Le troisième débat fédéral a tourné au duel entre Anne de Sainte Marie et Serge Lecomte

Alors que les votes pour l’élection des prochains président et comité fédéral de la Fédération française d’équitation sont ouverts depuis jeudi dernier, les trois candidats au poste suprême ont débattu pour la troisième et dernière fois hier soir à l’hippodrome de Paris Longchamp. Ils ont cette fois parlé compétition et tourisme équestre. Et même si Jacob Legros a pu exposer ses arguments en bonne et due forme, Anne de Sainte Marie et Serge Lecomte se sont rendu coup pour coup, peut-être encore plus que lors des deux premières soirées. Qu’en sera-t-il dans les urnes?



Jacob Legros, Anne de Sainte Marie et Serge Lecomte se sont retrouvés pour le troisième et dernier débat de cette campagne électorale pas comme les autres, hier soir à l’hippodrome de Paris Longchamp. Après l’environnement fédéral et les rapports entre l’équitation et la société, puis le développement des clubs, l’économie, la relance, la formation professionnelle et l’emploi, le président sortant et ses deux concurrents étaient cette fois invités à parler de compétition et de tourisme équestre. Comme lors des deux premières soirées, il leur était interdit de s’adresser directement les uns aux autres et de se couper la parole, ce qu’ils ont respecté sans qu’Emmanuel Ostian, discret arbitre, n’ait eu à intervenir. Et ils s’en sont tenus à leur temps de parole de vingt minutes, auquel s’est ajouté un bonus de quatre-vingt-quatorze secondes en fin de course par ces Messieurs, leur adversaire ayant été “indûment” invitée à conclure une seconde fois lundi dernier, afin de compléter son quota. Pour autant, et peut-être de façon plus franche encore que lors des deux premières soirées, cela ne les a pas empêchés de s’asséner des coups, surtout Anne de Sainte Marie et Serge Lecomte, Jacob Legros évitant de s’en prendre frontalement à ceux que l’on annonce comme les deux favoris pour les élections du comité fédéral et de la présidence.

Concernant la compétition, principal chapitre, et sûrement le plus important pour la plupart des lecteurs de GRANDPRIX, Jacob Legros a ouvert la discussion, jugeant que la FFE doit proposer “un projet sportif pour tous, en tenant compte des différents publics, disciplines, encadrants, coaches et officiels, avec des circuits adaptés et des finales départementales, régionales et nationales. […] Il ne faut pas oublier que certains cavaliers n’ont pas les moyens de se déplacer loin de chez eux.” 

Serge Lecomte a rappelé que cela concernait un peu plus de 160.000 licenciés (3.000 de niveau Pro, 30.000 de niveau Amateur et 130.000 de niveaux Club et Poney). Comme il martèle depuis le début de sa courte campagne, le sortant a rappelé que “la compétition est un formidable vecteur de progrès pour les cavaliers, chevaux, enseignants, coaches, officiels, installations et équipements. C’est à l’équitation ce que la recherche est à l’industrie, donc un secteur important qu’il faut développer et ne jamais opposer au reste”, ce que ses détracteurs lui ont souvent reproché par le passé. Fidèle à ses objectifs de croissance, Serge Lecomte espère que la FFE franchira le cap des 200.000 compétiteurs d’ici quatre ans, “en concentrant des efforts particuliers sur la division Amateur”. 

Anne de Sainte Marie a pointé la “dimension économique et le rayonnement international liés à la compétition, particulièrement pour le mandat à venir, marqué par les Jeux olympiques de Tokyo 2021 et Paris 2024.” Puis elle a aussitôt embrayé sur l’actualité, marquée elle par l’arrêt total des compétitions de niveaux Amateur, Club et Poney. “La ministre de la Culture ayant annoncé la réouverture cet été de festivals avec des jauges de 5.000 personnes, il y a urgence à se saisir de cela pour négocier le retour de nos compétitions au plus vite.”



Le président est-il le capitaine indissociable de la direction technique nationale?

Les trois candidats se sont accordés à dire que le haut niveau en France se portait bien, voire très bien, avec pas moins de trente médailles remportées dans onze disciplines en 2019, donc pas seulement dans celles présentes aux Jeux olympiques et paralympiques. Pour Jacob Legros, ancien cavalier de jumping et joueur de horse-ball, “le haut niveau doit être davantage médiatisé pour mieux valoriser l’équitation en général, vers le grand public, mais aussi vers nos clubs, où les cavaliers ne connaissent pas nécessairement les grands champions de nos vingt-neuf disciplines.” En ligne avec cet objectif, Anne de Sainte Marie a appelé à des ajustements plus qu’à une révolution, “en conservant ce qui fonctionne et en proposant là où c’est nécessaire des évolutions fondées sur la décentralisation, la concertation et l’attachement aux valeurs de l’équitation. […] Comme je l’ai dit, écrit et réécrit, nous maintiendrons l’encadrement fédéral en place, parce que je sais la qualité du travail accompli et qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Pour Paris 2024, je fixerai l’objectif de quatre médailles, dont une en para-dressage, et nous travaillerons très fort à l’héritage (dont elle avait détaillé les enjeux lundi dernier, ndlr).”

Une fois encore, Serge Lecomte s’est attaché à défendre son bilan, arguant que ses concurrents ne proposent que “des choses que fait déjà la Fédération, avec son équipe technique. […] Cette équipe a permis l’accomplissement de grandes performances, mais nous devons rester vigilants et continuer à travailler, développer les viviers et les compétences. Elle a pour cela son expérience, puisqu’elle est en place depuis quelque temps (début 2013 pour la plupart des cadres, si ce n’est que Philippe Guerdat, sélectionneur national de l’équipe de saut d’obstacles, avait été débarqué fin 2018, ndlr) et doit avoir de la visibilité devant elle, pour bien préparer Paris 2024. Une équipe, ça ne se reprend pas en disant qu’on va continuer comme avant, ça se construit!”, argue le président en poste depuis 2004, qui estime être le capitaine de cette équipe, un chef qu’il serait périlleux de remplacer à trois ans d’un rendez-vous aussi crucial que les Jeux. “Cette équipe, je l’ai construite. Et demain, ce ne sera pas la même si un autre candidat est élu, c’est bien évident. Cela ne peut pas fonctionner comme ça, ni à la FFE, ni dans aucune entreprise ou communauté humaine.”

Réponse d’Anne de Sainte Marie: “Nous avons déjà connu des changements par le passé. Et je crois, au contraire, qu’une équipe, ça se motive avec un nouveau leader et une nouvelle vision. Pour être plus performants, nous devons encore renforcer nos efforts sur le dressage et le para-dressage. Pour cela, je ferai confiance aux équipes en place, avec un nouveau souffle.” Anne de Sainte Marie a aussi proposé d’impliquer toutes les parties prenantes du sport, au-delà de leurs représentants dans les commissions, dans les discussions préalables aux modifications réglementaires, à l’image du processus ouvert adopté par la Fédération équestre internationale.

En outre, elle entend lancer “un programme Jeunes talents pour faire émerger des jeunes dès onze ans et les accompagner jusqu’à dix-huit ans avec un projet de professionnalisation”, mais aussi “une cellule de recherche de propriétaires et investisseurs, sur le modèle de ce qui se fait dans les courses avec le French Racing and Breeding Committee (FRBC ou Comité français de course et d’élevage, ndlr), pour mieux équiper les meilleurs cavaliers français. À ce sujet, Serge Lecomte n’a pas manqué de rappeler qu’un fonds de dotation, baptisé EquiAction, visant notamment à sécuriser l’avenir de chevaux à fort potentiel pour les équipes de France, et amorcé à hauteur de 3 millions d’euros par la FFE, allait très prochainement voir le jour.

Jacob Legros a plaidé pour une détection des jeunes à l’échelle départementale, mais aussi pour la création d’une “cellule expérimentale permettant de mieux comprendre la physiologie du cheval de sport, en compétition et à l’entraînement”, afin d’enrichir les connaissances et la formation et des cavaliers et enseignants. Aux organisateurs de concours, notamment ceux de TREC et d’endurance, qui doivent emprunter des routes, chemins ou sentiers du domaine public, il entend apporter une aide au dialogue à l’établissement de partenariats avec les pouvoirs publics. Et concernant les officiels, il propose d’autoriser l’utilisation de la vidéo pour arbitrer, comme cela se fait dans un nombre croissant de sport, “notamment pour mieux garantir le bien-être des chevaux, sans surexposer nos officiels, et les protéger d’éventuels débordements. Cet arbitrage vidéo pourrait également aider les organisateurs de compétitions lourdes en termes de présence d’officiels, comme celle de TREC et de concours complet.”



Quel avenir pour les épreuves Amateurs et l’Open de France?

Un relatif consensus s’est dégagé quant à l’avenir des compétitions de niveau Amateur. Un équivalent de l’Open de France devrait prochainement voir le jour au Grand Parquet de Fontainebleau, où il se déroulerait sur plusieurs semaines, s’ajoutant à l’offre de championnats de France disputés discipline par discipline et pour lesquels il faut suivre un parcours de qualification. De même, chacun, à sa manière, a pointé l’importance de revaloriser les championnats départementaux et régionaux, ce qui vaut aussi pour les épreuves Club et Poney. Enfin, les trois candidats ont évoqué la notion même d’amateurisme et plus précisément la frontière, pas toujours si évidente à placer, entre des cavaliers dits amateurs mais montant un grand nombre de chevaux, comme des professionnels, dans des épreuves dédiées et de vrais amateurs obligés de demander une licence Pro pour pouvoir concourir à un niveau qui convient au couple qu’ils forment avec leur cheval, sans oublier la question des chevaux jeunes et/ou inexpérimentés que les cavaliers professionnels aimeraient pouvoir former et valoriser dans les épreuves Amateurs des concours auxquels ils participent, souvent avec leurs élèves… Les deux challengers appellent à une concertation sur le sujet, afin de protéger les amateurs de la concurrence des professionnels. “Ne faut-il pas purement et simplement supprimer les termes Amateur et Pro pour mieux redéfinir les épreuves en fonction de leur niveau technique. Lors de récentes concertations que nous avons organisées partout en France (les Assises de la compétition, tenues en 2018, ndlr), nous en avions discuté mais n’étions pas parvenus à un consensus. Nous devrons donc en rediscuter”, a conclu le président sortant.

En outre, Jacob Legros propose la mise en place d’une échelle de progression dans chaque catégorie, “pour mieux accompagner nos amateurs et mieux valoriser nos professionnels. On ne veut plus voir de cavaliers mettre leurs chevaux en danger dans des épreuves inadaptées à leur niveau.” Pour les équitants en situation de handicap, l’un de ses plus fiers chevaux de bataille, le Languedocien entend à la fois “sécuriser leur pratique, sans les verrouiller, et travailler à leur intégration à nos compétitions (pour valides, ndlr), afin de rassembler nos publics plutôt que de les éloigner.”

Concernant l’Open de France de Lamotte-Beuvron, les trois candidats se sont quelque peu chamaillés sur des détails plus ou moins signifiants, mais aucun n’a remis en cause ni son existence, ni la nécessité de continuer à le développer et à en améliorer l’organisation, notamment en termes d’accueil des compétiteurs, humains et équidés. Après avoir rappelé que cet événement, malgré son ampleur, ne concernant que 12% des cavaliers Club et Poney, Anne de Sainte Marie s’est inquiétée de la tenue de l’édition 2021, le cru 2020 ayant déjà été annulé en raison de la crise sanitaire, appelant à une grande agilité, soit pour en adapter le programme au protocole sanitaire, soit pour trouver, en cas de nouvelle annulation, une “alternative percutante” à l’égard des cavaliers et clubs. Serge Lecomte lui a répondu qu’un plan B, qui s’avéra malheureusement impossible à appliquer en raison des conditions sanitaires, avait déjà été imaginé en 2020. Jacob Legros, qui en a créé en Occitanie, s’est joint à sa rivale pour intégrer à l’Open un salon des métiers et des formations à cet immense rassemblement de jeunes, dont un certain nombre rêve de faire carrière dans la filière équine.


Une joute finale à couteaux tirés

Après les discussions consacrées au tourisme équestre, qui ont encore mis au jour quelques divergences entre les candidats, les conclusions n’ont pas manqué de sel. Premier à se lancer, Jacob Legros a défendu le bien-fondé de son projet, “tourné vers une économie vertueuse, bienveillant, soucieux d’accompagner tous nos équitants, dans la diversité de leurs pratiques, et tous nos dirigeants; un projet rassembleur, utile et performant unissant bien-être animal et excellence sportive.”

Pour sa part, Anne de Sainte Marie a mis en valeur le caractère participatif de la construction de son projet, permis par une longue campagne de terrain, un projet qu’elle est “très fière d’avoir présenté lors de ses trois débats”. “Je crois que vous méritez mieux que ce que la fédération donne comme image de vous. C’est pourquoi il est temps de changer de méthode et de revoir la manière dont on imagine la présidence de la FFE. J’assume mes différences avec les deux autres candidats. Pour moi, une présidente de fédération doit se concentrer à plein temps à cette mission, sur une période donnée. Je me comporterai en leader, une leader d’aujourd’hui, qui rassemble les compétences, fédère les énergies, et sait écouter pour décider plus fort, plus juste et plus efficace, et qui vous représente, en France mais aussi à l’étranger. Pour répondre à la complexité des enjeux d’aujourd’hui et de demain, nous avons besoin d’une FFE plus humaine, capable d’écouter les opinions diverses et qui respecte tous les héritages, démocratique, transparente, organisée de façon décentralisée et ouverte sur la filière équine, le sport et le monde.”

Dans sa première conclusion, Serge Lecomte a appelé à favoriser “tout ce qui crée de la croissance pour nos activités”, mais aussi défendu la qualité de son équipe, qui permettra selon lui “de poursuivre le travail considérable qui été mené depuis quelques années et de garder une fédération solide et indépendante”, ainsi son slogan “mieux vivre l’équitation”, qui veut aussi dire “mieux vivre de l’équitation” pour ceux qui en ont fait leur métier. Puis dans la seconde, consécutive à celle d’Anne de Sainte Marie, il a jugé qu’il faisait face à deux candidats “qui n’ont pas de bilan, qui n’ont rien fait. […] Il est facile de critiquer celui qui a un bilan. Cette fédération a fait beaucoup de choses, pas moi tout seul, mais une équipe renouvelée à chacun de mes mandats. […] Vous me dites tous que cette fédération est formidable, qu’elle fonctionne bien et qu’il faut continuer comme ça, mais qu’il faut changer de président parce qu’il est là depuis trop longtemps. Quand vous changerez de président et d’équipe, vous changerez de fédération. J’ai entendu parler pendant plus d’un an et demi d’un nouveau souffle. Eh bien, vous êtes bien conscients, ce nouveau souffle, ce n’est que du vent!”

Ainsi s’est achevée cette troisième joute verbale. Les votes sont ouverts depuis jeudi dernier et le resteront, en fonction des modalités choisies, jusqu’à l’assemblée générale élective qui se tiendra le 18 mars à Lamotte-Beuvron. Ce jour-là, on connaîtra à coup sûr la composition du prochain comité fédéral, mais pas forcément le nom du nouveau président, un second tour devant être organisé en cas d’absence de majorité absolue au premier tour. Que le meilleur gagne!

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