendré au moins deux produits eux-mêmes indicés à 140 et plus. Issue d’une famille remarquable, Queen Girl s’est montrée très performante sous la selle de Julien Gonin avant de se consacrer exclusivement à l’élevage. Et ses deux premiers produits, Trafalgar Kervec et VIP du Forézan, s’illustrent au plus haut niveau.



La fabuleuse souche de Morgat et Mylord Carthago

Fragance de Chalus, jument star de cette souche, a engendré une cinquantaine de produits, essentiellement par transferts d’embryons.

Fragance de Chalus, jument star de cette souche, a engendré une cinquantaine de produits, essentiellement par transferts d’embryons.

© Collection privée

Si l’adage “bon sang ne saurait mentir” ne fonctionne pas à tous les coups en matière d’élevage de chevaux de sport, il s’applique à merveille à certaines familles maternelles. Ainsi en est-il de la famille n°106 du Stud-book Selle Français, qui a engendrée une multitude de gagnants au plus haut niveau. Cette souche s’est diversifiée après la Seconde guerre mondiale à partir de l’Anglo-Arabe Raïta II. Celle-ci a laissé plusieurs filles qui sont devenues de très bonnes poulinières, comme Oita (AA, Cidre Mousseux), Emirline (AA, L’Émir, Ps), mère d’Upsala D (ISO 155, SF, Flux Cake); Sissi (AA, Matador), mère de Coq d’Or (ISO 148, SF, Kalmiste); et Urania (AA, Matador), mère de Jessica D (ISO 147, SF, Almé), qui a très bien produit au haras de Brullemail. Jessica D est ainsi la mère Jessy Mail (ICC 153, SF, Hand in Glove), très bon gagnant international en concours complet avec Cédric Lyard, et la grand-mère des SF Moon Mail (ISO 164, Carthago) et Quarto Mail (ISO 161, Cardento), très bons performers internationaux en jumping.

Pour sa part, Oita, bonne gagnante en courses, a laissé une fille également destinée à cette discipline mais blessée à l’entraînement, Ifrane (AA, Château du Diable, Ps). Après avoir mis au monde un premier poulain pour le compte de Roland Gilberton, son naisseur, Ifrane a été vendue à une voisine, Solange Planson, qui a développé cette souche pour le sport et lui a permis d’acquérir une renommée internationale au bénéfice du Selle Français. Le premier poulain d’Ifrane, un dénommé Morgat (ISO 177, AAC, Drapeau Rouge, Ps), a propulsé cette famille au plus haut niveau. Avec le regretté Hubert Bourdy, l’alezan a obtenu la médaille de bronze par équipes aux Jeux olympiques de Séoul, en 1988, puis la médaille d’or par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Stockholm, en 1990, assortie d’une médaille de bronze individuelle.

À Solange Planson, Ifrane a tout d’abord donné Nifrane (ISO 165, Fury de la Cense), excellente gagnante internationale avec Rémy Deuquet, Ufrane Chalusse (ISO 143, Jabad), Vanifrane Chalusse (ISO 134, Fury de la Cense), mère de Dody de Chalusse (ISO 162, Galoubet A) et elle-même génitrice du bon Vintadge de la Roque (ISO 164, Kannan). Sont ensuite venus Baie d’Ifrane (J’t’Adore), mère et grand-mère de plusieurs bons gagnants, Caprice d’Ifrane (Galoubet A), mère de Triomphe de Muze (Chin Chin), classé en Grands Prix CSI 5* avec David Jobertie, et grand-mère de l’excellent Vangog du Mas Garnier (ISO 166, Cornet Obolensky), brillant sous la selle d’Olivier Robert. Ifrane est également la mère de D’Ifrane Chalusse (ISO 169, Galoubet A), ou Galion de Chalusse (ISO 139, Persan II). 

Mise à l’élevage à l’issue de sa carrière sportive, Nifrane a laissé plusieurs bons gagnants SF, comme Lord If de Chalusse (ISO 171, If de Merze), gagnant au plus haut niveau avec la Danoise Karina Leichle puis avec Katharina Offel et Cassio Rivetti, lorsqu’ils montaient pour l’Ukraine. Nifrane a engendré plusieurs mères et grand-mères de grands gagnants, comme Jifrane de Chalusse (Papillon Rouge), mère de Nifrane de Kreisker (ISO 170, Carnute) et grand-mère de Birmane (ICC 166, Vargas de Ste Hermelle) et présélectionnée pour les Jeux olympiques de Tokyo avec Thomas Carlile. Ce dernier monte également son frère utérin Dartagnan de Béliard (ICC 157, Quite Easy), vice-champion des chevaux de six ans en 2019 au Mondial du Lion-d’Angers.

La plus célèbre fille de Nifrane reste sans conteste Fragance de Chalus. Vendue au Belge Joris de Brabander, à qui elle a donné une petite cinquantaine de produits, surtout par transferts d’embryons, elle est la mère de plusieurs gagnants au plus haut niveau. Citons Jolly Môme (SF, Darco), Vodka Orange de Muze (BWP, Darco), Arc en Ciel de Muze (BWP, Rubens du Ri d’Asse), Norton d’Éole (SF, Cento), Bamako de Muze (BWP, Darco), et bien sûr Mylord Carthago (SF, Carthago), vice-champion d’Europe et du monde par équipes, mais aussi gagnant en Grands Prix CSI 5* et Coupes des nations avec Pénélope Leprevost. Mylord s’affirme désormais comme un étalon de premier plan, occupant la quatrième place du classement des meilleurs pères de gagnants en saut d’obstacles publié par la Fédération mondiale de l’élevage de chevaux de sport (WBFSH). Fragance est aussi la grand-mère et arrière-grand-mère d’une quinzaine de gagnants à 1,60 m, dont Hilfiger van de Olmenhoeve (BWP, Dulf van den Bisschop) avec la Britannique Emily Moffit, AD A Big Boy (BWP, Kannan) avec le Brésilien Alvaro de Miranda, Ego van Orti (BWP, Vigo d’Arsouilles) avec l’Australienne Edwina Tops-Alexander et l’Italien Alberto Zorzi, Sandor de la Pomme (sBs, Vigo d’Arsouilles) avec l’Américain McLain Ward et l’Irlandais Darragh Kenny, Indi de Muze (BWP, Erco van’t Roosakker) avec l’Allemande Janne Friederike Meyer-Zimmermann, ou encore Théodore Manciais (SF, Kashmir van Schuttershof) avec l’Américain Spencer Smith.

Brillant sous la selle de Pénélope Leprevost, ici aux Jeux olympiques de Londres, Mylord Carthago est l’un des grands étalons de cette souche.

Brillant sous la selle de Pénélope Leprevost, ici aux Jeux olympiques de Londres, Mylord Carthago est l’un des grands étalons de cette souche.

© Scoopdyga



Jolly Girl, celle qui a lancé l’élevage Kervec

Ici au Grand Palais, à l’occasion du Saut Hermès, Trafalgar Kervec ne cesse de progresser avec Margaux Rocuet.

Ici au Grand Palais, à l’occasion du Saut Hermès, Trafalgar Kervec ne cesse de progresser avec Margaux Rocuet.

© Scoopdyga

Parmi les filles de Fragance de Chalus, on s’intéresse particulièrement ici à la SF Jolly Girl de Kervec (ISO 153, Darco), très bonne gagnante avec Jean-Marc Nicolas. Mère de Queen Girl Kervec (SF, Diamant de Semilly), sujet de ce portrait, elle a également produit plusieurs autres très bons gagnants SF, comme Pactole Kervec (ISO 140, Kannan), Triomphe Kervec (ISO 141, Kannan), Upercut Kervec (ISO 146, Diamant de Semilly), pour le compte du Portugal, Uto Kervec (ISO 153, Diamant de Semilly), exporté aux Émirats arabes unis, ou Vitot Kervec (ISO 162, Diamant de Semilly), gagnant à 1,50 m au Mexique.

Après avoir lancé leur élevage avec des juments sans grandes références maternelles, Roger Huon et son fils Christophe ont opté pour l’achat d’une jument issue d’une souche réputée. “Mon père a acheté Jolly Girl de Kervec pouliche chez Christian Planchon. Nous cherchions une poulinière provenant d’une très bonne souche, mais cela s’est avéré difficile, alors nous nous sommes résolus à acheter une pouliche. Jolly Girl était une lionne, même si elle s’est assagie avec l’âge. Elle a gagné huit épreuves à sept ans avec Jean-Marc Nicolas puis s’est fait une entorse dont elle ne s’est jamais vraiment remise. À Fontainebleau, elle a gagné la première épreuve du championnat des sept ans, mais n’a pas pu repartir et n’a plus jamais sauté par la suite », se souvient Christophe Huon, qui a repris une grande partie de l’élevage de son père.

Pour sa part, Queen Girl Kervec n’est pas restée longtemps à Bégard, dans les Côtes-d’Armor. Après avoir mis au monde son premier poulain à trois ans, l’excellent Trafalgar Kervec (ISO 164 en 2020, SF, Quincy), régulièrement classé en Grands Prix à 1,45m et 1,50m avec Margaux Rocuet, elle a vite la région Rhône-Alpes. Comme Roger Huon quelques années plus tôt, Jérôme Aguettaz était lui aussi à l’affût d’une bonne poulinière pour son élevage du Forézan. “La première fois que j’ai vu Queen Girl, elle était suitée de Trafalgar, qui est d’ailleurs le seul poulain qu’elle a porté. Au départ, je voulais acheter la jument et le poulain, mais nous ne nous sommes pas mis d’accord sur le prix, alors je n’ai acheté que Queen. Je l’ai récupérée au sevrage, puis je l’ai débourrée, lui ai fait franchir quelques petites barres. Elle m’a paru prometteuse et il me semblait bien qu’elle performe avant de faire des poulains. Cependant, j’ai voulu obtenir un embryon d’elle avant de la lancer en concours. Elle a été inséminée par Berlin, ce qui a donné VIP du Forézan (ISO 162, SF), champion des sept ans avec Julien Gonin et qui évolue au plus haut niveau. Du coup, elle n’a pas fait de sport à quatre ans. Ensuite, Queen est partie chez Julien Gonin, un ami de longue date qui l’a formée sur le Cycle classique à cinq et six ans, avant de vraiment commencer à briller à sept ans, où elle a fini seizième de la finale nationale”, raconte Jérôme Aguettaz, qui élève en parallèle de son métier de conducteur de TGV.

VIP, le deuxième poulain de Queen Girl Kervec, a été vendu au Mexicain Federico Fernández après avoir remporté le championnat des sept ans sous la selle de Julien Gonin. Depuis, il s’illustre régulièrement entre 1,50 m et 1,60 m avec la Mexicaine Paola Amilibia Puig, obtenant l’indice de 162 en 2019.

Sacré champion de France des sept ans avec Julien Gonin, VIP du Forézan poursuit une fort belle carrière internationale avec la Mexicaine Paola Amilibia.

Sacré champion de France des sept ans avec Julien Gonin, VIP du Forézan poursuit une fort belle carrière internationale avec la Mexicaine Paola Amilibia.

© Sportfot



Une belle carrière conclue de la meilleure manière

Queen Girl Kervec et Julien Gonin en 2012 au CSI 3* de La Clusaz.

Queen Girl Kervec et Julien Gonin en 2012 au CSI 3* de La Clusaz.

© Scoopdyga

Classée en épreuves internationales à 1,45 m à sept ans, puis en Grands Prix CSI 3* à huit ans, Queen Girl a confirmé à neuf ans, remportant cinq victoires et montant sur le podium de treize épreuves, avec notamment une deuxième place dans le Grand Prix CSI 3*-W de Rabat, faisant l’objet de nombreuses convoitises. “Nous avons reçu bien des propositions d’achat, mais j’avais toujours dit qu’elle n’était pas à vendre car je voulais la récupérer à l’élevage après sa carrière sportive. Avec Julien, nous avions convenu que cela interviendrait à la fin de son année de neuf ans. Cependant, comme Julien a connu un creux à ce moment-là, en termes de chevaux de tête, je lui ai laissé Queen une année de plus, ce qui nous a été bénéfique. Jusqu’alors, Queen, qui très chaude et rapide, avait couru beaucoup d’épreuves de vitesse. Cette dernière saison, elle est passée jument de tête et a    sauté plein de grosses épreuves, dont le Derby d’Hickstead. En fin de saison, après avoir gagné le Grand National de Lorient, Julien m’a dit que si je voulais toujours arrêter Queen, il n’y avait rien de mieux que de le faire sur une victoire”, se remémore Jérôme Aguettaz.

À dix ans, Queen Girl a ainsi remporté le Grand Prix Pro Élite de Cluny, réussi un excellent CSI 3* à Windsor, avec une victoire et deux classements, et s’est classée dans les Grands Prix CSI 2* de Chazey-sur-Ain, CSI 3* de Vichy et CSI 4* de Franconville, où elle a également terminé troisième de l’épreuve des Six Barres. Après avoir pris part au CSI 4* d’Hickstead et au championnat de France Pro Élite, elle a donc achevé sa carrière par une victoire à Lorient, obtenant un indice de 162. Julien Gonin garde le souvenir d’une jument très chaude qui lui a permis de réaliser un rêve. “Queen Girl s’est tout de suite avérée assez bonne, même si elle avait un caractère spécial, surtout quand elle était jeune. Il fallait la vouvoyer. Je l’ai gardée tout au long de sa carrière et j’ai pu disputer de nombreux beaux concours avec elle, dont le mythique Derby d’Hickstead, ce qui était un rêve pour moi. Juste après avoir gagné le Grand National de Lorient, je me suis dit que c’était le bon moment pour l’arrêter. J’avais son fils, VIP du Forézan, qui semblait avoir tout pour devenu un grand cheval. Je me disais qu’elle avait peut-être une carrière encore meilleure à réussir en tant que poulinière, d’autant qu’elle restait très chaude et pas toujours facile à monter. Je pense que nous avons bien fait, car ses poulains qui arrivent nous semblent vraiment pas mal. Girl Queen du Forézan (SF, Vigo d’Arsouilles), qui vient d’arriver, m’a vraiment l’air très bonne. Je pense que Queen Girl avait les moyens pour tout sauter. Le seul hic est qu’elle avait reproduit par transferts d’embryon à cinq ans, ce qui lui avait fait mal derrière, alors elle passait beaucoup moins bien son dos qu’avant. J’ai sauté de bons Grands Prix avec elle, dont celui de Franconville. Cependant, elle était parfois normale et parfois très folle, donc pas toujours facile à gérer. D’ailleurs, c’est pourquoi le croisement avec Berlin a donné un résultat aussi fantastique. » 

Après sa carrière sportive, Queen Girl Kervec a d’abord donné deux pouliches à Jérôme Aguettaz, Grainedequeen Forézan (SF, Vagabond de la Pomme), vendue embryon à un ami, et Girl Queen du Forézan, qui va entamer sa formation avec Julien Gonin et que Jérôme Aguettaz espère être “la future star de l’élevage”. En 2018 sont nés deux mâles SF, Invictus du Forézan (Cartani) et I Am du Forézan Bel (Casall), puis, en 2020, Cash du Forézan (Z, Casall), quatrième du Z-Festival de Deauville et vendu 54.000 euros à un étalonnier allemand. Après des tentatives infructueuses en ICSI, Queen Girl Kervec n’aura pas de poulains en 2021, au contraire de sa fille Girl Queen, qui compte quatre produits en gestations par transferts d’embryons: trois par Grandorado et un par Balou du Rouet. La relève est en route!

Ci-dessous la septième place de Julien Gonin et Queen Girl Kervec lors du Grand Prix à 1,60m du CSI 4* de Franconville en 2014.


Ci-dessous Julien Gonin et VIP du Forézan lors de la finale du championnat de France des chevaux de sept ans en 2016, année où le Selle Français a remporté le titre national.

Sous l'image en vidéo, Margaux Rocuet et Trafalgar Kervec lors du barrage du Grand Prix CSI 2* de Royan en octobre 2020, où le couple s’est classé à la troisième place.

Quatrième du Z-Festival de Deauville, Cash du Forézan (Z, Casall) a été vendu 54.000 euros à un étalonnier allemand.

Quatrième du Z-Festival de Deauville, Cash du Forézan (Z, Casall) a été vendu 54.000 euros à un étalonnier allemand.

© Marc Verrier




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