Quelles avancées pour la sécurité?

Organisées les 23 et 24 janvier par France Complet, les Journées du Complet ont donné l’occasion aux acteurs de la discipline de se retrouver par écrans interposés, Covid-19 oblige, pour une session ayant pour thème principal “Le complet de demain”. Parmi les sujets abordés, la sécurité, enjeu majeur pour un sport encore trop souvent endeuillé par des accidents survenant en cross, et à qui les évolutions sociétales et la domination de l’image imposent une transformation rapide. Retour sur cet échange au cours duquel ont notamment été présentées les avancées réalisées depuis un an.



Pour aborder le sujet de la sécurité, France Complet avait réuni deux intervenants de choix: Laurent Bousquet, entraîneur national de l’équipe du Japon après avoir conduit celle de France de 2010 à 2013, président de la commission de sécurité de la Fédération française d’équitation (FFE) et membre de celle de la Fédération équestre internationale (FEI), et Michel Asseray, directeur technique national adjoint en charge de la discipline, particulièrement engagé sur cette problématique. Avant de détailler les actions de la Commission de la FFE depuis le début de l’année 2020, les deux hommes ont tenu à souligner combien la France était un précurseur et à la pointe sur le sujet, et travaillait en lien avec la FEI pour multiplier les avancées.

Dans un premier temps, les techniciens ont rappelé avec force que les progrès en matière de sécurité en cross ne sauraient résulter uniquement de décisions impulsées par les instances dirigeantes de la FFE. C’est bien l’ensemble des parties prenantes de la discipline, des officiels aux cavaliers jusqu’à leur entourage en passant par les coaches, qui doivent s’impliquer au niveau global mais aussi individuel. Ainsi, nombre d’accidents peuvent être évités si les entraîneurs, bien formés, savent accompagner leurs élèves dans le choix de monture adaptées à chacun, les engager dans la catégorie correspondant à leur niveau réel, quitte à en redescendre si nécessaire, revoir le plan établi pour la saison après chaque épreuve, etc. Les compétiteurs, quant à eux, sont – entre autres – incités à écouter toujours davantage leurs montures et à apprendre à s’arrêter si leur état de fatigue le justifie. Et leurs proches, à respecter un rythme de progression parfois mois rapide qu’ils pourraient l’espérer. Des progrès, à la fois par la formation et la sensibilisation, doivent être réalisés en permanence dans ces domaines. “Sécurité. Tous concernés”, voilà donc le leitmotiv martelé par les deux intervenants, ainsi que le nom de la page du site internet de la FFE sur laquelle sont listées, au fil des mois, les mesures prises et réflexions en cours sur le sujet



Des alerteurs sur les terrains de concours

Parmi ces mesures, l’une des plus sujettes à interrogation, voire à méfiance, de l’année écoulée a été la mise en place d’alerteurs sur les terrains de concours, prévus au règlement de la discipline depuis le 1e septembre dernier. Il s’agit d’un groupe d’experts chargé d’être les yeux du jury à la détente et sur le parcours, et de lui faire remonter des insuffisances techniques, fatigues de chevaux ou cas de monte dangereuse dont il n’a pas le temps ou la possibilité d’être témoin, qui plus est lors d’épreuves non filmées. Quand une situation dangereuse est identifiée au paddock, le jury est prévenu et un dialogue engagé avec le cavalier, son coach et son entourage afin de les aider à prendre conscience du problème. Le concurrent peut alors se voir interdire le départ, ou être autorisé à se lancer, mais sous observation. Quand un danger est avéré sur le terrain, le cavalier peut se voir infliger des pénalités, voire une élimination. 

Au nombre d’une cinquantaine, les alerteurs sont recensés sur une liste évolutive aujourd'hui constituée de l’ensemble du staff technique fédéral, de coaches reconnus et de cavaliers de haut niveau, dont Nicolas Touzaint, Gwendolen Fer, Thomas Carlile ou Thibaut Vallette. Identifiés par le port d’un brassard et présents de manière aléatoire en fonction de leurs activités propres, concernés par les seules problématiques relatives à la sécurité, ils ne disposent d’aucun pouvoir décisionnaire, ce dernier restant l’apanage du jury.

Face aux inquiétudes quant au potentiel arbitraire de ce système, Laurent Bousquet se veut rassurant. “Ce n’est pas une punition, mais un outil de protection des chevaux et des cavaliers. Il s’agit d’une protection individuelle mais également collective, favorable à l’ensemble de la discipline. Grâce à lui, on évite de donner de mauvaises images au public ou aux instances de tutelle. Dans ce que nous montrons aujourd'hui, il nous faut prendre en compte l’évolution de ce qui est acceptable ou non, ce qui ne se définit plus comme il y a vingt ou trente ans.” L’ancien sélectionneur des Bleus souligne, en outre, un double intérêt à cette innovation. D’une part, elle aidera au fil du temps à ce que l’ensemble de la famille du complet, à tous les niveaux, se sente impliquée pour limiter les risques et augmenter la sécurité en cross. D’autre part, elle permettra une diffusion de bonnes pratiques via les alerteurs qui seront de factopoussés à l’exemplarité.



Casques, gilets à airbag, obstacles frangibles, formation

Pour autant, aussi porteur de promesses que soit ce système, il constitue seulement “un élément parmi un dispositif global, et pas une solution à tout.” C’est pourquoi la Commission a actionné d’autres leviers au cours des mois écoulés. On relèvera la préparation d’avancées concernant l’équipement du cavalier, dont le casque, grâce à l’appui de médecins et la visite d’une usine dédiée. Pour Michel Asseray, le message est clair: “Lorsqu’un casque a subi un choc, même à hauteur d’homme sur une dalle de béton dans l’écurie, il faut le changer!”. La conduite à tenir concernant les airbags est moins tranchée. “On constate qu’il y a moins de blessures légères, comme des côtes ou des clavicules cassées, avec cet équipement. Mais un peu plus d’accidents graves”, expose ainsi Laurent Bousquet à la lecture de statistiques collectées ces dix dernières années par la FEI. “En réalité, l’airbag présente beaucoup d’avantages, mais il empêche de rouler et de s’éloigner du cheval après l’impact au sol.” C’est pourquoi la Fédération n’oblige pas les cavaliers à le porter et continuera à suivre les avancées de la recherche des prochaines années.

La FFE a également fait le choix, pour les épreuves nationales, de maintenir la dissociation de son règlement de celui de la FEI quant aux obstacles frangibles (obstacle prévu pour se rompre en cas de choc important et ainsi éviter la chute du cheval, et dont l’effondrement est pénalisé de 11 points en CCI, ndlr). Ainsi, elle n’impose aucune pénalité en cas de chute d’un tel dispositif. “Il s’agit d’en favoriser le développement rapide en évitant que des contestations et litiges ne découragent certains organisateurs et chefs de piste de les utiliser”, explique Laurent Bousquet.

Enfin, l’accent a une nouvelle fois été mis sur la formation. Les chefs de piste ont reçu un manuel incluant notamment des contraintes strictes quant à la construction des obstacles: interdiction de profils particulièrement accidentogènes comme les obstacles larges dont le premier plan comportait des bords à angle droit, ou invitant à l’utilisation de dispositifs tels des barres de pied pour améliorer le profil des obstacles quand c’est nécessaire. Les coaches n’auraient pas dû être en reste, puisque la FFE avait prévu à leur intention, des journées de formation dans diverses régions de France. Auraient dû intervenir des experts extérieurs à ces régions pour leur apporter un regard nouveau. La crise sanitaire n’a finalement pas permis que ces journées se déroulent, mais l’idée continue de faire son chemin.

Loin de s’arrêter à ces avancées, la commission fédérale compte bien continuer ses travaux et a déjà défini des axes de travail pour l’avenir. Le premier d’entre eux est la mise en place d’un système de drapeaux qui avertiraient le cavalier, dans le feu de l’action, que l’élimination le guette. Force est de constater, en effet, que, grisé par la performance, tout compétiteur est susceptible un jour de perdre en lucidité quant à l’état de son cheval ou sa maîtrise des difficultés techniques proposées, et ainsi de se mettre en danger. Dans le même temps, une élimination par le jury est souvent source de surprise et d’incompréhension chez le cavalier comme chez le public. L’idée serait donc d’instaurer une forme d’échelon intermédiaire avant une élimination potentielle en avertissant le concurrent que quelque chose ne va pas et qu’il est sous surveillance. Les modalités pratiques de ce système à visée pédagogique pour le cavalier comme les spectateurs sont, pour l’heure, à l’étude. 

Les réflexions sur les équipements de sécurité vont également se poursuivre, en fonction de l’évolution du contexte sanitaire. Enfin, la FFE réfléchit à une formation où le cavalier apprendrait à tomber, comme en suivent déjà les cavaliers juniors allemands. 

On ne saurait trop rappeler que le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais, en complet comme dans toute discipline équestre. Néanmoins, à une époque où l’utilisation même du cheval est contestée par certains, et où l’image fait loi, on ne peut que saluer le travail accompli au bénéfice de la discipline et de tous ses acteurs.