“Nous essayons tous de sauver les chevaux qui peuvent l’être”, Guillaume Batillat

Neuf jours après l’interruption des épreuves internationales qui s’y tenaient, Guillaume Batillat veille toujours sur ses chevaux à Valence, plus gros foyer européen de l’épizootie de rhinopneumonie équine. Comme d’autres, le Français confirme que la situation y est devenue dramatique. Face à un virus extrêmement virulent et contagieux, qui a déjà tué plusieurs chevaux, les personnes restées sur place font part d’une grande détresse et de scènes difficilement supportables et imaginables. Si le Francilien salue la réaction des organisateurs du CES Valencia, de la Fédération française d’équitation et de la Fédération équestre internationale, ainsi que la solidarité sur place, il fustige les autorités sanitaires espagnoles, aujourd’hui en charge du site. “Rien de rien n’a été fait, ils sont incapables de prendre des décisions, bonnes ou mauvaises”, assène-t-il.



Quelle est l’ambiance aujourd’hui à Valence? Votre vidéo publiée hier matin fait froid dans le dos…

Oui, elle fait froid dans le dos, et ce sont vraiment les autorités espagnoles qui foirent tout. Honnêtement, le CES Valencia, la Fédération française d’équitation (FFE), et maintenant la Fédération équestre internationale (FEI), même s’ils se sont réveillés un peu tard, se démènent depuis trois jours (entretien réalisé hier soir, ndlr). Nous n’avons rien à reprocher à la FFE. On nous a appelés directement, un groupe WhatsApp a été créé. La FFE prend de nos nouvelles et nous aide… Le CES Valencia avait la mainmise sur le concours jusqu’au lundi ou mardi dernier. Depuis, les autorités sanitaires espagnoles décident de tout. Hélas, elles n’y connaissent rien aux chevaux et ont commis beaucoup d’erreurs. L’ambiance sur place est très pesante. Beaucoup de chevaux ont de la fièvre… et quand celle-ci baisse, cela devient vraiment critique car la maladie frappe leur système nerveux.

Vous parlez d’“exécutions de chevaux”. D’autres personnes sur place évoquent une zone de guerre. Ces termes sont très forts…

Ce n’est pas vraiment une zone de guerre, mais nous ne sommes pas habitués à voir cela. Quand cela arrive dans une clinique, on peut se dire qu’on a dû euthanasier un cheval pour telle ou telle raison. Mais sur un terrain de concours… Nous prenons soin de nos chevaux comme des fermiers avec leurs bêtes. C’est difficile de gérer cette pression-là, nous avons tous peur pour nos chevaux.

Comment vont les vôtres? 

Les miens ont été malades au tout début. Le virus n’était peut-être pas aussi virulent que maintenant. Actuellement, quand un cheval a de la fièvre, sa température augmente très vite jusqu’à 40°C, puis cela dégénère assez rapidement.

Y-a-t-il un soutien entre les différents Français encore présents?

Entre Français, Allemands et Espagnols, nous nous entraidons tous. Nous essayons tous de trouver une issue pour sauver les chevaux qui peuvent l’être. La virulence est assez frappante. Nous nous organisons, aidons et relayons entre cavaliers, grooms et propriétaires. L’entraide est impressionnante. Nous essayons d’avancer petit à petit, même si les autorités espagnoles ne font rien en dehors de réunions, où aucune décision importante n’est prise.



“Nous ne vivons pas pour voir mourir nos chevaux devant nous”

Comment vont les personnes restées sur place?

Nous avons du mal à dormir et manger. Nous nous occupons des chevaux, aidons ceux qui peuvent être aidés. Nous faisons beaucoup et peu à la fois.

Quel est votre quotidien? 

Nous ne pouvons pas monter les chevaux car il ne faut pas les fatiguer, au risque d’affaiblir leurs défenses immunitaires. Nous les faisons uniquement marcher et prenons soin d’eux. Nous essayons de désinfecter tout ce que nous pouvons avant de les toucher, ou de toucher un autre cheval. Nous nous aidons et parlons beaucoup pour essayer de faire avancer les choses. À vrai dire, nous nous épuisons à pas grand-chose. Nous essayons de faire au mieux. Ce qui se déroule sous nos yeux est à peine inimaginable… 

Nous ne parlons plus de compétition. Nous voulons juste sauver nos chevaux. Certains d’entre eux ne fouleront plus aucun terrain de concours ou ne sauteront plus jamais. Nous essayons de les sauver car ce sont des animaux. Les organisateurs du CES Valencia font de leur mieux, mettent des choses en place et vont chercher des médicaments… En revanche, je le répète, l’incompétence des organisations sanitaires espagnoles est impressionnante. Cela fait même froid dans le dos.

Y-a-t-il eu des avancées ces dernières heures concernant l’envoi des chevaux vers d’autres cliniques? 

Des places ont été libérées pour les chevaux qui se trouvent dans un état vraiment critique. Généralement, quand ils sont envoyés là-bas, c’est que nous ne parvenons plus à les contenir ici. Des cliniques ont pris l’initiative de construire des boxes supplémentaires et nous les en remercions. Des boxes sont arrivés à Valence (en provenance du sud de la France, ndlr). Il faut maintenant qu’ils soient montés, afin de pouvoir séparer les chevaux asymptomatiques, positifs et négatifs. Rien n’a été fait pour l’instant. 

Beaucoup de vétérinaires ont été envoyés en renfort par la FEI et depuis l’Espagne. Au bout de quelques jours, il y avait cinq ou six vétérinaires en plus et les deux qui étaient présents sur place depuis le début de l’épidémie ont pu gérer la crise correctement. La clinique de campagne aménagée sur place a été réduite, car ils envoient les chevaux directement en clinique pour que nous n’ayons plus à supporter de les voir souffrir ainsi. Nous n’avons pas l’habitude de cela. Nous ne vivons pas pour voir mourir nos chevaux devant nous. Nous vivons pour la passion de notre métier.



“Entre la Covid et la rhino, organiser un concours va devenir un challenge…”

Beaucoup de cavaliers ont quitté Valence avec leurs chevaux dès le 20 février, et sont aujourd’hui critiqués pour cela. Quel votre vision à ce sujet? 

Je n’ai pas d’avis, mais je pense qu’ils ont eu raison de partir. Vu ce qui se passe ici, ils sont mieux en quarantaine chez eux. Moi, je ne pouvais pas partir car j’avais une jument très malade – qui va mieux aujourd’hui – donc il n’était pas question de la transporter. Mais si j’avais pu, je pense que je l’aurais fait aussi. Quand ces cavaliers sont partis, il n’y avait pas de cas déclarés positifs. Des tests avaient été effectués et envoyés à analyser dans un premier laboratoire apparemment incapable de détecter ce virus, car les deux tests étaient revenus négatifs. Eux ne se sont donc pas posé la question d’une éventuelle contagiosité, ils sont partis en se disant que cela pouvait être une fièvre. Nous n’avons commencé à recevoir les résultats des tests réalisés par les autorités sanitaires que mardi, et les mêmes échantillons se sont révélés positifs. Ces cavaliers ne sont pas partis en connaissance de cause, mais ont préféré rentrer chez eux au cas où. Sincèrement, nous sommes mieux équipés pour soigner cela en France, et être chez soi permet de surveiller, de créer une zone de quarantaine, alors que rien, strictement rien, n’a été fait ici.

La FFE et la Société hippique française ont annulé les rassemblements équestres prévus jusqu’au 28 mars (relayées par la FEI, qui a pris la même décision concernant les compétitions internationales programmées dans dix pays européens, en dehors des tournées espagnoles et italiennes actuellement en cours, ndlr). Saluez-vous ces mesures? 

C’est un peu comme la Covid-19: si l’on n’arrête pas maintenant cette rhinopneumonie équine, la situation ne peut qu’empirer. Je peux comprendre la déception d’organisateurs qui ont mis tout en place pour que cela fonctionne malgré tout, mais si l’on ne le fait pas maintenant, la situation deviendra hors de contrôle. Il n’y a pas que des foyers qui viennent de Valence, il y en a plusieurs en France (ainsi qu’en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas, ndlr). Il vaut mieux tout stopper maintenant et s’arrêter pendant un mois, plutôt que de continuer à concourir pendant un mois et devoir s’arrêter pendant quatre mois ensuite. 

Entre la Covid et la rhino, organiser un concours va devenir un challenge… Je tire mon chapeau aux organisateurs, car c’est vraiment compliqué. En tant que cavalier, nous ne voyons pas cet aspect: nous arrivons en concours et on nous demande juste de porter un masque. Mais il y a toute une phase de préparation, qui demande de tout prévoir parce qu’il n’y a pas de restaurants, plus de public, plus d’amateurs… Tout cela doit être extrêmement dur à gérer pour eux…