Proposition de loi contre la maltraitance animale : quelles avancées pour les équidés ?

La proposition de loi discutée entre mercredi 27 et vendredi 28 janvier devant l’Assemblée Nationale, a pour ambition de “renforcer la lutte contre la maltraitance animale”. L’objet est louable et largement admis. En août 2020, un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), réalisé à l’initiative de la Fondation Brigitte Bardot, révélait que deux tiers des français se disent favorables à une évolution de la condition animale. Cette volonté d’évolution s’est notamment traduite, au cours de l’année 2020, par la signature du référendum d’initiative partagée “pour les animaux”, par près de cent-mille personnes. Elle a également fait l’objet de trois propositions de lois (non discutées) entre le 28 juillet et le 15 septembre 2020¹. Étude à la loupe des avancées effectives pour les équidés de la proposition de loi votée cette semaine.



Disons-le clairement : si la proposition débattue ces derniers jours se veut ouvertement consensuelle et apporte un début de progrès du point de vue du bien-être animal, elle laisse expressément de côté les sujets “qui fâchent” et, plus particulièrement, les questions de l’élevage intensif et de la chasse cruelle ou, pour les équidés, la gestion de la fin de vie.

Elle a pour objet de regrouper les mesures phares des trois propositions déposées durant l’été, dont notamment la lutte contre l’abandon des animaux de compagnie, l’interdiction de la détention en captivité des animaux sauvages à des fins de divertissement et le durcissement de la répression des actes de maltraitance. 

Mais toutes les dispositions de cette proposition ne sont pas applicables aux chevaux. 

En effet, la proposition de loi ne s’attaque pas à l’épineuse question – objet de trois propositions de lois en ce sens au cours de ces dix dernières années²  – du statut juridique du cheval ; de sorte que les équidés, qui font partie des animaux de rente, ne bénéficient pas des dispositions de la proposition de loi applicables aux seuls animaux de compagnie (dispositions relatives aux structures d’accueil, renforcement des peines applicables aux détenteurs d’animaux de compagnie auteurs d’actes de cruauté, etc.). 



Quelles sont donc les avancées concrètes de la proposition de loi pour les équidés ?

Outre quelques mesures théoriques, les propositions applicables aux chevaux peuvent se classer en cinq catégories de mesures phares. 

1.         L’obtention d’un certificat de connaissances spécifique par détenteurs particuliers d’équidés 

Dorénavant toute personne non professionnelle qui détiendra un ou plusieurs équidé(s) devra suivre une formation de courte durée et obtenir une attestation de connaissances, spécifique aux besoins de cette espèce. Le contenu et les modalités d’obtention de ce certificat seront fixés par décret. 

À noter que ce certificat devra être obtenu, non par la personne qui acquiert le cheval (le propriétaire), mais par celui à qui il est confié. Ce certificat, spécifique aux équidés, est donc différent du certificat d’engagement et de connaissances parallèlement créé pour les propriétaires d’animaux de compagnie. 

Il s’agit d’une avancée évidente à l’heure où il est possible d’acquérir un cheval pour une somme parfois modique. Elle vise à éviter que certaines personnes, souvent muées par un objectif louable, par ignorance des besoins quotidiens et spécifiques des équidés, ne s’aventurent dans un achat irraisonné qui aboutirait à des abandons, des actes de maltraitance ultérieurs ou à des problèmes de sécurité. 

2.         L’indication obligatoire de toute névrectomie sur le document d’identification du cheval et au fichier national des équidés

La proposition de loi n’interdit pas la névrectomie³ en tant qu’acte chirurgical mais elle rend obligatoire, lorsqu’elle est pratiquée, sa mention sur le document d’identification de l’équidé et au fichier national des équidés. L’inscription doit être faite par le vétérinaire l’ayant pratiquée et elle est notifiée à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). 

Cette proposition est bienvenue : selon les vétérinaires, la névrectomie est difficile à détecter et, malgré les contrôles des pieds des chevaux, des équidés ayant subi cette opération peuvent être amenés à participer à une compétition ou à une course. Or, outre une altération des règles de la compétition, elle peut avoir des conséquences dramatiques pour le cheval : la perte de sensibilité de son membre modifie sa perception de l’effort et peut conduire à des fractures de fatigue ou à l’aggravation des lésions.

Par cette inscription, le cheval ayant subi cette intervention ne pourra plus participer à aucune compétition ce qui réduira les risques pour le cheval, et améliorera l’information des acheteurs sur l’état du cheval et ses capacités. 

3.         La création d’une procédure spécifique pour la vente aux enchères des chevaux abandonnés par leurs propriétaires dans des écuries  

Cette proposition devrait être particulièrement bien accueillie par les professionnels de la filière. En effet, comme le retracent les travaux de la commission parlementaire, contrairement aux animaux de plus petite taille (on pense ici aux chiens et aux chats), les cas d’abandon de chevaux “sur le bord de la route” sont peu fréquents. Il arrive en revanche bien plus souvent que des propriétaires confient leur cheval en pension à un tiers (centre équestre ou écurie de propriétaires) et cessent de le rétribuer, lui faisant supporter les frais d’entretien, d’hébergement, et de soins. 

Dans ce cas, en l’état actuel du droit, le dépositaire n’a pas le droit de vendre le cheval et, faute de clarté textuelle, se trouve également empêché de le vendre aux enchères publiques avec l’autorisation du Président du Tribunal, cette procédure n’étant pas spécifiquement prévue pour les animaux. 

Avec le nouveau dispositif, il est proposé d’instaurer une procédure spécifique aux équidés qui permettra au dépositaire impayé de solliciter du tribunal qu’il autorise la vente aux enchères du cheval et ordonne le remboursement de ses dépenses sur le prix de vente du cheval. La proposition prévoit également la possibilité, en l’absence d’enchérisseur, de solliciter du Président du Tribunal que le cheval soit remis au dépositaire ou à un tiers qui aurait expressément accepté d’en assumer la charge. Cette remise n’emporte pas pour autant transfert de propriété. Le dépositaire ou le tiers ne pourra donc pas ultérieurement revendre le cheval confié. 

En l’absence d’opposition du propriétaire, la vente aux enchères pourra intervenir dans le mois de la signification de l’ordonnance, soit environ deux mois après l’introduction de la requête. 

4.         Interdiction des “manèges à poneys” 

Alors que cela n’était pas prévu dans la proposition initiale, il est désormais prévu d’interdire, comme cela est déjà le cas dans plusieurs pays d’Europe, les manèges avec des équidés vivants, plus communément connus sous le nom de « manèges à poneys » dans les fêtes foraines. Il s’agit d’une attraction qui substitue les chevaux factices par des animaux vivants. 

En pratique, les équidés, le plus souvent des poneys, sont attelés à une roue mobile et tournent en rond des heures durant, les transformant en « animal-objet », à l’encontre totale des besoins de leur espèce.

5.         Renforcement de la répression contre les actes de maltraitance et lutte contre la zoophilie et zoopornographie  

La proposition prévoit de renforcer globalement la répression des actes de maltraitance sur les animaux.

Elle prévoit notamment : 

-        de porter à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende la répression des sévices graves et actes de cruauté (actuellement punissable de 2 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende) ;    

-       de punir de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende les auteurs d’animalicides (auparavant passible d’une simple amende de 1 500 €) ;  

-       d’étendre les cas de légitime défense aux actes proportionnés commis pour la défense des animaux ; 

-       de sanctionner de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, les actes d’abandon commis dans circonstances limitant les chances de survie ou de signalement de l’animal (notamment en cas d’entrave ou d’abandon dans des zones peu fréquentées) ; 

-       de créer, à titre de peine alternative ou complémentaire à la peine d’emprisonnement, un stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale aux frais de la personne condamnée, à la manière des stages de sensibilisation à la sécurité routière ; 

-       d’étendre les peines complémentaires d’interdiction de détention d’animaux et d’exercice d’une activité professionnelle ou sociale aux cas de maltraitance autres que les sévices graves et actes de cruauté ; 

-       d’élargir la possibilité de céder un animal dans le cadre d’une procédure pénale dès lors que la situation de l’animal en question ne répond pas à la satisfaction des besoins physiologiques propres à son espèce ;  

-      de créer un délit de “zoopornographie”, punissable de trois ans d’emprisonnement et de quarante-cinq mille euros d’amende et de réprimer d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros la diffusion de telles images ; 

-     de lever le secret professionnel vétérinaire en cas d’acte de cruauté ou de service sexuel envers un animal ;

-     et de punir de trois ans d’emprisonnement et de quarante-cinq mille euros d’amende, outre éventuelles circonstances aggravantes ou peines complémentaires, les sévices à caractère sexuel envers un animal (délit actuellement punissable de deux ans d’emprisonnement et de quarante-cinq mille euros d’amende).



“C’est l’amorce d’un changement politique profond”, Christophe Marie

On ne peut que se féliciter de ce renforcement de l’arsenal répressif actuel, qui était souhaité et semble accueilli favorablement par les associations de défense des animaux qui y voient une belle avancée. On peut néanmoins regretter que la proposition de porter à cinq ans d’emprisonnement et soixante-quinze mille euros d’amende la peine encourue en cas de sévices graves et actes de cruautés lorsqu’ils sont commis par les personnes détentrices des animaux en question, soit limitée aux détenteurs d’animaux de compagnie (et partant, non applicable aux détenteurs de chevaux). 

On peut également déplorer que la proposition ne règle pas certaines des incohérences législatives existantes. On pense ici à l’absence de suppression législative de l’exigence de la caractérisation d’une intention perverse de l’auteur des faits pour qualifier les faits de sévices ou actes de cruauté. Certains magistrats exigent en effet que soit rapportée la preuve d’une intention perverse par l’auteur des actes de cruauté et relaxent les prévenus faute de caractérisation de cette intention alors qu’elle se déduit naturellement de la cruauté des actes commis. 

On peut également regretter que demeure le critère de l’intentionnalité pour la caractérisation de l’“animalicide”, c’est-à-dire le fait, sans nécessité, de donner volontairement la mort à un animal ; ce qui signifie que donner la mort à un animal sans intention de la commettre n’est pas punissable… 

En dépit de ces quelques oublis, et bien que certains y pointent un manque d’ambition et l’absence de questionnement de la place des animaux dans la société, les défenseurs de la cause animale voient, dans cette proposition, une évolution majeure. Pour Christophe Marie notamment, porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot “c’est sans précédent. Ce n’est pas encore une révolution mais objectivement c’est l’amorce d’un changement politique profond.” 

Toutefois, pour réjouissantes qu’elles soient, ces mesures ne sont pas encore définitives. Telles qu’adoptées à ce jour par les députés, elles doivent encore faire l’objet d’un examen par le Sénat. Il conviendra donc d’analyser de nouveau les dispositions qui deviendront véritablement effectives, une fois la loi définitivement adoptée. À suivre donc … 

 

¹ : Proposition de loi n°3265 visant à améliorer le bien-être des animaux de compagnie, enregistrée le 28 juillet 2020 ; Proposition de loi n°3293 relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers enregistrée le 25 août 2020 ; et Proposition de loi n°3321 relative à la prévention et à la lutte contre la souffrance et la maltraitance animale enregistrée le 15 septembre 2020.

² : Proposition de loi n°2361 du 24 janvier 2010 visant à modifier le statut juridique du cheval en le faisant passer d’animal de rente à animal de compagnie, Proposition de loi n°1191 du 26 juin 2013 visant à modifier le statut juridique du cheval en le faisant passer d’animal de rente à animal de compagnie et Proposition de loi n°828 du 29 mars 2018 visant à modifier le statut juridique du cheval en le faisant passer d’animal de rente à animal de compagnie  

³ : Pour rappel, la névrectomie consiste en la section d’un nerf d’un membre, pratiquée sur les équidés pour insensibiliser la partie palmaire du pied. Il s’agit d’une intervention chirurgicale pratiquée en France et ailleurs dans le monde en cas d’échec thérapeutique pour supprimer une douleur du pied.