“Il y aura un avant et un après cet épisode de rhinopneumonie”, Franck Curti

Cavalier professionnel et entraîneur installé aux Bréviaires, dans les Yvelines, Franck Curti fait partie des quelques Français à s’être retrouvés en première ligne face à l’épizootie de rhinopneumonie. Resté à Valence après l’annulation du Valencia Spring Tour en février dernier pour tenter de limiter la propagation du virus et prendre soin de ses chevaux, il a entamé jeudi dernier un ultime trajet pour ramener en France les deux derniers chevaux de son écurie, en observation dans une clinique espagnole. Il revient sur cette expérience traumatisante et livre une réflexion quant à ses enseignements.



Fin février, alors que la rumeur d’une épizootie de rhinopneumonie équine circulait depuis quelques jours au CES Valencia, où se tenait le Spring Tour, l’annonce de l’annulation immédiate de la cinquième semaine de compétition a fait courir un vent de panique parmi les concurrents présents. Tandis que certains ont levé le camp à la hâte pour prendre la route tant qu’il en était encore temps, Franck Curti et son équipe ont choisi de rester sur place. “La décision a dû être prise très rapidement.”, raconte-t-il. “Je suis très à cheval sur la sécurité. À ce moment-là, la situation était déjà préoccupante à Valence. Deux de mes chevaux avaient de la fièvre et le risque d’engendrer des contaminations en très peu de temps était évident. Rentrer chez moi aurait nécessité de faire plusieurs escales lors desquelles mes chevaux auraient pu en contaminer d’autres. Je ne pouvais pas non plus rentrer dans mes écuries avec des chevaux malades. Nous avions tout de même une idée assez claire de ce qu’était une épidémie, qui plus en ces temps marqués par la Covid-19, que nous subissons depuis un an. Il me paraissait alors raisonnable d’appliquer avec nos chevaux les précautions que nous connaissons. Certains ne l’ont pas fait et c’est leur choix. Je ne leur jette pas la pierre. Peut-être ne disposaient-ils pas encore de suffisamment d’informations. La plupart d’entre eux sont partis en pensant n’avoir aucun cheval touché et dans ce cas, le fait de voir la maladie se déclarer une fois rentré chez soi était un risque à prendre. À situation exceptionnelle, réactions diverses”, argue-t-il.

À Valence, la situation n’a pas tardé à dégénérer. Sur les réseaux sociaux ont commencé à être diffusés des récits et vidéos témoignant de l’horreur qui se déroulait sous les yeux des personnes restées sur les lieux du foyer de l’épizootie. “Il y a eu une dizaine de jours très intenses, au cours desquels de nombreux chevaux se sont retrouvés dans des états critiques, ce qui a engendré de sérieuses complications par la suite. D’abord, la mise en place d’un système permettant d’isoler et de protéger les chevaux sains a été très difficile. D’ailleurs, ce système, une fois en place, n’a pas été pleinement satisfaisant. Sur certains points, la situation a été gérée en dépit du bon sens. Des chevaux ont été placés dans la zone saine sans avoir été testés avant et sans que la période d’incubation de la maladie n’ait été prise en compte”, raconte le cavalier. Atteints d'impressionnants symptômes neurologiques, plusieurs équidés ont succombé à la maladie, de plus en plus virulente. “Voir autant de chevaux partir dans de telles conditions et avec de tels symptômes n’est pas évident à vivre. C’est même un enfer”, affirme l’homme de cheval. Comme beaucoup d’autres, Franck Curti a lui-même dû faire face à la perte de l’une de ses complices, sa “jument de cœur”, Baccara du Luc, tout juste âgée de dix ans. “On n’arrive pas dans un concours hippique en se disant qu’on y laissera un cheval. Il n’y a rien de normal à cela”, déplore l’Yvelinois.

Dans leur détresse, les cavaliers et leurs équipes restés en Espagne ont vu se manifester des élans de solidarité sans précédent. “Heureusement, j’ai pu compter sur une équipe exceptionnelle et notamment sur des moyens logistiques et humains offerts par des cavaliers de mon écurie”, affirme Franck Curti. Ayant également fait le voyage jusqu’à Valence pour concourir avec leurs chevaux, certains de ses élèves ont, eux aussi, élu domicile sur le terrain en attendant que la situation s'apaise. “Chacun y a mis du sien pour sauver les chevaux. Certains ont fait des allers-retours entre la France et l’Espagne et dans ce cas, nous nous efforcions de leur donner le plus de nouvelles possibles”, explique-t’il. “Cette entraide a également été de mise entre les cavaliers de différentes nations. Chacun s’est employé à faire profiter les autres de ses compétences et de son expérience. Malgré la gravité de la situation, cela nous a valu de faire de belles rencontres”, retient-il.



“Je suis très admiratif de la gestion de cette crise par la FFE”

À l’heure du bilan, Franck Curti salue les efforts employés par la Fédération française d’équitation (FFE) pour aider les cavaliers français retenus à Valence à préserver autant que possible la santé de leurs protégés. “La fédération nous a réellement épaulés, notamment en nous envoyant des vétérinaires compétents. En parallèle, elle a tout mis en œuvre pour que, une fois nos chevaux sortis d’affaire, nous puissions rentrer en France sans en être empêchés par les autorités espagnoles”, dit-il. “Je suis très admiratif de sa gestion de cette crise. Les équipes de la FFE ont été d’une réactivité incroyable et présentes autant sur le plan humain que logistique. Ils ont agi en véritables hommes et femmes de cheval”, ajoute-t-il. En revanche, le cavalier se veut moins élogieux quant à la réaction de la Fédération équestre internationale (FEI) face aux événements. Sans s’attarder sur des exemples concrets, il dénonce notamment des décisions prises “depuis des bureaux” et un manque de présence “sur le terrain”. “À mon sens, la FEI n’a pas été à la hauteur. J’espère qu’elle le sera davantage à l’avenir. Il doit y avoir une remise en question et une réflexion sur ce qui aurait dû être fait et ce qui n’a pas fonctionné, principalement en ce qui concerne l’organisation et la mise en place d’un protocole en amont.” Pour le Francilien, revenir sur la gestion de ce malheureux épisode est également l’occasion d’en tirer des leçons utiles pour l’avenir. “Pour nous, qui avons vécu la situation de l’intérieur, il est certain qu’il y aura un avant et un après. J’espère vraiment que ce sera également le cas pour l’ensemble du monde des sports équestres, à tous les niveaux. Il faut que ces événements servent à quelque chose et qu’on sache mieux anticiper et réagir face à une telle situation. Il serait également souhaitable que les organisateurs, qui mettent toute leur énergie au service de l’accueil des compétiteurs, puissent être aidés afin de ne pas se retrouver démunis face à ce type d’événements.”

Si la situation actuelle pousse encore à une vigilance accrue en matière de santé équine, pour Franck Curti, le pire est passé. “Mon équipe et moi sommes soulagés d’apercevoir enfin le bout du tunnel et d’avoir pu rapatrier presque l’ensemble de nos chevaux chez nous. Globalement, ils vont mieux. Il est encore trop tôt pour dire s’ils referont du sport ou si la carrière de certains s’arrêtera là, mais leur état de santé s’est considérablement amélioré par rapport à ce qu’il était il y a encore peu de temps. À un certain moment, la question n’était même plus de savoir s’ils pourraient à nouveau concourir; elle était vitale. C’était une guerre difficile, mais nous avons eu de bons combattants, même si l’une d’entre eux manque à l’appel. ” Actuellement en quarantaine, les chevaux revenant d’Espagne pourront bientôt rejoindre leurs écuries Bruyéroises. “Ils sont examinés quotidiennement et certains reçoivent encore des soins locaux. Nous essayons de leur redonner le moral en leur faisant prendre l’air, ce qui leur fait du bien.”