Élevage 3.0

Invitée à s’exprimer dans les colonnes de Breeding News, excellent mensuel édité en anglais, Bérengère Lacroix livre une réflexion personnelle quant à l’avenir de l’élevage, au regard de récentes évolutions. La directrice du Stud-book Selle Français évoque la dématérialisation et la virtualité, notions qui finissent par gagner un univers qu’on imaginait pourtant indécrottable et indissociable de la notion de terroir. N’y a-t-il qu’un pas du rêve à réalité? Voici la version française de son point de vue.



En ce printemps 2021, nous nous retrouvons face à de nouvelles interrogations vis-à-vis de la saison d’élevage qui débute: choix du stud-book pour l’inscription des poulains, choix des futurs reproducteurs, choix du mode de reproduction, choix stratégiques et commerciaux, etc. Nous voilà plongés au cœur d’un monde virtuel pour mener nos réflexions et affiner nos choix, privés de rassemblements d’élevage, lieux d’échanges et de discussions avec les étalonniers, les éleveurs et les stud-books. Les conseils seront-ils glanés sur les réseaux sociaux? Les décisions se prendront-elles à distance? Peut-être. La promotion s’exprimant désormais sur nos écrans, les acteurs du monde de l’élevage se réinventent et redoublent d’ingéniosité pour valoriser la génétique. Cela simplifie-t-il ou complexifie-t-il les choix?

Dans ce monde évoluant à toute vitesse, ne nous laissons pas emporter par la facilité du choix guidé par les seuls sentiments, au détriment de l’expertise et des outils affinés depuis des décennies, fruits du travail individuel et collectif des éleveurs du monde réel. La sélection, telle qu’elle est conduite par les stud-books, mène au succès des chevaux sur les terrains de compétition parce qu’elle passe par la caractérisation, les outils d’aide à la décision, l’indexation, l’investissement dans la jeune génétique, la détection précoce d’un potentiel, le soutien au développement de la recherche, la participation aux évolutions des techniques de reproduction, ainsi que la promotion et la valorisation de ces savoir-faire. Libre à chacun de s’y associer et d’en bénéficier pour conforter ses choix.



Chaque semaine, les résultats des ventes aux enchères de paillettes, saillies et embryons nous montrent qu’on investit toujours plus d’argent dans la génétique haut de gamme. Des paillettes vendues à plus de 40.000 euros, des embryons dont le prix dépasse parfois 60.000 euro… Est-ce la confirmation que ce qui est rare est cher ou bien l’expression d’une frénésie du monde virtuel? Il y a quelques jours en France a eu lieu la première vente aux enchères de bitcoins, cette monnaie virtuelle dont on nous rebat les oreilles matin, midi et soir. Vingt bitcoins y ont été vendus pour plus de 800.000 euros de chiffre d’affaires! D’un point de vue matériel, les acheteurs ont investi dans… rien! Peut-on établir un parallèle avec l’élevage? Devient-il virtuel à son tour? Est-ce un bon placement? Il convient sûrement de dire que la valeur de la génétique vendue ne semble pas se déprécier tant qu’elle reste à l’état de fantasme et qu’elle ne se concrétise pas par une naissance.

Le développement de techniques de reproduction extrêmement précises encourage aussi ce marché à haute valeur ajoutée. Tout cela pourrait susciter des questions quant à l’éthique et au bien-être de ces juments aux caractéristiques très recherchées, mais dans un monde virtuel, elles ne se posent pas. En attendant, on vend du rêve, parce que rêver est rassurant, motivant et nourrit les espoirs d’un avenir toujours meilleur. Pour transformer le rêve en réalité, ou réussir le passage du virtuel au réel, encore faut-il toutefois opérer les bons choix.