“J’espère qu’il y aura désormais des règles sanitaires un peu plus strictes”, Lalie Saclier

Membre de l'équipe de France lors de quatre championnats d’Europe jeunes jusqu’en 2018, Lalie Saclier évolue depuis trois ans en Seniors, où elle se démarque notamment avec son meilleur cheval Tescari’Jac. Diplômée d’une licence en gestion, la Mâconnaise construit peu à peu son piquet de chevaux, qu’elle espère emmener vers le haut niveau. À bientôt vingt-quatre ans, l’amazone évoque l’arrêt des compétitions, la perte brutale de sa Perle Fine, l’accès au haut niveau, ou encore ses inspirations.



Lalie Saclier a notamment pris part aux championnats d'Europe  Longines Jeunes Cavaliers de Fontainebleau en 2018.

Lalie Saclier a notamment pris part aux championnats d'Europe Longines Jeunes Cavaliers de Fontainebleau en 2018.

© Scoopdyga

Alors que vous aviez entamé votre saison fin février à Mâcon-Chaintré, la rhinopneumonie a mis à l’arrêt toutes les compétitions en France et en Europe au début du mois. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ? 

Une partie des chevaux avait en effet repris la compétition à domicile afin de se remettre dans le bain tranquillement. Nous avions prévu de nous rendre ensuite au CSI 2* de Vidauban puis à Gorla Minore pour quinze jours de CSI 3*. Ce ne sera malheureusement pas pour cette année ! Lorsque l’épidémie de rhinopneumonie a commencé à sévir, cela nous a rappelé le schéma notre propre épidémie de Covid-19. Dès lors, nous avions compris qu’il serait difficile de poursuivre la saison. Bien sûr, je suis déçue, mais aussi et surtout soulagée que mes chevaux ne soient pas concernés par cela. Dans notre malheur, nous ne sommes pas les plus à plaindre. 

Sur quoi vous concentrez-vous depuis ? 

Comme pendant le confinement de l’an passé, nous continuons à faire évoluer les chevaux. Ceux ayant six ou sept ans continuent de sauter des parcours et de faire un peu de travail de gymnastique toutes les semaines. Ceux qui sont plus murs sont entretenus sur des cavalettis, car nous ne voulons pas les user. Je ne voudrais pas être pessimiste, mais je pense que cette situation va durer plus que quatre semaines. Il y a encore des chevaux qui viennent de rentrer de Vejer de la Frontera, et si on prend en compte la période d’incubation, je pense qu’il faut plus s’attendre à ce que les concours internationaux reprennent mi-avril, voire fin avril pour que tous les feux soient au vert (entre temps, la Fédération équestre internationale a prolongé la suspension des compétitions jusqu’au 11 avril 2021, ndlr)

N’est-ce pas lassant de jongler entre reprises et suspensions des compétitions depuis un an ? 

Ce n’est pas facile pour nous, d’abord sur le plan mental car cela est démotivant. Parfois, tout le planning de concours est fait, tout est calé, et nous apprenons que nous allons être bloqués à la maison un ou deux mois. Nous ne pouvons pas avoir d’objectif, ce qui est le plus compliqué à gérer. Le programme pour les chevaux doit sans cesse être adapté. Malgré tout, il faut rester motivé car tout va bien finir par repartir un jour. Il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre. 

Sur quoi est basé votre système ? Compte tenu de la pandémie de Covid-19, l’année 2020 a-t-elle été éprouvante économiquement ? 

L’entreprise que ma sœur Lolita et moi gérons est économiquement basée sur trois axes principaux : la valorisation, qui n’a pas tellement été impactée malgré la crise, le commerce et l’enseignement. Ces deux derniers secteurs ont davantage été mis à mal. Cela est en partie lié au fait que les amateurs n’ont pas pu concourir : il y a eu une perte de motivation de leur part et donc moins de sollicitations pour des stages par exemple. Nous sentons bien que les élèves n’ont pas de véritable objectif. Il est difficile pour eux de conserver une motivation et de l’assiduité au quotidien. Au niveau du commerce, beaucoup de chevaux sont normalement achetés par ce type de clientèle. En France, tout semblait assez bloqué donc nous nous sommes plutôt tournées vers une clientèle étrangère. 

Vous avez notamment vendu Scarabée Vert, qui était monté par votre sœur, aux États-Unis il y a peu… 

Oui, exactement, il est arrivé aux États-Unis il y a quelques jours. Il a quinze ans cette année et correspond complètement à la catégorie de cheval que ces clients recherchent. Il dispose de beaucoup d’expérience et s’est déjà classé jusqu’à 1,45m. Il s’agit pourtant du genre de cheval qui ne se vend pas en France. Déjà avant la crise, il était compliqué de leur expliquer qu’il y a parfois plus à gagner d’acheter un cheval un peu plus âgé et expérimenté, avec lequel on peut directement se faire plaisir, plutôt que de persister vouloir acheter un jeune cheval pour lequel ils n’ont pas le niveau. Dans ce dernier cas, les cavaliers peuvent être amenés à se faire peur ou à engager des frais parce qu’il faut le faire monter par un entraineur. Pour le genre de chevaux d’âge, les Américains sont demandeurs car ils ont bien compris qu’ils pouvaient presque mettre n’importe quel cavalier dessus et que ça irait bien. Nous avons aussi vendu Diana de Grée aux États-Unis, une très bonne jument de huit ans que je montais et qui va partir la semaine prochaine. 

Comment avez-vous trouvé des clients aux États-Unis ? 

Cela s’est fait un peu par hasard, c’est la première fois que nous vendons des chevaux là-bas. En quinze jours, nous en avons vendu deux en Californie à des clients différents. À force de développer un réseau, des opportunités se créent. 



“Nous avons perdu Perle Fine de manière assez brutale”

Sur quels chevaux pouvez-vous compter actuellement ? 

J’ai une majorité de jeunes chevaux, dont certains que nous avons achetés à environ cinq ans et d’autres que nous avons faits naître. À ce titre, Diana de Grée est par exemple une belle réussite car nous l’avions acquise après son débourrage. La voir poursuivre sa carrière aux États-Unis est un bel accomplissement. Je pense qu’il faut suivre ce genre de schéma pour avoir une entreprise rentable et accéder au haut niveau. Tescari’Jac est toujours mon cheval numéro un, et pour l’épauler, je compte sur Ultra Blue (de Jaurand, ndlr), qui est très compétitif car très rapide. Il se classe beaucoup dans des épreuves jusqu’à 1,40m et je pense même qu’il va sauter 1,45m cette saison. Il était assez compliqué à ses débuts mais nous nous entendons bien désormais car il devient plus calme. Je comptais aussi beaucoup sur Diana mais le contexte actuel fait que ces chevaux doivent être vendus, car nous ne sommes même pas sûr de pouvoir les présenter en concours. J’ai aussi deux très bons sept ans : Extra de Fougnard et J’Adore. Ils sont très différents mais tous deux vraiment qualiteux. J’ai hâte de les voir évoluer cette saison. J’ai aussi Fénomène des Lilas, le premier produit de notre élevage qui a six ans. C’est une fille de mon ancienne jument Perle Fine et de Toulon. C’est un croisement assez risqué et explosif, elle est encore un peu compliquée à gérer, mais elle dispose de toutes les qualités d’un cheval de concours donc je crois beaucoup en elle. 

Vous développez donc l’élevage en parallèle de votre carrière sportive… 

Exactement ! Nous avons sept produits de Perle Fine, un autre de Riva, l’ancienne jument de ma sœur, et nous attendons deux poulains de Larise van Spieringenberg, une jument avec laquelle ma sœur concourt actuellement jusqu’à 1,45m. Nous essayons vraiment de développer cet élevage car nous sommes passionnées par cela et que nous adorons voir les chevaux évoluer depuis leur plus jeune âge. Lorsque nous avons de très bonnes juments, c’est un bon moyen d’obtenir de bons chevaux. 

Les chevaux que vous montez sont donc issus de votre élevage ou bien achetés ? 

Oui, car nous sommes pour le moment locataires. Nous sommes donc un peu limitées en nombre de boxs. Pour le moment, nous n’avons pas beaucoup de chevaux de propriétaires et la majorité nous appartiennent. Il s’agit d’un aspect que nous aimerions développer. 

En fin d’année dernière, Perle Fine du Val, avec qui vous avez pris part à deux championnats d’Europe Enfants et Juniors, a été mise à la retraite… 

Oui, mais malheureusement Perle Fine nous a quittés cet hiver… Nous l’avons perdue en début d’année de manière assez brutale. Cela nous a tous choqués car elle était la première jument de la famille. Nous sommes d’autant plus heureuses car nous avons quelques-uns de ses poulains. C’est un peu comme si elle était toujours avec nous… 

En 2018, vous avez concouru pour la dernière fois en Jeunes Cavaliers et cela fait trois ans que vous avez quitté ce circuit. Avez-vous l’impression d’être moins encadrée ? Comment le vivez-vous ? 

Je suis en pleine transition entre mes années Jeunes, lors desquelles je concourais en tant qu’amateur, car ce n’était pas mon métier et que j’étudiais la gestion en parallèle. Désormais, je suis au début de ma carrière Seniors. Comme moi, mon piquet de chevaux est en transition. Tous ceux que j’avais en Juniors et Jeunes Cavaliers ont vieilli, donc je renouvelle mon piquet de chevaux et mon système. J’ai bien compris – et encore plus avec la situation actuelle – que pour concourir à haut niveau, il fallait un piquet de chevaux bien fourni. Même si on a un très bon cheval, avec lequel on peut prendre part à un bon concours de temps en temps, cela ne suffit pas et on ne profite même pas d’avoir une bonne recrue. Je préfère donc prendre mon temps de construire mon système et d’avoir des bases solides pour pouvoir me permettre de conserver un piquet de chevaux bien fourni et faire du haut niveau dans quelques années. 

Oui, mais ce n’est pas une surprise. Je savais qu’après les belles années de Jeunes Cavaliers, nous sommes un peu plus livrés à nous-mêmes en Seniors. J’y étais préparée donc cela ne m’a pas perturbée. La Fédération française d’équitation (FFE) nous encadre beaucoup dès le circuit Enfants, que ce soit avec des stages ou pour le programme de compétition. Désormais, j’essaie de faire au mieux avec mon système pour progresser et améliorer mes chevaux. Je fais en fonction d’eux et je trace un peu ma route. La transition peut être compliquée, mais elle dépend aussi beaucoup du réservoir de chevaux. Pour passer le cap, même pour les CSI 3*, il faut au moins deux ou trois chevaux capables de sauter 1,45m ou même 1,50m. Avec un seul cheval, ce n’est pas possible, déjà parce qu’il est très difficile d’accéder à ces concours, mais aussi pour être performant si on veut préserver son cheval. Il faut rester raisonnable et accepter d’être moins sur le devant de la scène pendant quelques mois ou saisons. La logistique est également importante, car partir du mercredi au dimanche toutes les semaines implique une organisation et une équipe importante. 



“Je trouve le système d’Edward Levy très intelligent”

Lalie a malheureusement dû dire au revoir à Perle Fine du Val cet hiver.

Lalie a malheureusement dû dire au revoir à Perle Fine du Val cet hiver.

© Sportfot

D’un pays ou à un autre, il semble parfois que l’accès au haut niveau n’est pas le même pour les cavaliers ayant représenté l’équipe nationale dans les circuits Enfants, Juniors ou Jeunes Cavaliers. Partagez-vous ce constat ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?

C’est vrai, mais je ne pense pas que cela soit forcément dû au pays. Bien sûr, dans les nations fortes que sont l’Allemagne, la France ou encore la Belgique, les places sont très chères. Pour les nations un peu moins fortes, qui sont d’ailleurs choisies par quelques cavaliers qui changent de nationalité afin de prendre part à des concours d’envergure, les accès sont plus simples. Pour prendre l’exemple de la Belgique et de la famille Philippaerts, il ne faut pas oublier d’où ils viennent. Depuis qu’ils concourent dans la catégorie Enfants, il y a toute une organisation derrière eux pour qu’ils accèdent à CSI 5*. Leurs parents travaillent depuis longtemps pour qu’ils bénéficient d’un encadrement, d’une logistique et d’un piquet de chevaux adéquat. En France, je ne pense pas que les sélectionneurs donnent moins de place aux jeunes. Je pense surtout qu’il y a moins de jeunes qui sont capables de tenir la route sur le circuit des CSI 5*. Je me rends compte aujourd’hui que tout le monde n’a pas pour ambition de se professionnaliser par la suite. Lorsque l’on voit le contexte actuel, cela ne donne peut-être pas envie aux jeunes de se lancer. Cela peut se comprendre. La passion joue aussi une place prépondérante car lorsque l’on participe au circuit Jeunes Cavaliers, nous côtoyons les paillettes en quelque sorte. Par la suite, il faut conserver les pieds sur terre, être lucide et aimer le travail quotidien aux écuries. Cela implique de monter des jeunes chevaux, ce que beaucoup de très bons jeunes cavaliers n’aiment pas faire. Cela se respecte, chacun fait ses choix, mais ce n’est pas le même métier. 

Y a-t-il des trajectoires de cavaliers qui vous inspirent particulièrement ? 

Parmi les jeunes cavaliers, je trouve le système d’Edward Levy très intelligent. Il arrive bien à jongler entre commerce et haut niveau. Il est parti à l’étranger (notamment chez Ludger Beerbaum, ndlr) et je pense qu’il a fait de bonnes rencontres et a su saisir des opportunités intéressantes. Son système fonctionne bien. Concernant les systèmes bien rodés, je trouve que Pénélope Leprevost est très forte. Elle gère son entreprise de main de maître, entraîne des élèves, monte à haut niveau, vend des chevaux… Dans beaucoup de concours intermédiaires, elle monte elle-même des jeunes chevaux. D’autres cavaliers ont un peu plus une image de « pilote de haut niveau » que celle d’entrepreneur. 

Souhaiteriez-vous vous former davantage dans une écurie de haut niveau, en France ou à l’étranger ?

Je pense qu’il s’agit d’une question d’opportunités. À ce jour, je préfère consolider mon entreprise et mon système. Je suis assez indépendante et je m’entends très bien avec ma sœur, nous nous faisons beaucoup confiance. Nous préférons faire grandir notre système et continuer notre projet, même si ces expériences peuvent très salvatrices. 

Avez-vous un entraineur extérieur en ce moment ou échangez-vous seulement avec votre sœur Lolita ?

Lolita et moi échangeons en effet beaucoup. Depuis quelques années, Franck Schillewaert nous aide de temps en temps lors de stages aux écuries. Cela nous est bien utile, notamment avec les jeunes chevaux. Nous travaillons aussi depuis environ six ans avec Carlos Pinto en dressage. Il nous a beaucoup apporté et a changé beaucoup de chevaux avec un travail simple mais efficace. Il est très important de travailler en dressage, et même si Carlos n’est pas issu du saut d’obstacles, il est très enthousiaste et positif. 

Les crises sanitaires que nous traversons vous font-elles réfléchir quant à l’avenir ? 

Ce qui se passe avec la Covid-19 fait réfléchir, mais j’ai l’impression que le milieu équestre est assez épargné par cela. Nous n’avons presque pas vécu les confinements car nous étions tous les jours aux écuries avec nos chevaux. En tant que cavaliers, nous ne le ressentons pas beaucoup. Mais concernant ce qui se passe à Valence avec la rhinopneumonie, en y réfléchissant bien, je me demande surtout pourquoi cela n’est pas arrivé plus tôt. Cela n’est pas tellement naturel de regrouper entre mille cinq cent et deux mille chevaux sur un même site, dans des boxs démontables parfois à peine curés d’une semaine à l’autre et surtout pas désinfectés. Cela est le cas dans chaque grande structure qui organise des tournées. C’est dommage d’avoir attendu qu’il se passe cela. J’espère qu’il y aura désormais des règles sanitaires un peu plus strictes. Je ne comprends pas que le vaccin ne soit pas déjà obligatoire après ce qui s’est déjà passé il y a trois ans. Quand on y réfléchit, faire venir dans un si petit espace deux mille chevaux des quatre coins de l’Europe pourrait même entrainer ce genre d’épidémies plus régulièrement. Cela aurait pu nous arriver à Gorla Minore, et pour avoir déjà fait des tournées, on ne pense pas vraiment au côté sanitaire, mais plutôt au comportement des jeunes chevaux dans de telles conditions par exemple. J’espère que des mesures seront prises pour que des mesures d’hygiène soient respectées dans les concours. 

Quels sont vos projets ? 

Lolita et moi avons pour projet de nous installer. Ce n’est pas encore fait, mais cela se concrétise. Nous ne voulons pas faire les choses à moitié donc nous continuons à avancer et nous partons du principe que le travail paie !