Concourir à Wellington, Riyad ou Oliva au temps de la Covid-19

Après une saison 2020 très marquée par la pandémie de Covid-19, l’année 2021 semble repartir sur les mêmes bases. Compte tenu des difficultés à franchir les frontières, des restrictions variant d’un pays à l’autre, mais aussi des annulations de concours qui s’amoncellent, les cavaliers ont tendance, plus encore que d’habitude, à privilégier les tournées et rester au même endroit pendant plusieurs semaines, voire mois. En cette période si particulière, est-il plus compliqué pour un cavalier européen de se rendre en Floride pour le Winter Equestrian Festival? Quelles difficultés rencontrent les Britanniques souhaitant concourir en Espagne désormais que le Brexit est consommé? Quelle ambiance sur place? Éléments de réponses avec Sean Lynch et Sean Ward, grooms de l’Allemand Daniel Deusser et du Suisse Martin Fuchs, et avec Harry Charles.   



“C’était presque comme d’habitude”, témoigne Sean Lynch au sujet de son voyage vers les États-Unis avec les chevaux des écuries belges Stephex.

“C’était presque comme d’habitude”, témoigne Sean Lynch au sujet de son voyage vers les États-Unis avec les chevaux des écuries belges Stephex.

© Sportfot

Chaque année, bon nombre de cavaliers européens se rendent à Wellington, en Floride, afin de participer au Winter Equestrian Festival (WEF), qui bat son plein durant treize semaines de compétition entre janvier et avril. Malgré la pandémie, qui continue de sévir dans de nombreux pays, et notamment aux États-Unis, beaucoup d’habitués ont maintenu leur voyage annuel outre-Atlantique, à l’image de l’Irlandais Bertram Allen, du Suisse Martin Fuchs, de l’Égyptien Abdel Saïd ou des cavaliers des écuries belges Stephex… La plupart des grandes compétitions indoor ayant été annulées en ce début d’année 2021 en Europe, d’autres cavaliers ont également souhaité tenter l’expérience de lancer leur saison sous le soleil de la côte est américaine, à l’image du Belge Nicola Philippaerts ou de l’Irlandais Michael Duffy. “En ce moment, Wellington est the place to be. Tout le monde est là”, explique Sean Lynch, groom de longue date de l’Allemand Daniel Deusser. “Il y a plusieurs gros concours. Au lieu de participer à des CSI 2* en Belgique, nous avons des opportunités ici, avec de bons chevaux. Évidemment, c’est plus onéreux, mais je pense que cela vaut le coup. Il y a des clients pour acheter les chevaux et il se passe toujours quelque chose. Ne pas venir n’a jamais été une option pour nous”, assure-t-il.

Ce voyage demande un peu d’organisation, et notamment d’être en possession d’un waiver, une lettre officielle obligatoire autorisant à rester sur le territoire américain en tant que membre de l’équipe d’un athlète de haut niveau. “En raison de la pandémie, le nombre de vols entrants aux États-Unis a été considérablement limité, ce qui rend difficile pour les athlètes internationaux de concourir sur le territoire dans les compétitions labélisées par la Fédération équestre internationale (FEI). Grâce à son travail avec les services de la sécurité intérieure, le Comité olympique et paralympique des États-Unis a pu obtenir une dispense de cette restriction de voyage pour les étrangers se rendant aux États-Unis pour participer à des épreuves internationales d’une discipline olympique”, écrit la fédération équestre américaine (USEF) sur son site internet. “Pour le reste, tout a été assez normal”, précise Sean Lynch. “Nous avons décollé d’Amsterdam, avec soixante et onze chevaux. Quatre grooms étaient présents: celui d’Abdel Saïd, celui de l’un de ses clients, celui de Yuri Mansur et moi, ainsi que trois professionnels la compagnie aérienne. C’était presque comme d’habitude. Nous avions des masques bien sûr, mais nous n’avons pas été testés avant le départ. Un des cavaliers maison a voyagé sur un vol commercial et a dû présenter un test négatif, mais pas moi dans le cargo. J’en avais toutefois effectué un à la maison par sécurité. Chez Stephex, nous nous testons régulièrement car nous voyageons beaucoup. Nous avons d’ailleurs des kits pour le faire nous-même à la maison et en concours.”

Ces conditions diffèrent légèrement de ce que Sean a connu en décembre, lorsqu’il a accompagné Daniel Deusser pour deux semaines de concours à Riyad, en Arabie saoudite. Un voyage lors duquel il a également accompagné les chevaux dans un cargo. “Nous avons effectué un test juste avant de partir puis un autre quand nous sommes arrivés. Nous avons eu nos résultats alors que les chevaux étaient en train d’être débarqués. Sur place, il y avait une équipe de professionnels. Quand je suis arrivé, les chevaux avaient déjà du foin et de l’eau, et les protections de transports avaient été enlevées. Le comité d’organisation nous a beaucoup aidé. Nous avons également dû refaire un test avant de rentrer à la maison. De plus, la compagnie aérienne transportant les chevaux n’autorisait que trois personnes dans l’avion, plus un professionnel.” De son côté, Sean Ward, groom du Suisse Martin Fuchs, a lui quitté le même aéroport de Schiphol le samedi 16 janvier au matin, dans un petit cargo de seize chevaux. “C’est impressionnant de traverser un aéroport vide, alors qu’il est d’ordinaire si fréquenté. Pour les chevaux, le vol n’avait rien de différent. En revanche, pour voyager dans le cargo, j’ai dû passer un test Covid et remplir les différentes formalités me permettant d’entrer aux États-Unis.”



“Nous faisons tous très attention car nous voulons que le sport continue”, Sean Ward

“Les organisateurs font énormément pour limiter les risques de transmission du virus”, témoigne Sean Ward, présent en Floride pour la tournée hivernale de Wellington.

“Les organisateurs font énormément pour limiter les risques de transmission du virus”, témoigne Sean Ward, présent en Floride pour la tournée hivernale de Wellington.

© Sportfot

Une fois arrivés à Miami, les chevaux n’ont pas connu une quarantaine plus longue qu’à l’accoutumée. “Ils restent quarante-huit heures à l’aéroport, ce qui nous laisse le temps d’aller à Wellington pour commander du foin, récupérer sa voiture, son appartement, voir ses écuries, défaire sa valise… Nous avons six juments avec nous, dont Killer Queen VDM, qui n’ont pas eu de quarantaine de deux semaines supplémentaires (comme l’indique la législation locale, ndlr), donc l’une concourt cette semaine (Kiana van het Herdershof, entretien réalisé le 28 janvier, ndlr) et Killer Queen, la semaine prochaine.”

En Floride, la vie continue avec une certaine liberté à laquelle on n’est plus vraiment habitués en Europe. Une insouciance qui pourrait même surprendre au regard de la propagation du virus sur place et du nombre de morts: 26.478 au 1er février, sur 441.258 aux États-Unis, pays au monde comptant le plus de cas confirmés, soit 6% du nombre total de décès dans le pays. “Pour être honnête, à Wellington, c’est comme si le coronavirus n’existait pas. Tout est ouvert: restaurants, cinémas, coiffeurs…. Partout, il faut porter le masque, mais je peux enfin aller chez le coiffeur!”, témoigne Sean Lynch. “En ville, les gens sont très détendus. Il est toujours possible de s’asseoir à vingt autour d’une table au restaurant. Pour moi, c’est complètement fou”, confirme Sean Ward. 

Cependant, les organisateurs du WEF ont mis de nombreuses mesures en place afin d’assurer la sécurité des milliers de personnes présentes sur le site, où les compétitions nationales et internationales se déroulent à huis clos. “Le côté équestre de Wellington est complétement différent et très strict. C’est important pour que le sport puisse continuer. Beaucoup d’écuries autour demandent à ceux qui arrivent d’Europe ou d’un autre État américain de se mettre en quarantaine deux semaines avant de commencer à travailler, rendent le masque obligatoire pour leurs employés, ou encore acceptent moins de clients que les années précédentes. Concernant spécifiquement le WEF, les organisateurs font énormément pour limiter les risques de transmission du virus. En tant que groom, pour emmener un cheval, je dois me munir d’un Covid pass expliquant pourquoi je suis là. Les cavaliers ont le droit à un nombre limité d’accréditations. La distanciation physique est stricte, et de nombreux officiers veillent au respect des distances. Les chaises où les grooms et entraîneurs regardent les parcours sont attachées au sol à 1,5m les unes des autres. Cela est vraiment pris au sérieux. Pour accéder au site, il faut passer par un scanner de température corporelle, peu importe l’entrée. L’ordre de départ des cavaliers est organisé de façon à ce qu’ils passent le moins de temps possible sur le site. Ce sont des choses simples, des éléments de signalétique, et bien évidemment le port du masque obligatoire, peu importe le lieu. Ce n’est pas obligatoire à cheval, mais de nombreux cavaliers le gardent quand même. Même seul un dimanche soir aux écuries, si j’enlève mon masque pour fumer, je vous garantis que les services de sécurité viendront me demander de le remettre en moins de vingt secondes! On se sent complètement en sécurité, contrairement à dans la ville”, développe Sean Ward.

La situation s’aggravant en Floride, certaines restrictions commencent à se mettre en place. “J’ai entendu mercredi qu’il n’y avait plus de vols cargo quittant Miami à cause du coronavirus. Je n’ai pas peur de resté bloqué ici. Normalement, nous participons à toute la tournée. L’avion de retour des chevaux est réservé le 6 ou 7 avril, le dernier concours se terminant le 4.” À leur retour en Europe, tous devront respecter les règles en vigueur dans leur pays, régulièrement mises à jour par les gouvernements. “Actuellement, les États-Unis sont sur la liste rouge de la Suisse, donc je risque très certainement de devoir observer une quarantaine de dix ou quatorze jours en rentrant, peut-être un peu moins en présentant un test négatif. Mais nous faisons tous très attention et effectuons régulièrement des tests, car nous voulons tous que le sport continue”, conclut Sean Ward.



“La Covid et le Brexit créent un sacré bordel”, Harry Charles

Les plans d'Harry Charles pour se rendre Oliva, en Espagne, ont été perturbés par l'annonce du reconfinement général au Royaume-Uni le 4 janvier dernier.

Les plans d'Harry Charles pour se rendre Oliva, en Espagne, ont été perturbés par l'annonce du reconfinement général au Royaume-Uni le 4 janvier dernier.

© Hervé Bonnaud / 1clicphoto

Nombre de cavaliers restés en Europe ont privilégié les tournées ibériques pour lancer leur saison, organisées à Vilamoura, au Portugal, ou à Vejer de la Frontera, en Espagne. La première à reprendre en 2021, a été celle d’Oliva, où trois premières semaines de concours viennent de se dérouler et où neuf autres sont programmées d’ici le 25 avril. Harry Charles fait partie de ceux qui ont posé leurs valises au Mediterranean Equestrian Tour (MET). Pour pouvoir se rendre sur la Costa Blanca, le Britannique de vingt et un ans, qui s’entraîne au sein des écuries familiales de Heathcroft Farm, à Bentworth en Angleterre, a dû jongler entre les restrictions liées à la Covid-19… et le Brexit, entré en vigueur le 1er janvier. “À cause du Brexit, nous savions depuis plusieurs mois que nous aurions beaucoup de difficultés à quitter le Royaume-Uni cette année. La société de transport maritime nous a conseillé de ne pas exporter de chevaux au mois de janvier. C’était un problème car nous voulions que nous chevaux arrivent tôt à Oliva. Nous avons donc décidé de les faire sortir d’Angleterre le 29 décembre, ce qui était un peu tôt pour eux car la compétition n’a débuté que le 11 janvier. Ainsi, nous avons pu entrer en Europe facilement, comme avant le Brexit. Tous nos grooms ont effectué un test Covid, car c’était obligatoire pour entrer en France. Et une fois la Manche traversée, ils ont pu rouler jusqu’en Espagne sans passer de test supplémentaire.” 

La propagation du variant britannique de la Covid-19, qui fait rage de l’autre côté de la Manche, a conduit le Premier ministre Boris Johnson à décréter un nouveau confinement total du pays dès le 4 janvier. Cette décision a poussé la famille Charles à revoir ses plans pour rejoindre l’Espagne, eux qui avaient réservé un vol le 5 janvier. “Dès cette annonce, nous avons annulé notre vol et sommes montés en voiture. Nous devions donc quitter le pays avant minuit, heure à laquelle les nouvelles restrictions entraient en vigueur. Nous avions notre test Covid ce jour et il était revenu négatif. Nous avons roulé jusqu’à Douvres. Nous étions cinq en voiture et il nous a fallu vingt-deux heures de route pour rejoindre Oliva. Ce voyage fut horrible long. Je connais beaucoup de gens qui ont maintenant beaucoup de difficultés pour quitter le Royaume-Uni, à cause du Brexit et du re-confinement général. Cela complique les choses pour ceux qui veulent quitter le pays et aller en concours.”

Tout cela contraint le médaillé d’argent par équipes des Européens Jeunes Cavaliers Longines de Fontainebleau, en 2018, à rester quelques mois sur le continent, et pour l’instant en Espagne. “Je planifie de rester jusqu’à fin mars. Je ne pense pas retourner en Angleterre avant un moment, certainement pas avant le printemps car j’ai besoin d’être sur la route avec les chevaux. Il faut que les affaires tournent. Pour l’instant, rentrer au Royaume-Uni n’est avantageux ni pour mes chevaux ni pour moi, car il n’y a absolument rien pour nous là-bas en ce moment. La Covid et le Brexit créent un sacré bordel. Pour concourir et faire tourner nos entreprises, vaut mieux être en Europe!”

Alors que l’Espagne est en état d’alerte sanitaire jusqu’au 9 mai prochain, le site d’Oliva a tout mis en place afin d’assurer la sécurité des cavaliers – port du masque, absence de public, etc. “L’atmosphère ressemble à ce que nous avons connu ces six derniers mois. C’est le premier concours où il faut fournir un test négatif à son arrivée. C’est aussi le premier concours, me concernant, où l’on peut se faire tester sur le site même, ce qui est cool. Cependant, les conditions sont très strictes, certainement les plus strictes que j’ai connues depuis un an. D’après ce que je sais, personne n’a attrapé le virus, ce qui est une bonne chose.” Par ailleurs, un confinement général est également appliqué. “Nous ne sommes autorisés à circuler que de l’hôtel au terrain de concours, nulle part ailleurs. Il y a des routes fermées dans la ville, avec un vrai confinement. Je me sens en sécurité ici.”

Quand l’heure aura sonné pour Harry Charles de rentrer au pays, certaines formalités devront être accomplies, mais il l’assure, “je ne pense pas que le retour soit le plus compliqué, c’est quitter le pays qui semble l’être. Certains chevaux vont rentrer ce dimanche (entretien réalisé le 29 janvier, ndlr) et cela n’a pas été si compliqué à organiser. Nous aurons aussi besoin d’un test négatif, ce qui est plutôt simple à obtenir maintenant.” Quid de l’organisation de concours internationaux outre-Manche, alors qu’il est désormais plus compliqué d’entrer au Royaume-Uni? “Je pense ça va être un challenge, mais que cela restera possible. Nous concernant, en tant qu’athlètes professionnels, j’espère que nous pourrons bénéficier de dérogations. D’ici quelques mois, je pense que le passage entre le Royaume-Uni et l’Europe se simplifiera. C’est un peu incertain pour l’instant, mais cela devrait s’arranger. Pour ma part, je ne me vois pas vivre en Europe avec mes chevaux. J’adore être en Angleterre, où nous avons de belles installations. Et puis, c’est bien parfois d’être éloigné de tous les concours européens très fréquentés. Je veux toujours vivre en Angleterre.”

À Wellington comme ailleurs, le masque est devenu la norme sur les terrains de concours. Crédit : Sportfot